S07 - EP 03 ✧ part III
Pour cet épisode, la production s'attèle à un exercice inhabituel : inclure la traduction des lyrics en français directement dans le texte original. Cette fois, j'ai procédé à l'envers. Pas facile de proposer des rimes ou semblants de rimes qui concordent aussi, une fois le texte traduit en anglais.
Partie 3/3
Sur le fond sonore de l'instrumental de LOVE GIVES UP BEATEN TRACKS, Red débuta enfin l'exercice.
— Envisagez un amour brimé, quelle qu'en soit la nature, précisa-t-il en glissant une œillade à Regan. Il n'est pas forcément question d'un amour homosexuel. Nous parlons d'un amour opprimé. Imaginez une société dans laquelle cet amour ne s'épanouirait jamais.
— Pourquoi imaginer quand la réalité nous en montre tous les jours ? fit Junior.
Red lui servit un sourire amer.
— Je te l'accorde. Mais imagine quand même. Imaginez-vous catapultés dans cette société tels que vous êtes, avec vos convictions et votre background. Vous arrivez à la conclusion que l'Amour doit s'affranchir des sentiers battus, quels que soient les fondements et les préjugés de cette société. Comment vous sensibiliserez les gens ? Ou ne serait-ce qu'une personne. Quel message voudriez-vous passer ? Ou simplement, comment retranscririez-vous votre ressenti ? Qui commence ?
Face au silence, Red se dit qu'il s'y prenait mal. À les voir si studieux et intimidés devant leur feuille blanche, il passerait pour un professeur attendant la réponse correcte d'un devoir sur table.
— N'oubliez pas l'autre but : jouer avec les mots. Comme au slam. Les arrangements, les rimes, la poésie et compagnie viendront après.
Le meilleur guide étant l'exemple, il se lança.
« Ils disent que l'AMOUR est un crime
Quand tu es différent(e).
Je dis : l'AMOUR est un cri de guerre,
Parce qu'ils t'ont étiqueté(e) « différent(e) ».
— Qui prend le relai ? les encouragea-t-il.
Bill, qui avait récemment développé une passion pour ces déclamations de textes, se jeta à l'eau. Ses tentatives, tantôt inspirées, tantôt décriées par ses amis sur les réseaux sociaux, s'inscrivaient dans un régime humoristique. Cette fois, il ne s'inspirerait pas de son vécu mais d'une autre existence qui partageait la sienne depuis quelques années : celle son meilleur ami.
« Écoute, ils vont te vendre l'enfer,
Te réduire au silence, à moins que tu t'en vantes, fier,
Te battre comme de la merde jusqu'à t'abrutir.
À la fin, ils réduiront en pièces ton petit cœur. »
Il avait vu Rudy subir des brimades parce qu'il aimait un garçon. Un traitement homophobe dont Bill ne pouvait se désolidariser, car dans son immaturité de l'époque, il avait failli à leur amitié au pire moment. S'il lui était accordé la possibilité de réécrire le passé, il le ferait en ces termes. S'il pouvait remonter le temps et rencontrer le Rudy d'alors, il le préparerait à la laideur de la société. Il l'encouragerait à gueuler, à ne jamais courber l'échine face aux coups. Il connaissait le courage de Rudy, mais même les plus valeureux avaient besoin d'encouragements.
Ravi par son essai, Red s'illumina.
— C'est ça, l'esprit ! C'était pas mal.
Bill se tortilla, à la fois fier et mal à l'aise d'avoir reçu un compliment de Red. Merde, LE Red Kellin des Beat'ONE ! Il ne s'y ferait jamais !
— Nous avons de quoi faire une strophe. Si on s'attaquait au refrain ? proposa le chanteur. L'idée serait d'introduire le slogan de la GFM et, par la même occasion, le titre de la chanson.
Saïd tenta sa chance. Il balbutia au début, modifia ses phrases au fil de son inspiration, et obtint un jet satisfaisant.
« L'amour s'affranchit des sentiers battus.
Fais-en une déclaration, une vérité.
Laisse les racontars être dits.
Prends tes ailes et déploie
Ce sésame vers ta liberté.
Laisse ta joie de vivre déconcerter la tyrannie. »
— Il y a des rimes en plus, apprécia Red. Pas étonnant que t'aies la plume facile. Faudra me refiler tes romans. Je suis curieux de découvrir l'univers qui foisonne dans ta tête.
Saïd rougit face à cet intérêt surréaliste d'une star du rock pour sa personne lambda. Red souligna la décontraction avec laquelle Bill et Saïd s'étaient joués des lettres du sigle LGBT*. Ces deux tentatives encourageantes désinhibèrent leurs camarades, désireux de grappiller aussi un compliment de Red. Ce dernier gloussa.
