S06 - EP 21 ✤ part IV
Partie 4/4
Inna, la première à ouvrir le bal, figea l'audience. Vêtue du même sarouel transparent que Saïd, rubans aux poignets, clochettes aux chevilles, chevelure afro parée d'un bandeau d'or, elle avait misé sur la pièce forte de son look : un bustier guêpière échancré, dont les lacets rouges contrastaient avec sa peau café. La transparence du bas révélait un tanga en dentelle écarlate enserrant le galbe de ses fesses tel un amant.
Ça déglutit dans le public. Rudy s'empourpra lorsqu'elle passa devant lui. Pour la deuxième fois de la soirée, ses charmes le troublaient malgré lui. Non qu'il la désirât, mais Inna Lewis possédait de beaux atouts. Elle se posa avec nonchalance dans les coussins et exigea la musique. Son numéro : une espèce de lap-dance à l'exclusivité de Teddy. L'heureux élu lui attribua la note maximale. Les autres, de connivence, lui mirent la note la plus basse pour son égoïsme. Ils auraient aussi apprécié un pas cadencé, une ondulation des hanches, ou une vue plongeante sur ses « balcons ».
Bill rongea son frein. Il appréhendait de plus en plus le passage de sa sœur. Elles ne s'adonneraient pas toutes à cette indécence, si ? Pourtant, son envie d'assister au show jusqu'à la fin supplanta son angoisse. Atterré par la note passable d'Inna, Saïd souffla.
— Vous êtes nuls, les gars.
Il annonça Sandy. Celle-ci couina :
— Je suis pas prête !
— Tu ruine le timing ! gémit Saïd.
— C'est pas demain que tu seras maître de cérémonie d'une élection de miss, mon pauvre Saïd, le taquina Timothy.
— Je pense plutôt qu'elle n'a pas le cran de passer après le numéro de Black Queen, supputa Junior.
— C'est vrai qu'elles ne jouent pas dans la même cour, appuya Dwayne.
Il se réjouissait de sa visite à l'improviste chez son frère. Un spectacle très appréciable et gratuit ? Que demander de plus !
— C'est clair, se gaussa Teddy.
— Cloue-leur le bec, bébé ! lança Enzo.
Il avait à cœur de marquer la suprématie de Saunes sur Balmer. Aussi sexy soit-elle, cette Inna n'arrivait pas à la cheville de sa petite-amie.
— Alors patientez deux minutes, exigea Sandy.
Des cris d'anticipation s'élevèrent des basketteurs. Ils étaient à fond dans cette compétition ridicule entre Saunes et Balmer, qui imprimait sa patte sur l'ambiance depuis la bataille d'eau. Les Darneyens avaient la fâcheuse manie de monter sur leurs grands chevaux. Le temps de sélectionner la bonne playlist, de connecter le téléphone de Sandy à la station stéréo, la jeune femme se dessina derrière le voilage. Des yeux s'arrondirent lorsqu'elle exécuta un mouvement de yoga sidérant.
— Cette fille possède-t-elle des articulations ? souffla Dwayne.
La musique sibylline accompagna ses ondulations stupéfiantes, et d'une roulade de gymnaste, elle s'expulsa de son cocon doré. Sandy quitta les matelas pour une surface ferme, au moment où les percussions cadencées s'invitèrent dans le remix.
— Elle a beau être sulfureuse, ta nana, on ne rivalise pas aussi facilement avec des années de gym au sol et de poutre, commenta Enzo, fier comme un paon.
— ¡Madre de Dios!
L'exclamation subjuguée de Dwayne parla pour l'assistance. Avec une fluidité de danseuse, Sandy enchaînait grands écarts, souplesses arrière, saltos avant, et passait de ses demi-pointes aux positions lascives et athlétiques d'une yoguiste confirmée. Le shorty satiné de son pyjama laissait la belle vie à la grâce musclée de ses jambes. Elle avait eu la brillante idée de nouer un foulard autour de sa poitrine. Sinon son haut de pyjama aurait trahi ses seins à la suite d'une vrille gymnique. Sans avoir le bonnet respectable d'Inna, ses joyaux ne suscitaient pas moins le fantasme.
— Bon sang, exhala Junior, la gorge sèche. Sa souplesse commence à me donner le tournis.
— Ferme la bouche, le houspilla Mir. Ma petite-sœur fait mieux.
Enzo le torpilla du regard. Qu'est-ce qu'on en avait à foutre de sa petite-sœur ?
— Pour l'instant, c'est Sandy la star. On se tait et on apprécie, ordonna-t-il.
— C'est du yoga, nota Junior. Ce n'est pas que de la gym.
— Ouais, elle le mixe avec quelques pas de hip-hop, confirma Enzo. Et avouez-le, elle voue cloue le bec.
— Tu ne dois pas t'ennuyer, question gymnastique de chambre, glissa Darel.
— Je n'ai pas à me plaindre, rétorqua Enzo, égrillard.
— C'est tellement injuste que certains mortels bénéficient de ce genre d'égards divins, jalousa Dwayne.
