Partie 4/4

— Que sais-tu des Leblanc ?

Rey grimaça.

— Je sais que si c'est avec ces gens que tu as un problème, tu es dans de sales draps. Genre très sales. Dean pourrait te venir en aide, si tu as des démêlés avec cette famille. Mais ton inimitié avec lui n'en fera pas un bon samaritain.

Glenn rit jaune. Seigneur, il était fatigué...

— Tu ne réponds pas à ma question.

— Je ne connais pas personnellement cette famille, mais sa réputation la précède.

Rey ne voulait pas se mouiller.

— Ouais, j'imagine, lâcha Glenn sans conviction.

— C'est grave comment ?

— C'est ça le problème. La gravité de la situation est réelle mais elle m'apparait erronée. Probablement à cause du chantage. On se sert de mon ignorance, si tu veux, pour me maintenir dans cette situation tendue.

— J'ai beau être un génie, je suis limité dans le décodage des paraboles.

Glenn renifla, amusé. La seconde suivante, il cessa de l'être.

— Je ne sais pas si je te mets en danger en te le disant. J'ai peur de me montrer égoïste en te mettant dans une situation délicate, mais ça ne peut plus durer. Je vais sans doute t'embarquer dans ces sales draps. Or mon silence, une des clauses de ce chantage, protège mon maître chanteur. Je te promets que personne ne saura que je t'ai mis dans la confidence...

— Glenn, accouche !

— J'ai découvert que Dean et Red sortent ensemble.

— Oh.

L'onomatopée fut si placide que Glenn cilla.

— C'est... c'est tout ce que ça te fait ?

— Avec du recul, leur proximité aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Même Wassup'® le soupçonne.

— Ouais, grommela Glenn, dépité. Ce n'est pas par ce magazine que je l'ai appris, fit-il, ironique.

Le tabloïd lui avait surtout appris qu'on le baisait. Il ne pouvait même pas aller se plaindre de son chantage auprès des autorités compétentes.

— Si je me souviens bien, Red a été en mesure de comparer le diamètre de ton Popaul-caramel avec celui de Dean. Ça laisse entendre qu'il savait de quoi il parlait. Donc ouais, pas besoin de magazine pour le deviner, certaines choses crient l'évidence.

Rey souriait, mais Glenn trouvait cela beaucoup moins drôle désormais. D'une œillade, il s'assura que les murs n'avaient pas d'oreilles dans le secteur. Son angoisse le rendait parano, taciturne, lui d'ordinaire extraverti. Il perdait confiance en lui. Son erreur avait pris un tel tribut qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même.

— Et donc, en découvrant cela, tu t'es retrouvé victime d'un chantage ? relança Rey. Comment ? Puis-je connaître le nom de ton maître chanteur ?

Il craignait que ce soit Dean. Cet homme semblait décidé à bâillonner quiconque découvrirait son couple avant son coming out à son fils. Le cas Torcy restait édifiant. Cependant, le chantage ne collait pas au profil de son beau-père. Dean était aussi direct qu'un coup de batte dans le ventre. Il aurait vécu à l'ère shogunal, il choisirait de vous pourfendre de son sabre plutôt que de s'encombrer des subterfuges d'un empoisonnement.

— Le fils de Torcy me fait chanter, confia enfin Glenn. Je ne savais même pas que ce type avait un fils avant de le rencontrer. Tout le monde croit qu'il n'a qu'une fille !

Rey remua la tête d'un air entendu.

— Sérieux, c'est vraiment tout ce que ça te fait ?!

— Je sais qui est Torcy-Junior.

Glenn grimaça, amer.

— Bien sûr...

Sans voir la globalité du tableau, il avait voulu y mettre sa touche personnelle. Et il s'étonnait de la laideur de son coup de pinceau. Contrairement à lui, Torcy père et fils, Dean et certainement Rey, appréhendaient l'œuvre dans son ensemble.

— Dis-moi, Rudy n'est pas au courant de la relation de son père avec Red, n'est-ce pas ?

Rey l'étudia, indéchiffrable.

— Et tu le sais parce que... ?

— Junior me l'a dit.

— Et il le sait parce que... ?

L'étau se resserrait. Glenn déglutit. Bientôt, Rey aussi le honnirait.

— Non, laisse-moi deviner, grogna ce dernier, le regard soudain acéré. Il le sait parce que tu as mis Wassup'® dans la confidence du couple de Dean. J'ai bon ? demanda-t-il, glacial.

Ce n'était pas une interrogation. Glenn réprima un frisson. Néanmoins, il tenta le diable.

