S06 - EP 30 ✤ part III
Partie 3/3
La conférence de presse de l'héritier Leblanc provoqua un raz-de-marée sur les réseaux sociaux. Tout y passa. Le physique de Rudy, la santé de Rudy, les émotions de Rudy, les propos de Rudy, l'arrogance de Rudy, le sarcasme de Rudy. On déplora la fermeture de sa page de soutient. Qu'à cela ne tienne, le jeune homme semblait en lice pour saturer les médias en une poignée d'heures.
Passé la retransmission en direct, des séquences de la conférence tourneraient en boucle à la télé. Son impertinence désinvolte, cousine d'insolence, lui vaudrait nombre de commentaires désobligeants mais aussi un soutien non quantifiable. « Apparemment, il se remet bien de son enlèvement », diraient quelques chroniqueurs. « L'arrogance des Leblanc lui va comme un gant », ajouteraient des reporters. Des émissions libres décortiqueraient son attitude. Mais le sujet le plus croustillant resterait la manière dont la conférence se conclurait.
Alors qu'un journaliste renfrogné se voyait coupé sur sa lancée par un téléphone – tendu à Rudy par Junior –, celui-ci lui rétorquait avec une moue d'excuse :
— Croyez-moi, il y a plus contrarié que vous à l'autre bout. Vous n'aimerez pas que je privilégie votre question à une conversation avec mon père. Il est de très mauvaise humeur. Ça me désolerait qu'il la retourne contre vous.
Sourire aimable au reporter, sidération de l'assemblée. Puis on se rappela la réputation violente de Dean Leblanc, désormais secret de polichinelle. Une voix noyée dans la masse mentionna une défenestration. Rudy refusa d'y accorder de l'importance. Les fuites n'avaient pas toutes été circonscrites, et rien n'empêchait un journaliste de fouiner sur l'END, pour peu qu'il eût étudié à Darney. Cependant, ce téméraire tirait le diable par la queue, car tout Darneyen connaissait l'influence de la famille Leblanc à Balmer.
Pour l'heure, la priorité revenait au père à l'humeur massacrante, qui avait exigé à Junior de lui passer son rejeton, sous peine de subir d'atroces sévices de sa main. À la surprise générale, et pour le bonheur des médias, le fils mit le haut-parleur. Probablement dans l'espoir d'échapper aux remontrances paternelles, maintenant que la conversation cessait d'être à demi-privée. À son grand dam, le petit manipulateur minimisa un paramètre de taille.
— Je m'en contrebalance d'être entendu jusque sur Mars, fiston. Et je n'ai strictement rien à faire de l'opinion publique terrienne. Tu aurais dû me prévenir !
— Non mais sérieusement, tu passes à la télé, p'pa, insista Rudy.
Un silence éloquent lui répondit. Si d'aucuns l'attribuèrent à la crainte, la gêne ou le scrupule, Rudy sut qu'il se heurtait à la légendaire indifférence paternelle. Dean passait à la télé. Et alors ? Les violettes étaient bleues, les roses rouges, la Terre tournait toujours autour du soleil. Rudy craqua le premier :
— Tu m'en aurais empêché !
— À juste titre ! gronda Dean, comme si l'intermède n'avait jamais eu lieu. Cela rime à quoi que l'on mette en œuvre un protocole de sécurité quand tu ruines tous nos efforts ?
— P'pa, tu exagères, soupira Rudy. Je suis sorti accompagné et la sécurité a été triplée.
L'insuccès de sa méthode prouvée, cela l'embêtait désormais de s'expliquer devant caméras.
— Uniquement parce que Joachim a su réagir en conséquence, Rudy. Même Vince ignorait l'endroit exact où tu te trouvais. C'est te dire !
Pour aider Rudy à replacer ce Joachim, Junior lui chuchota :
— Le père de Mir a dû appeler ton grand-père après sa requête, et ton grand-père a appelé ton père.
Il comprenait enfin les raisons de son manque de foi dans le plan de Mir. Leurs géniteurs se connaissaient. Faire les choses en catimini remontait toujours à la surface, dès l'instant où l'un des parents découvrait quelque chose d'inhabituel. Les journalistes tendaient l'oreille dans l'espoir de décoder ce message crypté.
