Partie 2/3

Balayant sa frustration, Red repositionna sa guitare sur sa jambe. Il se dégourdit les doigts avec un air gitan, rappelant un peu les mariachis en début de soirée.

— Comment fais-tu ça ? s'étonna Rudy.

— Tout est dans les ongles. C'est une technique appelée « compas ».

— Je peux ? demanda Rudy en tendant la main vers la guitare que tenait Dwayne.

— Fais-toi plaisir, je n'en joue pas. C'est mon frère le musicien.

— C'est une jumbo, remarqua Red. J'adore ce genre de guitare folk. Ma première était une guitare folk, dit-il, nostalgique. Je vais finir par adorer ton frère.

— Il se marie bientôt. Tu as raté le coche, charria Dwayne.

— Oh, ce n'est pas un problème, susurra Red. Je suis irrésistible quand je m'en donne les moyens.

Une bonne moitié de son auditoire subjuguée le crut sur parole.

— En attendant, tu as un faible pour les blonds aux yeux bleus, grommela Rudy. Et si tu me montrais ta technique ?

Red ricana. Bon sang, la possessivité de ces deux-là devenait anthologique.

— Écarte mieux tes doigts, conseilla-t-il.

Il lui montra l'exemple. Rudy tenta de l'imiter mais le résultat fut médiocre.

— Tes ongles sont trop courts, constata Rey.

Alarmé, il prit doucement la main de Rudy. Son petit-copain les avait rongés d'une bien méchante façon. Nouveau tic de nervosité ou d'angoisse ? Rudy n'avait pas cette habitude. Le garçon jouait de la guitare et gardait ses ongles à une longueur raisonnable, même s'il utilisait souvent le plectre. Rudy retira ses doigts, en essayant de ne pas paraître sur la défensive. Avec labeur, Rey contint sa réaction. Red ne releva pas.

— Hm, ce sera un peu problématique, déplora-t-il. Cette technique requiert des ongles solides. J'applique du gel durcissant sur les miens. Ça rend moins bien avec un médiator.

D'un air guindé, Rey sollicita la guitare folk.

— Puis-je ?

Rudy la lui céda de mauvaise grâce. Rey le remercia d'un sourire, qui évolua en sourire narquois lorsqu'il exécuta la technique du compas sans problème.

— Je te déteste, maugréa Rudy.

— Essaye ces accords, dit Red. Sol majeur, Ré majeur, Mi mineur et Do 9.

— Je ne reconnais pas la mélodie, remarqua Rudy lorsque Rey la joua. Pourtant ça me dit vaguement quelque chose.

— Tu as beau être fan jusqu'à la pointe de tes cheveux blonds, tu ne connais pas toutes mes mélodies, Caramel-vanille.

De son instrument, Red tira des notes magiques. Pour aider Rey à se calquer sur la rythmique, il débuta sa chanson en sourdine. Le jeune homme le suivit sans difficulté. Dans le silence recueilli de l'audience, Red entonna une chanson peu connue de ses fans. DREAMS. Elle n'avait jamais été diffusée à la radio.

"Dreams won't make us
We make dreams"

Having dreams you'll never fulfill
Seems to be mainstream
Life has become a dull screen
Where girls who believed in shooting stars
Grow up and leave their wish unseen

Nowadays the reality is a landfill
Of discarded dreams
Life turns out to be a dull screen
Where boys who believed in heroes
Grow up and suffer the world as it goes

Dreamer, lazy dreamer
Fell asleep and forgot to dream

[They'll say stop dreaming your life
Instead of living your dream
But you must start dreaming
Before making a dream come true
In a world with no tomorrow
Dream a whole new world]

Daydreaming about things you lost
Seems ordinary to most
You let other have their ways
You hide behind "sensei says"
Dream it, do it, don't let it sways

I write it down because I'm a singer
I won't let you smother it or be a loser
Doesn't make sense, not living your dream
Because you're afraid of dying
Dream with open eyes, while you're living

