Partie 2/4

Nola brima sa curiosité. Elle saurait qui était cet Adrien en temps et en heure.

— D'ailleurs, pourquoi il n'est pas avec vous ? demanda Marine.

— Il ne pouvait pas, assena sèchement Inna.

Marine cilla. Elle n'insista pas. La dernière fois qu'elle avait vu Adrien, il passait à la télé un jour avant l'assaut qui délivrerait Rudy de son ravisseur.

— Adrien et ses petits secrets, soupira Lou-Ahn avec tristesse. (Le regard sombre d'Inna la rappela à l'ordre.) Je trouve aussi dommage que Saïd n'en parle pas. Il a une belle plume.

— C'est quoi le titre de son histoire ? la pressa Nola. C'est sur quel site ?

Lou-Ahn la jaugea. La fille passait presque pour une groupie. Elle la titilla.

— T'as pas entendu ce que j'ai dit ? Tu n'as pas l'âge requis pour lire ce genre d'histoire.

— J'aurai dix-huit ans cette année ! protesta Nola.

— Han, c'est vrai que t'es la seule mineure, se moqua Marine. Enfin, avec Natsy et sa petite-sœur !

— Va mourir, gronda Nola.

L'assommant d'un coussin, elle déclencha une bataille d'oreillers. Quelques rires plus tard, Nola revint à la charge.

— S'il écrit super bien, tu le prives d'une fidèle lectrice et d'une fan.

— À mon avis, t'es déjà fan de lui, objecta Lou-Ahn. Tu m'as tout l'air d'être le genre de meuf qui collectionne les « gayfriends ».

— Tant que tu dis pas « fag hag* », grommela Nola. Mes potes gays ont un sens quasi inné de la mode et sont décomplexés en boite de nuit. Je les adore. Ils n'ont pas leur pareil pour te booster un capital confiance. Et puis, qu'est-ce que tu attends d'une fille qui voue un culte à la reine des fashionistas, j'ai nommé : Red Kellin ?

— Amen, ma sœur ! valida Marine. Une fois, j'ai adapté son look dans le clip de PAPA GOT IT HOT. Ç'a fait un tabac dans mon groupe d'ED.

— Tu m'étonnes, appuya Sandy. Hé, vous avez remarqué qu'il est tout le temps fourré avec le père de Rudy ?

Inna, Lou-Ahn et Blake se tendirent. Réalisant que leur réaction n'était pas celle que l'on attendrait d'elles, Inna joua le jeu :

— Je croyais être la seule à l'avoir remarqué.

— Ils sont trop beaux ensemble, s'extasia Sandy.

— Ça ne m'a pas paru curieux, fit Nola, songeuse. Ils traînaient tout le temps ensemble durant mon stage chez W.M. Ils sont amis depuis longtemps.

Marine leva les yeux au ciel. C'était reparti pour un tour. Miss Nola rejouerait le sempiternel refrain de ses aventures génialissimes au pays du « Maestro Malroy ». Pouvait-elle changer de disque ? Remarquant son attitude, Nola s'agaça. Son intention n'avait pas été de se la raconter, l'anecdote était venue avec naturel. Elle ignora Marine et instruisit celles qui se montrèrent intéressées.

— Dans mon cursus de modélisme et stylisme, j'ai eu la chance de faire un stage chez W.M. Je l'ai décroché grâce à Rudy et T-eyes, admit-elle.

Inna, Blake et Lou-Ahn eurent un geste éloquent à la mention du pseudonyme honni. Nola ne sut comment le prendre.

— Te dénigre pas non plus, avança Marine comme pour s'excuser. Will ne t'aurait pas coachée si tu n'avais pas eu de talent.

— T'as été coachée par le créateur Will Malroy ? hoqueta Blake, incrédule.

— T'as fait un stage chez W.M ? fit Sandy avec un temps de retard. À ton âge ?

Nola haussa les épaules. Dans certains domaines, l'âge n'était pas forcément un facteur limitant.

— Il était plutôt présent pour quelqu'un d'overbooké. Comme je m'entends bien avec Rey et que Will était souvent sur son dos, je profitais de ses conseils chelous et de son influence.

Blake passa outre la mention de Rey et voulut en savoir plus.

— Quels scoops t'as glanés durant ton stage ?

— Des scoops, je sais pas. Mais je sais que Dean travaillait sur le chantier de Tekhnopolis©, le gros white project de Saunes. Et il avait l'habitude de traîner dans les locaux de Coop-Com Record© et l'atelier de Will. En parallèle, le père de Rudy bossait aussi sur la ligne de chaussures SO.Y.Shoes®.

Les copines de Rudy buvaient ses paroles. Nola se sentit un peu moins gauche. Soudain, Blake s'excita.

— Je me disais que je t'ai déjà vue quelque part ! T'es la fille au short jaune des pubs des chaussures. Avec Marine.

Nola confirma.

— C'est grâce à elle que j'ai pu y jouer, reconnut Marine.

— En fait, vous vous pistonnez, railla Lou-Ahn.

