S07 - EP 04 ✧ part II
Partie 2/3
— De toute évidence, le chanteur des Beat'ONE nous honore de sa présence.
Chloé finissait à peine sa phrase qu'un cauchemar incarnat fonçait sur elle. Avait-il conscience du direct ? Le chanteur n'en eut cure, la saisit par la taille et la tourna dans les airs. Elle glapit, se raccrochant à son micro comme si sa vie en dépendait.
— Ma Chloé ! s'extasia Red, heureux de la voir. Tu m'avais pas dit que tu venais.
Il comptait signer quelques autographes et taper la pause avec des fans quand il l'avait aperçue à l'écran. Avait-elle embarqué Dilan dans son attaché-case ? David se trouverait dans les tribunes mais son jumeau fuyait les évènements médiatisés.
— Andy... euh, Red. Pose-moi.
— Depuis quand tu m'appelles comme ça, toi ?
Chloé lui fit des yeux ronds. Cet imbécile heureux ne comprenait pas qu'il la mettait dans une situation inconfortable.
— Tu t'es bien gardée de me dire que tu couvrais l'évènement, coquine !
— Eh oui, je suis à l'antenne, coquin.
Sourcils haussés, elle tenta de lui dire que leur familiarité susciterait de nombreuses interrogations. Chloé tenait à garder sa vie privée, « privée », par considération pour Dilan, qui, contrairement à son jumeau et son cadet, ne se sentait pas à l'aise dans ce milieu et manquait parfois de ressources face à l'ingérence de la presse à sensation. Red dut comprendre le message, car il s'intéressa à la caméra.
— Coucou, tout le monde. (Des vocalises zélées accueillirent son image sur écran géant.) Ils sont survoltés. Ça c'est un public comme j'aime !
— Tant qu'on vous a sous la main, dites-nous. Vous êtes chargé d'ouvrir le bal ce soir, non ? demanda Natalie.
Elle tenta de ne pas se laisser décontenancer par cette rockstar étiquetée « bête noire des plateaux télé ». Red Kellin excellait dans le rôle du cheveu dans la soupe. Un beau cheveu, néanmoins. Rares étant ses occasions de côtoyer les membres des Beat'ONE, Natalie admettait que leur chanteur fascinait. Elle étudia Chloé, suspicieuse. Quel était son lien avec le rockeur ? Le sourire de sa collègue lui semblait forcé. La section people de Vestis® ne bouderait pas ce ragot.
— Ouais, je donne le coup d'envoi, confirma Red. Je crois que je vous connais...
— Possible, fit Natalie, tendue.
Elle compatit soudain à la situation de Chloé. Peu de gens dans le milieu, encore moins le public, connaissaient sa relation officielle avec Nigell Artis, chanteur de Naytray. Le service des relations publiques de leur label dépeignait ces musiciens comme des cœurs à prendre. Les membres de Naytray avaient toujours éloigné leur moitié des paparazzis, en s'affichant comme une bande d'ados peu intéressés par les filles, n'ayant pas grandi mais simplement vieilli. L'indiscrétion de Red Kellin ne ruinerait pas ce travail. Le sourire aussi faux que celui de Chloé, Natalie noya le poisson :
— Vous avez, à maintes occasions, posé pour Vestis® et devinez pour qui je travaille ?
Red s'en contenta, à son grand soulagement. Aguicheur, il susurra au troisième animateur :
— Bonsoir, belle créature.
Laz se plaqua une main contre une joue. Oh my...
— Bonsoir, belle créature toi-même. Je peux demander un autographe tout de suite ou ça devra attendre la fin ?
— Gardons le meilleur pour la fin. Je sens que je vais passer une soirée sublime. Si on m'avait dit que Laz Diesel était un Holy Sucker... Tu sais que je suis un fan invétéré de ta folie vestimentaire ?
— « Folie vestimentaire », c'est joliment dit. Tu m'en vois flatté.
— Faites vos mamours hors caméra, les garçons, lâcha Chloé, désireuse de se débarrasser de son beau-frère.
Laz Diesel et Red Kellin : la puissance du fan service avoisinerait le nucléaire. Elle lançait sans doute un trending topic sur les réseaux sociaux avec cette insinuation, mais on venait de lui hurler à l'oreillette d'envoyer le cul rouge de Red sous le chapiteau. Il avait certainement – encore – commis une bêtise ! Loin elle se tiendrait, moindre serait le risque d'essuyer les jets de l'irruption du volcan Leblanc. Red aurait lâchement fui ses responsabilités au sujet d'un certain Rudy, n'étant pas censé défiler mais décidé à le faire avec la bénédiction de monsieur Kellin, n'en déplaise à papa.
