S07 - EP 14 ✧ part II
Partie 2/2
Affalé sur son lit, vêtu d'un pantalon de pyjama, Rudy racontait sa journée à son petit-ami en appel visio sur sa tablette. Rey l'écoutait, amusé. À côté de ses préoccupations, les « aventures de Rudy Leblanc à Balmer » étaient un régal.
— Donc votre nouveau doyen sait que t'es gay, même s'il ignore encore que t'es juste gay de moi, a sympathisé avec ta daronne, entretient une relation cordiale avec ton père et aime ce que fait ton idole Red Kellin. Ma foi, c'est un sacré virage comparé à son discours de prise de service.
— Il soutient l'idée que la diversité ne nuit pas aux valeurs de Darney. Inna en a profité pour l'interviewer pour le numéro de février de la Gazette. Il plébiscite la diversité tant qu'elle n'est pas ostentatoire et tapageuse. Le scandale juste pour le scandale, c'est non. C'est dans ce sens qu'il disait vouloir respecter les valeurs fondamentales de Darney. Andy lui a répondu que le « tape à l'œil » est nécessaire aux fiertés arc-en-ciel, dans un monde qui aime faire pleuvoir son intolérance sur notre parade. « We're queer, we're here, deal with it my dear! »
Rey s'esclaffa.
— J'imagine trop la scène.
— Ç'a faillit partir en clash, parce que le doyen a répliqué qu'il avait en horreur ces divas « folles » qui ont décidé de se fâcher avec leur intelligence. « Une espèce qui pullule malheureusement dans le milieu du showbiz », pour le citer. Du moment que Red n'appartient pas à cette espèce, ça lui va.
— Il n'a pas osé !
— Si. Andy est monté au créneau au nom des « divas folles ». Le doyen a campé sur ses positions. Il a essayé de contextualiser ça en disant que faire un coming-out est légitime, mais ça n'implique pas que les homos de son université s'affichent plus que ne le feraient les hétéros.
— Dans le meilleur des mondes, ça devrait se passer ainsi, dit Rey. Mais il n'est pas naïf au point de croire en l'égalité de traitement entre les cis-hétéros et les autres.
— Oh, Blake s'est chargée de le lui souligner. Il a fini par clore le débat en me jetant sous le bus.
— Hein ?
— Il a prévenu que ç'allait fort l'agacer que toute la fac murmure au sujet de « l'homosexualité de Rudy Leblanc » dans les couloirs. Darney est un lieu d'études, singea Rudy en levant le doigt. L'orientation sexuelle relève de la sphère sociale et privée.
— Ouais, ben il ne tient qu'aux gens de fermer leur gueule et se mêler de leur cul.
Rudy renifla, amusé.
— Je le lui ai dit en des termes plus diplomatiques. Mon coming-out était réservé à mes amis, pas à tout Darney ! Mais bizarrement, je n'ai eu aucun retour homophobe ces deux dernières semaines.
— Comment ça, « bizarrement » ? Il n'y a rien de bizarre, quand l'aura berserk de ton père te précède, en plus de l'ombre que tu te coltines, même jusque sur un catwalk ! Qui serait assez con pour toucher à l'héritier officiel de l'Empire Leblanc ?
— M'ouais, mais je garde mon pessimiste sous le coude. Cette accalmie ne va pas durer longtemps. Même si le doyen m'a garanti que des mesures disciplinaires seront prises à l'encontre de tout acte homophobe, au même titre que tout acte raciste, antisémite, islamophobe, xénophobe et je t'en passe des « phobes ».
Aymar n'était pas homme à prioriser une minorité, encore moins à la privilégier parce qu'un de ses ressortissants arborait le patronyme du plus gros donateur de l'université. Alors la GFM c'était bien, mais sous sa direction, le mouvement n'accolerait pas au blason de Darney l'étiquette « fac des gays ». Dieu savait à quel point l'opinion publique rendait certaines expressions péjoratives ou réductrices.