Leurs commentaires déconcentrèrent la pauvre Sandy, qui, morte de gêne, rata son dernier enchaînement. Sous les rires grivois des malotrus, elle se réfugia dans le cocon de voiles.
— Vous êtes de plus en plus nuls, grogna Saïd, déçu.
— Elle s'en remettra, assura Enzo.
Ce que confirmèrent l'applaudimètre et son score plutôt élevé.
— Après une telle prestation, les autres doivent sentirent la pression, avança Hayden.
Lou-Ahn l'obligea à réviser son jugement. Elle choisit un numéro sur lequel seuls ses amis proches l'attendaient : le ragga jam. Dans une tenue minimaliste – shorty et bandeau de poitrine –, elle avait tout misé sur sa performance.
— L'heure est venue d'annoncer qu'on n'est pas populaire à Darney sans être un as du dancefloor, psalmodia Saïd. Inna est la chauffeuse de public sexy, avec ses facilités en lap-dance et pole-dance. Lou-Ahn fait honneur à cette danse énergique, arrogante et sensuelle. Tout elle, quoi. Nul besoin de formes généreuses pour tortiller du cul. Le rythme dans la peau ? Lou est née avec.
Le discours valut l'ovation de ses plus vieux amis, et le balancier hypnotique des hanches de Lou-Ahn ne le mit pas en porte à faux. Elle maîtrisait les pas et les attitudes. Ses ondulations du torse et du bassin invitaient à rejoindre la danse, même alors qu'on n'en connaissait pas les arcanes. Le bouquet final provoqua du grabuge : cris ébahis, sifflets impressionnés, salve d'applaudissements. Elle venait de remuer le popotin en faisant le poirier. Pas sûr que ce soit un mouvement basique. Lou-Ahn tua le préjugé de ceux qui lui attribuaient des qualificatifs masculins, en les défiant d'être plus sexy qu'elle sur une piste de danse.
— Je t'invite à danser quand tu veux, princesse !
— Nah, Dwayne, lâche l'affaire, conseilla Teddy.
— Déjà, tu vires « princesse » de ton vocabulaire quand tu t'adresses à mon illustre personne. Ensuite, je vais te foutre la honte, cousin. Et enfin, je ne danse qu'avec les filles. C'est plus sexe, si tu vois ce que je veux dire...
Lou-Ahn remua ses sourcils d'un air entendu. Dwayne ne se découragea pas.
— Dans ce cas, invitez-moi, ta copine et toi. Personne ici ne me jettera la pierre de vouloir mater deux nanas en pleine action... Je veux dire, sur du raggamuffin !
Sa précision n'atténua pas moins ses pensées perverses. L'indignation des uns se noya dans l'approbation des autres. Ils jugeaient définitivement avec leurs bas instincts.
— Le con, maugréa Saïd, comme Lou-Ahn roulait des yeux.
Sans surprise, elle prit la tête du classement. Grâce au « twerk-poirier », certainement. Timothy n'en revenait pas. Il aurait été en adoration si elle n'était pas aussi chiante !
— Tu te débrouilles bien, toi aussi, dit Hayden.
— Il déchire sa race, tu veux dire ! ponctua Enzo.
— Laquelle de race, la « black » ou la « babtou* » ? intervint Dwayne.
— Putain, faites-le taire, grommela Timothy.
Seul Rey riait de ces pitreries. Pour le bonheur de Rudy, qui adorait le voir détendu. Même si Rey se payait surtout la tête d'un potentiel rival. Ce dernier grimaça dans sa direction.
— Rira bien qui rira le dernier.
Rey trouva soudain l'avertissement de mauvais augure. Le numéro de Marine le détourna de ses inquiétudes. Aucun garçon ne l'aurait anticipé. Gainée dans du latex orangé emprunté à Ilona, elle s'investit dans son rôle de petite matrone SM. Cette nuit-là, nombre de spectateurs découvrirent la vie de chambre mouvementée du defensive tackle Orlando Dwight. Dwayne, sidéré, réalisait que les sous-entendus à peine voilés de sa belle-sœur reposaient sur un fond de vérité.
Munie d'une cravache, Marine se posta devant Bill, jambes écartées, en équilibre sur le matelas malgré les talons hauts de ses cuissardes en latex. Les coussinets dessinés dans ses mitaines noires et blanches justifiaient les oreilles pointues de son serre-tête et son collier pour chat, assorti au logo du félin imprimé dans la robe au niveau de sa fesse droite. Elle fouetta l'air de son instrument de torture.
— Tu as été très filain, ce soir, Billy Fitrand.
Elle n'avait pas à rougir de son imitation d'accent germanique. Lèvres pulpeuses, regard charbonneux, elle était sexy en diable avec sa perruque Charleston des années folles. Sa petite robe moulante dénudait ses épaules, et son décolleté se prolongeait par une fermeture zip, dans le sens d'une large bande blanche imitant un serre-taille. De fin lisérés noirs redessinaient la modestie de sa poitrine, la courbure de ses hanches, et se fondaient dans la boucle de ses porte-jarretelles. Bill déglutit devant ce personnage bluffant, incapable de détacher son regard de la créature qu'il croyait – à tort – connaître.
