S07 - EP 12 ✧
ÉPISODE 12
— J'ai donné son après-midi à Blacky, mais il refuse de m'écouter.
Dans le rétroviseur, Dean vit la Hennessey Venom leur coller au train.
— J'estime qu'il a bien fait.
Comment convaincre son père du contraire ? se demanda Rudy.
— Combien de temps vais-je me coltiner un garde du corps ?
Dean étudia son fils. En avait-il assez de son Blacky ? L'agent, décrit comme compétent, employait certes des méthodes peu orthodoxes, mais son palmarès suscitait l'admiration. Trouver un nouveau garde du corps aussi efficace qu'un produit du G.L.O.B.E. ne serait pas chose aisée. Encore moins quand Dean partait du mauvais pied avec les Meister.
— Me fais-tu un caprice ? On reviendra sur la question du garde quand tu auras prouvé que tu sais te défendre seul.
Rudy grogna, puis réalisa la puérilité de son agacement. Son père avait raison.
— D'accord.
Surpris par sa conciliation, Dean arqua un sourcil. Rudy leva le nez, piqué.
— Je sais aussi faire des compromis ! Il y a une raison pour laquelle je lui ai donné son après-midi.
— Laquelle ?
— Je ne voulais pas de sa présence à nos côtés.
— Pourquoi ?
— Parce qu'il n'est pas question qu'il rapporte...
— J'ai compris, le coupa Dean.
Rudy le considéra un instant, dubitatif. Vraiment ? Son père lui sourit, puis engagea la voiture dans une allée.
Dean soupçonnait son véhicule d'être sur écoute, au même titre que son téléphone ou sa villa. On gardait un œil sur son fils et une oreille sur lui. L'IANS, le G.L.O.B.E. ou peu importe, exploiterait forcément la présence d'un de leurs meilleurs éléments à leurs côtés. Il espérait se tromper mais préférait n'ouvrir aucun pari. Et s'il avait raison, il utiliserait cette situation à son avantage. Inutile, cependant, d'en informer son fils. Rudy ne disposait pas encore de quoi gérer ce problème.
« Ton fils sait que Mikael Sainsbury fait des rapports à ses supérieurs. Sinon il ne l'éloignerait pas aujourd'hui. »
Malgré cette pensée, Dean campa sur sa position. Il y avait une différence entre savoir une chose et en gérer les conséquences.
— Tu veux ton père à toi tout seul. Il suffisait de me le dire, fiston.
— Tss, va pas t'imaginer des choses !
— Me serais-je trompé ?
Rudy grommela de manière inintelligible. Il cilla lorsque le paysage lui sembla familier.
— Où tu nous emmènes ?
— Au resto bistronomique du vieux Joël. Enfin, ça l'était à une époque.
— Ça me dit quelque chose.
— Toi et moi mangions souvent ici.
— Là où travaillait tonton Slim ! s'exclama Rudy. Ç'a un nom en français, non ? Belles marennes d'Orléans !
— D'Oléron, rectifia Dean. T'ai-je dit qu'il était décédé ?
Rudy hoqueta.
— Son père ? Vieux Joël ?
Dean hocha la tête.
— Il y a trois ans. J'ai revu tous les autres. Ils vont bien. Ils seront ravis de te voir, ajouta-t-il dans l'espoir d'effacer le voile de tristesse du visage de son fils. Ça a beaucoup changé. C'est à l'image de son Chef actuel. Slimane travaille à deux rues dans son propre palace.
— Le Cinnamon Palace, fit Rudy. Faut que j'y fasse un tour.
Ils se garèrent, quittèrent le véhicule et Dean congédia le garde du corps sans passer par quatre chemins.
— À quelle heure me voulez-vous de retour ? s'enquit Mikael.
— T'auras qu'à me déposer à A.M.I.E., p'pa. Blacky viendra me chercher pour mon rendez-vous au cabinet d'Ilona.
Yeux de cocker associés à la requête. Dean se sentit faiblir. Mikael, qui attendait sa décision, limite au garde à vous, lança une œillade accusatrice à Rudy. Ce dernier arbora un sourire triomphateur lorsque papa céda. Frustré, l'agent peina à discipliner son expression. Dean le considéra d'un œil torve.