— Du coup c'est à nous, comités d'A.M.I.E., de nuancer nos discours et agir de manière à ne pas cantonner notre mouvement à Darney-City. C'est noble d'embrasser la cause LGBTQI+, mais le doyen ne nous prendra au sérieux que si on ne cloisonne pas notre militantisme aux murs de sa fac. Après coup, j'ai compris que le mec nous a mis au défi de rendre le mouvement national. Et peut-être mondial !
— Parce qu'il sait que si ça aboutit, c'est l'université de Darney qui en récoltera les lauriers, renifla Rey. C'est un filou. Votre projet n'en est qu'à ces balbutiements, mais dès qu'il sera diffusé sur le Canal 3, vous nationaliserez le phénomène.
— Ouais, ça va peut-être couper le cordon entre la GFM et Darney. Je suppose que c'est un moyen de virer l'oiseau du nid, histoire de se débarrasser de sa charge. « Vous voulez embrasser une cause tapageuse ? Faites-le, mais faites-le loin de mon trésor ! »
— Votre doyen se doute tout de même que les gens dissocieront difficilement la GFM de Darney. L'implication de ses étudiants sera médiatisée. MANY COLORS sera décrit par la presse comme un EP issu de l'association des Darneyens et Red Kellin au profit d'un mouvement luttant pour les droits LGBTQI+. Quoi que dise Sulivann, Darney et GFM seront comme cul et chemise pendant un moment.
Rudy se fit pensif.
— T'as raison. Le clivage se fera sûrement quand la GFM aura acquis le statut de white project. Mais le plus important, c'est que le doyen n'est plus un obstacle. Par contre, il a refusé de rendre à A.M.I.E. toute son autonomie. P'pa pense qu'il veut qu'on fasse nos preuves avant. Je m'attendais vraiment pas à ce qu'il s'entende bien avec le doyen. Ils sont cousins mais je ne les savais pas proches.
— Leurs intérêts en commun ont dû les rapprocher. Votre doyen peut aussi vouloir s'assurer que l'Amicale adhèrera à sa vision des choses. Tant que ce sera le cas, il vous lâchera du lest. Le jour où elle le contredira, il resserrera les boulons.
— Je le savais ! exhala Rudy.
— J'émets juste une hypothèse.
— Je sais, mais j'y ai aussi pensé. J'ai pas osé le lui dire.
— Ose, la prochaine fois. C'est édifiant de mettre les gens face aux scénarios qu'ils n'avaient pas anticipés. Leur réaction t'en apprend davantage sur leur personnalité.
— En parlant de scénario, Saïd s'est mis en tête d'écrire une fiction basée sur mon père, Andy et Edvin.
Rey cilla.
— Quoi ?
— Ce mec m'épuise !
— Il sait qu'il pourrait s'exposer à des problèmes ?
— Il n'est pas con, il va renommer les protagonistes. Blake et lui sont partis dans un délire haut perché. Pas un pour rattraper l'autre ! Je ne te parle même pas du cercle d'imbéciles qui les a encouragés. Inna, Junior et Lou-Ahn. Je les retiens, ces trois-là. D'après eux, ça grossira le panier de la future maison d'édition de la GFM. Junior a l'air chaud de ce côté-là. Il a déjà commencé à répertorier ses contacts dans le milieu de la presse, qui pourraient nous aider dans cette démarche.
— Il va utiliser ses entrées à Wassup'Mag®. Pourquoi pas ? fit Rey, songeur. Ça peut marcher. Et cette histoire racontera quoi ? Dean est au courant ?
— Bien sûr que non ! Saïd et Blake s'inspirent de leur physique pour décrire leurs personnages.
— Ils coécrivent ?
— Blake a les idées et Saïd, la plume. Par contre, j'ignore qui des deux a l'esprit le plus mal tourné !
— C'est la nana, cherche pas. Une nana qui fantasme sur deux mecs ensemble, tu n'imagines pas les aberrations scénaristiques qu'elle peut te pondre.
Rudy geignit.
— Tu comptes leur dire un jour pour Dean et Red ?
— Je ne sais pas... Ça m'embête parce que ça donne l'impression que je ne leur fais pas assez confiance. Mais je ne ferai pas l'outing de p'pa. Je suis un peu le cul entre deux chaises. Après, si p'pa apporte des pâtisseries à Andy à la fac... Quelque part il s'affiche.
