S06 - EP 24 ✤ part III
Partie 3/3
Junior se refroidit. Il se heurtait à nouveau à un mur.
— Soit. Mais Rey, T-eyes, tout ça, c'est du show. C'est de la poudre de fée pour vous éblouir, vous fasciner ou vous terrifier. Ce type est peut-être malade, il donne l'impression d'être dingue, mais il a toujours une longueur d'avance. Et même si vous êtes convaincus qu'il ne contrôle pas les risques, il a au moins anticipé deux fois plus de risques que vous ne pourrez imaginer.
Son argumentaire jeta de l'huile sur le feu de Lou-Ahn. Junior savait qu'elle fulminait parce que la vérité blessait plus profondément. L'auditoire attendait désormais sa réplique. Enzo lui coupa l'herbe sous le pied.
— Il a menacé une fois de me balancer par-dessus les pare-fous de la cage d'escalier dans un hôpital. Il m'a penché dans le vide, en m'expliquant que les secours se trouvaient déjà sur les lieux.
— Voilà ! fit Junior, heureux de cette intervention, sans tenir compte des états d'âme de la victime. Je présume que c'est quand il a appris ton agression de Rudy. (Enzo n'eut pas besoin de confirmer.) Mais il ne l'a pas fait, pas vrai ? Il t'a foutu la pétoche de ta vie en te laissant croire qu'il s'exécuterait, puisque les urgences étaient la porte à côté. Et la logique de son raisonnement tordu t'a empêché de douter de lui. Dès l'instant où tu l'as pris au sérieux, tu t'es retrouvé pris au piège. C'est ça le secret de sa méthode. Même les flics sont tombés dedans. Dès qu'on lui accorde du crédit quand il bluffe à moitié, il a gagné. C'est comme au poker !
— Et il sait y faire pour qu'on le prenne vraiment au sérieux, maugréa Timothy.
Combien de fois n'était-il pas tombé dans ce piège !
— Exactement, appuya Junior. C'est le genre de type qui menacera de te noyer à vingt mètres d'une équipe de maîtres-nageurs. Nola, par exemple.
Nola sursauta. Fascinée par le raisonnement de Junior, elle se laissait subjuguer par son magnétisme. Cependant, elle ne s'attendait pas à surgir tel un pop-up dans sa thèse sur la psyché de T-eyes !
— Rey lui a niqué une collection pilote. OK. Mais c'est quoi une collection pilote d'une ligne de vêtements confectionnés par une gamine, comparée à un stage de six mois chez un créateur de mode plébiscité par la presse ? Une broutille !
— Hey ! s'offusqua la concernée. La « gamine » t'emmerde. Tu n'as pas tort, mais ça ne te donne pas le droit de rabaisser mon travail !
— Je t'assure que telle n'est pas mon intention. Et je serai ravi de découvrir ton travail, Nola. Mais dis-moi, quand il a massacré ta collection, tu t'es crue au bout de ta vie ? (Nola hocha la tête.) Surtout que, du jour au lendemain, tu te retrouvais dans le collimateur d'un mannequin qui a du pouvoir avec son ascendance et du succès dans la mode. Le pire ennemi pour une designer en herbe : un modèle qui a le bras long et qui pourrait lui fermer des portes dans son milieu professionnel.
— Wouah, comment t'as su ? s'étonna Nola.
Elle s'était exactement dit cela. Ce Junior était trop fort. Appréciant sa vénération, le jeune homme conclut :
— Il ne fait que jouer avec ta psychologie au moment où tu es le plus vulnérable. Rien de plus.
— Eh ben... On jurerait que t'es fan, persifla Timothy. T'aurais pas un faible pour lui ?
Junior étrécit son regard.
— Si tu me cherches, Medley, sois sûr d'être préparé. Je ne joue pas fairplay.
Timothy se le tint pour dit.
— Au fond, je te comprends, Junior. S'il faut reconnaître une chose à Rey, c'est cette intelligence perverse qui... fascine. Qu'on le veuille ou non.
Mir l'aurait carbonisé s'il possédait des lance-flammes à la place des yeux. Mais c'était une première, et surtout édifiant, de le voir aussi irrité contre Junior.
— J'ai déjà subi les manigances de Rey, confessa Timothy. Et j'avoue qu'au-delà d'être floué, passé le stade de la colère, je me suis surpris à être admiratif. L'avantage que j'ai, c'est que ça ne blesse plus mon ego, contrairement au vôtre.