— Y aurait-il quelque chose que je devrais savoir ?
Mikael lui servit un sourire rigide. Mon patron a pointé sa meilleure arme sur le crâne de votre fils et vous êtes en train d'éloigner son meilleur bouclier en cédant à ses caprices de gosse pourri gâté.
— Je ne pense pas, dit-il.
— Tu ne penses pas ? répéta Dean. (Son regard étréci sembla dire : « ne me prends pas pour un con ».) Soit. Bon appétit, Agent Sainsbury.
— Bon appétit à vous aussi, répondit Mikael, le dos raide.
Il maudit le flair de cet homme. Dean soupçonnait déjà un changement du jeu en filigrane, même s'il n'en saisissait pas la portée.
— À ce soir, Rudy.
— À ce soir, Blacky-caramel.
Le sourire radieux, un geste léger de la main, Rudy le salua avec l'expression du môme certain de son retour. Ce sourire n'aurait pas dû l'apaiser, s'irrita Mikael. Comme il tournait les talons, lui parvint la conversation du fils et du père.
— Pourquoi avec toi, il se comporte comme si une chenille urticante lui marchait dans le dos ?
— Parce qu'il ne me viendrait jamais à l'idée de caraméliser son nom, mon ange.
— M'ouais. Il se détendra jamais devant toi, vu comment tu lui parles et tout. « Bon appétit, Agent Sainsbury », singea Rudy, le ton aristocrate nimbé d'une politesse froide.
— Je ne parle pas comme cela, réfuta Dean en poussant la porte du restaurant.
— Bien sûr que si. C'est juste que tu ne t'entends pas parler.
— Et comment devrais-je parler, selon toi ?
— C'est pas à trente-cinq ans que tu vas changer ton élocution, p'pa. Laisse-tomber.
— Alors ne me le reproche pas !
— C'était une imitation, Père, pas une critique. L'imitation est le meilleur des compliments ! Elle est classe, ta façon de parler. Change rien.
— Entendrais-je de l'ironie ?
Le sourire effronté de Rudy lui arracha un grommellement. Dean était heureux. Ces petites chamailleries lui avaient manqué, de même que ces tête-à-tête avec son fils. Il comptait multiplier ces entrevues et engranger des souvenirs à chérir. En outre, l'initiation de Rudy à certains arcanes n'avait que trop tardé. Si son garçon devait apprendre à se défendre seul, lui enseigner comment relevait de son devoir. La part de Dean qui voulait toujours protéger son ange n'entraverait plus celle qui devait l'endurcir.
*
Face à l'accueil chaleureux du personnel en salle, Rudy craignit qu'on lui impose une procession de toute l'équipe afin de tester ses souvenirs. Il aurait été en peine de reconnaître qui que ce soit. Quoique... il se souvenait de Solange, la mère de Slimane, malgré ses nouvelles rides, et du serveur longiligne nommé Emilien. Il s'amusa à traquer des bribes de réminiscences dans la déco et les odeurs. Une grande plante exotique remplaçait la table qui avait été la leur, à l'époque.
Le menu égailla ses papilles, au grand soulagement de son père. L'appétit de Rudy était devenu un sujet d'inquiétude pour Dean. Tout l'entourage de Rudy avait remarqué son rapport un brin conflictuel avec la nourriture depuis son retour. Ses amis, son garde du corps, Red et même Rebecca l'avaient surpris à chipoter avec le contenu de son assiette. Dean savait que son rejeton n'était pas un gros mangeur. Mais jusqu'ici, Rudy n'avait jamais joué avec la nourriture non plus. Qu'il finisse son plat plutôt gourmand était encourageant. Une raison de plus de réinstaurer cette routine de déjeuner ensemble.
— C'est quoi déjà, ta boisson ?
— Un White Russian, répondit Dean après une gorgée. C'est un cocktail glacé à base de vodka, liqueur de café et crème.
— Ça à l'air délicieux. Je peux goûter ?
— Non. Le Kahlúa, la liqueur au café, est titré à 20 % d'alcool, et la vodka au double.
— Tu me prends encore pour un mineur ou quoi ?