Rey se moqua.
— Ah là là, ces amoureux, on dirait des ados !
— N'est-ce pas ? En plus, p'pa est du genre jaloux comme un pou.
— Ouais, ça je connais, marmonna Rey.
Rudy poursuivit comme s'il ne l'avait pas entendu :
— Il n'a pas arrêté d'accaparer Andy à la moindre occasion. Et l'autre lui passe ses caprices. Je pense qu'il n'a même pas tilté que c'était par jalousie que p'pa se comportait comme ça avec lui !
L'exaspération de Rudy finit d'amuser Rey. C'était cette éternelle histoire de paille et de poutre.
— Mais de qui Dean peut-il bien être jaloux ? Il a tout, en plus d'être le parfait fantasme de Red !
— Ne me branche même pas là-dessus.
— Les histoires de couples font partie de ces sujets qu'il vaut mieux observer de loin, dit Rey. S'immiscer entre deux personnes n'apporte jamais rien de bon. Mais parfois les aléas ne vous laissent pas le choix. Je suis cependant obligé de te dire que Junior, Inna, Blake et Lou-Ahn savent pour ton père et Red.
Rudy s'étrangla.
— Pardon ?!
— Torcy père est au courant du couple de ton père, Rudy. Aussi l'est Torcy Junior. Inna, Blake et Lou-Ahn ont dû faire le rapprochement.
— Que... Je comprends pas. Comment... ? Enfin, je veux dire, comment tu le sais ? Et pourquoi auraient-elles fait le lien, elles, plus que les autres ? Blake n'arrête pas de visualiser Andy et Edvin en couple.
Rey soupira.
— Pour Junior, je le sais parce que je suis T-eyes. Pour Inna, Blake et Lou-Ahn... j'ai peut-être laissé échapper des indices qui les ont conduites à extrapoler. La suite des évènements n'aura fait que confirmer leurs soupçons. Maintenant, si tu me dis que Blake est plus encline à croire au pairing Redvin plutôt que Redean, alors peut-être que je me fais des idées.
— Ça t'ennuierait de rentrer dans les détails ? s'agaça Rudy.
— C'est lié à l'histoire des « dix petits nègres », avoua Rey avec réticence. Saïd, Timothy et Teddy n'y ont jamais pris part, contrairement aux autres. Je devais mettre la pression à Junior. Il s'avère que j'ai découvert son implication dans une histoire qui aurait pu aboutir à l'outing de ton père via Wassup'Mag®. Je m'en suis servi contre lui alors que les filles et Mir d'ailleurs, étaient des témoins indirects. Je suis désolé.
Rudy balaya ses excuses. Il ne lui en voudrait pas, sachant le contexte. Mais quelle histoire de dingue ! Il se massa les sourcils.
— Que mes potes soient finalement au courant, ce n'est pas le plus embêtant, ça me facilite les choses. Et ça en dit long sur leur discrétion. C'est Wassup'Mag® le plus préoccupant. P'pa est au courant ?
— Pour Torcy père, oui. Tu penses bien que sa presse poubelle se serait dépêchée d'écrire noir sur blanc qu'il est le nouveau mec de Red Kellin. Si Wassup'® ne l'a pas fait c'est parce que Dean a mis son holà. Ça n'a pas empêché le magazine d'y faire allusion. Si tu relis le numéro de décembre de façon plus attentive, il te sera aisé de comprendre que le magazine tient quelque chose.
— Ce fichu numéro où tu t'affiches avec Bianca ? grogna Rudy.
Il avait presque fini par le connaître par cœur, à force de le triturer. Sauf qu'à ce moment-là, son esprit n'était pas apte à saisir d'autres subtilités, tant il était obnubilé par cette greluche au bras de son mec.
— Celui-là même.
— Vire-moi ce sourire de ton visage ! le houspilla-t-il. Je te rappelle que ça a coûté deux billets d'avion pour un aller-retour Saunes-Milan ! Tes conneries coûtent cher, Rey.