— Ce n'est pas une compétition, hein ?
Mais avec Junior, il prêchait dans le désert.
— Je dédie ma strophe à Mir mais la dédicace à Regan, annonça celui-ci.
De son humble avis, une allégation aussi bien réservée à son meilleur ami qu'à son ennemi juré relevait de la perfection.
— Ouais, si tu fous pas le chaos, t'as pas fait ta bonne action de la journée, maugréa Rudy.
Le sourire égrillard, Junior déclara :
— Pour toi, Mirabilis. Ne m'en veut pas, Regulus, si tu te sens concerné.
Ses cibles n'eurent pas le temps de se prémunir contre l'attaque.
« L'AMOUR, quel mot magnifique !
Essaye-le, toi à l'esprit étriqué.
Bébé, c'est un sentiment viscéral, rejoins la lutte !
Il est temps de tordre le cou aux idées reçues. »
Mir peina à l'avaler, Regan, à le digérer. Qu'insinuait-il ? Que Mir se batte enfin pour ses sentiments catalogués hors normes par les préjugés ? Que Regan était cet étriqué d'esprit ne connaissant rien à l'amour ? Ils n'eurent pas le loisir de regagner contenance, bousculés par l'essai de Rudy :
« Vis ta vie, non comme ils disent que tu devrais.
Coupable d'être tombé amoureux, ils te jugeront,
Te brimeront à cause de ta supposée dépravation.
En vérité, tu es le bouc émissaire de leurs méfaits. »
Un silence lourd accueillit cette déclamation. Le cœur serré d'émotion, Red fut fier de constater qu'ils avaient compris ce qu'il attendait d'eux. Mettre leur vie en musique. Coucher leur mal-être, leur révolte ou convictions en lyrics.
— Tu m'avais caché ce talent de parolier, mon Caramel-vanille.
— Je le découvre moi-même, marmonna Rudy.
Il ne s'attendait pas à la portée de ses mots. Sans doute une conséquence de l'influence des chansons de Red sur son parcours. Il expérimentait de manière consciente le pouvoir de la parole. Nourrir le silence revenait à accepter la loi d'une société dans laquelle votre place n'était pas toujours acquise. Vivre n'était pas se conformer aux désidératas d'autrui. Fût cet autrui aussi puissant qu'un Leblanc.
Blain, pour sa part, se sentait pressurisé par ces déclarations. Malgré leur justesse, son pragmatisme lui criait que les imperfections de ce monde tordu ne se gommeraient pas avec des mots ou une chanson, aussi militante soit-elle. Combien de fois avait-il espéré se réveiller dans un univers parfait, pour découvrir que c'était lui l'imperfection ? Néanmoins, il lui était enfin donné la possibilité de s'exprimer dans un cercle de sécurité. Un espace dans lequel dire ses pensées ne lui coûterait pas quelque chose de précieux. Alors il dénuda ses angoisses.
« Pourquoi faire de ce monde
Un endroit où la Belle
Dissimule à l'intérieur la Bête,
Où les parents deviennent des ennemis,
Où un proche te tourne le dos
Alors qu'il était ton meilleur ami ? »
Le battement de paupières de Saïd trahit sa lutte contre ses larmes. Les mots de Blain pinçaient une corde sensible ; le genre à émettre une note douloureuse car rattachée à des souvenirs éprouvants. Comparé au hackeur, l'écrivain en herbe était un parangon de joie de vivre, mais cela ne le protégeait pas des aspérités tranchantes de leur réalité. Quand Inna serra la main de son ami, Blain s'écœura de sa propre hésitation à réconforter son petit-ami. Il se consola de voir Saïd entouré, quand Teddy, Lou-Ahn et Blake lui sourirent.
Les larmes de Saïd exposaient une vérité plus profonde. La peur du rejet ne motivait pas, seule, le fait de se terrer dans son placard. Il arrivait que l'on craigne simplement pour sa vie dans un monde hostile envers les non-hétéros. Les gens se « contenteraient » de rejeter ces amours arc-en-ciel et passer leur chemin, nombreux se montreraient sous leurs vrais couleurs, relativement protégés par une communauté LGBTQI+ grandissante, et moins invisibles dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Hélas, quand des peuples, des coutumes, des législations, des religions, ou des abrutis perclus de haine, en plus de vous exclure, vous opprimaient, vous nuisaient moralement, physiquement, socialement, professionnellement, vous donnaient la chasse, vous parquaient dans des camps de concentrations, vous condamnaient à mort, rester dans le placard vous garantissait plus que la sécurité. Le placard vous sauvait la vie. Alors en sortir requérait bien plus qu'une montagne de courage. Il s'agissait parfois d'une profession de foi.