— Pour se faire un nom, il faut saisir les bonnes opportunités quand elles se présentent ou les créer, psalmodia Nola, en bonne ouaille du gourou Malroy.

— Parce que tu veux te faire un nom ? renifla Inna.

— Beaucoup de gens rêvent de notoriété, rétorqua Nola. Peu comme moi l'assument. Je le dis haut et fort, je serai riche et célèbre. Et je ferai ce qu'il faudra pour y arriver.

— Épouse un mec riche, c'est un raccourci ! balança Sandy.

Nola soupira, éplorée.

— Malheureusement, ils sont tous pris ou inaccessibles comme Dean. (Les autre pouffèrent.) Mais dépendre d'un mec n'est pas ma destinée. Encore moins pour faire fortune. Bref, c'était pour dire que Red Kellin était tout le temps fourré avec Dean. Il zonait toujours dans le préfabriqué qui servait de bureaux temporaires aux architectes, avant qu'il soit délocalisé sur le chantier. Et même quand ç'a déménagé, il se rendait souvent sur le chantier. Si bien qu'on était quelques-fois surpris de voir l'un sans l'autre.

— À ce point ? releva Marine.

— Ouais. C'est pour ça que je dis que les conceptrices du RPG « HSM » ont tapé à côté en mettant le couple Red Kellin/Caramel-vanille en numéro un, alors que le pairing ReDean le surclasse !

Sandy et Marine assentirent. Lou-Ahn fut larguée.

— HSM, répéta Blake, pensive.

Sandy développa :

— Holy Suckers Matchmakers. C'est un jeu visual novel de plus en plus populaire.

Soudain, elle se demanda si y jouer ne les cantonnait pas à la case « post-ados fraîchement sorties du lycée ». À côté d'Inna, si femme et sensuelle dans sa nuisette en soie au décolleté plongeant, elle possédait l'assurance d'une fillette acnéique. Inna avait-elle conscience qu'elle partagerait sa couche avec des garçons ? Beaucoup de garçons ? Sandy évitait de penser à l'heure d'extinction des feux. Certes, elle était en couple avec Enzo. Mais la sélection de testicules dans cette propriété agitait ses sens depuis la bataille d'eau d'il y a une heure.

— Il me semblait que Lyria développait un jeu en ligne qui gagnait en succès, avec une histoire de Holy Suckers, fit Blake, songeuse. Je me souviens que Shelly se plaignait d'un concept de RPG qui lui bouffait de l'énergie, mais je n'ai pas spécialement cherché à savoir.

— Comme c'est étonnant ! se moqua Lou-Ahn.

Blake refusa de relever. Inna confirma :

— Je crois que c'est ça. Un truc en rapport avec Red Kellin, pour cibler les Holy Suckers, parce que ça leur garantissait un public. J'ai vu Shelly dessiner les bannières du site, mais ça remonte à un moment.

— Attendez, vous connaissez celles qui ont créé ce jeu ?! s'exclama Sandy. Ce sont bien deux filles. Elles s'appellent Shelly et Lyria ?

— Non, Lyria est un pseudo valise qui les désigne toutes les deux, expliqua Lou-Ahn, amusée. C'est la fusion de Shelly et Ria. Elles font webdesign et programmation informatique à Darney, je crois. Enfin, j'ai un doute pour Shelly.

— T'es sortie avec elle et tu ignores sa filière, grommela Blake, blasée.

— Instruis-nous, donc. Tu étais si jalouse à l'époque que tu la stalkais. Tu dois connaître ses habitudes mieux que moi !

Blake grimaça.

— J'avais oublié cet épisode, se moqua Inna. Pour la paix dans le monde, je vous prie de ne pas le remettre sur le tapis. Vous avez foutu le bordel durant un trimestre entier dans le comité !

Mais cela se saurait si Lou-Ahn écoutait.

— C'est Blake qui n'a pas supporté d'être plaquée.

— Pour cette vénale de Shelly, vraiment ? grinça Blake, aigre. Pingre comme tu es, cette relation était d'office vouée à l'échec ! Et j'ai eu raison.

— Tout comme la nôtre, alors passe au-dessus. Tu deviens lourde.

— Je te signale que c'est toi qui ravives les braises, là !

— Et c'est toi qui t'enflammes, Kravitz. Tout ça parce que t'as un cœur d'artichaut.

Blake s'amourachait indifféremment des filles comme des garçons, mais cela la rendait aussi indécise sur la question de l'exclusivité. Ses partenaires, en l'occurrence ex-partenaires, mentionnaient cette impression d'insécurité. Elle était gentille et mignonne avec tout le monde, au point de constamment présenter des ouvertures. Puis une fois passée à l'acte, elle croyait sa relation amoureuse solide. D'aucuns en profitaient.

« Avec Blake Kravitz, promets de devenir son mec ou sa meuf, et elle tombe la culotte. Quand tu la quitteras, elle se consolera avec celui ou celle qui la mettra dans son lit avec un minimum d'attention. » Ainsi courait la rumeur et la réputation de fille facile de Blake Kravitz. Un paradoxe, connaissant ses positions militantes. Autour d'elle s'était développé un réseau de « prometteurs et consolateurs ». Depuis, ses amis dissuadaient les fumistes dans la mesure du possible.