Son père se montra intraitable. À défaut, Rudy se rabattit sur un Rumchata café glacé, choix qui alla au bar uniquement après validation paternelle. Le délicieux cocktail crémeux au goût de cannelle et vanille ne contenait qu'un tiers de horchata et de rhum. Parfois Rudy avait envie de secouer son géniteur.
— Ce ne serait pas raisonnable de retourner au campus avec de l'alcool dans le sang, fils.
Rudy roula des yeux.
— Une gorgée va pas me rendre soûl.
En dessert, on lui proposa toutes les douceurs du Cinnamon Palace. Un partenariat liait le restaurant à ce temple de la pâtisserie. Estimant avoir fait le tour des banalités, Rudy entra dans le vif du sujet.
— Je dois voir Chayton. C'est dans tes cordes de le rendre possible ? Vince est out.
Il ne s'attarda pas sur la réaction interdite de Dean et poursuivit :
— On m'a fait croire... Non, Vince m'a dit qu'il avait été plongé dans un coma artificiel. J'ai supposé que c'était dans un premier temps. Il y a deux jours, j'ai appris que ça n'a jamais été le cas.
D'une main levée, Dean arrêta son débit de paroles.
— Tu as « appris » ?
— J'ai tiré l'info du nez de Blacky, oui.
Dean se rembrunit. Rudy anticipa sa réplique.
— Si tu penses que sa présence à mes côtés est néfaste, oublie. On s'était déjà accordés sur le fait que je le garde. Et c'est mon prof de krav-maga. Je le préfère vachement à cette Dakota Parker. Elle me sort par les yeux !
Voilà un autre sujet qui dressait les antennes de Dean. Les séances de krav-maga l'aiguillaient sur le fait que l'Agent Sainsbury lui cachait quelque chose de nouveau en rapport avec Rudy. Pourquoi l'initier à un autre art martial quand il prenait déjà des cours de pencak-silat avec une formatrice émérite ? Parce que le courant ne passait pas entre son fils et sa sensei ? Les obligations de Mikael n'incluaient pas tant de dévotion.
Vivement que Sâminathan Meister fixe la date de leur petit-déjeuner ! Il perdait patience. Et il digressait. Pourquoi Rudy voulait-il revoir son ancien geôlier ? Fallait-on déduire qu'il surmontait son traumatisme ? Sa psy savait-elle cette intention ?
— Parles-en d'abord à Ilona. (Rudy essaya de protester.) C'est pour ton bien, fils, martela Dean. Il y a moins d'un mois, tu nous faisais une crise de dépersonnalisation à l'idée de Chayton, comateux, dans le même centre médical que toi. Un traumatisme de cette violence ne se surmonte pas en trois semaines. Excuse-moi de m'inquiéter de ta fragilité psychologique face à un Chayton en pleine possession de ses moyens, dans un centre carcéral.
Rudy réprima un frisson d'appréhension. Il serra les poings sous la table. Dean le sentit sur le point de se braquer.
— Promets-moi d'en parler à Ilona et j'organiserai ce face à face.
— C'est toujours comme ça avec toi, l'accusa Rudy. Rien n'est gratuit.
— Tu l'as dit, fiston, maugréa Dean.
Il s'agissait d'une règle primordiale. Dans leur nouveau monde, toute vérité avait un prix. Rudy croisa les bras.
— J'en parle à Ilona à une condition.
— Non, cela ne marche pas ainsi.
— Je ne te laisse pas le choix. Sinon je trouverai quelqu'un d'autre pour arriver à mes fins et t'appréciera pas.
Dean grommela, soudain au pied du mur. À trop repousser cette visite à Chayton, il se retrouvait coincé par son fils. Sa rencontre avec l'énergumène devait précéder celle de Rudy. Ne serait-ce que pour dire au connard qu'il perdrait sa tête s'il retournait celle de son garçon. Il était temps de revoir son agenda. Quelque chose le taraudait cependant.
— À propos du coma de Chayton, penses-tu que Vince t'a raconté cette version pour t'éconduire ou parce qu'il y croyait ?
— Où veux-tu en venir ?
— Au fait que ton grand-père n'a pas la science infuse.
— Je n'ai jamais pensé ça de lui.
— Si, inconsciemment. Sinon tu ne présumerais pas de son refus de t'organiser une rencontre avec Chayton. Et si Vince aussi avait été convaincu de ce coma ?