— Je vois qu'on a de la suite dans les idées, Junior, susurra Dean. Je te passerai l'envie de monter la tête à mon fils à l'avenir.
Horrifié, Junior qui s'était cru inaudible, se pétrifia. Rudy s'agaça.
— Laisse mes amis en dehors de ça. Et il l'a fait à ma demande, l'idée vient de moi.
— Dois-je te féliciter pour cette brillante initiative, ou plutôt pour ton acte chevaleresque de couvrir Brendan ?
— Dean..., commença Brendan, pris au piège.
D'un index contre ses propres lèvres, Rudy lui enjoignit de se taire. Il réprima un sourire admiratif. Son père avait lu dans ses intentions comme dans un livre ouvert. En effet, il tentait de couvrir Brendan en réclamant la totale paternité de l'opération. Au fond, le problème de Dean était simple : sa sécurité. En lui démontrant qu'il ne courait aucun danger, Rudy calmerait la tempête. Probablement.
— La police est là aussi, dit-il d'un ton rassurant. Le père de Teddy, tu sais, mon ami Teddy Nagy, précisa-t-il au cas où la colère de Dean mettrait quelques neurones en grève, il nous a refilé un coup de main. La police a rappliqué quand il est devenu évident qu'il y aurait trop de monde. Un peu comme lors de la flashmob que tu as aidé les Beat'ONE à organiser, l'été dernier. Eh bien, avec l'aide de mes amis, j'ai organisé une « flashconf ».
Junior échoua à dissimuler son rire.
— N'importe quoi, grogna Timothy.
— La police a très bien géré la flashmob. Tu te souviens ? reprit Rudy. C'est pareil ici. Pourquoi penses-tu que je sois incapable d'accomplir ce que tu as pu faire, alors que je suis à ton école ? Tu vois bien qu'il n'y a pas de raison de t'inquiéter.
— Je suis ton père, Rudy, souffla Dean, à l'évidence calmé par le discours flatteur de l'escamoteur qu'il avait pour fils. C'est dans mes gènes de m'inquiéter quand tu disparais sans m'en dire un mot.
— Quand bien même, lança Rudy. S'il m'était arrivé quelque chose, que t'aies été mis ou non dans la confidence, tu n'aurais rien pu faire.
Il était temps que Dean regarde la réalité dans le blanc des yeux. Mais Rudy comprit sa bourde lorsque son père répliqua d'une voix affectée :
— Ne me demande pas de ne pas être à cran après ce qu'on a vécu, fiston ! Qui sait ce qui aurait pu t'arriver ?
Rudy fit la moue. Bien qu'il veuille ménager son père, l'état de Red l'avait décidé à agir. Il adopta un ton apaisant :
— Écoute, papa, on en discute plus tard. Posés. Pour l'instant, j'ai besoin que tous entendent que je sature sérieusement de leur polémique à la noix au sujet d'Andy. (Il perdit son calme.) T'as pas vu dans quel état je l'ai retrouvé aujourd'hui !
La fureur sourde de son père répondit en écho. Ce jour-là, Dean convainquit son monde qu'une girouette se trouvait en ligne.
— Dans quel état était-il ?
D'une façon étrange, il flotta dans l'air l'impression que l'ire de Dean se tassait tel un prédateur sur le point de bondir sur une proie malheureuse. Rudy se rappela qu'il échangeait avec une bouilloire sur le feu, à deux doigts de perdre son couvercle tant ça fumait.
— Vaut mieux pas que tu saches !
Inutile de semer d'autres défenestrations. D'autant qu'un audacieux avait osé braver la censure, au risque de s'exposer à des bricoles... De fait, elles lui pendaient déjà au nez. Le reporter l'ignorait encore. Dean articula en desserrant à peine les mâchoires :
— Rudy Daniel Leblanc...
Rudy serra les dents. Jamais bon signe quand les parents brandissaient la carte du nom entier ! Ça ne rata pas.
