S06 - EP 08 ✤ part II
Partie 2/3
— À quoi penses-tu, p'pa ? murmura Rudy.
Il eut un mauvais pressentiment. Et il pouvait.
— À comment te dissuader de prendre la relève de Vince.
— C'est mon choix ! se hérissa le fils.
Le père haussa le ton :
— Non, on te l'a imposé. Tu as décidé que ce serait une douce vengeance de diriger ce pour quoi on a failli t'éliminer. Tu veux leur prouver que tu y arriveras. Admettons que tu y parviennes. Et après quoi ? Toute ta vie n'aura été qu'une quête vengeresse, alors qu'en réalité tu servais les intérêts de l'Empire ! Ta réussite ne sera pas tienne, Rudy, mais leur. Ce sera celle de ceux qui croient mordicus qu'un Leblanc a le sang bleu. Tu auras vendu ton âme à leur idéologie pour devenir ce C.E.O. impitoyable qui tient l'Empire dans sa main droite et l'État dans la gauche. Tu feras la fierté de ton grand-père, renifla-t-il, ironique. C'est ce que tu cherches, fiston ? La reconnaissance de Vince ?
Rudy ne sut quoi répondre. De toute façon, son père ne lui en laissa pas le temps.
— Il te sortira une phrase toute faite et horripilante : « je n'en attendais pas moins de mon petit-fils » ou « bon sang ne sait mentir ». Point. Entracte, fin de la première partie. La seconde débutera quand tu seras « prié » de prendre épouse et de perpétrer la lignée Leblanc. De faire perdurer le sang bleu.
Rudy le dévisagea, effaré.
— Hé, à quoi t'attendais-tu ? Si tu refuses, on te fera comprendre que dans l'usine à confection des Leblanc, les pièces sont interchangeables. Ne crois pas qu'être C.E.O te placera sur un piédestal. Pour avoir de l'ascendant sur eux, il te faudra faire plus que mettre un président à la tête d'un État, deux mandats de suite, diriger le MIP-Club, et barbotter dans le secret-défense. Il te faudra faire plus que Vince et Daniel-Ritchie réunis. Et même si tu y arrives, ils t'en exigeront davantage. Crois-tu être le seul à pouvoir revendiquer sa légitimité dans la course à la succession ?
Dean se maudit de se montrer aussi dur, mais il n'avait plus le choix. Surprotéger son fils ne lui avait causé que du tort. L'heure était à la franchise.
— Le nom de ton remplaçant... que dis-je, les noms de tes remplaçants sont déjà désignés ! Ils l'ont toujours été.
Rudy tressaillit. Dean enfonça le clou.
— C'est une bataille d'écuries et c'est aux meilleurs poulains de gagner. C'est tout ce que tu es, fiston : un poulain de l'écurie Vince. Pose-toi la question. Et si ç'avait été le but ultime de cet enlèvement ? Te pousser, par pure esprit de révolte, à diriger White Enterprise© ? Tu te souviens ? Il n'y a pas si longtemps, tu soutenais l'inverse.
Rudy cligna des yeux. La véhémence et la virulence de la diatribe de son père lui avaient coupé le sifflet. Dean y avait versé tout son ressentiment. Or il avait une autre version des faits. Malgré la peur de l'inconnu, il avait décidé de ne plus reculer. Il ne fuirait pas. Ne serait-ce que pour protéger Rey. S'il se rétractait maintenant, Vince exercerait une pression sur Coop Company© pour le faire réagir. Moi aussi j'ai un trésor à protéger.
— Pourquoi as-tu si peur de cet Empire ? demanda-t-il avec calme.
— Alors tu es bien sot, ou extrêmement naïf, si ce n'est pas de la peur qu'il t'inspire, soupira Dean, lugubre.
— Je mentirai en affirmant le contraire. Mais tu m'as dit de surmonter ma peur, sinon elle se change en prison.
— Ce n'était pas...
Dans ce sens-là qu'il avait voulu le dire. Dean ne put la finir. Depuis quand ce gamin avait-il appris à retourner ses propres phrases contre lui ? Rudy lui tendait un piège.
— Ça reste tes mots, Père, fit-il, narquois.
— Tu es vraiment le petit-fils de ton grand-père ! maugréa Dean, partagé entre exaspération et colère.
— Je ne sais pas si je dois le prendre ou non pour un compliment...
— On est partis pour camper sur nos positions, n'est-ce pas ? grommela Dean, soudain harassé.