Rudy étudia la question. Mais pourquoi son père essayait-il de le mettre face aux limites de son grand-père ?
— Tu m'embrouilles. On discutait de ma condition pour que j'en parle d'abord à Ilona.
— Dis-la, soupira Dean.
— Tu dois accepter de dîner au manoir ce mois-ci.
Un moucheron le piquerait, Dean ne sursauterait pas différemment. Une bulle d'ire gonfla.
— On t'a forcé la main, n'est-ce pas ?
— Non. Mais il faut que tu prennes la température au manoir, p'pa.
Rudy avait promis de « rabibocher » la relation de son grand-père avec son père et s'y attelait. Dean se passa une main nerveuse dans les cheveux.
— Fiston, as-tu conscience de faire de moi un meurtrier, si tu m'y envoies ?
Rudy cilla. Dean dut s'expliquer.
— Je risque d'étrangler Ritchie avec un chemin de table, ou le noyer dans la soupière.
Voyant qu'il ne plaisantait pas, Rudy transpira. Bon sang, il commettait une erreur de débutant ! Il battit en retraite ; ce n'était que partie remise.
— On oublie la condition. J'en parle à Ilona. Si elle donne son feu vert, tiendras-tu ta promesse ? Dieu sait que je ne devrais plus accorder du crédit à ta parole donnée, vu le nombre de fois que j'ai été déçu.
Le trait d'arbalète fit mouche. Dean encaissa, résigné. C'était mérité. Il tendit la main à son fils.
— Nous avons un marché.
Rudy lui serra la pince en souriant.
— Nous en avons un.
— Bien, jeune homme. Maintenant, je veux le pourquoi de cette visite à Chayton.
— Confondre ceux qui m'ont fait croire qu'il était dans le coma. Au-delà de leur casser les pieds, j'ai besoin qu'ils sachent qu'ils se décrédibilisent à mes yeux à mesure que je découvre leurs mensonges. Ils n'ont pas encore compris que je serai à la tête de White Enterprise© un jour. Dit-on qu'un Leblanc s'assure toujours que son débiteur paie sa dette. Si la vérité a un prix, j'ai décidé que chaque mensonge à mon encontre sera une dette.
Dean apprécia la déclaration.
— Si la vérité a un prix, le bluff est dette, reformula-t-il. Tu permets que je recycle cet alexandrin ?
Rudy agita la main, amusé.
— Faites donc, Père.
— Tu n'hériteras pas de White Enterprise©..., commença Dean sans transition.
— Je croyais qu'on en avait déjà discuté ! Et la conclusion avait été que tu n'as aucun droit décisionnel là...
— Laisse-moi finir, louveteau.
À la suite d'une pichenette sur le front, Rudy croisa les bras, outré. Deux fois qu'il essuyait des pichenettes dans la même journée. Avait-on fini de le prendre pour un gosse ?
— Tu n'hériteras pas de Vince, car W. Ent finira entre mes mains jusqu'à ce que je juge le moment venu de te la céder. Si tu en veux toujours.
Rudy marqua un mouvement de recul. Sacré changement de discours ! Et Dean pensait chaque mot. Rudy en fut peiné.
— Tu sais que tu ne peux pas. En tant que deuxième fils, le ridicule système de succession t'écarte d'office.
— Parce qu'un autre l'a décrété. Personne ne décide de mon destin. Comprends-moi bien, Rudy. Je ne compte pas « hériter » de cette compagnie. Toi, oui. Tu l'hériteras des mains de ton père. Moi, je la leur prends. Et au diable leur avis ! Exactement comme ils ont tenté de te prendre à moi. Ce sera leur châtiment.
Soudain tendu, Rudy souffla :
— Comment ?
Dean s'adossa contre sa chaise.
— Houlà, c'est compliqué à expliquer. Disons que je leur ferai croire que je leur achète White Enterprise©.
— Mais...
Un instant, Rudy en perdit son latin. C'était absurde ! Même lui, à son piètre niveau, voyait à quel point ce plan était tortu !
— Enfin, W. Ent n'est pas à vendre au plus offrant ! Grand-père ne se gênera pas de te le faire comprendre.
— Pour paraphraser un film culte, je vais lui faire une offre qu'il ne pourra pas refuser.