Dreamer, crazy dreamer
Awake but forgot how to dream

[They'll say stop dreaming your life
Instead of living your dream
But you must start dreaming
Before making a dream come true
In a world with no tomorrow
Dream a whole new world]

You complain you got no life
But would you rather have a life
Or have a dream?
I'm gonna ask you
Shall we claim we're alive
When we got no dreams?
Let me tell you
Lifeless makes you dead
Dreamless makes you empty
I'd rather die than live a hollow life

Dreamer, Holy Dreamer
Tell me about your dream

[They'll say stop dreaming your life
Instead of living your dream
But you must start dreaming
Before making a dream come true
In a world with no tomorrow
Dream a whole new world]

La prestation récolta son salaire d'applaudissements.

— Tu l'as déjà jouée à un concert, se souvint Rudy. À la Jay-Week.

— T'as une sacrée mémoire, fit Red, impressionné.

— Je défends ma place de fan numéro un.

— Y'a une vidéo de cette chanson sur internet, dit Bill.

Il dénicha son portable là où il l'avait abandonné et trouva le petit métrage.

— Ah oui, c'est quand je l'ai jouée au Golden River. Ça m'était complètement sorti de la tête. Elle n'était pas censée être diffusée...

Junior s'étonna de le voir préoccupé.

— Vos moindres apparitions transitent sur la toile à longueur de journée.

— Je m'en passerais bien, parfois, soupira Red.

Rudy le détourna de sa tristesse.

— Chante-nous une autre.

— Bon, d'accord. Chacun aura droit à une chanson. Vous pouvez demander des morceaux de n'importe quel artiste, du moment que je sais les jouer.

La proposition fut accueillie avec enthousiasme.

— On peut enregistrer ? gigota Nola.

Red remua la tête.

— Ton portable causera ta perte, jeune fille. Mais c'est bien d'avoir demandé la permission. Je vous autorise à enregistrer le son, pas l'image. Sinon vous gérerez mes attachés de presse et mes avocats.

Nola se liquéfia. Seigneur, elle n'apprendrait jamais de ses erreurs ! Red devait la ranger dans la case des paparazzis emmerdeurs. Rudy pouffa.

— Il te charrie.

— Je n'irai pas jusque-là, admit Red. Enregistrez mais ne filmez pas, insista-t-il. Pas ce soir.

Sa voix un peu lasse inquiéta Rudy.

— Pourtant tu es à tomber, le flatta Dwayne, un brin sarcastique.

Contrairement à eux qui avaient sauté dans leur pyjama après la bataille d'eau, Red avait opté pour un débardeur asymétrique effet serre-taille, un pull à mailles lâches lui dénudant une épaule, et un pantalon en cuir près du corps. Dwayne s'était surpris à s'y prendre à deux fois pour s'assurer qu'il avait bien affaire à un homme.

— Ce genre de compliment, de la part d'un hétéro trop jeune pour être mon quatre heures, me laisse de glace. Tu stimules juste mon désintérêt, minus.

— Hé, y'a que mon frère qui a le droit de m'appeler comme ça !

— C'est pas ce que tu disais de Rudy au début, glissa Rey, vicieux. Or Rudy est encore plus jeune que Dwayne.

— La magnifique blondeur de ton Caramel et son popotin d'enfer t'ont fait succomber à la tentation. Ne m'accuse pas d'une faiblesse dont tu es aussi coupable. Mais toi et moi savons que Rudy ne m'a jamais intéressé.

— Ouais bon, si on arrêtait de parler de ça ? s'empourpra Rudy.

Pas le moins du monde embarrassé – Red statuait une vérité –, Rey nuança :

— À vrai dire, c'est le désintérêt que je stimulais chez lui qui m'a rendu persistant.

— J'ai connu ça. (Red lui sourit, de connivence. Avant que quelqu'un ne relève, il enchaîna :) Qui passe commande le premier ?

