S06 - EP 15 ✤ part III
Partie 3/3
Prenant le mutisme de Junior pour un handicap, Mir le laissa copier ses cours. Il n'osait pas arrêter les enseignants lorsqu'il n'était pas à la page et qu'on effaçait le tableau ou changeait de diapositive. Avec l'habitude, son ami devint son scribe personnel, tandis qu'il se tournait les pouces en cours et majorait aux examens. Cela seyait à Mir, car les pâtisseries Marty's® offerts en remerciement par le petit pacha en valaient la chandelle.
Après une maternelle et un primaire mitigés, Torcy-Junior Reich-Andriana révéla sa véritable nature au collège. Il devait cette métamorphose à son meilleur ami, sa moitié, son confident, son repère, son havre de paix, son premier amour : Mi-Ra Isaac Ji-Hyuk Wales. De son silence naquit une arme redoutable. Junior apprit à exploiter ses yeux et ses oreilles d'une manière insoupçonnée. Les racontars, ragots et rumeurs reposaient souvent sur un fond de vérité. Manipuler cette vérité première octroyait un pouvoir. Avec un chien de garde aussi sournois que Mir, soutirer cette vérité devint une quête aisée. La tordre se révéla amusant.
Elément récalcitrant, Torcy-Junior figurait dans le tableau d'honneur, au grand dam des médisants. Le corps enseignant lui foutait une paix royale pour éviter de figurer dans la rubrique « so scandalous » du magazine de papa. Mieux valait éviter de donner au fils illégitime de Torcy des raisons de vous prouver qu'il n'affabulait pas.
Ce père qu'il maudissait pour son nom et son absentéisme se révélait utile avec son tabloïd, depuis que ses grands-parents avaient tenu à connaître leur petit-fils. Parce que son existence leur avait été dissimulée durant quatorze années, ses aïeuls lui assurèrent une belle part d'héritage.
Le « terrorisme » exercé sur ses camarades au collège fut l'ouverture d'une symphonie de magouilles. Au lycée, vinrent les tournois de la Balmer Ultimate Underground Racing, qui l'amenèrent à tutoyer la mort de nombreuses nuits à 300 km/h. Avec sa devise Seed Of Chaos,* le pilote TJ semait le chaos sur les circuits clandestins, dans les rangs des parieurs et dans la faune des receleurs de véhicules de luxe tunés, d'origine douteuse.
Son cerbère fidèle au poste, le trafic de voitures le conduisit dans l'univers violent des triades. La rencontre avec le gang de Shae Yang le vicieux permit à Mir de perfectionner son art du close-combat et d'éprouver ses capacités jusque-là cantonnées aux tatamis des compétitions codifiées. En parallèle, le jeune métis se paya une dose de sensations fortes en exerçant ses charmes balbutiants sur la gent masculine. Ou plutôt sur un gros caïd friand de twinks asiatiques.
Avec une confiance aveugle, Mir se laissa entraîner toujours plus loin par le rythme de vie effréné de Junior. Côtoyer le danger semblait l'unique façon de vivre. Mais peut-être ne cherchaient-ils qu'une sorte de reconnaissance...
Il le dissimulait plutôt bien, cependant le dernier fils de Joachim Wales vivait mal sa transparence dans sa fratrie. Un mal-être qui sautait aux yeux de Junior à la manière d'un nez au milieu de la figure. Il s'identifiait dans ce syndrome de troisième roue du carrosse. Face à ses aînés Kyle et Taiji, dressés à la dure, Mir devait tirer son épingle du jeu pour espérer briller. Or Joachim n'avait que faire d'un fils extra avec ses espoirs paternels comblés par les deux premiers. Tout ce que faisait Mir apparaissait tel un plat réchauffé. Sans surprise, déjà vu en « mieux » et plutôt deux fois qu'une.
Par sa carrure fine, son allure presque fragile, en plus de ses petits « vices » efféminés, Mir n'était pas l'image que Joachim attendait d'un fils. Pour susciter un frémissement d'intérêt paternel, il tentait d'exceller là où Kyle et Taiji brillaient déjà. Excellence banalisée, quand Père était sur le dos de Kyle, et Mère à fond sur la petite dernière et unique fille, Mi-Hyun.