— Cesse de jouer avec les nerfs de ton père, il a un contrôle très relatif dessus en ce moment !
Le fils campa sur ses positions.
— Raison de plus pour que je ne te dise rien. Pas tant que tu n'auras pas regagné le contrôle total.
Ce qui devait arriver, arriva. Rudy, qui l'avait anticipé, se boucha les oreilles une seconde avant l'explosion de Dean :
— Ce n'est pas à moi de contrôler ma colère ! C'est aux gens d'être assez intelligents pour ne pas l'attiser. Ils vont m'entendre, ces enculés !
— Papa ! glapit Rudy, mortifié. Ton langage. On passe à la télé, bordel !
— Tu n'es pas mieux, lâcha Brendan, au bord de l'hilarité. Et si tu veux mon avis, Dean, ils t'entendent très bien.
— Tu en fais partie ! beugla Dean. Le prochain que je prends à sortir mon fils sans m'en tenir informé, je ne donne pas cher de ses dents. Et de quoi retourne cette couillonnade de mascarade au sujet d'Andy, pour que tu tiennes une conférence de presse dans mon dos ?
— Euh... P'pa, je pense avoir réglé le problème.
— Berce-toi donc de cette illusion !
Avec labeur, Rudy tenta de couvrir la gueulante et les imprécations paternelles sur une « presse de pacotille complètement déshumanisée, qui fait son capital sur les malheurs et la vie privée d'autrui ! ». Texto.
— Je dois raccrocher, articula-t-il comme s'il parlait à un individu dur d'oreille. On se voit à la maison, d'accord ?
D'un ton lugubre, presque sépulcrale, Dean lâcha sa bombe :
— Je suis en route. Tu restes où tu es, fils.
La sanction se rapprochait plus vite que prévue, et en voiture plaît-il. Rudy en frissonna d'effroi.
— Zut !
Il n'eut pas le loisir de raccrocher, Dean s'en était déjà chargé. Il dévisagea son portable, incrédule. Puis il réalisa l'ampleur de sa situation.
— Ça sera retransmis dans tout le pays ? Je veux mourir, pleurnicha-t-il, la tête entre les mains. J'aurais jamais dû activer le haut-parleur, se fustigea-t-il.
Brendan était plié de rire, et son hilarité gagnait l'audience.
— Y'a plus que la cagoule pour te cacher de la honte, Rudy.
— Merci beaucoup pour ta compassion.
Rudy servit un regard ahuri aux moqueurs. Ces gens avaient-ils conscience d'encourir le châtiment de Vulcain ? Il haussa les épaules. Tant pis pour eux. Seuls Junior, Nola et Timothy le dévisageaient, horrifiés. Eux savaient.
Brendan reprit contenance et leva la séance. Son attaché de presse se chargea de remercier les reporters, tandis qu'ils se retiraient de la scène sous des sollicitations avides. Le portable de Rudy sonna à nouveau, comme ils accédaient aux locaux interdits aux médias. Il sut à l'identité de son correspondant qu'une seconde bataille l'attendait.
— Rey ? ...Me dis pas que tu téléphones au volant. Un accident est vite arrivé... Je n'essaye pas de noyer le poisson.
Mais son ton trahit ses intentions de le noyer. Il reprit d'une voix coupable :
— J'allais tout t'expliquer. Il fallait que je le fasse... (Il sursauta.) Andy est avec toi ? Et tu l'as laissé venir ? gronda-t-il, impatienté. ...Comment ça, il s'est imposé ? J'aurais parié qu'il serait avec p'pa, marmonna-t-il. Bon écoute, papa va me faire une tête au carré... Je n'ai rien mérité du tout, je devais le faire pour Andy, statua Rudy. Il a de l'avance sur toi. Demande-lui de faire demi-tour et de récupérer Andy. Faut pas qu'il vienne ici, ça créera une émeute... Fais-ce que je te dis, p'tit rebelle, discute pas ! (Il se radoucit.) Mais ça te correspond, mon Rebel-caramel. Arrête de m'embrouiller, Rey. Une fois que t'as livré ton coli rouge à p'pa, retrouve-nous chez moi, à l'appart... Débrouille-toi, sois persuasif. ...J'en sais rien. Paraît que t'es un génie, tu trouveras. ...Brendan m'a juste filé un coup de pouce, l'idée vient de moi. En ce moment, il discute avec les journalistes pour faire diversion. Si tout se passe comme prévu, on devrait quitter la salle sans encombre. ...OK, à toute. Bisou baveux.