Ses mots ricochaient sur Rudy. Dès le départ, son fils s'était conditionné à ne pas se laisser dissuader. Il devait aussi tenir compte de sa perturbation émotionnelle, en plus des cochonneries psychoactives dans son sang. La bataille s'annonçait bel et bien ardue. Dean n'aurait jamais imaginé un tel scénario. Son « adversaire » avait changé Rudy en bouclier. Désormais, à chaque fois qu'il frapperait l'Empire, il verrait son propre fils, avec toute la candeur de ses convictions, sur la trajectoire de sa lame. Rudy avait décidé de faire l'exact contraire de ses actions passées. Là où il avait fui, Rudy foncerait. Là où il avait reculé, Rudy avancerait. Et son rejeton enchaînerait des incartades par manque de prudence, en se ruant tête baissée dans la mêlée, parce qu'il considérait désormais la retraite comme une solution de facilité, une décision dictée par la lâcheté.
Aussi déchirante soit cette situation, le moment était mal choisi pour en débattre, avec leurs émotions à fleur de peau. Ils avaient les nerfs encore à vif. À cette allure, la discussion se solderait par une belle dispute. Mais changer de sujet serait considéré comme une dérobade – une énième dérobade – de sa part. De quoi conforter son fils dans ses positions. Sans quitter les flots, Dean ramena la discussion dans un autre courant.
— Soulage-moi d'un doute, fiston. Tu as écarté l'IANS des coupables directs. Qui figure sur la liste ?
— Ça relève de l'évidence, soupira Rudy. Tout converge vers le saint Empire Leblanc. Parce qu'il fourre son nez partout. Et probablement à cause de l'accord tacite entre Grand-père et le chef de la Sécurité Nationale.
— Edwards Meister... De quel accord s'agit-il ?
Mettre son ego sur OFF lui permettrait de grappiller plus d'informations. La seule façon de savoir ce qu'avait dit Vince à Rudy était d'avouer son ignorance. Dean aviserait en fonction des révélations. De toute évidence, l'initiation au secret-défense de son fils s'amorçait. Connaissant la politique de la famille, il savait la vérité constamment biaisée par les intentions de ceux qui la disaient. Elle avait toujours un prix. Une contrepartie. Quelle avait été celle de Rudy ?
— C'est un accord qui explique comment tu as pu faire certaines choses jusqu'ici, sans te soucier des réelles conséquences, rétorqua celui-ci. Ou si tu veux : pourquoi tu peux faire des bêtises sans rien craindre.
Dean se renfrogna. Rudy haussa les épaules.
— C'est ce que ton père m'a dit. Dis, p'pa... (Il marqua une pause. Son père lui laissa le temps d'ordonner ses pensées.) Avec toutes ces magouilles, les infos classifiées et tout, tu pourras continuer à vivre normalement s'il lui arrivait malheur à cause de notre patronyme ?
Dean ne sut quoi répondre, transpercé par les yeux brillants de son fils. Rudy n'avait pas eu besoin de préciser à qui il faisait allusion. Il se mordit l'intérieur des joues, pour contenir une bouffée de panique. Si son amant était à nouveau blessé à cause de son nom, il serait forcé de le laisser partir... Cette réalité cruelle s'employa à lui tordre les boyaux. S'il aimait Red, il devrait le libérer pour sa sécurité. Voilà ce qu'essayait de lui dire son rejeton. Si Red se retrouvait à nouveau embarqué dans une histoire sordide de l'Empire, ils l'éloigneraient d'eux. Pas cette fois, se borna-t-il à penser. Rudy dut le lire dans son regard.
— Il y aura certainement d'autres Chayton, papa.
— On l'en protégera, rétorqua Dean, la gorge nouée.
— Comment ? En te dérobant comme tu l'as toujours fait ?
Dean encaissa avec labeur. Ce fut d'autant plus dur car Rudy l'avait dit sans reproche. Il posait un constat.
— Tu ne l'as peut-être pas remarqué, mais on est arrivés à un stade où fuir n'est plus une option. Et de toute façon, ça n'a jamais été la solution.
Dean l'avait compris et se sentait assez affligé. Son fils n'avait pas besoin de le lui dire.
— Moi je ne fuirai pas, continua ce dernier, sans surprise. Mais je comprendrai que tu choisisses de le faire, si c'est pour le protéger.
— Alors cela voudrait dire que je t'abandonnerais, fils. C'est inconcevable. On s'assurera qu'aucun autre Chayton ne voie le jour, dit-il, résolu. J'ai arrêté de fuir. Il m'aura fallu du temps, je le reconnais. Mais ne me demande pas de le laisser partir. Ne me le demande plus, s'il te plaît. S'il s'en allait... (sa voix frémit), le moi actuel, qui se remet à peine de ta disparition, n'y survivrait pas.
