S06 - EP 34 ✤ part III
Partie 3/3
— Un exemple... Sortir avec Sonia, au-delà du fait que j'en étais amoureux, était une façon de me démarquer.
Red se renfrogna. De tous les exemples, Dean devait choisir celui-ci !
— T'étais pas obligé d'évoquer ton ex.
Dean s'amusa de sa réaction.
— Tu vois l'effet que cela fait d'évoquer un ex.
Son partenaire étrécit le regard.
— Tu l'as fait par vengeance ?
Il se dépêcha de se justifier :
— C'était simplement une façon de t'illustrer que je voulais m'affranchir du moule Leblanc. Elle n'était pas de ma condition sociale et j'aimais le côté transgressif de notre relation. Aujourd'hui, mon couple avec toi est la quintessence de la transgression. Vince fera probablement une syncope en l'apprenant. Daniel-Ritchie, une crise cardiaque. Et ce serait parfait s'il pouvait rester sur le billard !
— Pardon ? hoqueta Red.
— Bref, éluda Dean, ce conflit avec mon ascendance a pris de l'ampleur. La situation s'est dégradée quand j'ai connu les Orlando. La famille de Yakim.
Voilà qui expliquait les anecdotes de Dean sur l'enfance de Dwayne, le petit-frère de Yakim. Son ami l'avait plus qu'à son tour invité dans sa famille.
— Sans doute parce que je ne fais jamais dans la demi-mesure, le conflit avec mon grand-père s'est changé en conflit avec mon père, puis en conflit avec mon patronyme, pour finir en conflit avec ma fortune. Du moins, jusqu'à récemment, je partais du principe que ne l'ayant point gagnée, je n'en avais rien à faire. Réaction sûrement arrogante, sachant que nombreux se damneraient pour être de ma condition sociale et beaucoup sont défavorisés. Mais... voilà. (Dean prit une grande inspiration. La voix rauque, il poursuivit :) Cela appartient à un passé qui a fait de moi l'homme que je suis aujourd'hui. Un passé que je dois assumer pour apprendre de mes erreurs.
Red écoutait. Parce qu'il n'y avait rien à dire à cet instant. Parce que Dean avait simplement besoin d'une oreille. Il se demandait s'il était la bonne oreille, car il ne se sentait pas de conseil avisé. Il ignorait comment aider Dean à faire la paix avec ses démons à défaut de les exorciser. Cependant, son partenaire en parlait, cela constituait une sacrée avancée. Si le présent déterminait l'avenir, on oubliait qu'il refaçonnait aussi la vision du passé. Ce serait au présent que Dean s'évaderait des geôles de son passé. Mais il continuerait d'en être prisonnier tant que perdurerait le conflit, comme l'attestaient ces mots dits d'un ton bravache :
— Pour moi, j'étais né avec cette fortune à cause de Vince. L'amour fou régnant entre nous, je n'ai plus voulu utiliser cet argent hérité par le lien... qu'il a lui-même révoqué. Je ne voulais plus de la moindre chose venant de cet homme.
Le cœur au bord des lèvres, Red entrelaça leurs doigts. Ils ne mangeaient toujours pas. Le repas serait un peu froid quand ils l'entameraient, mais peu importe. La souffrance de Dean, rattachée à ce pan de sa vie, tourmentait Red. Le rapport avec le père : un cas épineux qui minait son homme plus qu'il ne l'admettrait. Dean avait beaucoup estimé son géniteur, pour que sa réaction à son déshéritement soit si violente.
Quelque chose dérangeait Red davantage. Si Vince avait révoqué le lien filial, pourquoi réclamait-il à cor et à cris la protection de son petit-fils ? Dean était le chainon entre Rudy et Vince. Sachant la relation fusionnelle de son amant avec son fils, son beau-père ne pouvait pas espérer gagner Rudy à sa cause en déconsidérant Dean. Ça ne tenait pas la route. En outre, Red n'avait que la version de Dean. Il défendrait toujours sa moitié. Mais pouvait-il comprendre cette situation en se limitant à un seul point de vue ? Il en souffre tellement... Il doit y avoir un moyen de réparer ça. Il le faut. Brimant son envie de le serrer dans ses bras, il était autant touché que Dean s'ouvre enfin que révulsé par l'existence de ce passé-là.
— Malgré sa réaction puérile ou arrogante, je n'en veux pas au Dean de vingt-quatre ans ni à celui de vingt-six ans, déclara Dean. Celui de bientôt trente-cinq ans a eu le temps de mûrir. Et j'arrive à la conclusion que... si je dois protéger les miens, continuer à cracher sur cette fortune relèverait désormais de l'imbécilité.
Les doigts resserrés autour de ceux de Red, il affirma sa résolution d'une voix rudoyée par l'émotion.
