S06 - EP 33 ✤ part I
Partie 1/3
Faute de place dans celui bondé du restaurant, la Nissan Juke se gara sur le parking privé du Cleopatra, en face. Sans être un client de l'hôtel, Dean y avait eu accès avec sa carte MIP. Red se demanda ce que ne faisait pas ce sésame violacé. Le café, sûrement. Il déduisit que l'établissement possédait le label White touch© et une MIP database.
Une dame quitta les lieux avec son chihuahua tondu. Il est d'une mocheté, ce chien ! Quoique, le canidé n'avait rien à envier à sa propriétaire. Red se chapitra en sourdine. Quand il était de mauvaise humeur, tout lui paraissait laid : les choses, les animaux, mais surtout les gens.
Depuis sa place, l'insigne du restaurant attira son attention. Du français ? « Belles Marennes d'Oléron » ne sonnait pas anglophone. Il se demanda si « Oléron » n'était pas une erreur d'orthographe à « Orléans », mais il n'en jurerait pas sur la base rachitique de ses connaissances en français. Il aurait aimé poser la question à Dean, cependant le Code de la Bouderie le lui interdisait.
Le restaurant était bien situé. Sur le trajet, Red avait dénombré opéras, cabarets et cinémas. Dans le secteur, il comptait trois grands hôtels en plus du Cleopatra : le Queen's Crown, le Bejaquera et le Plazza Santini. Il connaissait ce dernier de réputation. Le quartier chic s'épanouissait autour de la place Rendall Bartholomew Leblanc. Un rappel de l'influence de l'illustre famille de son amant.
Un instant, Red songea que s'il avait été un Leblanc, cette ville l'aurait oppressé avec tous ses clins d'œil à son ascendance. Places et monuments célébrant la gloire d'un ancêtre vous interdisaient une piètre existence. No pressure. Fuir ce fief aurait été un soulagement. Il se demanda quel sentiment animait Dean, de retour dans une cité affublée du sceau de son patronyme.
D'une main nerveuse, Red se massa la nuque et disciplina quelques mèches rebelles, regrettant un couvre-chef ou une écharpe. Dans sa hâte de rattraper Rey, il n'avait même pas embarqué son portefeuille. Tu parles d'un étourdi ! Il le pensait à peine que Dean lui tendit une écharpe extralarge, à l'imprimé aztèque monochrome gris sur fond blanc. Son homme avait un faible pour ces modèles XXL. Sans daigner le remercier, Red la passa tel un voile autour de sa crinière signature et en positionna les pans comme un cache-col. Dean l'arrêta lorsqu'il saisit la poignée de la portière :
— Si tu veux mon avis, tu es encore plus louche ainsi attifé.
— Oui, il manque une touche finale.
Sous l'œil perplexe de Dean, il se mira dans la glace du pare-soleil, s'humidifia les lèvres, se lissa les sourcils de ses auriculaire et index droits, se souvint avoir rangé ses lunettes mouche ambrées dans la boite à gants, et les porta d'un air guindé.
— Maintenant je suis louche, constata-t-il, pince-sans-rire. Tout individu civilisé évitera de me fixer longtemps, parce que ça indique : « star qui ne veut pas être reconnue ».
— Cela ne provoquera-t-il pas l'effet inverse ?
— Pas dans un quartier aussi chic, voyons. Faut pas croire, Dean, les gens ne sont pas comme ça.
Il quitta la voiture, et Dean mit quelques secondes à reconnaître le sarcasme. Si le wifi ne passait plus avec son amant, investir dans un câble internet ne serait pas une mauvaise idée, se dit-il, mortifié. À moins qu'ils n'aient été en communication intranet et qu'il ait perdu le mot de passe. Invoquant un courage qu'il ne ressentit pas, il rejoignit Red.
— J'ai failli attendre, soupira ce dernier.
Dean eut envie de se frapper le front contre le capot. Son partenaire excellait dans l'art d'être chiant. Fais-moi penser à ne plus le mettre en rogne, adressa-t-il à sa Petite Voix. Sa police interne ne surenchérit pas, par compassion.
*
Le restaurant Belles Marennes d'Oléron ouvrait sept jours sur sept. Même en saison froide, la terrasse ayant vue sur la grand-place était bondée. L'intérieur catapulta Red dans les années 30. Sans avoir mis les pieds en France, il attribuerait pourtant aux Vallées occitanes la déco boisée et les mosaïques au sol. Le charme opérait. Les conversations diluées dans la musique d'ambiance baroque nourrissaient la convivialité du lieu. Là aussi, il y avait du monde. Aucune place libre.
Entouré d'établissements de loisir et d'hôtels de luxe, le restaurant bénéficiait d'une situation privilégiée ; le service du soir devait voir foule. À travers la façade, Red dénicha une table disponible sur la terrasse ensoleillée. Un autre jour, il aurait accepté de manger là, s'il avait été de bonne humeur. Mais frileux, en plus de son besoin de discrétion par mauvais temps médiatique, il ne signerait pas ce compromis. Un couple entra à leur suite. Un serveur vint à leur rencontre. À son sourire crispé, le jeune homme redoutait sa mission de les installer.
— Bonjour..., messieurs.
Red s'amusa de son hésitation. Il n'aurait pas été surpris que le garçon de salle lui donne du « madame » s'il ne s'était pas attardé davantage sur son allure. Quand le jeune homme s'arrêta sur Dean et haussa les sourcils, Red ravala un soupir. Leur arrivée avait changé l'ambiance aux tables voisines. D'aucuns s'en étaient retournés à leurs affaires, mais d'autres les étudiaient en feignant la discrétion. Lui passait sans doute pour un excentrique voulant échapper aux paparazzis et à l'indiscrétion de la populace, en s'y prenant comme un pied. Dean passait pour le dieu Apollon venu se sustenter parmi les mortels. Rien de nouveau sous le soleil.