— C'est ta façon d'y réagir qui est excessive, Caramel. Même si j'admets que j'y suis particulièrement sensible. T'as aucune idée de la signification que ce geste a eue pour moi. Ça fera toujours partie de mes plus beaux souvenirs, ton passage à Milan, confia Rey. C'était ton premier « je t'aime ».
Rudy se gratta le nez comme pour masquer son émotion.
— Je voulais pas te perdre, confessa-t-il.
— Tu ne me perdras jamais, déclara Rey d'un ton grave. Ce n'est pas une promesse, c'est juste un fait. Je suis totalement, désespérément, vendu à ta cause. Et je n'ai même pas de réticence à l'avouer, rit-il.
Saleté ! pensa Rudy. Lui faire une telle déclaration alors qu'il ne pouvait pas le toucher, le prendre dans ses bras, l'embrasser.
— C'est malin, maintenant j'ai envie de te sauter dessus et t'es même pas là.
— Désolé.
— Idiot, bougonna-t-il.
— Moi aussi je t'aime, Rud', fit Rey avec douceur.
La porte de la chambre de Rudy s'ouvrit, manquant lui faire vomir un cœur qui battait déjà la chamade des suites de ses confidences amoureuses. Dean passa la tête dans l'entrebâillement.
— Tes sales manies ont repris du poil de la bête ?
L'incompréhension se peignit sur les traits de son père. Exaspéré, Rudy lança :
— P'pa, j'aurais pu être tout nu !
Un rire moqueur s'éleva de la tablette.
— Rien que je n'aie pas déjà vu, répliqua Dean au lieu de s'excuser de n'avoir pas toqué.
— Et j'aurais pu être « occupé », ajouta Rudy, refusant de céder.
Effectivement il avait été à deux doigts de proposer à Rey une séance de « télé-frissons », en compagnie de leur main. Dean arqua un sourcil, ayant saisi le sous-entendu. Soit. Il avait aussi été jeune et animé de passion « solitaire ». Ça n'aurait pas été surprenant de trouver son fils « occupé » sachant l'identité de son interlocuteur. Qu'à cela ne tienne, il avait besoin de discuter avec Rudy cette nuit. La journée avait été placée sous un bon karma. Il en profiterait au maximum avant que sa chance ne tourne.
— Il y a plusieurs salles de bain à disposition pour ce genre « d'occupation ». Personnellement, je préférais le faire sous une douche chaude. Ça m'évoquait mieux l'idée d'un câlin. Et comme tu dis : « tu aurais pu être occupé ». Ton emploi du conditionnel nous informe donc que ce n'était pas le cas.
— Je le suis, là ! glapit Rudy en tapotant sa tablette du doigt, rouge de gêne.
Une tablette de plus en plus hilare.
— Rey peut attendre. Vous reprendrez votre communication quand nous en aurons terminé.
— Hors de question ! C'est mon moment avec mon mec. On a été ensemble quasiment toute la journée. Tu vas pas faire ton gourmand. Maintenant c'est au tour de Rey.
Dean souffla. Il pénétra dans la chambre sans y être invité. Ses mains dans son dos dissimulaient quelque chose qui suscita la curiosité de Rudy.
— C'est comme tu sens. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'il assiste à cette conversation. Mais c'est à tes propres risques.
— De quoi tu veux qu'on cause ? s'enquit le fils, un peu inquiet.
— D'un sujet délicat, commença le père avec réserve. Mais avant tout...
Dean lui tendit le boîtier d'un CD et la pochette d'un vinyle. Rudy s'étant équipé du lecteur hybride CD-platine Beat'n'Noize®, il disposait du matériel adéquat pour consommer ces items jusqu'à leur dernière fibre.
— Je dirais qu'il n'a aucun défaut, mais je manque d'objectivité.
— Je croyais qu'il sortait la semaine prochaine ?
— C'est l'avantage d'être de la famille, fit Dean avec un clin d'œil.
— C'est génial ! Bill va être vert quand je vais le lui montrer, lança Rudy, exprimant sa joie sans retenue.
Dean remua la tête, consterné. C'était petit de narguer ainsi ses amis. Son fils cessa de le « calculer » – comme disaient les jeunes – pour exhiber son cadeau à son petit-ami.