— Toi pourtant safoir ce qu'il t'en coûte, si toi pas obéir à maîtresse.
D'un geste impatienté, elle balaya l'air de sa cravache. Darel marqua un mouvement de recul. La tension se tissa dans l'audience. La température grimpa.
— C'est qui cette imposture ? chuchota Darel. Où est Marine ?
La question posée à Bill le mit sur la défensive :
— Moi aussi je veux qu'on m'explique ce qu'il se passe ici !
— Silence ! siffla la matrone.
Elle cingla à nouveau l'air de sa cravache. Le « voush » du cuir passa non loin de l'oreille de Junior, qui rentra la tête dans les épaules. Mir ricana. Rudy et Nico dissimulaient mal leur stupéfaction. Cette jeune femme ne ressemblait tellement pas à leur amie !
— J'ai toujours senti qu'elle avait ce genre de personnalité cachée, marmonna Rey.
L'audace de Marine provoquait des frictions dans son couple avec un Bill trop conventionnel. Il osait peu sortir de sa zone de confort et peinait à se mettre au diapason de l'extravagance de sa petite-amie. Contrairement à Dwayne, de toute évidence.
— Bien, madame, disait ce dernier, emballé.
— J'ai dit, silence, Kätzchen.* Et c'est Maîtresse.
Coup de cravache en prime. Dwayne se massa le bras, incrédule.
— Outch. Ça fait mal, hé !
Marine lui saisit le menton avec autorité et releva son visage.
— Voilà qu'elle se met à parler allemand, releva Rey, de plus en plus amusé.
— Toi demander permission avant poufoir parler, fils de la Nuit, susurra-t-elle d'une voix cajoleuse. Verstanden ?*
L'ordre claqua. Deuxième coup de semonce à la cravache. Dwayne bondit de sa place. Ses ancêtres esclaves avaient reçu assez de coups de cravache, merci bien ! Il se garda néanmoins de le dire pour ne pas refroidir l'ambiance. Son humour suscitait parfois le malaise. Sa réaction farouche, en revanche, suscita des rires. Marine sourit, satisfaite.
— À présent, qui veut tâter de ma cravache ?
— Cette fille est une sadique, souffla Junior. Je passe mon tour.
Il n'était pas venu ici pour souffrir, OK ? Hayden joua le jeu.
— Moi, je veux être puni, Maîtresse. J'ai été vilain.
— Fais la queue ! brailla Nico. J'ai été plus vilain.
— Tu brailleras plus fort quand tu tâteras de mon fouet ! promit Marine.
Ben et Darel s'y mirent. Teddy aussi. La majorité se révéla bon public. Rey suivait le spectacle d'un œil détaché et plébiscitait le jeu de l'actrice. Rudy se demandait quand Bill craquerait. Celui-ci serrait les mâchoires face à tous ces hommes qui quémandaient la fessée de sa copine. Sans doute redoutait-il aussi le numéro de sa petite-sœur. Rudy lui reconnut un certain contrôle, car lui aurait déjà pété une durite si Rey s'adonnait à un tel jeu en sa présence.
De façon presque inconsciente, il glissa des doigts tendres dans la chevelure corbeau de son homme. Rey y lut la marque de possessivité d'un petit-ami adossé contre son buste. Il servit à Rudy un regard espiègle, conscient de ses états d'âme. Cependant, Rey ressentait surtout l'écœurement de quelques Darneyens face au tableau qu'il offrait avec Rudy entre ses jambes.
*o*o*
TBC ● EPISODE 22
Vous connaissez la formule, à présent. Les moments lents de l'intrigue précèdent toujours une accélération. Attachez vos ceintures, ça va bientôt décoller.
*Babtou : verlan de « toubab », terme de l'Afrique de l'Ouest désignant une personne de peau blanche à l'exclusion des arabo-berbères. Timothy étant métis afro-caucasien, Dwayne aura cru sa question – débile – intéressante. (Notez que je me permets l'emploi de mots qui constitueraient une incohérence linguistique dans un pays anglophone, parce que je me cache derrière l'excuse de rédiger en français, en plus de ma culture personnelle.)
*Kätzchen : chaton en allemand. | Verstanden ? : compris ? (Merci à toutes celles qui ont aidé !)
*MEDIA*
Intro vidéo : Suprême Cercle Underground Démo Juge LAURE COURTELLEMONT. Pour celles et ceux que ça intéresse, voici du ragga jam dancehall, par une experte en la matière. Laure Courtellement en aurait breveté certains moves et attitudes. Elle met à l'amende les préjugés sur les blancs qui ne savent pas danser sur de l'afro-beat. Et si nombreux hurlent à l'appropriation culturelle, j'ai envie de dire "shut up and watch. See her skills, not her skin". Je vous conseille sa vidéo "Champion by Buju Banton" (qui refuse de s'afficher sur wattpad, sans doute parce qu'elle a été sécurisée). Vous aurez envie de remuer, à défaut de la rejoindre sur la piste de danse. Je mets le lien ici et en commentaire.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=4&v=YhHPJZcPCcE
Visuel pour Marine
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