S06 - EP 08 ✤ part III
Partie 3/3
Leur peau fripée exigea la fin du bain. Lorsque le mutisme de son fils s'étira, comme il pansait les écorchures à ses pieds, Dean réalisa qu'ouvrir son cœur au sujet de Red l'avait troublé. Il fallait encore lui changer les idées.
— Ilona m'a assuré que tu es libre de recevoir qui tu veux. Veux-tu inviter Rey ? Il pourra même séjourner ici, un jour ou deux.
— Hein ?
Rudy redressa vivement la tête. La panique l'éjecta de sa bulle. Dean s'alarma :
— Qu'y a-t-il ?
— Je veux pas qu'il vienne, murmura-t-il, la respiration hachée.
— Pourquoi, mon ange ? demanda Dean avec patience.
— Ben... ben, j'en sais rien ! (Rudy s'irrita face à sa propre irrationalité.) Je veux juste pas qu'il vienne pour le moment.
Son refus laissa Dean perplexe. Qu'est-ce qui justifiait une telle réaction ?
— Rey n'a pas arrêté d'appeler, et je l'ai un peu envoyé sur les roses à chaque fois. Il se fait un sang d'encre. Appelle-le, qu'il entende au moins ta voix.
— C'est encore plus dur, refusa Rudy d'un ton plaintif. Si je l'ai au téléphone, il voudra venir. Et moi aussi je voudrais le voir si j'entends sa voix.
— Mais alors..., fit Dean, perdu.
Rudy se renfrogna, puis avoua avec honte :
— J'ai peur que son regard ait changé.
— Pourquoi aurait-il changé ? soupira le père, dépité.
— Tous vos regards ont changé ! l'accusa son garçon. J'ai vu comment vous me regardiez à l'hôpital. Comme si, à tout moment, j'allais devenir fou. Je n'ai pas envie de le voir dans ses yeux. Pas lui, bougonna-t-il. Et puis, je ne suis pas au meilleur de ma forme.
Il ne se sentait pas spécialement sexy... Dean retint une moue attendrie. Sa pichenette impitoyable sur le front de Rudy déclencha une vive protestation.
— C'est ce que tu t'es mis dans le crâne, fiston. As-tu vu du monde depuis que tu es sorti de l'hôpital ?
— Pas... pas vraiment.
— Alors d'où te vient cette impression erronée ? Rey veut te voir. Il a besoin de te voir, Rudy. Tu lui feras beaucoup de peine en lui refusant cela. Et à toi aussi. Je sais que tu meurs d'envie de le revoir.
— Mais... j'ai peur de pas être normal avec lui, murmura Rudy, indécis. Je veux pas que son comportement change après ça. Si je panique suite à un geste anodin... J'arrive même pas à savoir pourquoi je me mets dans de tels états ! C'est franchement flippant et irritant à la fois. Peut-être qu'il va plus m'aimer comme avant. Moi-même je me soulerais. Je le sais, que je suis bizarre. Je suis pas normal en ce moment. Je dois être pénible et tout. Mais pourtant c'est la dernière chose que je voudrais...
Rudy cessa son laïus lorsqu'il nota la consternation paternelle.
— En effet, tu es pénible si tu spécules ce genre de chose. On ne s'en sortira pas avec des « et si ».
— Mais s'il ne m'aime plus...
— Rudy, cela suffit ! gronda Dean.
Cette peur de ne plus être « aimé » commençait à l'inquiéter. Quel trouble cela cachait-il encore ? Ilona lui sortirait certainement une histoire liée au rejet maternel, avec sa psychanalyse de bazar.
— Prends ton téléphone et appelle-le, ordonna-t-il. Tu lui diras de passer à l'adresse que je te refilerai. Cesse de faire l'enfant.
Rudy exagéra sa moue boudeuse.
— Quoi ? fit Dean, las.
— Mon téléphone, c'est le portable que m'a donné Red.
Red et non Andy. Ce caprice semblait parti pour durer. Dean demanda avec patience :
— Qu'est-ce qu'il a, ce smartphone ? Il n'est pas bien ?
— Il est rouge.
Dean roula des yeux. Son travail d'infirmier terminé, il rangea la trousse de soin dans le placard où il l'avait dénichée.
— Que veux-tu ? Narcissique un jour, narcissique toujours. On n'enlèvera plus à Andy cette manie de pousser le vice avec la couleur rouge. Sa couleur te dérange ? Voudrais-tu une coque similaire à la précédente ?
— Non.
Plus contradictoire, tu meurs ! Au bord de l'exaspération, Dean se retint de grogner.
— Tu n'as pas envie d'utiliser ton téléphone parce qu'il vient d'Andy... Est-ce cela que tu essayes de me faire entendre ?