— On a besoin de toi en coulisses, Andy, précisa-t-elle.
Red dévisagea sa belle-sœur. Flairant le sale quart d'heure, il saisit le bras de Laz d'un geste nonchalant et l'entraîna au cœur de la fournaise. Le styliste lui servirait de bouclier. Le malheureux bénit son aubaine, inconscient de la funeste destinée qui l'attendait. Ils disparurent des écrans, pour la plus grande contrariété des spectateurs.
— Où en étions-nous, Natalie ? reprit Chloé, plus détendue.
— Euh... je crois que l'antenne est à Laz.
Natalie indiqua le cadreur qui exauçait le vœu des fans en collant aux basques des deux hommes. Eh merde ! Celui-là avait flairé le scandale. Elles n'eurent pas d'autre choix que de leur courir après. Ça partait lentement mais sûrement en sucette.
— Dans quelle thématique as-tu été retenu ? questionna Laz.
— Aucune, rétorqua Red.
Perplexe, Laz se rappela qu'il interviewait un déstabilisateur de première. Tous deux jouaient sur le terrain de l'androgynie mais la presse ne les avait jamais comparés. Les choses changeraient après ce soir. Le charme ambigu de Red Kellin ne se limitait pas à sa sensualité à fleur de peau. Contrairement à Laz, il se dégageait du chanteur une félinité drapée d'un doux érotisme, qui vous faisait battre le cœur une fois piégé dans son espace personnel.
Laz réalisait qu'il ne parvenait pas à détacher ses yeux du spécimen. Les détracteurs de Red Kellin ne l'avaient jamais vu de près. Car impossible de le critiquer quand on subissait l'influence de son magnétisme. Ces gens-là tiendraient un tout autre discours s'ils se retrouvaient dans la même pièce que le sujet de leur médisance. Laz se violenta pour retrouver le fil.
— Euh... Dans ce cas, comment définis-tu le style dans lequel tu défiles ce soir ? Chic, androgyne, glamour... ? Difficile de le deviner sous ton trench-coat.
— Oh, un style Red Kellin.
Laz souffla mentalement, vanné. Débrouille-toi pour rebondir avec ! Un peu essoufflée, Natalie vint à sa rescousse.
— Des thèmes ont été imposés par le jury, mais ils servent surtout à faciliter la tâche au moment de départager les looks qui figureront dans le magazine. Parmi ces styles, où vous situerez-vous, Red ?
Dans un jargon alambiqué de modeux, on lui débita les thèmes loufoques qui martèleraient le podium : Urban worker, Workwear, Strip party, Chic tea-party, Cocktail time, British originality, Sixties punk, Night bird... Du gothique au glamour, du punk à la pop, de la street aux offices, tous les styles éclectiques auraient droit de cité sur le catwalk géant. Les grandes marques, les maisons, les créateurs connus cédaient la parole aux choix stylistiques des modèles, des profanes, amateurs et petites start-ups de la mode.
— La mode H-24 comme je l'appelle, résuma Laz. Alors, où se situe ton style ?
— Entre « l'imitable mais jamais égalé » et « essaye encore, tu y arriveras peut-être », asséna Red avec aplomb.
— Je plussoie et valide, approuva un homme à l'approche.
Red avisa le nouveau venu, ravi.
— Qu'est-ce que tu fous ici, Dash ?
Ce dernier se vexa.
— Tu poses sérieusement la question ?
La présence du chanteur de KlaiM, fashionista invétérée, relevait de l'évidence. Toute la jet-set people s'était sûrement donné rendez-vous sur le boulevard. L'attestaient les cris continus du public, au fil du remplissage des tribunes.
— Je vous ai embarqué la reine des damnés, dit Dash. Elle cherche votre vampire de bassiste parmi tout ce beau monde.
Red s'esclaffa.
— Elle le trouvera dans les tribunes MIP. Hana sait que tu l'appelles comme ça ?
— Non.
— Pas très malin de le dire à la caméra, souligna Chloé, tandis que Natalie annonçait aux téléspectateurs l'arrivée du second chanteur.
— Bien sûr qu'elle le sait, rit Dash. Hana exige en plus que je l'appelle « sublime rose épineuse ». Un pléonasme, vu qu'une rose est toujours sublime et presque toujours épineuse. Le propre même des femmes. Une qui n'en est pas s'appelle une arnaque.
— Tu sais parler aux femmes, toi, maugréa Natalie.
Red pouffa.
— Je te la piquerai à l'occasion.
— C'est cadeau. Je ne suis pas vraiment là pour Will mais pour toi. T'as disparu de Saunes. On doit discuter featuring. On te veut pour notre prochain single. Tu ne peux pas te désister, ça parle de toi.