L'assurance de son père le sidéra. Durant une seconde terrifiante, Rudy craignit de ne pas être à la hauteur.
— J'aimerais que tu ne me laisses pas sur le bord de la route, se surprit-il à marmonner.
Troublé, Dean se demanda comment son fils en était venu à penser qu'il pourrait l'abandonner, l'oublier, obnubilé par sa quête vengeresse ?
— Cela n'arrivera pas. Toi et moi sommes liés par un lien plus fort que le sang, Rudy. C'est à la vie...
Il tendit son poing serré. Ému, Rudy accola le sien contre celui de son père.
— À la mort.
Cette promesse-là, Rudy eut la certitude que son père la tiendrait toujours. Au prix de sa vie, s'il fallait en arriver là. Cet homme s'était planté sur la trajectoire d'une arme à feu pour négocier sa sécurité. La charge émotionnelle décrut quand Rudy embraya sur le second sujet à régler.
— Y'a autre chose dont je voulais aussi te parler.
— Dis-moi.
— Je veux qu'on annule les charges contre Adrien Gordini.
Dean s'assombrit.
— Cela ne peut être possible.
— Fais en sorte que ça le soit, exigea Rudy. Il est aussi une victime de Chayton, mais je doute qu'on ait pris ça en compte. C'est facile de jouer de notre puissance, ô combien écrasante, face à une fourmi. C'est aussi ridicule que déployer un bombardier nucléaire pour éradiquer une pauvre termitière !
L'allusion frappa Dean. Bousculé par l'intransigeance de son fils, il n'esquiverait pas le sujet avec une entourloupe.
— C'est sur moi que le préjudice a été porté. J'estime avoir mon mot à dire sur la manière dont on traite une personne qui a été mon ami. Tu ne crois pas ?
— Malheureusement, la loi sera appliquée indépendamment des états d'âme de chacun. Le code pénal et le code civil ont établi des sanctions selon les crimes, afin de maintenir l'ordre. Enfreindre la loi et espérer être absous de ses fautes va à l'encontre de cet ordre. C'est la formule de l'anarchie.
Et je ne pardonne pas aussi facilement que toi, se garda d'ajouter Dean.
— La loi doit être appliquée, renifla Rudy, caustique. Et c'est un Leblanc qui me le dit ! Je ne croyais pas que le jour viendrait où je te verrais jouer les faux-culs.
Dean n'apprécia guère le camouflet.
— J'ai un problème avec ton langage.
— Il te dérange parce que je dis vrai. C'est d'une mauvaise foi, venant de toi.
Dean refusa de lui donner raison.
— Je ne peux pas effacer son casier judiciaire, Rudy. C'est trop tard.
Et c'était vrai. On s'assurerait que tous se souviennent de l'implication d'Adrien Gordini dans la machination derrière l'enlèvement de l'héritier de White Enterprise©. Rudy ne céda pas.
— L'IANS le peut ! Je ne suis pas dupe à ce point. De nombreuses personnes pas nettes sont blanchies en récompense à un « service » qu'on les a forcées à rendre à l'État, parce qu'il ne se trouvait aucun candidat clean plus qualifié pour la tâche.
Certains films d'espionnage se basaient sur la réalité.
— L'Agence ne le fera pas, infirma Dean.
Le G.L.O.B.E., peut-être. Cela restait à voir.
— Parce que Vince ne le permettra pas, je présume, maugréa Rudy, attristé.
Il se trouvait dans une impasse. Agacé par son impuissance, il confessa :
— Parfois, j'ai du mal à supporter le regard des autres quand une anecdote leur rappelle Adrien. Ils font cette tête, comme s'ils s'en voulaient de s'apitoyer sur le sort d'un criminel. Ils se sentent mal de chérir une amitié dont il ne reste que des poussières. Ils voudraient le détester mais n'y arrivent pas. Et ils lui en veulent mais en éprouvent du remord. C'est juste... pénible à voir.
Dans ces moments-là, Rudy était taraudé par l'envie d'agir. De trouver une solution. Cela le démangeait, et s'il ne réagissait pas, il en ferait de l'urticaire à la longue.