Mir serra les dents. Junior grimaça. Timothy touchait une corde sensible. Ils s'étaient convaincus d'être au-dessus du lot, forts de leur statut social ou tout autre pouvoir octroyé par leur patronyme ou leur historique. Au fond, Junior jalousait Rey. Et Timothy s'identifiait en lui sans peine.
— Si je peux apporter mon expertise de « victime des manigances de Lee-Cooper », je dirais qu'il ne faut jamais lui montrer ses points faibles. Dès qu'il en trouve un, c'est comme si on lui livrait aussi le moyen de l'exploiter. Malheureusement, c'est impossible de lui dissimuler nos faiblesses. Ce que Rey n'obtient pas en nous observant, il le devine. Et les spéculations de ce con ont une très faible marge d'erreur. Tous les potes de Rudy, qui se sont immiscés dans sa vie de façon agressive ou inappropriée, ont eu affaire à Rey. C'est comme un baptême, avec des dommages collatéraux dont il se soucie comme de sa première culotte.
Junior ricana. Il fut bien le seul à y voir de la drôlerie. Timothy poursuivit :
— Le vice de Rey n'est pas commun. C'est un génie, ce qu'il y a de plus authentique, mais un génie qui a malheureusement une obsession. Et tout le monde ici la connait.
— Ton raisonnement n'est pas tout à fait correct, dit Hayden. Rudy est un sujet obsessionnel pour tout le monde. Pas seulement pour Rey. Après tout, tu parles aussi par expérience, capitaine.
— Ta gueule, 'Den ! grommela Timothy.
Il essuya les rires des basketteurs et le regard incendiaire de Mir.
— Dans tous les cas, génie et obsession ne font pas bon ménage.
— Vous n'avez pas le monopole de la condition de « victime de T-eyes », vous savez, ajouta Nico d'une voix traînante, à l'intention des Darneyens.
Il trouvait la réaction de Lou-Ahn excessive. Mais il ne connaissait pas son vécu, alors il ne pointerait pas du doigt. Néanmoins, dramatiser ne changerait pas sa situation. Prenant la balle au rebond, Darel enchaîna :
— Il estime ses sévices proportionnels au heurt subi par son sujet d'obsession.
— Je n'aurais pas dit mieux, valida Ben. Ça ne me choque pas plus que ça d'entendre vos déboires avec Rey. Je vous assure, je compatis. Mais si vous attendez qu'on vous plaigne, ou qu'il s'excuse, commencez aussi à attendre les calendes grecques.
— Vous l'aviez échappé belle en approchant Rudy pour les intérêts du Comité Humanitaire, sur les fausses instructions de Lucas, rappela Timothy. Qui sait s'il n'en a pas profité, cette fois, pour vous faire payer la note ? Rey a une bonne mémoire. Oh mon dieu, je crois que je viens juste de faire une litote !
Son faux air choqué arracha des rires aux larmes à ses copains de Saunes. Timothy apprécia son petit effet. Mir s'irrita.
— Je te signale que les premières années n'étaient pas impliquées !
Timothy s'agaça. L'hostilité de Mir lui courait sur le haricot. Ils étaient en froid depuis le début de l'année et la situation ne se décanterait pas de sitôt.
— Y'a bien une raison pour laquelle on a inventé l'expression « mettre dans le même sac ». Mais c'était juste une hypothèse, je ne parlais pas sérieusement. En revanche, je suis sérieux quand je dis que tu commences à me taper sur le système. L'ambiance était merdique, mais c'est vraiment partie en couille quand tu as suspecté Rey d'avoir voulu achever le travail de Dean sur Lucas. Quant à ce Lucas, il n'a pas volé son sort. Je suis d'ailleurs surpris que Rey ne l'ait pas buté pour de bon, après ce que ce salopard lui a fait.
Ça tiqua dans l'assemblée. Que savait Timothy de l'histoire de Lucas et Rey ? Cependant, celui-ci avait des comptes à régler avec Mir.
— J'ai vu comment Rudy a réagi quand tu as lancé cette accusation. Sans aucune preuve, en plus. T'as la haine contre Rey, OK. Mais pourquoi tu embarques Rudy dans le processus ? Après tout ce qu'il vient de vivre ? C'est moche !
