Partie 3/3

Bill soupira, non sans soulagement face à sa tenue.

— Quand je vous dis que c'est une gamine. Voyez comment ça réagit !

— Tu devrais t'en réjouir, non ? dit Dwayne. Tu la traites comme une gamine, elle se comporte comme telle et tu râles. Faut savoir, mec.

Bill sentit une bouffée de colère, réaction secondaire à son embarras. Si Dwayne insistait à le titiller, il le trouverait.

— Vous l'avez vexée, les accusa Rudy.

Marine pointa Timothy du doigt.

— Il l'a vexée.

Insulté en silence par Saïd et Mir, Timothy s'offusqua.

— Je n'ai rien fait !

— Elle était mignonne comme tout, déplora Mir. Elle était adorable.

Bill tiqua. Parce qu'il avait des vues sur sa sœur ?! Il ignorait, évidemment, que Mi-Ra Wales avait un faible pour les choses mignonnes. La petite robe à col jabot jaune et blanc, les arm-warmers et leg-warmers rayés blanc et rouge, et la perruque grenat s'harmonisaient si bien, que Nola incarnait une figurine « maid-moe » grandeur nature.

— Je vous avais prévenues qu'il ne fallait pas se donner autant de mal, les filles, rappela Lou-Ahn. De la confiture aux cochons.

— Elle prend un peu la mouche facilement, grommela Blake, frustrée de voir son show compromis par la lourdeur de l'ambiance.

— C'est toi qui n'as pas d'amour-propre, renvoya Lou-Ahn. Tu croulerais sous le poids de remarques machos que tu ne te rebifferais même pas !

— T'as une opinion très erronée de moi, comme toujours.

— N'empêche qu'elle reste une gamine, martela Ben, approuvé d'un hochement de tête d'Enzo et Nico. C'était une erreur de casting d'emmener sa frangine.

— La faute aux balourds paternalistes qui la cantonnent à cet état, répliqua Marine, acerbe. Elle est là pour Rudy, je vous signale. Et c'est une amie de longue date, contrairement à la pauvre tache que t'es, Benji !

Certaines attitudes de Ben ne passaient pas chez Marine. Elle possédait des dossiers sur lui et Darel, les imbéciles ayant immobilisé Rudy pour permettre à Enzo de le trouer en toute liberté avec un cutter. De l'eau avait coulé sous les ponts, une amitié avait fleuri sur les terres de l'inimitié, cependant Marine n'oubliait pas. Rudy la jouait saint Leblanc, mais elle n'avait rien d'un ange. Ben la caressait parfois dans le mauvais sens du poil. Bill dama le pion à la réplique orageuse de ce dernier.

— Elle n'a que dix-sept ans, Marine ! Arrête de l'engrainer.

— Désolé de te le dire cash, Billy, elle est plus mature que toi.

— Quoi ?

— Aux dernières nouvelles, elle est sortie avec un mec en master 2, assena-t-elle, décidée à avoir le dernier mot. Elle ne l'aurait pas pécho si elle n'avait pas eu de l'audace ou assez de maturité. Stephan est mannequin, il peut se permettre de faire la fine bouche. Mais quelque chose lui a plu chez ta sœur. Elle n'est plus aussi gamine que tu le crois !

Un silence accueillit cette déclaration véhémente. Sandy se força à fermer la bouche, incrédule. Les basketteurs se tournèrent vers Timothy, comme s'il avait la science infuse. Travailler de temps en temps avec Stephan ne le mettait pas au parfum de sa vie privée. Lui aussi découvrait le scoop. Comme ça, son collègue se tapait les stagiaires ? Son boss était-il au courant ? Marine le dépeignait comme de l'assurance chez Nola. Mais à la fin, le scénario restait classique : la petite stagiaire naïve était passée à la casserole d'un mec plus vieux et sûr de son physique d'Adam. De toute évidence, grand-frère Bill partageait cette vision.

— À ton avis, pourquoi cette relation n'a duré que deux mois ? Encore heureux que Stephan se soit souvenu de son éducation et n'ait pas bouclé l'affaire en une semaine ou un soir. Ça n'empêche qu'il s'est fait la stagiaire, mineure, dans le dos de son patron, et ça me les brise de devoir parler de ma sœur en ces termes, parce que tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez, Marine !

Elle se le prit comme une gifle. Rudy en rajouta.

— Avais-tu besoin de le formuler comme ça, Marine ? La relation de Nola et Stephan est terminée depuis un moment. Ça n'a plus lieu d'être une référence !

Elle n'avait pas besoin de porter un coup à l'ego de Bill pour appuyer son opinion. Blake quitta sa loge de fortune et dévisagea Marine. Avait-elle bien saisi ? D'aucuns cillèrent face à ses atours de danseuse burlesque, mais l'ambiance n'était plus au fun. Lou-Ahn échangea un regard avec Saïd : « on abandonne ? ». Junior dressa l'oreille, passé l'ennui provoqué par la réaction puérile de Nola. Teddy sentit grimper la jauge de ragots. Mir attendit de voir qui allait renchérir. Rey s'en amusait : c'était l'heure des petits tacles entre amis.