Rudy tressaillit. Il y avait trop de sincérité dans cette voix pour qu'il en néglige les inflexions. S'était-il montré trop égoïste dans ses exigences ? Avait-il volontairement occulté les blessures de son père ? Qu'est-ce que cela disait de lui ?
— Depuis... depuis quand tu as commencé à l'aimer à ce point ? s'entendit-il demander.
Dean expira et se passa une main mal assurée dans les cheveux.
— Si je pouvais te répondre, je le ferais.
Le voyant embarrassé, Rudy se sentit timide. Mais sa curiosité l'emporta.
— Tu le lui as dit ?
Dean détourna le regard. Son attitude fuyante renfrogna son fils. N'était-ce pas question de ne plus fuir ?
— Pas encore. Je ne peux pas... Pas maintenant, ajouta-t-il rapidement.
Cette fois, Rudy tomba des nues. Son grondement réprobateur surprit Dean.
— Tu vas me sortir une raison débile, c'est ça ? Si encore tu me disais que c'est purement physique. Que c'est simplement sexuel ! (Dean lui servit une expression indescriptible.) Qu'est-ce que tu crois, p'pa ? railla-t-il. Après ce que j'ai vu, je pense avoir passé le stade du choc. Mais je crois que je t'en voudrais encore plus, si tu me sors cette raison-là. Pas après ce qu'a vécu Andy. Toutes les échappatoires qu'on se trouve pour éviter de dire « je t'aime » à la personne qu'on aime ne sont que des conneries !
Il parlait par expérience. Sa relation avec Rey ne se serait pas tant dégradée s'il avait enrobé ses sentiments de ces mots. Lorsqu'il l'avait fait, il avait trouvé stupide et risible d'avoir autant tardé. Qu'est-ce qui gênait Dean ? Il croyait son père plutôt cash !
« Réalises-tu que tu souffles le chaud et le froid, Rudy ? »
Il ignora sa petite voix. Il comptait bien leur pourrir la vie. Cependant, après les propos poignants et la détermination de son père à garder Red, il ne leur souhaiterait pas une relation bancale. Cela ne collait pas à son tempérament. Le problème n'était pas censé se situer entre Red et Dean, mais entre lui et ces derniers. En attendant, quelqu'un devait se faire tirer les oreilles.
— Pourquoi tu le lui dis pas ?
Son père commettait un sacrilège en taisant ces mots. Des mots destinés à Red Kellin, en plus ! Non mais c'était quoi ce manquement de la part de son géniteur ? Pour le coup, ça valait un zéro pointé. Dean eut soudain du mal à soutenir le regard accusateur. Il avait ses raisons, même si Rudy les qualifiait de « conneries ».
— Toutes les personnes qui le lui ont dit se sont employées à le tuer à petit feu, révéla-t-il, affecté. Ces mêmes personnes qui lui ont dit « je t'aime » l'ont saigné à vif. Un l'a littéralement marqué au fer rouge comme du bétail.
Rudy écarquilla des yeux, horrifié. Dean s'en voulut de divulguer un tel secret. Ce n'était pas à lui de révéler ce pan-là de l'histoire de son amant. Mais il ne voyait pas comment s'expliquer autrement.
— Les personnes qui lui ont dit « je t'aime » l'ont chosifié. Leur « je t'aime » n'a entraîné que de la souffrance. Je ne sais plus si Andy y croit désormais. Et surtout, je ne peux pas me comporter comme eux, constamment le blesser, et me ramener derrière avec un « je t'aime ». Je ne vaudrai pas mieux.
Confessiondouloureuse. Rudy dévisagea son père avec désarroi.
*o*o*
TBC ● EPISODE 08 - part 03
*MEDIA*
Intro vidéo : Welcome to the Fire - Willyecho. Choisi en bande son pour la badasserie de ses lyrics. Parce que Rudy tient le briquet. Et il est possible qu'il ait aussi allumé le feu de son père.
I'm focused
I've been watching for the omens
I've been listening to everything you've said
Its been running through my head
Locked and loadedI've got the feeling that you've noticed
Yeah I've only just begun
I won't stop until its done
'Til you're broken
So welcome to the fire
I'm the one who lit the night up
See them running through the flames
As we're walking through the flames
Getting higher
So welcome to the fire
Welcome to the fire
See them running through the flames
As we're walking through the flames
Getting higher
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