— J'ai jamais dit ça, réfuta Rudy.
Pourtant ce fut un aveu. Dean se raidit. La bataille avait vraiment commencé. Son fils lui rendrait la vie pénible en assumant sa puérilité. Rudy épuiserait le forfait du chantage affectif, au point d'être agaçant et mesquin. Malheureusement, son amant et lui ne pourraient riposter, s'ils espéraient l'absolution.
Le garçon oubliait cependant que s'il optait pour « tous les coups sont permis », son père bafouerait aussi le scrupule. Au fond, Dean préférait cette situation. Elle distrairait Rudy et lui éviterait de ressasser ses jours de captivité. Taper sur son couple occuperait l'esprit de son fils. Il se prêtait volontiers à l'exercice.
— Ne jamais dire « fontaine, je ne boirai pas de ton eau », déclara-t-il. Tu appelleras ton petit-ami avec mon portable. C'est égoïste de lui faire subir ta mauvaise humeur parce que tu nous en veux, à Andy et moi.
— Je l'appelle dans une heure ou deux, concéda Rudy. Je dois d'abord me familiariser avec... tout ça, dit-il en englobant vaguement l'espace autour de lui. Si je me souviens bien, une infirmière doit passer pour ma blessure. J'ai pas envie que Rey soit présent à ce moment-là.
— Je vois, comprit Dean.
Rudy essayait de préserver Rey. Mais éloigner son petit-ami de cette réalité n'était pas la bonne démarche. À la réflexion, le problème n'était pas sien, songea Dean. Il limiterait son ingérence pour ne pas étouffer son fils. Plus facile à dire qu'à faire !
— Et toi, assena Rudy, au lieu de retourner le problème contre moi, tu ferais mieux de t'y coller aux excuses que j'exige.
Dean marqua un mouvement de recul face à son courroux.
— Je sais, fils. Je sais. Tu n'accordes plus beaucoup de poids à ma parole, mais je suis sincèrement navré. J'ai été stupide et lâche. Je ne suis pas fier de moi. J'ai lésé ta confiance et c'est indigne d'un père. Je m'en voudrai toute ma vie. Et j'attendrai ton pardon le temps qu'il faudra.
Rudy prit une forte inspiration et soutint le regard de son père. Ce dernier sut qu'il n'était toujours pas pardonné. Dean sourit avec faiblesse. Il n'était pas surpris.
— Sortons d'ici, ils vont commencer à s'inquiéter... C'est qu'ils nous attendent pour les crêpes.
La perspective de revoir du monde n'enchanta pas Rudy. Mais « crêpes » eut tout de même un effet positif. D'une œillade, il interdit à son père de pouffer.
— Il faudra aussi rendre son doudou à Farrellia. Elle a été assez mignonne pour te le prêter. La moindre des choses serait de le lui retourner.
Le père s'esclaffa quand le fils lui fit savoir son avis sur la chose. À tous les coups, la farce ne venait pas de la petite, dont il s'enquit de l'identité au passage. La fille de Farrell Lawrence, centre des offensive-linemen de l'équipe des B-Sharks. Comment Dean avait-il pu lui taire qu'il était pote avec de telles superstars, alors qu'ils suivaient leurs matchs ensemble ? Franchement, son daron abusait ! Quant au doudou...
— Je n'y suis pour rien, plaida Dean. De son point de vue, c'est un sacrilège de dormir sans doudou. Je n'ai pas voulu la contrarier.
— C'est bien ce que je dis, grommela Rudy.
Comme ils se rendaient dans la chambre d'amis, il réalisa que le rire de son père n'avait pas de prix. Ça lui avait tant manqué. Il étudia les traits paternels. Avait-il déjà pris le temps d'observer cet homme sans détour, sans artifice, sans autre besoin que celui de le regarder, le contempler tel qu'il était ? Les subtilités de son visage, les différences avec le sien, son grain de peau, les rides provoquées par un haussement ou un froncement de sourcils. Il répertoria ce qu'il aimait, ce dont il se souviendrait toujours, ce qui rendait cette figure apaisante, rassurante, indispensable... Je t'aime, papa. Te l'ai-je déjà dit ?
— Je te prête quelques vêtements, le temps de rapporter tes... Quoi ? s'enquit Dean, intrigué par le regard curieux de Rudy.
Ce dernier se réfugia derrière une boutade.
— Tu m'as à peine retrouvé et tu veux me noyer ? Tu me vois rentrer dans tes vêtements ?