— Je le sais parce que je ressens la même chose. Et je ne l'ai connu que quelques mois, alors que les autres cumulent des années de souvenirs avec lui. Ça s'efface pas en claquant des doigts. J'ai l'impression qu'il y aura toujours ce fossé entre nous, si je ne fais rien.
Tant que cette situation n'aurait pas été réglée de façon à causer le moins de tort possible, Rudy craignait de voir le fossé devenir un canyon.
— À ce train, mon white project, dont je veux baser la force sur notre cohésion et notre amitié, s'écroulera au premier coup de vent. Je ne bâtirai rien de sérieux avec des fondations inexistantes. Ça revient à bâtir sur du sable. Regan a raison, quelque part. On ne doit pas limiter la GFM à la défense des droits LGBTQI+. C'est une « motion », un mouvement qui peut en entraîner un autre. Une vague qui peut en appeler une autre, et ainsi de suite, jusqu'à obtention d'une marée haute. Mais en fonction de son évolution, le cas Gordini se présentera comme un obstacle.
Dean se lécha les lèvres rendues sèches par ce discours. Son fils l'impressionnait. Au même âge, il ne tenait pas une réflexion aussi profonde. Rudy lui semblait vieilli. Et cela lui nouait la gorge, l'obligeait à affronter la peur de la disparition de l'innocence de son fils. Ce processus n'aurait pas dû se déclencher dans de telles conditions. Dean maudit Chayton, maudit White Enterprise©, maudit son nom.
— Dis, p'pa... À quoi sert un pouvoir qui enfonce ceux qui ne peuvent même pas rendre les coups ? Qu'est-ce qu'on tire à taper sur quelqu'un qui ne peut pas répliquer ?
Dean se massa les yeux. Rudy attendait vraiment une réponse.
— Je veux dire, comment t'es censé te sentir après ?
— Ça fait du bien quand ce sont des trous du cul comme Sloan.
— Ça compte pas, ça ! À ta place, je lui aurais fracassé la tête contre un mur. Mais Adrien n'appartient pas à la famille des enculés comme Sloan. C'est quoi l'intérêt d'être dépositaire d'une immunité au détriment de plus faible que soi ?
Le malaise planta ses graines et s'enracina dans le sol fertile de leurs antécédents familiaux. L'indignation de Rudy escalada.
— Ouais, c'est vrai, quoi ! J'arrête pas d'y penser. C'est comme si dans TMBC®, tu utilisais tes points de Chaos chèrement acquis pour déployer un bouclier psychique au moment de traverser un village de Z'alem noctus. Ils sont inoffensifs face tout joueur ayant suffisamment d'XP pour se créer un bouclier psychique ! Autant économiser tes points pour une Charge de Chaos contre une attaque d'Elvus, quand ce sera vachement plus utile !
— Fiston, parle l'humain, geignit Dean.
— Mais tu connais ! THE MASTERMIND BENEATH CHAOS®, s'impatienta Rudy.
— Le jeu vidéo, oui. Mais tes exemples nuisent au sérieux de la discussion !
— Ils sont validés par Ilona. Aux dernières nouvelles, c'est une professionnelle. (Dean commença sérieusement à en douter.) Et y'a pas meilleur exemple. La preuve, t'as compris où je voulais en venir malgré le fait que tu sois un vieux.
Le garçon essuya un coup de serviette bien placé.
— Qui a fait le meilleur temps de jeu la dernière fois ? s'offusqua Dean.
— Tu m'as battu parce que ce geek de Korgan t'a refilé les cheat codes !
Dean remua la tête ; son fils était un mauvais perdant. Il avait vu Rudy noter les « astuces et soluces » de TMBC® VI sur son téléphone. De qui se moquait-il ? Pour en revenir à Adrien – ouais, ils avaient vachement digressé –, Dean était loin de se douter des inquiétudes de son fils. Il aurait dû, pourtant. En toute honnêteté, il avait à peine pensé au devenir de cet acteur malgré lui dans le rapt de Rudy. Adrien avait fini dans le panier « qu'ils crèvent tous ! ». Aucune clémence pour les martyriseurs de son ange.