— Je l'ai avant tout le mondeuh ! chantonna Rudy en le serrant contre son cœur.
— Caramel, ce CD trône sur mon bureau depuis presque une semaine, répliqua Rey d'un ton mi-blasé mi-amusé. Je suis le C.E.O du principal financeur du label, tu te souviens ? Tu as peut-être reçu la version définitive illustrée avant tout le monde, mais j'avais déjà toutes les pistes de LIRM à disposition.
— Et tu m'as rien dit ? s'horrifia Rudy. Je te déteste !
Il grommela pour le principe, raillé par son père et son mec. En réalité, il était aux anges. Il tenait LIFE IN RED MOTION « en chair et en os » ! Dean l'éjecta des cieux.
— Ne va pas croire que j'essaye de t'acheter avec. Je ne voulais pas te le donner à la fin de notre discussion pour ne pas te laisser l'impression d'une récompense.
— Je peux vous laisser, proposa Rey, voulant se montrer prévenant.
— Non, il a dit que tu pouvais y assister, opposa Rudy. De quel sujet allons-nous parler ? demanda-t-il, soudain anxieux.
— J'ai l'intention de m'immiscer dans l'agenda étroit de Vince. Le plus tôt, le mieux, révéla Dean. Je ne veux pas lui accorder le temps de se préparer en conséquence.
— Jusque-là je te suis, mais je ne vois pas où tu veux en venir.
— Avant de « discuter » avec lui, je dois savoir certaines choses que lui et moi ignorons à l'heure actuelle.
La tension de Rudy grandit. Il tenta de ne pas s'attarder sur son mauvais pressentiment. Dans les yeux de Dean, il lisait une résolution douloureuse. Il lisait aussi des excuses au-delà de la gravité. De quoi son père était-il navré ? Rudy eut peur de deviner.
— Tu vas lui faire ton offre qu'il ne pourra pas refuser ?
— Quelle offre ? osa Rey.
Rudy dévisagea sa tablette. Était-ce finalement judicieux de tenir cette discussion avec Rey ? Mais il ne pouvait plus l'éjecter de la conversation, ça manquerait de subtilité. Il aurait dû écouter son père. Quoique, ce dernier n'était pas contre la « présence » de son beau-fils, puisqu'il résuma :
— C'est en rapport avec White Enterprise©. Mais cette « offre » n'est pas pour demain. Non, demain, je soutire à Vince les infos dont j'ai besoin pour exécuter mes plans. Seulement elles ont un prix et je ne dispose pas de quoi les « payer ». Toi, si.
— Comment ça ?
Dean attendit qu'il trouve la réponse seul.
— Tu... comptes marchander ce que je t'aurais appris contre ces infos, comprit le garçon. Qu'est-ce qui dit que Vince mordra à l'hameçon ? Mieux, qu'est-ce qui dit que le peu que je sais, Vince ne le sait pas déjà ?
— Peut-être que tu as raison. Ils ont probablement tout soutiré à Chayton. Mais c'est ta version que je veux. Celle-là, personne n'en a eu connaissance.
— Tu veux que je te raconte, c'est ça ? murmura Rudy d'une voix éteinte.
Bien qu'il s'en doutât déjà, son cœur eut un raté. Pourquoi cette nuit ? Son père voulait qu'il lui relate son enlèvement du début à la fin ? Du moins, ce dont il se souvenait. Ses séances avec Ilona avaient atteint une routine, mais elle ne le poussait jamais à raconter ce qu'il s'était passé avec Chayton. Elle le laissait aller à son rythme. Il avait le sentiment qu'elle ne lui poserait jamais de question à ce sujet. Ce n'était pas tant cela qui intéressait la psy mais ce qu'il avait envie de lui dire. Il appréciait mieux ses échanges avec elle. Sa personnalité aidait, ainsi que sa manie de le questionner sur Red Kellin, en bonne Holy Sucker.
Son père était tout le contraire, avec ce besoin pathologique Leblanc de vouloir tout savoir. Dean demandait la vérité crue, sans biais, sans détour, sans excuse.
— Seulement si tu t'en sens la force, mon ange. Je ne t'obligerai pas à le faire.