L'endroit connaissait son lot de célébrités, avec les hôtels étoilés et les lieux de spectacles huppés. Personne ne brandit son téléphone. Les clients étaient soit civilisés, soit familiers au people lors d'avant-premières, de représentations d'opéra, ou de shows de meneuses de revues plébiscités... Nonobstant, nul n'avait l'habitude du blond à se damner, car ceux qui avaient repris le business de leur plat s'étaient à nouveau tournés vers eux, comme pour infirmer un diagnostic de berlue.
À présent, tous mataient Dean, déployant plus ou moins des trésors de subtilité. Les affiches publicitaires d'égéries de marques polluaient le paysage urbain, pour autant, reconnaître spontanément un modèle n'était pas courant car la photo promotionnelle donnait une autre allure aux mannequins. La curiosité ambiante découlait sans doute de la médiatisation de l'enlèvement de Rudy... ou de sa conférence de presse toute fraîche.
Red releva l'ironie de sa transparence face à un Dean désormais plus célèbre. Cela lui faisait des vacances. Il revint au serveur qui dansait sur un pied puis sur l'autre, embêté.
— C'est une réservation ? Parce qu'excepté la terrasse, il n'y a plus de place...
Dean abandonna sa contemplation des lieux. Il avait été frappé par les nouvelles dimensions du restaurant, qui occupait désormais deux adresses dont une sur la rue de derrière. On pouvait voir les deux entrées se faisant face. La salle avait doublé de volume par rapport à celle de son souvenir ; l'équipe de serveurs aussi. Le jeune homme dans l'attente de sa réponse ne travaillait pas là à l'époque. Il avait perdu ses repères de client habitué, pensa-t-il, un peu emmerdé. Sinon, il ne s'inquièterait pas du problème de place.
À la moue de Dean, Red nota l'agitation des jeunes femmes installées à la table la plus proche. Il remua la tête dans un mélange d'amusement et de consternation. Par la force de l'habitude, il oubliait à quel point son amant troublait l'écosystème émotionnel de son entourage. Dans un élan de frivolité, Red se gorgea d'avoir « pécho » le plus beau. Son ego se ravirait des regards écœurés d'apprendre qu'Adonis n'était plus libre. Le geste nonchalant, Red s'accrocha au bras de Dean. Avec une ardoise salée, ce dernier se garderait de se dérober s'il était intelligent ou possédait un instinct de survie. Puisqu'on l'avait étiqueté manipulateur, Red entendait bien l'assumer !
Le serveur sourcilla. Nul besoin d'être synergologue pour déchiffrer son expression juge qui criait : « ne me dites pas qu'ils sont en couple !? ». Red songea que l'imbécile s'en repentirait.
— C'est embêtant. Je me faisais une joie de manger des fruits de mer.
Il adopta sa voix de diva qui poussait les gens à se plier en quatre pour la satisfaire. Dean n'y dérogeait pas. Après une œillade circonspecte à Red – sonnaient-ils une trêve ? –, il tendit sa carte MIP au serveur.
— Nous n'avons pas réservé, mais ceci suffira.
Le serveur passa de l'outrage mal dissimulé à la panique palpable. « LEBLANC en vue. ALERTE GÉNÉRALE ! » Dean attendit, avec l'assurance de celui qui serait servi sous peu. Red voulait manger des fruits de mer, ils mangeraient des fruits de mer. Pas demain ni une autre fois, mais aujourd'hui. Dans son souvenir, le restaurant disposait d'une salle privatisable, modulable pour accueillir l'effectif d'un petit séminaire. Son regard appuyé libéra le garçon de sa statufication.
— Euh... s-si... si vous voulez bien patienter un instant au comptoir, bafouilla le serveur. On s'occupe de vous dans une minute.
— Nous ne sommes pas pressés, rétorqua Dean.
Le jeune homme força un sourire encore plus crispé et disparut avec sa carte.
— Il faut que tu m'expliques comment ça marche, chuchota Red.
Ses lèvres caressèrent l'oreille de Dean, qui se violenta pour ne pas frémir. Son amant avait-il conscience de titiller en public un point érogène ? Red le savait sensible de cet endroit. Il n'était vraiment pas sortable ! Sur le même ton bas, Dean rétorqua :
— Et toi, il faut que tu m'expliques à quoi tu joues ?
En tentant de rester maître de ses réactions, son ton fut plus incisif qu'il ne l'aurait voulu. Red se méprit sur son humeur et se détacha de lui, la mine à nouveau fermée. Cette fois, Dean eut envie de s'ouvrir le front sur le marbre du comptoir. La loi de Murphy régissait sa journée : le pire était un évènement certain. Sans surprise, avec un partenaire aussi lunatique !
*o*o*
TBC ● EPISODE 33 - part 02
*MEDIA*
Intro vidéo : Dear Agony - Reason To Believe. Des lyrics bien déprimantes pour coller avec l'état d'esprit de Dean.
I've been waiting for something good
But nothing goes the way it should
All the memories, yeah they're haunting me
Thought I could make it through
But in the end
I know I'm going to lose
So today seems like a good day to die
Today seems like a good day to die
So
Just let me go
I feel alone
There's a side of me that you don't know
I can't be me
Cause I can't see
A Reason to Believe
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