— Qu'est-ce qui t'amène à cette conclusion ?

Avec cette « engeance », il avait fini par saisir qu'exposer ses cartes d'entrée de jeu rendait très vulnérable. C'était tendre le bâton pour se faire battre. Violemment. Ces gens-là ne connaissaient pas la retenue de la clémence. Glenn comprit cependant qu'on n'échappait pas à la prise d'un boa constricteur.

— Je m'attendais à ce que tu incrimines Dean. Ç'aurait été un poil cohérent avec votre parfait amour, dit Rey, caustique. Puis je me suis dit que ce chantage remplissait une autre condition. Tu détiens cette info depuis bien avant la publication de Wassup'Mag®. Et le chantage a pris effet après que tu sois rentré en contact avec le père de ton maître chanteur, qui, ô surprise, est le proprio du magazine qui sème des indices sur le couple de Red Kellin. Parce que tu lui auras vendu l'info. Une info qu'un Leblanc ne jetterait certainement pas en pâture aux médias. Et Junior le sait. Ça te paraît un raisonnement logique pour arriver à cette conclusion ? finit-il, sarcastique.

Glenn transpira. Pourquoi était-il entouré de serpents ? Il se sentit soudain nu sous le regard juge. Dieu le punissait. Son salut pendait vraiment au bout d'une confession. Or la parole revenait toujours à Rey, loin de ses états d'âme.

— Torcy se montre subtil dans son magazine. Il se contente d'exciter les capacités de déduction de son lectorat. Dieu sait que les commères friandes d'idylles people ont l'imagination débordante ! D'ici à ce que toutes les interviews de Red abordent le sujet de sa vie amoureuse, il n'y a qu'un pas. Ce connard de Torcy n'avait pas l'intention de laisser Dean s'en tirer avec leur arrangement.

La soudaine hostilité de Rey, le changement d'ambiance, dressa les poils de Glenn. Il recula quand le jeune homme se pencha vers lui.

— Sais-tu ce que Dean a hypothéqué pour obtenir ce résultat ? Pour bâillonner Torcy ? Sais-tu seulement ce que cet homme a soutiré à Dean, pour que l'information que tu lui as rapportée sans scrupule ne circule pas dans les médias ?

L'intransigeance du regard d'obsidienne bouscula l'instinct de préservation de Glenn. Croyant chercher l'aide d'un ami, il gagnait un ennemi dangereux. Parce qu'il avait décidé, dans sa grande sagesse, de se confesser au « beau-fils » de Dean. Glenn se maudit. Remarque, cela lui donnait un avant-goût de sa confrontation avec le concerné. Le sermon se poursuivit, brûlant.

— Je ne sais pas ce que tu espérais obtenir en agissant ainsi, Glenn. Mais ton côté vénal a fait hypothéquer une partie de l'avenir de Rudy. Tout ça pour éviter de l'exposer à l'outing déplorable de son père dans une presse à sensation !

— Je n'ai pas fait ça pour de l'argent, se récria Glenn, troublé.

Qu'avait donc hypothéqué Dean pour bâillonner Torcy ? Cet homme mettait son fils sur un piédestal. S'il découvrait la vérité, le grief de Dean à son endroit ferait sans doute pâlir la vengeance sicilienne.

— Ça n'a rien... coûté. (Il s'écœurait.) Je n'ai jamais autant eu honte de moi. Qu'est-ce que j'ai voulu faire ? Me venger ? C'est tellement ridicule !

Rey ne lui accorda aucune merci.

— Je me contrefiche de tes motivations ! Des innocents trinquent pour ta ridicule inimitié avec Dean, à cause d'une putain de divergence de point de vue ou de personnalité. T'es adulte, oui ou merde ? Ces disputes de bac à sable à R-MY©, c'est drôle un jour ou deux mais lassant à la longue. C'est encore plus énervant quand on voit où ça t'a mené. Tout ça pour une histoire d'ego qui pisse le plus loin !

Glenn garda le silence. Par deux fois, des cadets appuyaient la puérilité de ses actes. Or ce n'était pas de l'immaturité mais de la mesquinerie. Il n'avait pas fière allure de se faire remonter les bretelles. Si on pouvait éviter de répandre du sel sur ses plaies, peut-être qu'elles cicatriseraient enfin. Seulement, le sel avait le don d'assécher et de désinfecter certains abcès. Il serra donc les dents face à ce mal nécessaire.

— Tu aurais apprécié d'apprendre via un tabloïd de merde, que ton père sort avec un mec, une star sulfureuse qui focalise constamment l'attention des médias ?