— Plus rien ne m'empêchera de prendre soin de ceux que j'aime. Si pour cela, je dois acquérir un pouvoir écrasant, je n'hésiterai pas. Dans ce monde de requins, le poids financier est un critère non négligeable. Il y a trop d'acteurs impliqués dans l'enlèvement de Rudy et dans ta tentative d'assassinat. Ils ont touché aux hommes de ma vie, Andy. Tu comprends ?
Sa voix vacilla, à l'opposé de ses yeux déterminés et de sa poigne de plus en plus ferme. Red se garda de trahir son inconfort. Quelques-fois l'amour faisait mal ; et parfois, on l'aimait ainsi.
— Je ne compte pas laisser cela impuni. Si pour leur rendre la monnaie de leur pièce, je dois devenir un Leblanc impitoyable avec le back-up financier allant avec, je le ferai. C'est assez de fuir. Cela s'est avéré inutile, ils m'ont rattrapé et mon ange a essuyé les plâtres. Je ne me le pardonnerai jamais. Je me haïrais davantage s'il vous arrivait quelque chose, alors que je disposais de moyens pour vous défendre et n'en ai pas usés. Je le mériterais, si je laisse encore un vieux conflit s'interposer entre moi et mes intérêts. J'assumerai mon nom dorénavant. Seulement, on la jouera rock'n'roll. À ma façon.
Ébranlé par ce discours, Red se surprit à en apprécier la fin.
— Aurais-je un droit de regard sur cette façon rock'n'roll ? osa-t-il, circonspect.
Malgré sa réserve, Dean aima qu'il soutienne son regard avec assurance. Peu importe ses résolutions, Red ne se contenterait jamais de la place de figurant à ses côtés. Il avait trouvé le partenaire idéal. L'homme qui lui tirerait les oreilles ou lui mettrait son pied au cul en cas de dérapage. Un homme qui, sans le brusquer, érodait les remparts de son cœur érigés autour de son passé. Un homme qui l'inspirait et le complétait. Un homme qu'il blessait toujours mais qui restait à ses côtés ; non pour lui renvoyer ses échecs à la figure comme l'avait fait Sonia, mais pour l'amener à assumer ses actes et ses paroles, à les voir sous une nouvelle perspective. L'homme qui l'aidait à devenir meilleur.
Dean feignit de réfléchir. Que Red se rassure, il ne comptait pas le tenir à l'écart. Où j'irai, tu viendras. Au fond, il ne laissait pas tant le choix à sa moitié. Même si, in fine, le phénix imposerait son rythme.
— En tant qu'étoile du rock, je présume que tu en as l'expertise, Andy. Aussi je m'y fierai, ne serait-ce que pour ne pas passer pour has-been, comme m'a si gentiment traité Rey.
Red ricana.
— Il a osé ?
— Tu m'as traité de « vieux », et depuis, mon beau-fils me manque de respect !
Son amant s'amusa de l'entendre geindre. De manière tacite, ils entamèrent enfin leur repas. Une autre serveuse vint s'assurer du contenu de leurs verres. Lorsqu'elle haussa les sourcils en voyant sa main lovée dans celle de Dean, Red réalisa qu'il s'agissait de la sixième personne de l'équipe restauratrice à s'occuper d'eux, depuis leur arrivée. En général, l'on attribuait un employé par table. D'ici la fin du repas, toute la brigade les aurait gratifiés de sa présence !
— Vous tirez à la courte paille, je parie.
La jeune femme s'empourpra mais garda contenance.
— Pierre-feuille-ciseaux, rectifia-t-elle.
Red s'esclaffa.
— Tu sais quoi, chéri ? J'adore de plus en plus ce restaurant !
— Ma boss va me tuer, mais ça vaut le coup de mourir, souffla la serveuse. Pourrais-je avoir un autographe, s'il vous plaît ? De vous deux.
Dean sourcilla. Il ne s'y attendait pas. D'autant qu'elle n'ignorait pas son statut de Leblanc. Voilà que la peopolerie du chanteur l'éclaboussait !
— À la fin du repas, ça vous va ? proposa Red. Je me sens d'humeur généreuse, alors dites à vos collègues qu'ils y auront aussi droit, à condition que le repas se termine sur une note excellente.
— Vous ne serez pas déçus ! s'exclama-t-elle avec une assurance radieuse. S'il y a quoi que ce soit que vous désirez, n'hésitez pas à demander. On vous le fera parvenir dans la mesure de nos modestes moyens.
— C'est noté, fit Dean que cela commençait à amuser.
— Mais sinon, sans vouloir vous manquer de respect ni me mêler de ce qui me regarde pas, vous formez le couple le plus super canon que j'ai jamais vu ! Vous êtes trop beaux ensemble.
— Euh... merci, exhala Red, un brin choqué.