— Tu viens de dire que t'en as besoin pour marchander avec Vince. Mon silence fera foirer tes plans. Tu me forces déjà la main !
Voyant la nervosité de Rudy grimper, Dean soupira.
— Non, fiston. Toi et moi... et Rey, ajouta-t-il, il est temps de faire corps. Mais vous devez comprendre que si je ne vous dis pas tout, ce n'est pas pour le principe de vous taire des infos, c'est pour vous éviter de devenir des cibles dignes d'intérêt. Hélas, c'est trop tard, vous l'êtes déjà. Seulement, tant que vous ne serez pas considérés comme mes points faibles, j'agirai avec un peu plus d'assurance. Je ne dirais pas « sérénité », mais je n'aurai pas d'hésitation si je vous sais en sécurité. Si mes actes ne vous exposent pas, peu importe la nature de la menace. Vous maintenir dans une ignorance relative reste la seule manière de ne pas faire de vous mes faiblesses.
— Sauf si on a de quoi « gagner » les infos que tu détiens, opposa Rey.
— Exact, concéda Dean, sombre.
Il ne pouvait pas tenir le même discours à Rey et Rudy. Le premier avait déjà un pied dans la cour des grands, quand Rudy arrivait au bac à sable, tout frais sorti de sa coquille. Le cocon que Dean avait maintenu autour de lui. Il avait élevé son fils dans une couveuse et en payait le prix. Rudy rajouta une couche à son autoflagellation.
— Tu vendrais tes infos à ton fils ? Autrement dit, je suis censé payer ce que je dois hériter.
— C'est une question de contexte. Tu dis « payer », je dis « mériter ».
— Tu joues avec les mots !
— Ne vois pas les choses sous une seule perspective, cela te sera préjudiciable. Et pour suivre mon propre conseil, j'ai donc besoin de ta perspective. La mienne ne suffit pas. Et j'ai la ferme intention de la confronter à celle de Chayton. Il est temps de payer une visite à mon passé. Pour cela, j'ai besoin de ton aide.
— Tu iras voir Chayton ? demanda Rudy.
— Il faut bien, si je dois éventuellement t'arranger une entrevue avec lui après avis de ta psy.
La balle était donc dans son camp, comprit Rudy. Il resserra ses bras autour de lui. Il aurait aimé entendre l'opinion de Rey. Pourquoi ne disait-il rien ? Qu'est-ce que tout cela inspirait à son petit-ami ?
Impuissant face à l'incertitude de son fils, Dean attendit. Il ressentait la tension de son garçon à même la peau et avait envie de casser quelque chose. Mais il devait dompter ses émotions. Assez de se laisser guider par son cerveau limbique.
Le silence s'étira, lourd. Dean attendait toujours, au supplice de voir son fils dans cet état. Parler de son expérience traumatisante aiderait à surmonter quelques traumatismes. Cependant, plus les secondes s'égrenaient, plus il était tenté de se raviser, afin d'épargner à Rudy le calvaire des réminiscences. Pourtant, il ne céda pas. Et cela lui déchira le cœur.
— Viens-là. Allez, insista-t-il en douceur, main tendue.
Rudy prit une forte inspiration. Il réalisa qu'il tremblait et se traita de tous les noms. Il n'y avait rien de ses peurs que son père n'avait pas vues. Il ne se sentait pas la force de les cacher à Rey, cette fois. Il se réfugia dans l'étreinte de Dean, qui les réinstalla confortablement contre la tête de lit.
Assis contre le torse et entre les jambes paternelles, Rudy tergiversa en jouant avec sa tablette. À l'écran, il voyait un coin de la chambre de Rey, installé dans son futon et patient. Ce fut probablement cette patience et l'amour dans les yeux de son homme qui délièrent sa langue. Rudy ferma les yeux, puis plongea dans le bassin glacé de ses souvenirs.
*
Deux coups à la porte. Dean répondit. Rudy ne faisait pas confiance à sa voix. Red poussa légèrement le battant.
— Vous êtes là tous les deux.
— Qu'y a-t-il ? s'enquit Dean. Tu as besoin de moi ?