— Dois-je en être flatté ou craindre le pire ?
— Si je te dis que le titre c'est FIRE RED ?
— Je te l'achète. J'apprécie l'hommage, mais t'as conscience de spoiler le public ?
Dash haussa les épaules.
— Donc, t'es partant ?
Natalie et Chloé se demandèrent comment ils avaient dérivé de la mode à la musique. Si elles ne s'imposaient pas, ça partirait en cacahuète.
— Dis donc, tu ne profiterais pas éhontément de l'évènement pour faire de la pub pour le prochain single de KlaiM ? l'accusa Chloé.
Un coup marketing rappelant ceux controversés de Red Kellin. Loin des considérations de ses collègues, Laz luttait avec sa ventilation. Le responsable de sa turbulence respiratoire serait sur eux dans trois, deux, une seconde...
— Je suis navré de t'apprendre que tu feras la queue, Dash. Cet homme est très demandé.
— Dean ? Quelle surprise ! s'exclama Red.
Ça sonna tellement faux que personne ne releva. Laz dissimula son émoi face à cet homme qu'il reluquait jusque-là sur le papier glacé de magazines et posters. Il l'avait aperçu de loin sur le chantier du catwalk, mais leur route ne s'était pas croisée. Sentant s'installer le souk, Chloé tenta de sauver les meubles.
— Alors Dean, tu défiles ce soir ?
— C'est une question ironique, je suppose.
Les catwalk étaient un non-sens dans le contrat du modèle Dean. Chloé le savait, mais sur le moment, elle avait sorti la première question qui lui avait traversé l'esprit afin de maintenir le train sur les rails. Tout ce monde n'avait pas conscience de la retransmission des images en direct... Sinon Rudy n'aurait pas fait une entrée en scène râleuse.
— P'pa, mais fiche-lui la paix ! Andy n'y est pour rien. Si ça peut te rassurer, je défile avec Blacky-caramel.
L'exaspération de Dean atteignit des sommets.
— Fiston...
— Je croyais que Black-caramel ne défilait pas ? intervint Will.
— Non, Blacky-caramel ! rectifièrent Red et Rudy en chœur avant de rajouter en même temps :
— Mon garde du corps.
— Son garde du corps.
— Alors le problème est réglé, conclut Will, comme si cela tombait sous le sens. Où est ce garde ?
— Tu te fiches de moi ? siffla Dean.
Will inspira, compta jusqu'à dix pour s'exhorter à la patience, s'arrêta à trois pour cause de patience limitée, expira.
— Cream-caramel, depuis le temps que nous travaillons ensemble, tu devrais savoir que quand Caramel-vanille et Red-caramel se synchronisent sur la même fréquence, c'est perdu d'avance pour toi. Alors suis le courant, parce que ça va être terrible et surtout difficile d'aller à contre-courant de ça !
Suivant le geste de Will, la caméra fit un plan large de la foule de mannequins en herbe, massés derrière des serpentins les séparant par style vestimentaire et degré de préparation. Des équipes de maquilleurs, postées à l'entrée du chapiteau, s'attelaient aux retouches et finitions chez ceux prêts à défiler.
Avant qu'ils ne larguent les téléspectateurs en Absurdistan, Chloé prit les choses à bras le corps. Natalie et Laz n'étaient d'aucune utilité, occupés à baver sur Dean. Elle expliqua que Black-caramel, alias Jeff Scott, contrairement à son acolyte, Red-caramel, alias Red Kellin, ne défilait pas ce soir. Elle annonça au public survolté que le catwalk dont le montage était chapeauté par Dean Leblanc, oui le modèle, aurait peut-être l'insigne honneur de voir défiler un autre Leblanc, son fils, le désormais célèbre Caramel-vanille, alias Rudy Leblanc, mais la question restait nébuleuse à l'heure actuelle. Un « bouh » de l'audience s'éleva face à cette triste nouvelle.
Natalie tira sa révérence à Chloé, pour avoir réussi à expliquer aux téléspectateurs ce concentré d'absurdités.
*o*o*
TBC ● EPISODE 04 – part 3
Je compatis à la peine de Chloé, ça part vraiment en live...
*MEDIA*
Intro vidéo : Tones and I - Dance Monkey. Parce que ces lyrics vont bien à l'ambiance.
They say, oh my god, I see the way you shine
Take your hands, my dear, and place them both in mine
You know you stopped me dead while I was passing by
And now I beg to see you dance just one more time
Ooh I see you, see you, see you every time
And, oh my, I, I, I like your style
You, you make me, make me, make me wanna cry
And now I beg to see you dance just one more time
So they say
Dance for me
Dance for me
Dance for me oh oh oh
I've never seen anybody do the things you do before
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