Les procès se déroulaient à huis-clos. Les charges retenues étant fixées grâce aux éléments d'enquête, Rudy n'avait pas besoin de témoigner. Hors de question qu'il mette les pieds dans une salle d'audience ! Les détails de ces séances lui avaient été épargnés. Sur ce point, Vince et Dean s'accordaient ; ils avaient intercepté les courriers du tribunal adressés à Rudy Daniel II Leblanc.
À présent, la rancœur de Dean s'était refroidie, et il attendait de savourer une vendetta glaciale. Seulement, la vengeance n'avait jamais constitué un matériau de construction sain. S'il voulait que Rudy se reconstruise, il devait l'aider à ériger des murs solides. Avant d'être un Leblanc fier et puissant, son fils devait être un homme bon. Un homme de valeurs.
Aujourd'hui, Rudy se révélait enclin au pardon. Dean se violenterait et l'écouterait. Au moins d'une oreille. Aussi demanda-t-il, avec toute la bonne volonté non gangrénée par son ressentiment :
— As-tu une alternative à proposer pour Adrien ? Il faut savoir que même si sa peine est réduite, le contenu de son casier judiciaire sera un frein dans sa vie.
Tant qu'ils vivraient sous le même ciel, Dean verrait qu'Adrien n'oublie pas s'être sali les mains dans le plan sordide ayant manqué lui arracher la prunelle de ses yeux. Chayton aurait réussi son coup, ce déjeuner avec la chair de sa chair relèverait de l'utopie ! Il ferait de Rudy quelqu'un de bien. Sa réussite, sa fierté. Parce que les circonstances interdisaient à Dean d'être un homme bon. Ce fut plus fort que lui, il rumina :
— Je peine à concevoir que tu passes l'éponge ! Sincèrement, cela me dépasse.
Une lueur glaciale durcit le regard de Rudy. Dean eut l'impression anachronique de rencontrer son père âgé de vingt ans. La signature « physique » de Vince sur Rudy déstabilisait parfois.
— Va pas croire ce que je n'ai pas dit. Bien sûr, je lui en veux ! Mais je refuse de m'arrêter là. Je fais le choix de ne pas m'y arrêter.
Rudy voulait se prouver qu'il y arriverait. Au fond, ce choix s'avérait égoïste ; centré sur sa personne. Il pensait d'abord à lui, à sa paix intérieure. Nul n'étant saint, le salut de l'âme de son camarade lui importait peu. Néanmoins, Rudy se souciait du reste : de sa jeunesse brimée par une peine de prison aux portes du diplôme de fin d'études, de son potentiel et son avenir mis en cage. Parce qu'Adrien avait eu le malheur de croiser la route d'un salopard ayant réussi sa vie – Lucas Levy –, et un détraqué s'étant accompli – Chayton Prachett. Rudy s'assurerait qu'on accorde au jeune homme le droit à une alternative.
— M'épauleras-tu si j'en ai une ?
Après une forte inspiration, Dean donna son approbation. Alors Rudy la lui exposa.
*o*o*
TBC ● EPISODE 13
Quelle alternative Rudy a bien pu proposer ?
Retrouvez ces extraits sur : https://www.instagram.com/epice_auteure/
*MEDIA*
Intro vidéo : Be Somebody - Thousand Foot Krutch. Lyrics profonds pour un moment profond entre Dean et son fils.
I'm just the boy inside the man
Not exactly who you think I am
Trying to trace my steps back here again
So many times
I'm just a speck inside your hand
You came and made me who I am
I remember where it all began
So clearly
I feel a million miles away
Still you connect me in your way
And you create in me
Something I would've never seen
When I could only see the floor
You made my window a door
So when they say they don't believe
I hope that they see you in me
After all the lights go down
I'm just the words you are the sound
A strange type of chemistry
How you've become a part of me
And when I sit alone at night
Your thoughts burn through me like a fire
You're the only one who knows
Who I really am
We all wanna be somebody
We just need a taste of who we are
We all wanna be somebody
We're willing to go, but not that far
And we're all see through, just like glass
And we can shatter just as fast
That light's been burned out for a while
I still see it every time I pass
It was lost in the corners of my mind
Behind a box of reasons why
I never doubted it was there
It just took a little time to find
And even when
I feel a million miles away
Still you connect me in your way
And you create in me
Something I would have never seen
When I could only see the floor
You made my window a door
So when they say they don't believe
I hope that they see you in me
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