— Votre Stephan, c'est Stephan Luzon, qui est modèle chez l'agence R-MY© ? coassa Sandy.

Mais Nola était une fille trop banale pour sortir avec un mannequin ! La banalité coulait dans les veines des Vitrand, il suffisait de voir son frère. OK, elle avouait difficilement avoir louché sur son look unique. Elle admettait laborieusement avoir envié la facilité de Nola à sympathiser avec Blay, le steward du Gulfstream. Elle avait probablement été impressionnée par leur discussion sur les classiques de la mode rococo, les différences entre la maison française de haute couture Chanel et la maison italienne Fendi, malgré le même directeur artistique : Karl Lagerfeld. Paix à son âme.

Sandy avait vu Nola apprivoiser Endre, le chauffeur de leur limousine, et lui retirer le balais du cul. Comparé à son frère, elle n'avait rien de banale. Une fille banale ne créerait pas en un tournemain un cosplay très réaliste de la mascotte d'Uncle Bro' avec des accessoires épars. Soit, Nola n'était peut-être pas banale, mais elle se donnait des airs. Sandy la trouvait ni moche, ni jolie. Alors comment avait-elle pu sortir avec un modèle d'une agence qui n'embauchait que des Apollon ? T-eyes, Dean, Glenn, et même Timothy.

Par moments, Sandy regrettait son couple avec ce dernier. Même si elle n'avait été qu'un accessoire pour l'ancien capitaine de l'équipe de basket, comme toutes les filles qui avaient côtoyé cette bande au lycée. Enzo la regardait, s'inquiétait pour elle. Timothy n'avait jamais remarqué qu'elle souffrait d'un trouble du comportement alimentaire catalogué « boulimie-anorexie » par le toubib. Certains jours, replonger la tentait à cause de l'éloignement d'Enzo à l'USB. Mais elle craignait trop qu'il la juge faible. Là n'était pas le sujet !

Donc cette Nola, pistonnée par Rudy et T-eyes, était sortie avec un mannequin de R-MY©. Sûrement en jouant les princesses à consoler, tiens, vu que Dwayne se lançait à présent à sa poursuite.

— Chérie, ne pleure pas ! Reviens, sucre d'orge ! On est désolés. Je te donne la note maximale. Je les menacerai tous d'en faire autant.

Sandy le trouvait lourdingue mais drôlement bien foutu. Elle avait toujours eu un faible pour les « blacks ». Timothy, certes métis, Enzo... Mais là encore, il fallait que Miss Marine ait la vedette ! Et maintenant Nola. Frustrant d'être transparente ! Arrivé à la porte, Dwayne se tourna vers les étudiants de Saunes.

— Je me fous de savoir qui a fait quoi, qui est fautif ou qui pense quoi. On l'a vexée. Ce n'est pas dans mes valeurs de continuer à m'amuser quand une copine est triste. Et c'est une femme tout ce qu'il y a de plus féminine. Elles ne le diront pas, mais elles apprécient qu'on leur coure après quand elles boudent. Vois, chérie, je te cours après ! Reviens, je me languis de toi, Nola-chan. Tu me manques déjà !

Il disparut du séjour.

— Je vais le tuer, grogna Bill.

Probablement pour le principe. Saïd ricana.

— Il est dingue.

— Succombe pas, toi, l'enguirlanda Lou-Ahn. Il est trop hétéro pour toi.

— Un homme à femmes, ouais, grommela Darel, agacé.

On n'entendait que lui ; on ne voyait que lui. Non que Dwayne focalise l'attention, mais il avait toujours un commentaire à caser, un mot qui arrachait un rire à quelqu'un, même si son humour ne faisait pas l'unanimité. Le plus chiant ? Son rire communicatif. On ne voulait pas l'aimer, et l'instant d'après on ricanait à cause d'une vanne pourave. Pour corser le tout, monsieur avait une conscience accrue de ses charmes. Il aurait pu être un beau salaud hautain, avec son lien de parenté avec une superstar, mais il restait cool malgré son côté relou.

Sans se définir mégalo ni égocentrique, Darel n'aimait pas qu'on lui fasse trop d'ombre. Il estimait avoir fort à faire avec T-eyes dans les parages et les potes de Rudy comme Mir – si snob et altier –, pour composer avec Dwayne. Bizarrement, il s'entendait bien avec Junior, pourtant toujours fourré avec Mir. À Nior, Darel avait été surpris de le voir si accessible. Même si un grand canyon les séparait dès que Junior ouvrait son portefeuille. Le fils de la première fortune nationale savait s'amuser. Contrairement à Mir.

Celui-là observait, taciturne, voire rabat-joie quand il ne partageait aucun atome crochu avec vous. Son élocution châtiée créait d'emblée de la distance. Darel venait d'une famille aisée. Mais il y avait une sacrée nuance entre parents aisés et parents aristocrates aisés. Mir était un putain d'aristo hautain qui laissait peu de place à la familiarité. Darel se souvenait de la manière dont Mir l'avait rabroué après une plaisanterie sur son peu d'intérêt, durant une « visite guidée » d'un bar à striptease de Lust-City. À croire que le fessard et le nibard féminins ne figuraient pas dans les centres d'intérêts de Mr Wales.