— LOVE MISSILE, susurra Rey.

Red s'esclaffa.

— Excellent !

Inconscient des ravages provoqués par son rire, il apprécia le clin d'œil de Rey. Les fans se sentirent dans la peau de privilégiés. Red partagea ce sentiment après les arrangements personnels de son partenaire de guitare.

— Il me faudra une copie de cet enregistrement, dit-il à Rudy. C'était exquis.

Rey le remercia d'un signe de tête.

— Certaines chansons de rock révèlent leur charme sur une guitare folk.

Peu soucieux de semer des jaloux, Rey savourait enfin sa soirée. Ceux qui le détestaient se retrouvaient embêtés de lui reconnaître du talent. En plus, il discutait avec Red Kellin comme un égal !

— Y'a pas à dire, la guitare, c'est classe, s'extasia Rudy.

Limite s'il n'avait pas les yeux en cœur face à son petit-ami. Il ne faisait aucun doute qu'il était conquis.

— Essaye de ne pas nous faire tenir la chandelle, hm ? lâcha Bill. Comme si tu ne savais pas que Rey jouait bien.

— Je le savais, mais avant ce soir, je n'avais pas apprécié la mesure de son talent.

Il regrettait un peu d'avoir raté des occasions de partager de bons moments avec son petit-copain, alors que tous deux jouaient de cet instrument. Rey lui servit un de ses sourires qui gélifiait son intérieur.

— C'est parce que tu as fait ton égoïste avec ton prof de guitare, Rudy.

— Tu m'aurais refilé des complexes avant que je voie mes progrès !

— À qui le tour ? demanda Red, évitant aux amoureux de s'isoler dans leur bulle et leur faire tenir la chandelle.

La question anodine suscita la pagaille. Tout le monde voulut avoir la priorité. D'aucuns accusèrent leur voisin de copier leur choix. Red se crut en colonie de vacances. Des gamins !

— Les gars, je pense que ma discographie vous laisse l'embarras du choix, pour que chacun ait sa chanson sans « copier » sur l'autre. Sans compter le reste de ma culture musicale. Suivons le sens des aiguilles d'une montre en partant de Rebel-caramel.

Rudy eut donc la main et nargua les autres.

— Y'en a toujours que pour lui ! protesta Nico.

— Et alors ? Ça ne devrait même pas se discuter, j'ai la priorité avec Andy. Il est à moi.

Un chaos s'éleva.

— Depuis quand ?

— Va te faire voir !

— T'es trop nul, Rud' !

Red remua la tête, consterné. Cependant, la possessivité de Rudy adoucissait sa soirée. Elle lui disait que son Rudy espiègle et puéril se trouvait bien là. Un peu abîmé mais toujours authentique.

— Qui es-tu pour oser le revendiquer avec un tel aplomb ? lança Hayden.

— Est-ce que ça se fait d'abord ? ajouta Darel.

— Ouais, je déteste les fans qui accaparent leur idole et interdisent aux autres le droit d'être fans, fit Ben.

Nola et Sandy assentirent.

— Me colle pas un procès d'intention, Ben, se défendit Rudy. Et quoi que vous disiez, je suis son Caramel-vanille.

— Tu assumes ce surnom débile quand ça t'arrange, grogna Timothy.

Red riait sous cape. Rudy faisait marcher ses amis.

— Ce type est un putain de manipulateur, argüa Bill.

— Je valide, maugréa Rey.

— Vous vous êtes bien trouvés, de quoi tu te plains ? balança Marine.

— Il se plaint pour le principe, avança Rudy. C'est sur ce terrain qu'on est âmes-sœurs.

— Oh pitié, je vais vomir, marmonna Lou-Ahn.

Elle mima des régurgitations avec moults haut-le-cœur sous les rires de Saïd et Blake.

— Si tu cessais de déblatérer sur ton nombril et balançait un titre ? demanda Dwayne. Le suspens nous tue.