De la reconnaissance ? Mir et Junior en avaient eue d'une certaine façon. Les initiales TJ circulaient sur les lèvres dans l'underground de Balmer. Malheureusement, elles perdirent leur mystère lorsque la police s'en mêla. Une immunité MIP le sortit in extremis d'une situation périlleuse mais ne le sauva pas d'un bras dans le plâtre. S'en suivit une demande d'émancipation à dix-sept ans, afin d'épargner Farah, puisqu'il fallait endosser la responsabilité de ses actes. Sa mère avait perdu son autorité depuis belle lurette à la maison. Mais l'avait-elle déjà eu une fois dans sa vie ? Le vice du contrôle façon yakuza du fils découlait sans doute du relâchement maternel...
Mir finit sous un embargo parental digne de la loi Marshall, à la suite d'un règlement de compte de gangs en plein cœur du lycée Brownstone High. Ce jour-là, les ambulances ne vinrent pas pour lui. Son père le tira des griffes des forces de l'ordre. Ainsi, Mi-Ra Wales assit sa réputation d'intouchable, non par l'immunité relative de son nom mais par la terreur qu'il inspirait au sens littéral.
Le chantage de Junior sur Glenn n'était qu'un amuse-gueule. Un ersatz des jeux de manipulations durant la vie mouvementée d'un gamin investi d'un pouvoir trop grand. À dix-huit ans, Torcy-Junior prit conscience qu'il avait encore beaucoup à apprendre, lorsque sa route croisa deux obstacles : T-eyes et Dean Leblanc.
*o*o*
La requête – l'exigence – de Dean concernait les archives diffusées ou non des reportages et déclarations de presse recueillies par le Canal 3, sur la tentative d'assassinat du chanteur Red Kellin. Junior n'osa pas frissonner. Après avoir rendu justice à son fils en envoyant Lucas voler, Dean s'attelait-il à rendre justice à son amant ?
— Que ferez-vous de ces infos ?
Dean le rembarra.
— Peux-tu les avoir ? Si ce n'est pas dans tes cordes, tu ne m'es d'aucune utilité.
— Je vous les aurai. J'ai bien saisi que si je ne vous donne pas satisfaction, j'amoindris mes chances de voir Rudy dans de brefs délais.
Il avait facilement accès aux données publiées ou non de Wassup'Mag®. Son père lui imposait des restrictions avec l'audiovisuel, mais accéder aux archives restait dans ses cordes.
— Vous pouviez passer par Sonia Thompson. Votre ex-femme aurait eu plus de facilité. À moins que vous soyez dans une configuration qui empêche toute transaction entre elle et vous. Elle n'est pas appréciée, dernièrement.
— Mon ex-femme et moi avons un terrain d'entente, Junior. Merci de t'en inquiéter.
Dean se montra sarcastique, mais le petit faisait mouche sur la situation conflictuelle. Il se garderait de vendre la mèche.
— Les restrictions que pourrait rencontrer Sonia ne te concerneront pas, avec le nom que tu hérites hélas de ton père.
— Je m'y attelle, grommela Junior.
— Tu m'en vois ravi.
L'arrogance de ce type commençait à lui irriter la peau.
— Au fait, je me suis permis de prendre soin de la voiture de Rudy.
— Oh..., souffla Dean. Cela m'était complètement sorti de la tête.
Les considérations matérielles lui étaient passées par-dessus la jambe depuis cette nuit maudite du réveillon. Il ne chercha pas à savoir comment Torcy-Junior avait réussi à prendre en charge le véhicule. Assez curieux que la police n'y ait pas fait allusion. De nombreuses affaires de son fils avaient été examinées. L'équipe de Nil les conservait encore, comme l'ordinateur portable de Rudy. Il songerait à récupérer ces pièces à convictions.
— Merci. C'est gentil de ta part.
— Ç'allait de soi. N'aurais-je pas droit à une faveur ? marchanda Junior.
Dean ricana.
— Je croyais que ç'allait de soi. Les archives, Junior. Satisfais-moi et je consentirai à te rendre la pareille.
Junior grommela comme l'autre lui raccrochait au nez.
— Je te trouverai ces foutus archives en moins d'une heure !
Il avait aussi sa fierté. Mais que pouvait bien faire Dean de ces informations ? Junior se gratta la tête. Les plans de cet homme restaient obscurs. Pour autant, cela ne le dissuaderait pas d'y fourrer son nez. Il n'avait pas bien digéré que Dean le menace, alors qu'il avait tenté de censurer son père quand Glenn avait lâché sa grenade.
— En parlant de Glenn, voilà un autre cadavre ambulant. Maintenant que Dean apprend aux gens à voler, celui-là finira aussi son stage aérien sous les instructions de ce malade.
