S07 - EP 03 ✧ part II
Partie 2/3
— Tu joues d'un instrument ?
— Cela va de soi.
Le soupir ravalé de Regan n'échappa à personne. Grandir au manoir Leblanc et ne pas savoir jouer d'un instrument de musique relevait de l'absurde. Si Red prit son ton hautain avec philosophie, les autres se montrèrent moins diplomates.
— Ce n'est pas inscrit sur ton front, Mozart, lâcha Rey.
Les rires étouffés n'aideraient pas le garçon à s'intégrer, déplora Red comme Regan se renfrognait.
— Je joue du piano, du violon et je m'en sors bien avec des instruments aussi vieillots que le clavecin et le clavicorde.
— Impressionnant, concéda Red. Vous avez fait vos devoirs depuis la dernière fois qu'on s'est quittés ?
Les regards mitigés trahirent un manque d'implication. Ceux de Saunes étaient largués.
— Je m'en doutais. Raison pour laquelle je vous ai tous rassemblés.
— Donc on a été invités par Red, releva Blake, émoustillée. Rudy n'a été que le messager.
— Ça change vachement le cours de ta vie, marmonna Lou-Ahn.
Red sourit face à son cynisme. Il remplissait ses petites fiches mentales. Celle-ci était une gueularde à la langue pendue.
— Vous ne le savez pas encore, mais vous êtes vraiment sur le point de changer le cours de votre vie, déclara-t-il, mi-espiègle mi-solennel. On vous fera chier, maintenant qu'on sait que je travaille avec vous.
Il mémorisa leurs réactions. Ceux qui s'en foutraient, qui assumeraient, qui s'en inquiétaient, et qui s'en passeraient volontiers à l'instar de Regan. Réactions légitimes.
— Je ne vais pas enjoliver la réalité. Mais quoi qu'il arrive par la suite, en toute circonstance, soyez-vous-mêmes. Cela dit, vous pouvez m'imiter et en faire des caisses, mais de grâce, restez classes.
— Amen, dit Saïd.
— Red n'est pas un modèle à suivre, déconseilla Korgan.
— Tu le dis à des fans, ils t'écouteront vachement ! railla Jeff.
Le clin d'œil approbateur du chanteur à Saïd le mit en joie.
— Toi, tu deviendras mon chouchou si tu continues ainsi.
— C'est moi ton chouchou, d'abord ! s'insurgea Rudy.
— Comme on peut le constater, l'espèce Rudy Leblanc n'est pas prêteuse, renifla Bill, blasé.
Le Rudy qui rougissait jadis face à Red ne connaissait plus la honte.
Jay, annonçant que son talent de compositeur n'était pas requis, s'éclipsa. Il comptait profiter de sa dulcinée avant de mettre le cap sur le Queen Boulevard. Privilégiant son fils, Rebecca suivrait l'évènement en direct sur internet. Elle peinait encore à confier Mìo à une nourrice ; son tempérament de louve protectrice auquel les Beat'ONE s'étaient habitués culminait depuis sa maternité.
Jeff reçut un appel d'un Will échauffé qui attendait des nouvelles. Incapable de rassurer son ami au téléphone, il choisit de le rejoindre.
— Connaissant son perfectionniste, il doit rendre son équipe folle. Si un de nous y est, il ne virera pas trop hystérique. Ton projet de diva d'arriver au dernier moment va nous le mettre sur des charbons ardents.
Red haussa les épaules. Il ne s'en repentirait point. Dean montra le bout de son nez et annonça aussi son départ. Heidi se greffa au convoi.
— Je vais faire un coucou à mon chevalier.
Sacha, qui avait fini de papouiller Mìo, exfiltra son homme de l'atelier musique pour qu'il la conduise au « bal ». Korgan se plia, non sans un grand soupir. Red le plaignit :
— Le pauvre. Elle le trimballera partout comme un accessoire de mode, en voulant discuter avec tous ses amis de la jet-set.
Un texto de Dean attira son attention.