Mais une fois qu'on la perdait en nightclub, on était certain de la retrouver sur les cuisses d'une fille ou d'un garçon, sa langue au fond du gosier de la bougresse ou du profiteur. Le jour où Blake recevrait un électrochoc et apprendrait de ses erreurs se faisait désirer. Dernièrement, Junior avait rejoint le panthéon de ses crush. Le jeune homme s'amusait avec le prestige ridicule d'emballer une sempai. Cependant, l'on pouvait compter sur un sursaut de conscience, puisque Blake avait reconnu, dès le départ, le caractère peu sérieux de cette liaison. En attendant, Nola, Sandy et Marine les dévisageaient, sidérées. Lou-Ahn décida de clore le sujet.

— La fiction de Saïd s'appelle Moondancer, en un seul mot.

Nola se le nota en mémo ainsi que le nom du site hébergeur, qui possédait une application smartphone et tablette. Ces filles connaissent les conceptrices de HSM. Bon sang, ma besace à scoops sera pleine à craquer à mon retour !

— Si on faisait en sorte que les garçons apprécient le décor ? proposa Blake.

— Pourquoi devrais-je me décarcasser à faire apprécier les lieux à ces cloportes ? protesta Lou-Ahn. Je suis ici pour me prélasser. S'ils sont trop arriérés pour savourer le bonheur, qu'ils meurent malheureux !

— Je me disais que cette douceur ne m'était pas inconnue, s'annonça enfin Saïd.

— T'en as mis du temps ! lança Blake. T'as vu mon texto au moins ?

— J'ai choisi de ne pas garder la tentation de mon portable près de moi, après les recommandations du père de Rudy. Succomber est si facile, la chair est faible.

— Rejoins-nous du côté des princesses, l'invita Blake.

Saïd déplaça le voilage doré et se plaignit pour la forme.

— C'est injuste !

— Pas du tout, puisqu'on t'invite, le consola Inna. Et t'es plus inoffensif que Lou. On ne risque rien avec toi.

— Aucune de vous n'est mon genre, s'indigna Lou-Ahn.

— Ce n'est pas ce que j'avais cru comprendre, railla Blake.

— Désolée de ne pas pouvoir te l'apprendre autrement, mais j'ai cédé par lassitude parce que tu faisais pitié. Comme il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, mon avis sur ta personne est aux antipodes de celui d'il y a un an.

Vexée, Blake assomma Lou-Ahn avec un traversin. Les autres eurent la compassion de ne pas rire à ses dépens. Excepté Saïd.

— C'était à tes risques et périls en même temps, Blake.

— Allez, on va s'amuser, je vous dis ! insista celle-ci. On va rendre les mecs dingues en les laissant voir des choses qu'ils ne pourront ni avoir ni toucher, dit-elle d'une voix coquine.

— T'as quoi en tête ? demanda Inna.

— Approchez, les filles. Tu es l'expert en harem, Saïd, on a besoin de tes idées.

Le jeune homme se raidit. Blake se mordit la lippe. OK, elle avait gaffé, c'est ça ? Lou-Ahn se frappa le front. Inna leva les yeux au plafond. Les trois autres dévisagèrent Saïd d'un air coupable. Ce dernier haussa les épaules. Il ne craignait rien d'elles. Il se méfiait des garçons car ceux-là savaient lui briser le cœur. D'ailleurs, il les avait fuis parce que ça empestait le macho avec Teddy, Dwayne, Junior, Enzo, Ben, Darel, et etc.

— Tu aurais pu nous dire que t'écrivais des fictions, le gronda Inna.

De son index, elle repoussa son front ; geste hérité de sa mère.

— Sur un harem en plus ! ajouta Blake. Ça nous plairait de la lire.

— C'est pas tant que ça une fiction de harem, marmonna Saïd. Je comprends que le décor ait emmené le sujet. (Il sourit à Lou-Ahn, pour l'excuser d'avoir vendu la mèche et se roula dans les coussins avec la paresse d'un chat.) C'est trop génial !

— Je crois qu'Ilona a un faible pour la culture orientale, dit Nola. Y'a des influences dans toute la déco de sa piaule. Ça fait un sacré cocktail avec son look rockabilly. C'est une femme complexe.

— C'est un pléonasme, cousine, la reprit Saïd. « Femme » est le premier synonyme de « complexe ». Les mecs comme moi sont l'exception qui confirme la règle.

*o*o*

TBC ● EPISODE 21 - part 03

*Fag hag : la traduction serait « fille à pédés ». Expression péjorative qualifiant une femme, souvent hétérosexuelle, qui fréquente des hommes homosexuels en quête d'une amitié sans ambigüité avec l'autre sexe ou plus rarement d'un amour inaccessible.

*MEDIA*
Intro vidéo : Nagada Sang Dhol du film Goliyon Ki Rasleela Ram-leela (une réécriture de Roméo et Juliette à la sauce bollywood. Tu es fan du genre et tu veux fantasmer en toute impunité, en plus d'un œilgasme ? Suis-le !!!)