Mir sourcilla. Timothy aurait tout aussi pu le gifler. Notant l'hostilité des étudiants de Saunes dirigée vers Mir, Teddy se fit la voix de la raison.
— Les gars, je crois qu'on va arrêter là. On est en train de se faire du mal. Aux dernières nouvelles, nous sommes censés célébrer cette soirée entre amis. On devrait raconter des histoires fun. Suivre l'exemple des filles qui ont essayé de créer une animation...
— Ouais, mais on n'y arrivera pas parce qu'il y a trop de rancœur dans l'air, opposa Timothy.
— Tu peux..., commença Lou-Ahn, coupée par Timothy qui dut hausser le ton.
— Je ne suis pas en train de dénigrer vos sentiments ! Simplement que l'objet de votre rancœur est essentiel au bonheur de votre ami Rudy. Si vous ne pouvez plus voir Rey en peinture, cassez-vous. Parce que c'est sûrement pas Rey qui partira. Mais si vous vous barrez, Rudy sera triste. Vous décidez si votre rancune envers Rey pèse plus que votre amitié envers Rudy. Je ne jugerai pas. Mais faites-le tant qu'ils ne sont pas encore là.
Ça le dérangeait de voir Rey attaqué. Un comble, alors qu'il ne portait pas le bougre dans son cœur. Probablement parce qu'il avait aidé Rey à amorcer son plan machiavélique. Timothy lui avait donné sa bénédiction, si cela pouvait sauver Rudy. Il ne regrettait pas son geste. Seul Junior allait dans le sens de T-eyes. Fidèle à sa doctrine d'anarchie, tiens ! Étrange que le plus vicieux se révèle le plus authentique.
— Votre colère est juste. Mais ce monde n'est pas juste, dit-il, sombre. Je l'ai appris assez tôt. Traîner cette histoire en longueur ruine la soirée. On ne côtoie pas Rudy en étant une petite nature. Parce qu'il va vous arriver des bricoles. Si tu me dis que t'es une petite nature, Mir, et même Lou-Ahn, je peux comprendre.
— Va te faire foutre chez les poulpes !
— Lou-Ahn Lloyd, poétesse, railla Timothy.
Elle lui donna un coup de coussin.
— Arrête, tu m'adores.
— Urgh, tuez-moi.
— Là, je retrouve ma Lou-Ahn, sourit Timothy. Pour ta gouverne, Mir, Rey aussi a un mode « binaire ». Tu n'en as pas l'exclusivité. Et dans ces moments-là, il fait l'amalgame comme toi. Hélas, je suis au regret de t'apprendre qu'aucun flan Marty's© n'apaise sa colère.
— Comment t'es trop méchante, l'Asperge ! lança Junior. Pour info, celui à qui tu donnes des coups bas pratique plusieurs arts martiaux.
Timothy recula, par précaution. Les autres Darneyens ricanèrent.
— T'aide pas, Clémentine. J'essaye d'alléger l'atmosphère.
— En piquant l'ego d'une Mirabelle ?
— Silence, vous deux ! grogna Mir.
La pique de Timothy avait bel et bien fait mouche. Un instant, Mir avait baissé les yeux. Junior le savait blessé. Mais s'il fallait casser la spirale vicieuse qui nourrissait leur amertume, régler son compte à Timothy attendrait une autre occasion. Néanmoins, ce dernier se montra perspicace et d'une force de médiation insoupçonnée.
— Je ne voulais pas te vexer, Mir. Excuse-moi si je l'ai fait. Mais ça ne devrait pas vous étonner qu'un génie de l'acabit de Rey soit un détraqué mental, soupira-t-il, las.
— Tu ne devrais pas l'accepter comme si c'était normal, protesta Inna.
— Les gars, le mec est le patron d'une compagnie d'import-export et de trading, avec une franchise bancaire, à vingt ans ! martela Timothy. Et encore, il ne les aura qu'en mars. En bonus, il se tapera bientôt le statut officiel de top-modèle ! Il a cessé d'aller à la fac, mais il reçoit une formation d'économiste sur mesure avec d'éminents profs de Pinsburry U. Et il a toujours majoré à ses examens. Tu ne peux pas concilier tout ça et être mentalement stable. Le mec utilise sûrement des parties de son cerveau qu'on n'utilisera jamais de toute notre vie ! Pour le commun des mortels, ce type est un malade. Mais il a la classe. Faîtes-vous une raison !