« Puisque tu joues les chaperons, je te transfère les coordonnées du service de limousine. J'ai hésité avec un bus VIP. Mais impossible de te visualiser en animateur de colo (tu es trop pervers pour ce métier), la limo l'a emporté. À tout à l'heure. Je t'aime. »
Tout sourire, Red saisit sa réponse :
« Ma perversion est montée en grade depuis que je te connais. Je t'aime aussi, sale canaille. »
« Je t'aime plus. J'ai encore gagné. »
Red pouffa, puis se racla la gorge sous l'attention de ses cadets. Rey devina sans peine l'identité de son correspondant. Ces deux-là ressemblaient à deux ados mignons au téléphone. Écœurant !
— Caramel-vanille, ton père m'a semblé trop serein en partant. Je présume qu'il ignore ton intention de défiler ?
— J'ai omis ce détail en pensant à sa sérénité d'esprit, justement, admit Rudy, en digne fils de canaille.
Rey ricana. Il en connaissait un qui n'aimerait pas la surprise. Il consulta sa montre.
— J'ai rendez-vous avec Ayato. Je dois y aller.
— Déjà ? geignit Rudy.
— Désolé, Caramel. Je dois démarrer maintenant, sinon la circulation sera un enfer.
Le bisou d'au revoir vira au langoureux quand Rudy lui suçota la lèvre supérieure. Un peu, et Rey annulait son rendez-vous. Il lança un salut général, mais s'attarda sur Red.
— Je te filerai une démo de ma contribution à MANY COLORS. Tu me diras ce que t'en penses. Il date un peu, faudra lui donner un coup de jeune en réécrivant les paroles et en rafraichissant la bande son.
— Si ce n'est pas trop indiscret, tu vois Ayato pour quoi ? s'enquit Red, curieux.
— Depuis qu'il a entendu mon jeu de platine à la soirée de Caramel, il me veut sur le prochain single de Naytray axé drum'n'bass. Je me suis dit, si je dois travailler avec la « concurrence », pourquoi ne pas tenter de les débaucher de Sound-D© ?
Red s'esclaffa.
— J'aime ton audace, mais c'est impossible. Non que je doute de tes capacités de persuasion. Nigell est marié à sa maison de prod.
— Ouais, soupira Rey. Ayato est vénal, on peut l'acheter. Ayame suit toujours son frère. Ran, un peu de papouilles suffiraient à le convaincre, il n'est pas difficile. Et il saura soudoyer Terry. Mais Nigell reste une teigne. Dommage qu'il soit le leader de la bande !
Analyse réductrice et bizarrement juste. Les détracteurs de Rey dans l'audience lui réservèrent sa frustration. Parce qu'il était aussi « pote » avec Naytray !? Rudy s'inquiéta.
— Tu vas pas faire des papouilles à Ran ?
— Moi, non. Mais lui... je ne saurais me prononcer.
Le salaud le laissa avec cette mini- bombe.
— Qu'est-ce qu'il entend par débaucher Naytray ?
— C'est une demi-plaisanterie, dit Red. Coop-Com Record© lorgne parfois sur ce groupe, mais Naytray est chez lui à Sound-D©. Ils ne quitteront pas leur maison de prod de sitôt. Comparé au nôtre, leur label est un géant. Même avec tout le génie du monde, Rey ne les débauchera pas au stade où en sont les choses. Mais qui sait ? Dans quelques années, peut-être.
Alors Rudy réalisa enfin que son mec était le nouveau producteur des Beat'ONE. Dingue ! Puis il se rappela le pourquoi. Parce que l'ancien producteur n'était plus en état d'assumer cette fonction. Pas dingue du tout.
Ce constat lui laissa une amertume en bouche. S'était-il tant centré sur lui-même qu'il en occultait le drame que vivait Rey ? Son petit-ami donnait le change. Lors de son séjour paradisiaque de deux semaines aux Taeyand Bay, aux côtés de Marshall, Rudy ne s'était par rapproché de l'homme mais l'avait apprécié... Jusqu'à cette soirée-là, où tout avait basculé. Le dernier Gala Meiridies.
De manière involontaire, il avait sans doute classé le dossier de son « beau-père » dans un tiroir poussiéreux de sa conscience. Conséquence : il n'avait jamais rendu visite à Marshall Lee-Cooper, dans son lit de mourant. Atterrant ! Certes, beaucoup de choses s'étaient produites entretemps. Néanmoins, il n'avait pas d'excuse, car il aurait trouvé le temps s'il s'en était donné les moyens.