Mir rendait Darel nerveux, avec son élégance naturelle et cette espèce de félinité qui réveillait sa méfiance. Comme s'il avait concentré sa force pour la rendre presque frêle. Un trompe-l'œil. Ce soir, il y avait trop de dominants dans la meute, pour laisser Dwayne bouffer tout l'espace. Il n'appartenait même pas à leur bande et se permettait de lorgner sur leurs copines !

Mais quoi que pense Darel, sa frustration ne reposait pas tant sur le comportement de Dwayne, plutôt sur celui de Marine. Il ne comprenait pas cette fille. Qu'est-ce qu'elle trouvait à un type aussi banal que Bill, alors qu'elle se bonifiait ? Cependant, là où le bât blessait, c'est que Darel n'avait jamais impressionné Bill, comme Nico. Il s'était fourvoyé en prenant ce dernier pour le meneur de leur ancien trio au lycée. Or il n'y avait jamais eu de leader mais un centre gravitationnel : Rudy. Puis Marine s'était mise en orbite, et depuis elle échappait à Darel. Le commentaire de l'objet de ses désirs confirma :

— Un homme à femmes ? Dwayne est un homme tout court, Darel. Ce que toi et ta bistouquette glabre n'êtes pas encore.

— Qu'est-ce que t'en sais ? se hérissa-t-il.

Ses rougeurs l'exposèrent aux moqueries des vautours. L'ambiance se détendit un peu, mais à son détriment car Ben rebondit :

— C'est vrai, que sais-tu de sa bistouquette ? Tu as déjà vu la pilosité de cette bistouquette pour statuer de son immaturité ? Enfin, je suppose que oui, vu que tu en parles avec autant d'assurance.

Il se vengeait de la façon dont Marine l'avait rabaissé en le traitant de pauvre tache paternaliste. Darel lui donna un coup dans les côtes.

— Respecte-moi, ho ! (Le regard mauvais de Bill réveilla son vilain génie.) Peut-être qu'elle minimise pour ne pas vous refiler des complexes.

Que Bill se mette donc la rate au court bouillon ! Il déchanta à la surenchère de Marine.

— Les petites frappes qui s'y prennent à plusieurs pour terroriser les autres sont en général des frustrés qui compensent quelque chose en jouant les gros durs. Dans votre cas, c'est sûrement la timidité de votre virilité.

Autant ciblé que Darel par l'invective, Ben tomba les masques.

— Rien à foutre que tu sois une fille, Marine. On me trouve quand on me cherche.

— On se calme, intervint Bill.

Peu encline à aller dans son sens, Marine ricana.

— Alors, t'aurais-je trouvé, Benji ? Je me suis toujours demandé qui de toi ou Darel avait chouravé mon portable pour piéger Caramel-vanille. Vous savez ? Juste avant que Tim se retrouve hospitalisé pour blessure à l'arme blanche. Je suppose que c'est celui à la plus petite bistouquette, vu qu'on avait cours ensemble.

Elle toisa Darel. Le cœur de celui-ci se figea. Il se demanda soudain si cette fille ne s'était pas jouée de lui, il y a quelques mois, en répondant à ses flirts. Marine était devenue forte au jeu de séduction... depuis qu'une partie de poker avait décidé du sort de sa virginité. Peut-être avait-elle toujours su que Darel détenait la paternité de ce pari. Peut-être Darel s'apprêtait-il à regretter ses actes, car le karma mettait sur sa route une sorcière à la rancune tenace.

Un rire sardonique s'éleva. Excepté Saïd et Teddy, perdus, Bill et Rudy qui questionnaient Marine sur son attitude, tous les autres frissonnèrent. Ils connaissaient le présage sinistre de ce rire. Le côté sombre de T-eyes s'invitait à la pyjama party.

*o*o*

TBC ● EPISODE 23

On a réveillé le Mr Hide de Rey. Espérons que son Dr Jekyll se montre raisonnable et le tempère. Mais je me parjurerais en tant que sadique, si je ne jetais pas tous ces jeunes gens dans la tourmente... *mu fu fu fu* (rire sadique)

*MEDIA*
Intro vidéo : She Fucking Hates Me - Puddle Of Mudd. Des lyrics que chanterait bien Darel (et Ben, dans une moindre mesure).

Met a girl, thought she was grand
fell in love, found out first hand
went well for a week or two
then it all came unglued

In a trap, trip I can't grip
never thought I'd be the one who'd slip
then I started to realize
I was living one big lie

She fucking hates me
trust
she fucking hates me
la la la love
I tried too hard
and she tore my feelings like I had none
and ripped them away

She was queen for about an hour
after that shit got sour
she took all I ever had
no sign of guilt
no feeling of bad, no

In a trap, trip I can't grip
never thought I'd be the one who'd slip
then I started to realize
I was living one big lie