Embêté, Dean remarqua les vêtements pliés, posés sur le lit. Il reconnut ceux de Red et sut qu'ils étaient destinés à Rudy. Question gabarit, son fils serait plus présentable dans une tenue de son amant. Et puis, son garçon avait maigri... Dean se réorienta vers des pensées plus légères. Rudy avait adopté un look assez proche de celui de sa star préférée. Le slim et le jean-shorty l'avaient fait tiquer au début. Le résultat étant agréable à regarder, il n'avait pas relevé.
Il n'admettrait pas que le non-célibat de Rudy le rassurait un peu. Son ange n'aurait pas été en couple, Dean aurait probablement « sollicité » son veto. Rudy fringué façon Red appelait des vices ! Dean était loin de se douter que le petit-ami du fiston raffolait de ce style vestimentaire. L'histoire ne dirait pas comment il réagirait, s'il apprenait que Rey aimait voir son mec moulé dans du textile. Quant au concerné, il avait fini par saisir, non sans réticence, que le minishort en denim était une arme de destruction massive de la rationalité de sa moitié.
— Ils sont à Red, ces vêtements, remarqua Rudy.
Il tourna sur lui-même pour embrasser la déco de la chambre, lorsqu'il nota deux petites valises. Un claustra tamisait la lumière blafarde depuis les portes-fenêtres. Le soir tombait à peine. Les couvertures de laine, à pompons, réchauffaient la froideur des tons blanc-écru des draps et la légèreté des tentures opalines. Rudy réalisa qu'il s'agissait d'une chambre de couple. Ça fait presque ambiance « premières noces ».
Cette fois, il devait assimiler l'idée pour de bon. Red dormait désormais dans le même lit que son père. Purée ! Jusque-là, l'affaire ne s'avérait pas aussi concrète. Certes, la scène de la révélation avait été sans équivoque, mais la suite avait été plus préoccupante. À présent, la situation se drapait d'un aspect un peu malsain, de son humble avis. Il avait appris à considérer Red comme un grand-frère. Voilà que grand-frère devenait l'amant de papa. Brr !
Il partagerait Red avec son père, et Dean l'accaparerait plus que de raison ! Dean et Red dormiraient dans la même chambre. Dean et Red prendraient leur douche ensemble. Dean et Red se feraient des sorties en amoureux, des dîners aux chandelles, des petits-déjeuners au lit, sans parler des papouilles et des œillades coquines lorsqu'ils se croiraient à l'abri de regards indiscrets. L'un attendrait l'autre sur son lieu de travail. L'autre cuisinerait pour sa moitié. Ils s'adonneraient à des massages, se chuchoteraient des mots guimauves, se tiendraient amoureusement par la main, s'embrasseraient, effectueraient leurs courses ensembles, se payeraient des cinés, une sortie à la piscine, à la patinoire, au...
« Ne serais-tu pas en train de projeter ta vie « rêvée » avec Rey, sur le couple de ton père, à tout hasard ? »
Argh, son père sortait avec Red Kellin ! Et la presse se trouvait à deux doigts de la vérité... Un cauchemar l'attendrait à la fac ! Dean l'arracha à ses pensées obtuses.
— À moins de te balader nu ou en peignoir, tu n'as pas d'autre choix que les porter.
— J'ai les miens, opposa-t-il pour le principe.
— Tu as dormi et transpiré dedans. Es-tu certain de vouloir recevoir Rey avec ?
Pour toute réponse, Rudy lui servit une moue lippue. Pourquoi Dean employait-il la parade « Rey » lorsqu'il essayait de le faire chier ? Méfiance. Dépliant les vêtements, il grommela en réalisant qu'il aimait le choix de Red. Cet homme avait toujours bon goût. La chemise-polo à boutons-rivets se mariait bien avec le pantalon, un mix-match de jean et cuir façon tenue d'équitation revisitée.
Le message imprimé à l'arrière du boxer – « hotter than you » –, lui arracha un sourire. Il l'exhiba une fois qu'il l'eut vêtu. Se voyant présenter allègrement un postérieur moulé dans du coton, son père remua la tête. Une fois de plus, Red s'était montré attentionné à son égard. De quoi nourrir sa culpabilité. Mais on ne l'aurait pas par les sentiments !
*o*o*
TBC ● EPISODE 09
*MEDIA*
Intro vidéo : Play Dirty - Kevin McAllister ft. Sebell. Parce que Rudy compte la jouer sale avec Red et Dean...
Do you wanna put up a fight?
Or do you wanna get out alive?
Everybody is picking a side
And this can only end one way
Would you get the Devil this dance?
Would you be a part of his plans?
Now you got some blood on your hands
Well this can only end one way
If you wanna goThis is how it goesIf you wanna rollHeads are gonna rollIf you wanna playWe can play all day
But we play, play dirty,play dirty!
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