Partie 3/3

— L'idée vient de Rapha, qui l'a soumise à Randy, qui l'a soumise au reste des Dius Core. Kit est d'accord. Ned ne s'est pas prononcé mais Randy se porte garant pour lui ; Ned n'a jamais été causant. Selmy nous fait parvenir son feu vert depuis Shanghai.

— Il est en Chine, ce vieux corbeau ? s'étonna Jay.

— Il dit que la distance enlève à son fils tout prétexte pour lui coller un procès, révéla Owlz.

Les autres attendirent qu'il développe. Seul Ayame comprit l'allusion.

— C'est le chanteur-guitariste de Nitro, son môme, non ?

Red sourcilla. Ce nom stimulait des aigreurs d'estomac depuis que son groupe avait perdu sa prérogative sur l'inauguration de la coupe du monde de soccer des moins de vingt ans. Cependant, Nitro ne méritait pas sa colère ; plutôt la fédération sportive et probablement Ethan Bosco. Red voulait le soupçonner d'avoir manigancé. Pour le reste, les tubes de Nitro n'usurpaient pas leur succès auprès des jeunes. Ainsi son chanteur était le fils du bassiste de Dius Core...

— Il est en conflit avec l'autorité paternelle, s'en amusa Owlz. Son père ne comprend pas pourquoi ils ont signé avec Bosco-Record©, alors qu'il aurait pu leur arranger le coup avec Sound-D©.

— J'admets que moi aussi je n'aurais pas compris, dit Jay.

Sound-D© était un label pachydermique comparé à Bosco-Record.

— Bizarre, fit Ayame, pensif. Notre producteur ne nous a jamais laissé l'impression de vouloir signer Nitro.

— Je pense surtout que Tony veut éviter d'être vu comme le « fils du bassiste de Dius Core », analysa Owlz. La comparaison aurait été inévitable s'il avait signé dans la même maison de prod. Mais Selmy ne l'a pas capté, et ce n'est pas son fils qui le lui avouera.

Il donnait l'impression de connaître intimement le jeune homme.

— C'est frustrant d'être vu à travers ce genre de filtre, murmura Dean. Il arrive que cela stimule, mais ça étouffe quand on ne dispose pas de ressources pour se dépasser.

Owlz lui servit un sourire compréhensif. Qui tiendrait mieux ce discours qu'un Leblanc ? Dans une famille aux dirigeants puissants, les rejetons n'avaient pas toujours la liberté de leurs rêves. Néanmoins, se plaindre quand on naissait privilégiés restait une insulte aux mal lotis, de son humble avis.

— De toute façon, Nitro a le vent en poupe. Le père de Tony ne s'inquiète pas trop, s'il se la coule douce à l'autre bout du globe. Bref. Il nous envoie ses salutations et s'arrangera à être présent le jour J. Parce qu'on fera ce mémorial, martela Owlz. On table sur une semaine marathon de concerts. Dites-moi si vous en êtes.

— Qui d'autre sera là ? demanda Jay.

Son ellipse ne laissa aucun doute : les Beat'ONE signaient. En l'absence de commentaire d'Ayame et Hana, Naytray et KlaiM apparaitraient à l'affiche. Dans un salon soudain fébrile, Rudy brimait ses espoirs de peur que leur volume perturbe l'instant solennel. Il vivait un moment historique : les coulisses d'un évènement épique ! Tous les groupes qu'il adulait, réunis au Saunes Town Dome en hommage à John Cerni, génie ayant hissé Dius Core au sommet de la gloire et nourri de nombreuses générations et vocations. Putain de bordel de Zeus, ce truc de OUF ! Où le crier, bon sang ?! Il ignorait la date officielle mais cela lui tardait déjà.

— Je réserve SPARKLING TEARS, décréta Red.

— Les chansons seront tirées au sort, expliqua Owlz.

— Je m'en fiche ! Je veux SPARKLING TEARS ou je fais un scandale et je l'obtiens. Même si c'est l'unique chanson que je ferai, je veux SPARKLING TEARS.

— Super, la diva est de sortie ! exhala Korgan, las.

— Andy, commença Jay, mais Owlz l'arrêta.

— Si tu me disais pourquoi tu la veux à tout prix ? Convaincs-moi, donne-moi de quoi te défendre auprès des autres groupes. Comparé à ce qu'il y aura, les Beat'ONE ne pèsent pas lourd sur la balance.

Piqué, Jeff réagit :

— Tss, ne juge pas avant d'avoir vu.