Dean n'avait pas encore sévi sur Glenn. L'enlèvement de Rudy, survenu moins de vingt-quatre heures après son tête à tête avec Junior à Nior, avait rebattu les cartes de ses priorités. Entretemps, T-eyes avait eu vent du chantage qu'il exerçait sur ce satané mannequin. Glenn s'en était ouvert à Rey Lee-Cooper. Moralité : tout le monde savait pour Dean et Red excepté Rudy ?
Or le numéro de janvier du Wassup'Mag® risquait de réveiller des morts. Fragile et traumatisé, Rudy saurait-il encaisser ? Pour s'en assurer, Junior devait le voir mais se heurtait au mur Dean. Est-ce que Regan se montrerait utile ? En tant que cousin, il possédait forcément des infos... Néanmoins, son intuition dissuada Junior de tenter cette approche.
Depuis l'affaire des Dix petit nègres, il se sentait frileux. Cela lui coûtait de l'admettre, mais T-eyes avait pris un tribut sur son audace. Le petit-ami de Rudy rentrait dans les bonnes grâce de son beau-père et avait promis de lui aliéner papa Leblanc s'il maintenait son chantage sur Glenn. Dean l'éloignerait de son fils... Or Junior refusait de perdre l'amitié de ce blond platine aux yeux émeraude. Putain, y'a trop de loups en peau de mouton autour de Rudy. Raison de plus pour ne pas s'en éloigner. Un berger était requis dans l'assistance. Mais avant d'accéder aux doléances de Dean... Junior parcourut sa liste de contacts téléphoniques.
— J'attendais ton appel, déclara Glenn d'une voix froide, sans salutation. J'ai changé mes coordonnées. Je conservais ce numéro dans l'attente de ce dernier coup de fil, avant de détruire la puce. Ton « jeu » s'arrête ici, Junior.
Celui-ci renifla.
— Pas parce que tu y as mis un terme. Souviens-t-en. J'appelais pour te dire que Dean sait. Maintenant que son fils a été retrouvé, il est sur le chemin de guerre. Pas plus tard qu'hier, il a envoyé quelqu'un voler depuis le deuxième étage et atterrir aux urgences. Tu ne l'apprendras pas aux infos. Tu sais, la censure et tout et tout. Je n'ai pas hâte de voir ce qu'il fera de ton cas, alors je tenais à te prévenir. Bon vent, Glenn.
Junior raccrocha. Il blacklista le numéro. Après tout, ceci était leur dernier échange téléphonique ; à Glenn de se débrouiller pour trouver le sommeil. Le soustrayait-il à la colère de Zeus en le prévenant ? Seul l'intelligence et la conscience du modèle détenaient cette réponse. Pour sa part, Junior s'en lavait les mains.
Oui, il avait vendu l'informateur. Sacrilège. Mais non, il n'éprouvait aucun remords face à une espèce capable de provoquer l'outing de son adversaire au lieu de l'affronter à la loyale. Non que Junior se découvre des élans de noblesse. Il n'avait aucun mal à bafouer l'éthique dans certains domaines. Le seul conflit de Junior était sa faiblesse face à Rey et Dean. Il acceptait encore que le Leblanc parte avec un avantage. Mais il n'avait pas du tout vu venir le Lee-Cooper. Et cela lésait son ego. Cependant, il en tirerait une leçon.
Lorsqu'il fit parvenir à Dean les infos demandées, Junior se jura que son heure viendrait. Il sèmerait à nouveau le chaos, et qu'il soit damné, cette fois, s'il se laissait manipuler par quiconque !
*o*o*
— Je vous incite à poser les questions nécessaires, et non à monter le superflu en mayonnaise. En tant que journaliste, vous avez la responsabilité de vos mots, comme je l'ai par mon métier. Le véritable monstre dans cette affaire est celui qui s'est servi du malheur de cet homme, qui a utilisé sa situation critique et sa faiblesse d'esprit, pour le pousser à commettre cette exaction. On a une entité manipulatrice, une personne ou une organisation, qui tire les ficelles en se servant de la détresse d'autrui pour les changer en pantin. C'est sur cette « entité » que mon équipe et moi concentrerons nos efforts. La Justice se chargera de régler son cas une fois que nous l'aurons dénichée.
Déclaration de l'inspecteur Nil Kruger à une chaîne d'info, après l'assassinat raté de la rockstar Red Kellin. (Cf. S03-EP19△part.IV) Dean renifla.
— On l'aurait dit prescient. Mais s'attendait-il à ce que le gouvernement le mette dans sa situation délicate ?