Mettre sa foi en l'humain, en l'autre, en ses amis, en ses parents. Sans la certitude, sans la garantie d'être accepté, considéré, ou simplement écouté. La GFM lutterait contre cette oppression, se jura Rudy. Elle pourvoirait en courage ceux qui en avaient besoin, afin d'affronter les monstres de l'intolérance. Elle accorderait de l'amitié, de la considération, ou une oreille à ceux et celles qui tendraient la main, s'affranchiraient du silence. Dans ce but, leur mouvement devait gagner en force, gagner en ampleur, gagner de quoi réfugier toute âme opprimée qu'il attirerait ou irait dénicher. En faire un White project devenait une nécessité. Un impératif.
À la surprise générale, Regan prit la parole. La pellicule de colère enrobant son propos déconcerta un peu les Darneyens. Au fond, ils ne le connaissaient pas vraiment.
« Drapés dans leur sale manteau de préjugés,
Ils prétendent avoir raison ; il ne faut pas parler.
Tu ne peux rester insouciant car tu n'es pas libre.
Mais à quoi bon se soucier de la liberté
Si tu ne peux croire
En ceux qui osent encore croire en l'AMOUR ? »
Le fléau de l'oppression psychologique, de l'étouffement émotionnel, ce sceau emprisonnant les sentiments n'était pas apposé uniquement sur les membres de la communauté LGBTQI+. Regan en connaissait aussi la saveur. Il aurait beau trouver cette fille à son goût, ressentir ce curieux magnétisme en sa présence, cette flamme demeurerait à l'état de fantasme. Ils n'appartenaient pas au même monde. Elle le lui avait rappelé ; une douche froide lui ayant remis les idées en place, en dépit du désir irrationnel de son cœur. Dans l'hypothèse inespérée qu'elle change d'avis, elle ne serait jamais acceptée par les siens. Nola Vitrand chez les Leblanc était la définition d'un non-sens.
Regan osa une œillade furtive dans sa direction. Avait-elle lu entre les lignes, saisi « l'intention » derrière ses paroles ? À quoi bon espérer ? L'espoir ne changerait pas sa situation ; au contraire, cela nourrirait sa frustration.
Les mots de Regan, inconscient d'être étudié par Red, apparaissaient au chanteur comme le cri d'un cœur asphyxié par un corset de dogmes. Un cœur qui aspirait à se libérer de ses lacets mais ignorait comment les défaire. Ou n'osait pas, car il ne connaissait que l'univers étroit dans lequel on l'avait moulé. Alors Red tenta de l'aider en lui adressant ces mots :
« Ils disent que ton amour est blasphématoire
Je dis : ton amour est une mutinerie
(Une révolte !)
Contre l'intolérance, leur cruelle partialité
Parce que l'AMOUR écrit de belles histoires
Et raconter la tienne serait une victoire »
Il sourit au jeune homme qui détourna les yeux. Tout ce que tu as à faire c'est d'oser aimer, Regan, quand on te dit que tu n'en as pas le droit. C'est suffisant pour débuter une révolution. Pour faire de la résistance.
— Bien, je pense qu'on vient d'avoir notre premier bébé ensemble, déclara-t-il, satisfait.
Lou-Ahn grimaça.
— Faire un bébé avec ces gueux, c'est gore. Vous m'en demandez trop !
Les rires détendirent l'atmosphère. Pour une fois, elle faisait l'unanimité. Red rassembla leurs textes, recueillit d'autres idées éparses, assombrit quelques pages de son carnet à lyrics, puis exposa le résultat. Il fredonnait déjà à dessus en grattant sa guitare acoustique, l'accordant à l'instrumental diffusé par les enceintes. Ses élèves s'agglutinèrent autour de lui et lurent le dernier jet.
[Red]
They say LOVE is a crime
When you're different
I say: LOVE is a war scream
Cause they brand you "different"
[Bill]
Listen, they're gonna sell you HELL
Shut you down unless you proudly BRAG
Beat the crap out of you till you're NUMB
In the end, they'll tear your lil' heart APART
[Saïd]
[Love Gives up Beaten Tracks
Make it a statement, a fact
Leave Gossips Being Told
Get your wings and unfold
That sesame to your liberty
Let Glee Bewilder Tyranny]
[Junior]
Love, such a wonderful word
Give it a try, you narrow-minded
Babe it's a gut feeling, join the fight!