Red approuva. Ils semblaient prêts à en découdre. Le feu de leurs yeux prévoyait un incendie sur scène. Bon état d'esprit, apprécia Owlz. Mais il fallait recadrer les têtes brûlées.

— Sans vouloir vous offenser, Gengis ne souffre pas encore la comparaison avec les Beat'ONE. Elles se reforment spécialement pour l'occasion.

— Sérieux ?! coassa Hana.

— Et Tisbon remet ses santiags, dépoussière sa guitare et son harmonica.

— Pincez-moi, chuchota Ayame, extatique.

Ces artistes étaient des mastodontes, des légendes d'avant Dius Core. Rudy se tourna vers Dean, les yeux aussi suppliant que ceux d'un certain chat tueur se voulant très mignon. Très, très mignon.

— Tu dessineras la scène, hein ?

Dean se pinça l'arête du nez, vaincu. C'était déloyal de gagner ainsi.

— Je peux aller visiter ? demanda Peneloppe tel un cheveu dans la soupe.

Elle s'ennuyait ferme. Ayant compris qu'elle se trouvait chez Ilona, elle attendit sa permission. Mais la femme, accrochée aux accoudoirs de son siège, semblait plus occupés à refreiner des bonds de fanatique face aux révélations. D'un ton repentant, Jay réquisitionna Rudy :

— S'il te plaît, mon grand...

Celui-ci ravala sa moue. C'était vache de lui faire ce coup ! Certes, il se plaisait à baby-sitter sa fille, mais le moment était mal choisi. Avec labeur, Rudy prit sur lui.

— Viens, P-G. Laissons les vieux de la vielle discuter entre eux, lança-t-il, amer. (Fustigeant Red et Dean qui ricanaient, il exigea :) Vous me ferez un rapport. Et p'pa, tu te débines pas. Sinon je te boude jusqu'à la fin de l'année.

— Ce chantage est puéril, fiston !

— Mais très sérieux, assuma Rudy.

Peneloppe tira sur sa main.

— On va voir Rey ? proposa-t-elle. Ça fait cent ans que je vous ai pas vus en même temps, tous les deux. Notre mariage à trois laisse vraiment à désirer. Et vous faites rien pour changer ça !

— On fera un effort, promit Rudy, pince-sans-rire.

Que répondre d'autre ? Les Beat'ONE explosèrent de rire, dévisagés par ceux qui n'avaient pas été mis dans la confidence. Sidéré, Yakim parla au nom de ces derniers :

— Ai-je bien entendu « mariage à trois » ?!

Consternée par la réaction des adultes, Peneloppe maugréa :

— C'est ce qu'on dit. Y'a rien de drôle pourtant !

Rudy se mordit l'intérieur des joues et assentit.

— C'est moi ou t'as grandi ?

Il l'avait remarqué en la serrant dans ses bras sur le porche.

— Bah, j'ai dix ans. Bon okay, en mars. Mais c'est dans à peine deux mois. Et comme j'ai déjà vécu neuf mois dans le ventre de ma maman, normalement, j'ai dix ans et sept mois, si on fait bien le calcul.

— Tu es bonne en maths, valida Rudy.

— Sacrée Penny, exhala Jeff, lorsque son départ laissa comme un vide.

Grâce à cette fille, le reste des Beat'ONE appréhendait moins la question de la paternité. Jeff attendait que la future mère de ses enfants cesse de ramer dans les eaux de l'immaturité. Korgan se faisait plus malléable sur le sujet. Un exploit, qu'il discute avec Sacha de responsabilité parentale, loin d'être sa tasse de thé il y a quelques mois. Le souci de fertilité de sa femme avait déverrouillé un tabou. Red ? Le chanteur restait encore un point d'interrogation...

*o*o*

TBC ● EPISODE 45

FIN DU MARATHON "RED BIRTHDAY" à 23 h 59 !

*MEDIA*
Intro vidéo : ZAYDE WOLF - SAVE THIS CITY. Choisi pour sa musicalité inspirante, appropriée pour la solennité de cette séquence.

Looking at the city lights
It's cold tonight, it's cold tonight
Like a dream like a star
It's in your eyes, it's in your eyes

We never sleep, we keep the blood pumpin' through our veins
We always meet the fear head-on where the shadows lay

Step into the darkness
If we're gonna save this city
The darkness
If we're gonna save this city
Oh oh...
I can hear it calling
Oh oh...
Yeah I can hear it calling