Connaissant la discrétion de son petit-ami, Rey avait déjà mal pour lui. Dean avait merdé. Red aussi. Ils auraient dû lui en parler dès le départ. Rudy était en mesure de comprendre. Que craignaient-ils ? Encore cette manie de vouloir le protéger en le jugeant fragile ! Bon sang, son amour trinquait toujours. Le résultat ne serait pas beau à voir, avec sa sensiblerie, maintenant que l'affaire dégénérait. Torcy-Junior était au courant avant Rudy, putain !

Rey toisa l'homme pathétique. Sa mine pitoyable ne lui inspirait même pas des baffes. En valait-il la peine ?

— J'aimerais dire que tu mérites ce qu'il t'arrive. Mais ce serait cautionner les actes de Junior. Même si tu récoltes ce que tu as semé, lui n'avait pas à se mêler de cette affaire.

Glenn le dévisagea, surpris.

— Je ne comprends pas...

Rey ne prenait pas parti ou prenait-il son parti ?

— Je ne m'attarde plus sur la bassesse de l'être humain. C'est dans sa nature. Toi, Junior, Dean, moi... Je suis mal placé pour juger. En matière de bassesse, j'ai mon palmarès, marmonna-t-il.

— Bianca ? osa Glenn.

Rey haussa les épaules.

— J'ai abandonné les dernières parcelles de mon innocence quand ma mère m'a demandé de cesser de vouloir être un garçon « normal ». Ce n'est pas mon destin.

Glenn ne sut quoi retorquer.

— Je suppose que Junior l'a appris de son père.

— Il était présent dans le bureau de son père.

— De mieux en mieux.

Glenn grimaça. Ouais, il s'était salement vautré.

— Je n'apprécie pas qu'on se serve de la vie privée de ceux que j'estime. Je devrais te laisser pourrir dans ta merde. Heureusement pour toi, j'ai appris à t'estimer. Je ferai cesser cette mascarade. Je suppose que tu as payé de ta personne... même si la dette est loin d'être remboursée.

Glenn sut que la providence lui épargnait une inimitié mortelle du nom Rey Lee-Cooper en faisant de lui l'obligée de ce dernier. Si, bien entendu, Rey levait le chantage de Torcy-Junior. Accéder aux doléances de l'un par dette morale ou accourir au premier coup de sifflet de l'autre ? Le choix restait aussi frustrant que déshabiller Pierre pour habiller Paul. Cependant, Rey avait trop de charisme pour abuser de son pouvoir de cette manière. Parce qu'au lieu de le haïr, il lui venait en aide.

— Comment comptes-tu t'y prendre ?

Cela lui coûta de poser cette question. Mais Glenn avait ravalé son ego voilà belle lurette.

— Je trouverai un moyen. En attendant, fait profil bas. Conseil d'ami. Tant que Dean ne sera pas au courant de ton rôle de balance, tu es un homme en sursis. Ce qui t'attend à la fin de ce sursis, je ne le souhaiterais même pas à mon ennemi.

Rey n'avait pas besoin de le lui dire. Glenn avait jugé sur les apparences cet homme à qui l'on attribuait un pouvoir inquiétant.

— Je ne te donne pas ma parole de Lee-Cooper. Mais ce n'est pas de ma bouche que Dean aura vent de ton implication dans cette histoire.

Cependant, Rey ne doutait pas que Dean disposait d'autres ressources pour mettre la main sur le damné qui alimentait les forges de sa colère.

T-eyes finirait par sévir... Le « neuvième petit nègre » s'en souviendrait.

*o*o*

TBC ● EPISODE 15

Est-ce ainsi que s'achève la mésaventure de Glenn ? Mon petit doigt me dit qu'il est loin d'être tiré d'affaire...

*MEDIA*
Intro vidéo : Walk in the Wild - RIVVRS. Pour cette séquence, j'opte pour cette bande son, qui, étrangement, me fait penser à  l'univers sans foi ni loi de Cowboy Bebop...

I got nothing,
I got nothing to lose
time is running out and I'm rolling through
and I'm coming,
I'm coming for you
with a hot head and a bad attitude

I wanna take a walk in the wild
I wanna feel hearts collide
I wanna feel alive
I wanna take a walk in the wild
I wanna feel hearts collide
I wanna feel alive

ohhh, ohhh, ohhh

Come bloody,
I got room for two
theres only one thing thats left to do
hold steady
I've had my eye on you
I'm coming back at you like deja vu