Red cilla. Il entendait le contraire de la question : « Je suis navré, je ne peux pas m'occuper de toi pour l'instant. »
— Pas spécialement.
Avisant les deux supports de son album sur le lit, il se rappela quelque chose.
— Je reviens !
— Toujours aussi papillonnant, grommela Dean comme Red disparaissait.
Le chanteur se précipita dans son bureau récupérer ce qu'il aurait dû offrir à Rudy depuis un moment. Son agenda surchargé le rendait tête en l'air. Voir le garçon vulnérable dans les bras de son père lui avait violemment remis les pieds sur terre. Rudy n'allait pas bien. Un regard avait suffi à appréhender sa fragilité. Que s'était-il passé dans cette chambre ?
Il retrouva Dean et Rudy en plein appel Facetime avec Rey. Une pointe de jalousie lui perça le cœur. Il voulait partager cet instant câlin.
— Je peux aussi être de la partie ?
— Nan, dit Rudy.
Red sortit sa plus belle moue boudeuse. Rudy pouffa.
— Avoue que t'as failli marcher.
— D'où qu'il a failli marcher ? Il a couru, oui ! charria Dean.
— Je vous déteste.
Red salua Rey. Tandis que les deux blonds se payaient sa tête, il prit le jeune homme à parti :
— T'as vu comment ils me font souffrir ?
— Vu tes penchants masochistes, tu ne devrais pas t'en plaindre.
— Toi aussi je te déteste !
Red s'assit au bord du lit, saisit la main de Rudy et y déposa une mémoire SD.
— Pour toi.
— Qu'est-ce qu'il contient ?
— Une chanson que j'ai écrite spécialement pour toi... et ton père.
— C'est la minute émotion en famille ? ironisa Rey, quand le père et le fils écarquillèrent des yeux, émus. Je peux faire un tour, si ça vous arrange.
— Arrête de faire le con, le rabroua Red. T'es de la famille. Enfin, tu fais partie des meubles qui vont avec Rudy.
— Va au diable !
Rudy ricana. Dean réserva sa reconnaissance à son partenaire. Son regard disait « merci de préserver son rire ».
Sans plus attendre, Rudy connecta la mémoire à sa tablette et ouvrit l'unique dossier intitulé : « à mes amours ». Le nom du fichier mp3 qu'il contenait agrandit le sourire desdits amours.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Rey, dont la fenêtre de communication se réduisait désormais à un petit carré au coin de l'écran. Vous faites une drôle de tête.
— Je te transfère une copie, dit Rudy. La chanson s'appelle TO THE ONES OF MY JOYS & SORROWS. Mais tu peux pas en saisir la subtilité, c'est entre p'pa, Andy et moi.
— Merci de me dire que je suis de trop !
— Boude pas, p'tit rebelle. Andy t'écrira aussi une chanson. Pas vrai ?
Regard de cocker adressé au chanteur. Red leva les mains au ciel. Comment dire non à cette bouille ? Il était vendu. Aussi bien au fils qu'au père.
— C'est seulement parce que Caramel-vanille me le demande.
Rey assistait à cette scène avec son expression habituelle : celle qui criait « what the heck ? » Une question bien légitime face aux larmes contenues de Dean et Rudy, à l'écoute de cette chanson si bien nommée.
"To The Ones of My Joys and Sorrows...
With Love from January to December"*
*o*o*
TBC ● EPISODE 15
*Pour les lyrics : Cf. HCS06 VOL.2 EP07 ou la partie dédiée dans HOT CHILI - LYRICS
*MEDIA*
Intro vidéo : NEONI x RIVAL - Wreckage. Des lyrics qu'on va dédier à Rudy et toute sa petite famille.
Shot in the dark
Hope like a spark
Awakens
Under our skin
The fire begins
Raging
Bloodied and scarred
But courage dies hard
Can't take us
We know who we are
Our ruins will not contain us
You underestimated
How far we could make it
With every step we're taking
We rise from the wreckage
No we won't go quiet
We're starting up a riot
The fight runs in our veins yeah
We rise from the wreckage yeah
We rise from the wreckage
We rise from the wreckage
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