« Tu n'as même pas appelé Uma, depuis. »
Sa belle-mère l'adorait. Pourquoi ce froid ? En voulait-il à Marshall pour les évènements passés ? Nourrissait-il inconsciemment du ressentiment à la suite de sa découverte des intentions de son beau-père : l'utiliser, par le truchement de Rey, à des fins d'espionnage industriel ?
— Tu devras tirer profit de ta relation avec Rudy. Elle a toujours été une aubaine que tu refuses de voir. Certes, c'est légitimé par le fait que tu te sois épris de lui, mais j'ose espérer que tu restes encore cartésien. [...] Dorénavant, les intérêts de Coop-Com© sont ta priorité. Tes sentiments pour Rudy sont un fait, mais il est temps que cesse ta fixette sur ce garçon s'il t'est une distraction. [...] Tu n'auras que vingt-ans dans quatre mois. J'aurais préféré que tu en aies dix de plus avant de me dire que c'est l'amour de ta vie ! Pour la crédibilité, on repassera. Je veux ta parole, Rey. (Cf. S04-EP15)
Rey avait donné sa parole, mais les évènements, par la suite, avaient prouvé qu'il ne comptait pas l'honorer. L'horloge de Rudy s'était-elle figée sur ce serment caduc, au point de nourrir son aigreur envers Marshall, en dépit de sa situation dramatique ? Sinon, comment justifier son absence au chevet de cet homme ? Rudy croyait avoir surmonté ce revers.
— Je ne veux pas que tu l'enterres déjà.
— Je ne me fais pas d'illusion, tu sais. Quand un patient cancéreux rentre dans le coma, on est au bout de la phase terminale.
— Alors laisse-moi m'en faire pour toi. Je t'interdis de me parler de Marshall au passé tant qu'il respirera encore. (Cf. S04-EP28)
Il l'avait dit à Rey, à Milan. Mots candides d'un égoïste se mentant à lui-même. Était-il donc ce garçon rancunier ? Les exactions de sa famille élevaient Marshall au rang de saint. Sa colère envers sa propre personne fleurit. Les intrigues viciées autour de l'empire Leblanc l'obsédaient tant qu'il en oubliait l'essentiel – le plus important : son humanité. Elle se flétrissait au profit de sa vendetta.
Le prix à payer de sa vindicte en valait-il la peine ? Rey l'aimerait-il toujours s'il découvrait cet aspect sombre de lui ? Comment se sentirait son homme face à cette rancune inavouée envers son beau-père ? Un beau-père à l'article de la mort. Rudy se trouva ridicule d'entretenir de vieilles rancœurs. Écœuré, il saisissait à présent pourquoi son père tentait de l'éloigner de leur famille.
« Ils te changent, Rudy. »
Il s'avilissait.
Sa prise de conscience dans le bureau de Red lui refila la nausée. Réparer son manquement s'imposait. Seulement, cette introspection dévoilait un problème plus insidieux. Il n'était pas le seul à qui son enlèvement occultait l'essentiel. Il devait veiller à ce que son père ne s'aveugle pas de manière irréversible. Cela signifierait la victoire de Chayton : la victoire des Leblanc. L'empire les aurait alors reformatés.
Se méprenant sur son trouble, Nola tenta de le consoler :
— Rey n'est plus chaste, mais bon, si ça t'inquiète, mets-lui une ceinture de chasteté.
Bill en rajouta une couche.
— Tu le reverras dans quelques heures, Rud'. Tu penses survivre jusque-là ?
Rudy les ignora. Ne pas donner le bâton pour se faire battre était recommandé face à cette fratrie sarcastique.
*o*o*
TBC ● EPISODE 03 – part 3
*MEDIA*
Intro vidéo : Citizen Soldier - Would Anyone Care. Lyrics tristounets qui font une ambiance appropriée à l'introspection de Rudy.
Would anyone notice
If tonight I disappeared?
Would anyone chase me
And say the words that I need to hear?
That I'm no burden
Not so worthless
Bent so much that I just might break
All-consuming
So confusing
The questions that keep me awake
Would anyone care, would anyone cry
If I finally stepped off of this ledge tonight?
Would anything change, would you all be just fine?
'Cause I need a reason to not throw the fight
It just might save my life
Would anyone want me
If they knew what was inside my head?
Would anyone see me
For the person that I really am?
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