L'erreur de Nil avait été d'oublier que la Justice se trouvait entre les mains des véritables monstres. Dean ne s'en plaignait pas. Sans ce vice, il ne bénéficierait pas de son immunité. La moindre des choses serait d'en faire profiter Nil. Rudy avait été on ne peut plus clair avec Edwards Meister. Si l'homme ne voulait pas s'aliéner l'héritier Leblanc, il cesserait de chercher des poux au flic. Dean s'était promis de s'en assurer.
En attendant, l'équipe enquêtrice se payait une muselière. Cette affaire se conclurait par de la poussière balayée sous le tapis. Mais justice serait faite pour son trésor. Rudy ne se salirait pas les mains car Dean deviendrait son ange vengeur. Le seul hic se nommait Red. Comment concilier ses intentions vengeresses avec la morale de son amant ? Il refusait que l'un lui fasse perdre l'autre. Il se trouvait bien un moyen de rendre la cohabitation possible. Pourquoi fallait-il que Red lui tienne tête à ce point ?
« Tu as besoin qu'il sache le faire. Et il a raison. Rudy ne vivra jamais bien le fait que son père ait l'étoffe d'un meurtrier. »
Dean grogna. Dieu qu'il détestait le remord ! Peut-être devait-il parler de l'affaire Lucas à son fils. Il avait perdu les pédales face à l'autre espèce de rat. Le savoir en vie le soulageait et le frustrait ; Dean refusait d'explorer ce sentiment. Se vêtir du manteau de la non-violence pour dissimuler son impuissance ne collait pas avec sa personnalité. Quand son cœur sombrait dans la haine, ses actes l'exprimaient. En le privant de Chayton, il s'était rebattu sur Lucas. Il ne s'autoflagellerait certainement pas pour ça.
« Mais as-tu pensé à ta mère ? »
Exaspéré par ses pensées, Dean claqua l'écran de son netbook sur le clavier. Il fit quelques pas dans le patio pour s'aérer l'esprit. Rudy saura bien assez tôt sur les réseaux sociaux le sort de Lucas. S'il pose des questions, je répondrai à ce moment-là. En toute transparence. Le plus gros souci de son fils concernait désormais l'antre du mal : Darney. Son retour à la fac ne serait pas aisé. D'ici là, il faudrait qu'il retrouve quelques ressources pour se réadapter. Ou alors, il faudrait réadapter le milieu à son rejeton...
« Tu le couves encore. »
Mais c'était plus qu'un réflexe conditionné, c'était inscrit dans ses gènes.
« Comment le protègeras-tu si Lucas succombe à ses blessures ? »
Oh, Vince s'assurait déjà qu'on maintienne le malheureux en vie.
« Tu as une telle foi... Il le ferait à condition d'être innocent dans l'enlèvement de ton fils. S'il s'avère coupable, cela l'arrangerait que Lucas succombe, au même titre que le coma artificiel de Chayton. Autrement dit, tu auras fini le sale boulot du commanditaire du kidnapping. »
Dean manqua s'arracher les cheveux. Il tournait encore en rond. S'occuper autrement l'esprit devenait impératif. Dans un élan de désespoir, il posa ses yeux sur Red, à travers la verrière. Son havre de paix. À bien d'égards, il était chanceux de l'avoir à ses côtés. Parce qu'il n'en méritait pas tant...
*o*o*
TBC ● EPISODE 16
*Seed of Chaos : graine de chaos.
*MEDIA*
Intro vidéo : Everything or Nothing - Willyecho. Des lyrics écrits sans doute pour Dean, Junior et Mir.
I punch in my card
I know what it costs,
Yeah I put in the work that you don't
Day after day
All work and no play,
Yeah I'll do all the things that you won't
Even when my feet get tired
I will keep on moving higher
I'm the story you don't speak of
I'm the one they call the underdog
'Cause every time that push comes to shove
I'm climbing over you to reach the top
'Cause I want everything or nothing at all
Yeah, I want everything or nothing at all
'Cause I want everything or nothing, nothing, nothing
Nothing at all
Don't care what you think
Or what you believe
'Cause I'm gon' turn the world upside down
If you want a shot
Just step in the ring
Yeah, I'ma shake your bones like thunder
...
Yeah, I am not the favorite son
But I'm the one who's been here all along
'Cause every time that push comes to shove
I'm climbing over you to reach the top
'Cause I want everything or nothing at all
Yeah, I want everything or nothing at all
'Cause I want everything or nothing, nothing, nothing
Nothing at all
I don't want nothing at all
Unless I can have it all
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