Sa diatribe imposa le silence, à défaut du respect.
— Tu as bien cerné l'animal, releva Mir.
— Je travaille avec, rétorqua-t-il sur la défensive, sentant comme une pointe d'accusation. Et je suis un « matheux ». La psychologie de Rey ressemble à une équation à plusieurs inconnues, variables, degrés et racines.
— Je dirais plutôt qu'il t'obsède, fit Mir, suspicieux.
Ou plutôt que Timothy avait étudié Rey parce que le jeune homme se révélait un obstacle à dégager de sa route vers Rudy. Mir tenta d'étouffer son angoisse. L'admiration de Junior envers Rey pinçait en lui les cordes de la trahison. Comment gérerait-il celle de son petit-ami ? En attendant, obsédé par Rudy, Rey n'avait que faire de leur adoration. Tout convergeait toujours vers ce blond. Le comble : sans que ce dernier ne tire les ficelles. Rudy manipulerait son monde pour servir ses intérêts, Mir pourrait lui en vouloir. Cependant, le garçon ne lui laissait aucune prise. Depuis leur rencontre, la vie de Mir connaissait des virages déconcertants. Il se découvrait aigri, jaloux, anxieux.
— Ça se voit que c'est pas toi qu'on compare à lui, rétorqua Timothy. Quand les éditeurs de magazine de mode, la visagiste qui gère ton make-up, ou le designer pour qui tu poses n'ont que « Rey » à la bouche, tu apprends à cerner l'animal pour te démarquer.
— Ouais, pas facile de travailler avec un type dont le jeu n'inspire que des éloges, intervint Dwayne.
— Et si t'as un brin de jugeote, tu apprends à te perfectionner dans ce que tu sais, plutôt qu'essayer d'impressionner le coach, renchérit Timothy, appréciant sa compréhension.
— Mais ça doit pas t'empêcher d'étudier ton « rival » et d'apprendre de lui. Et si t'es encore plus futé, tu fais en sorte que ton rival ait besoin de toi sur le terrain, pour être au meilleur de son jeu.
— À ce moment-là, vous cessez d'être rivaux, dit Hayden.
— Pas forcément, contra Dwayne. La rivalité est ce qui vous pousse à vous dépasser. Vous perdez ça au profit d'une amitié bisounours, vous perdez votre passion.
Timothy lui sourit.
— Je valide.
Nola roula des yeux.
— Les sportifs !
Dwayne la poussa du coude.
— Fais pas genre, Nola-chan. Sur qui tu baverais, sinon ? C'est grâce au sport que ton « fantasme sexe » existe.
Elle ouvrit grand la bouche, écarlate. L'hilarité réprimée de certains garçons les trahit. Sa voix monta dans les aigus :
— Vous avez lu mon post ownet©. Vous m'dégoutez !
Les coupables explosèrent de rire.
*o*o*
TBC ● EPISODE 25
La mise à jour de cet épisode et du précédent fut un sacré challenge. Raison pour laquelle je les ai publiés de manière rapprochée. Ces deux épisodes me laissent le même sentiment que l'épisode intitulé « La plage » du livre 3 d'Avatar, The last Airbender. (Si vous n'avez pas encore suivi ce chef d'œuvre, suivez-le !) Ce ne fut pas facile d'essayer de donner à tout le monde un temps de parole. Mais certains sujets devaient être abordés, remis sur la table, revus sous une autre perspective. Les destinées de plusieurs personnages (clés) sont en train de subir un sérieux remodelage. Avez-vous deviné lesquels ?
*MEDIA*
Intro vidéo : Written by Wolves - Follow Me. Des lyrics qui collent à la peau de Junior. Parce qu'il serait bien cap de le dire aux autres.
I can see you're heart b-b-beating like there's no tomorrow
Tell me this for sure, do you really feel alive?
I'll tell you something for real
You won't turn back once you feel
The sin inside you
I know it'll change your life
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I know you're dying to fly so take the leap and just
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I'll take you places that you never dreamed of
You've spent your whole life living by every rule they gave you
Don't you think it's time that you cut out all the lies boy
It's just a short trip from the path of a saint to sinner
You should try it on, boy it comes in every size
I'll tell you something for real
You won't turn back once you feel
The sin inside you
I know it'll change your life
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