Les autres ricanèrent. Rudy lui lança des dagues oculaires. Mais Rey riait. Alors il pardonnerait au m'as-tu-vu.

— OTHER SELF de Dius Core.

— Très bon choix, approuva Red.

Rey cessa de rire. Son regard se gorgea d'émotion. Il avait compris que Rudy lui dédicaçait la chanson de leur première fois. OTHER SELF avait une place particulière dans le cœur de Rey. Elle le consolait parfois du départ de son père. Sans cesser de pincer les cordes de sa guitare, il caressa de son nez l'épaule de son petit-ami d'une manière plutôt féline, puis y déposa un baiser chaste.

Le message s'adressait aux haineux et aux envieux. Se casser ou se taire à jamais. Rey ignorait alors que cette marque d'affection provoquerait des remous chez bien des témoins.

*o*o*

TBC ● EPISODE 25 - part 03

Pour les accords que Red a soumis à Rey, je confesse : je n'ai aucune fichue idée de ce que ça donne en vrai !!!! Ami(e)s musicien(ne)s, vous pouvez critiquer (ou me dire que ça donne quelque chose d'écoutabe !)

Technique du compas

https://youtu.be/YuszLBx0D_A

*MEDIA*
Intro vidéo : Don McLean- American Pie

Traduction des lyrics : RÊVES
(Je dois encore les retravailler, je n'en suis pas tout à fait satisfaite.)
« Les rêves ne nous feront pas.
Nous créons les rêves. »

.

Avoir des rêves que tu ne réaliseras pas
Semble désormais banal
La vie est devenue un écran terne
Où les filles qui croyaient aux étoiles filantes
Grandissent et laissent leur vœu invisible

.

De nos jours, la réalité est une décharge
De rêves abandonnés
La vie se révèle un écran terne
Où les garçons qui croyaient aux héros
Grandissent et subissent le monde tel qu'il va

.

Rêveur, rêveur paresseux
S'est endormi et a oublié de rêver

.

Refrain
[Ils diront d'arrêter de rêver ta vie
Au lieu de vivre tes rêves
Mais tu dois commencer par le rêver
Avant de réaliser un rêve
Dans un monde sans lendemain
Rêve un monde nouveau]

.

Rêver éveillé des choses que tu as perdues
Semble ordinaire pour la plupart
Tu as laissé les autres l'emporter
Tu t'es caché derrière l'opinion du prof
Rêve-le, accomplis-le, ne le laisse pas vaciller

.

Je l'écris parce que je suis un chanteur
Je ne te laisserai pas l'étouffer ou être un perdant
Cela ne fait aucun sens, de ne pas vivre son rêve
Parce que tu as peur de mourir
Rêve les yeux ouverts, pendant que tu vis

.

Rêveur, rêveur fou
Éveillé mais a oublié comment rêver

.

[Refrain]

.

Tu te plaints que tu n'as pas eu de vie
Mais préférerais-tu avoir une vie
Que d'avoir un rêve ?
Je vais te demander
Devons-nous réclamer d'être en vie
Quand nous n'avons pas de rêves ?
Permets-moi de te dire
L'absence de vie te laisse mort
L'absence de rêve te rend vide
Je préfèrerais mourir que de mener une vie creuse

.

Rêveur, Saint rêveur
Parle-moi de tes rêves

.

[Refrain]

INSPIRATION

La première version de ces lyrics m'avait été inspirée par ces deux chansons (aussi éloignées que les deux pôles terrestres) :

Don McLean – American Pie.

Megadeth – Tornado Of Souls (la guitare tue !)

https://youtu.be/RLyHLqSyGYU

Aujourd'hui, la version réécrite n'a plus aucun lien avec ces deux chansons. Du coup, je ne saurais dire le support de mon inspiration, si ce n'est le message gravé sur le corps plein de la guitare de Red, Mademoiselle Red.