Il raccrocha et se tourna vers ses amis.
— On passe à la phase deux. Tout est en place ? demanda-t-il à Mir.
Mir, qui était resté hors champ caméra avec Dwayne, hocha la tête et lui assura qu'ils attendaient le feu vert de Teddy. Nola souffla soudain, comme après une séance d'apnée :
— Wah, c'était impressionnant ! Comment tu fais pour être aussi à l'aise, Rudy ?
— Je devais être trop en colère au début pour avoir le trac. Tu t'en es bien sortie, toi aussi.
— Ouaip, je leur ai montré mon meilleur profil.
Elle bomba le torse, cambra le dos et tourna la tête sur le côté d'un air emprunté. Rudy s'esclaffa.
— Et tu vas continuer à le faire.
Nola battit des mains.
— C'est là que mon heure de gloire arrive.
Elle était fière d'avoir édité leur look : un pull en maille blanc sur une chemise dont le col et la boutonnière en jean dépassait de la laine, portés avec un pantalon slim aux empiècements en cuir, dont l'accordéon au cou de pied s'enfilait dans des bottines basses. Une veste blazer à double boutonnage apportait à leur allure une touche « élite des universités anglo-saxonnes ». Imité par ses camarades, Rudy remit ses lunettes de soleil et se fendilla d'un sourire de chat. Mir grimaça.
— Je n'aime pas quitter mes lunettes pour des verres teintés non progressifs.
— T'as jamais songé à porter des lentilles ? demanda Timothy.
— L'unique fois où j'ai essayé, mes yeux ont mal réagi. Cela m'a coupé l'envie.
— Vous pouvez m'expliquer comment un métis afro de deux mètres est censé se faire passer pour un blondin moitié moins grand ? demanda Dwayne.
— Déjà, il ne fait pas deux mètres et je suis presque aussi grand que toi, protesta Rudy.
— Le taquine pas sur ce terrain-là, Dwayne, il va nous chier un caca nerveux, déconseilla Timothy. Y'a pas si longtemps, il appartenait encore à la guilde des Myrmidons. (Rudy l'insulta du regard.) Je sers plus d'aimant à paparazzis et selfies que de doublure.
— L'illusion n'a pas besoin d'être parfaite, fit Junior. Dans la précipitation, avec nos chapeaux et nos écharpes, quelqu'un a vite fait de se tromper.
Chacun avait son rôle à jouer dans la phase deux, platement nommée« diversion ». Timothy se chargeait de taper la pose avec de la groupie,tandis que les autres grimperaient dans autant de SUV de Wales Security©, qui emprunteraient des itinéraires différents. Rudy ne bougerait pas des lieux. Quand les leurres auraient dispersé la foule, il prendrait un véhicule banal, accompagné d'un garde du corps.
*o*o*
TBC ● EPISODE 31
Au prochain épisode, nouvel arc ! Il débutera avec l'apparition d'un nouveau personnage et renforcera le cross-over entre Hot Chili et son spin-off Projet G.L.OB.E.
*MEDIA*
Intro vidéo : "Zero Tolerance"- Tommee Profitt feat. Ruby Amanfu. Parce que Dean atteint sa limite. Il frôle le zéro tolérance... et peut-être que Rudy va sauver pas mal de fesses avec sa conférence de presse. (C'était pour la rime.)
I'm feeling things I've never felt
At times it gets me overwhelmed
But you mistake me for somebody else
If you think I'm fine you don't know me well
You've been tryna keep me down
But I hold my breath so I don't drown
Just watch your step I'll tell you now
That I don't do well when I'm pushed around
Don't come at me with blazing guns
Cuz I am not the one
Not the one
I've got zero
Zero tolerance
Zero
Zero tolerance
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