Il ne saurait l'expliquer, mais cet aveu lui faisait l'effet d'une validation. Il avait à nouveau le sentiment d'avoir effectué un coming-out, avec l'approbation du reste du monde. Sentiment absurde, pourtant conforté par la soudaine timidité de Dean. Il jurerait que son homme rougissait. Je crois que je peux mourir heureux. Se méprenant sur l'expression troublée de Dean, la serveuse fit une courbette gauche.
— Je vous prie de m'excuser. C'était déplacé de ma part.
Elle se sauva avant de dépasser les limites de la bienséance. De plus, le règlement lui interdisait de s'attarder à la table des clients MIP. Dean lança un regard oblique à Red. Celui-ci rit à gorge déployée.
— Faut qu'on revienne. Excellent choix de restaurant.
Dean souffla son soulagement. Il ramait de moins en moins dans sa reconquête du cœur de la « reine jusqu'au bout ». Sans préavis, la reine Kellin perdit son humeur légère et l'épingla de ses yeux graves.
— Tu n'as pas quelque chose à me demander, Dean ?
— Autre que ton pardon ?
— T'occupes pas de ça, je t'enverrai un courrier avec accusé de réception, s'impatienta Red. De toute façon, tu le sauras même sans le passage du facteur.
Dean pouvait faire avec cette promesse métaphorique. Il avait aussi le sentiment que l'absolution ne saurait tarder, s'il persistait. Un courrier express plutôt que classique. Néanmoins, il aurait aimé que Red ne le laisse pas s'en languir autant. Son amant était dur en affaire.
— Quelque chose à te demander en rapport avec quoi ? s'enquit-il, un peu perdu.
— Compte tenu des tes projets dans un futur proche, il y a une question que tu devrais me poser, Dean.
Il y réfléchit, non sans songer que Red le séduisait en jouant de mystère. Dans un futur proche, il devait régler le manque d'autonomie de Red. Trouver une voiture à son amant s'imposait. D'autant plus avec le projet de cours de cuisine. Au lieu d'en louer une, lui en offrir une ferait un joli présent. Dieu bénisse Farrell et ses idées !
— Excuse-moi, je reviens.
Dean sortit de table et laissa Red en compagnie de sa frustration. Celui-ci maugréa, comme son homme disparaissait dans les sanitaires :
— Comment casser l'ambiance en une leçon ? Demandez la méthode Dean Leblanc !
Cinq minutes plus tard, Dean n'était toujours pas revenu.
— Typique ! grommela Red. Commencer à réparer les choses, puis tout gâcher. (Il finissait de le ruminer que le bellâtre réapparut.) Qu'est-ce qui t'a pris autant de temps ? Tu te pomponnais ?
— Cela relève de ton domaine, Andy.
Red nota sa bonne humeur. Une sacrée bonne humeur. Limite si Dean ne sautillait pas en rejoignant leur table. Il reprit place et embraya :
— Puisque j'aurai besoin de ton expertise rock'n'roll, accepterais-tu de vivre avec moi ? (Son humeur légère s'envola subitement.) Enfin, je veux dire... avec nous, à Balmer... a-avec Rudy et moi, reformula-t-il.
Il bafouillait comme un adolescent, maintenant que lui parvenait la portée de sa première déclaration. Accepterais-tu de vivre avec moi... ? Bon sang, le lapsus révélateur choisissait mal son moment pour frapper !
— Il t'aura fallu du temps pour la poser, bougonna Red.
Son air grognon masqua mal son émotion, trahie par les délicieuses nuances de sa peau. Dean comprit qu'il avait fait un heureux lapsus. Il avait posé la bonne question. L'euphorie provoquée par la réponse positive de Red manqua lui tourner la tête. Elle le surprit. Certes, sa demande ne durerait que le temps d'adaptation de son fils, puis la vie reprendrait son cours et son amant rentrerait à Saunes. Mais cela impliquait un séjour de plusieurs jours sous le même toit, dans une propriété acquise dans ce but. Cette perspective s'apparentait à tourner une page décisive.
En pensant cela, Dean Leblanc ne réalisait pas à quel point c'était vrai.
*o*o*
TBC ● EPISODE 35
Vous le voyez ? Ce petit pas pour l'homme, mais ce grand pas pour Dean !? Il va y arriver. Ils vont y arriver ! Sortez les pom-poms ! Cheers !!! Ils essayent de communiquer !!!
*MEDIA*
Intro vidéo : Breaking Benjamin - Angels Fall. On finit avec une chanson du même album, Dark Before Dawn, dont le thème semble très approprié pour les résolutions de Dean.
I try to face the fight within
But it's over
I'm ready for the riot to begin
And surrender
I walked the path that led me to the end
Remember
I'm caught beneath with nothing left to give
Forever
When angels fall with broken wings
I can't give up, I can't give in
When all is lost and daylight ends
I'll carry you and we will live forever, forever
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