Time to wring the neck of popular beliefs
[Rudy]
Live your life, not as they said you should
Guilty for falling in LOVE, they'll judge you
Bully you because of your supposed depravity
Truth is, you're the scapegoat for their misdeed
[Love Gives up Beaten Tracks
Make it a statement, a fact
Leave Gossips Being Told
Get your wings and unfold
That sesame to your liberty
Let Glee Bewilder Tyranny]
[Blain]
Why make this world
A place where Beauty
Hides, inside, the Beast
Where kin become enemy
Where a friend turns his back
When he was your besty
[Regan]
Draped in their foul prejudice cloak
They claim to be right, you mustn't talk
Can't go carefree cause you're not free
Yet why bother about freedom
If you cannot believe in
Those who still dare believe in LOVE?
[Love Gives up Beaten Tracks
Make it a statement, a fact
Leave Gossips Being Told
Get your wings and unfold
That sesame to your liberty
Let Glee Bewilder Tyranny]
[Red]
They say your LOVE is blasphemy
I say: your LOVE is a mutiny
(A riot!)
Against intolerance, their wicked partiality
Cause LOVE writes beautiful stories
And telling yours would be a victory
[Love Gives up Beaten Tracks
Make it a statement, a fact
Leave Gossips Being Told
Get your wings and unfold
That sesame to your liberty
Let Glee Bewilder Tyranny]
— Vous pouvez être fiers de vous. Je suis fan des acrostiches mais mon préféré reste le téléstiche fait par Bill.
C'était pour cela que Red adorait les mots. On pouvait en tirer tellement de choses amusantes et magnifiques, au lieu de les utiliser pour blesser, humilier ou diminuer les autres.
— S'il vous plait, ne lui faites pas d'éloge, il va plus se sentir, se plaignit Nola. Je vois poindre d'ici des heures de calvaire auditif à la maison, à l'entendre se vanter. Il va exiger qu'on l'appelle désormais Bill'ONE.
— J'avais complètement oublié ce pseudo débile, pouffa Rudy.
Les oreilles écarlates, Bill protesta. Il trouvait son pseudonyme classe.
— Y'a que les jaloux qui le trouvent débile.
Red s'esclaffa. Ah ces fans... Rafraîchissant !
— Avec celle-ci, ça nous fait trois chansons. J'en ai écrit deux autres. On sera à quatre pistes quand on aura retravaillé la proposition de Rey. Vous avez quartier libre pour les trois dernières. Maintenant que vous avez plus ou moins compris l'exercice, inspirez-vous de tout ce qui a un rapport avec notre thème et soumettez-moi vos paroles. N'importe quand, n'importe quoi, un paragraphe, une phrase, un air de musique. C'est un chantier. Pour l'instant, on rassemble le matériel de construction. On élèvera les édifices plus tard.
— Même si j'ai un sursaut d'inspiration à minuit, je peux vous contacter ? demanda Junior, fripon.
— Si ça te choque pas de m'entendre faire l'amour avec Éros, tu peux.
Écarlate, Junior essuya des moqueries toutes aussi gênées. Rudy ne trouva point cela drôle. Regan frisa l'apoplexie. Red soupira. Pourquoi étaient-ils aussi troublés par le vagabondage de leur imagination ? Quoique, Rudy n'avait pas besoin de son imagination, le souvenir de son appel tardif, de retour de nightclub, sentait encore le frais. Le garçon l'avait bel et bien entendu faire l'amour avec son père... Red revint sur un sujet moins embarrassant.
— On fera le point avec Edvin pour le reste des compos et la prise de son.
Voyant Bill largué, Rudy lui apprit l'implication du chef d'orchestre Tchèque. La réaction de son ami, qui tenta vaille que vaille de s'en remettre, lui rappela qu'à une époque pas si lointaine, il menait son train de vie banal d'ado à Saunes, loin des virages que connaissait son quotidien dernièrement. Rudy se surprit à envier la chance de Bill d'avoir une existence sans remous.
— Elle est triste, REPRESSED ME, remarqua Nola, qui feuilletait le carnet de Red.
— Elle est, hélas, surtout vrai. L'arc-en-ciel a de belles couleurs, mais certaines sont plus sombres que d'autres. Vous avez tous en vous les nuances d'un bel arc-en-ciel. Mais quelles couleurs choisissez-vous d'adopter, les sombres ou les lumineuses ?
La question ne s'accompagna pas d'un sourire mais des fantômes hantant le regard de Red. Un battement de cils plus tard, les étudiants crurent l'avoir rêvé.
— Apprêtez-vous, j'appelle la limousine, les congédia-t-il. Will ne s'arrachera pas trop de cheveux, on n'arrivera sûrement à temps.
*o*o*
TBC ● EPISODE 04
*Visible dans la version en anglais.
*MEDIA*
Intro vidéo : Exposed - Matty Fees. Des lyrics dont le refrain reste dans l'esprit de la chanson de cette séquence.
I'm exposed, I never had closure
I've been told to lay my body down
I've lost it all but here I stand
What breaks me down makes me a man
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