S06 - EP 03 ✤ part I
Partie 1/4
Regan avait filé. Apparemment, sa présence à la fac relevait de ses obligations. La justification avait suscité la perplexité de Rudy ; perplexité renforcée par le départ précipité d'Ilona, suivie d'un Yakim exaspéré.
— Est-ce qu'elle se souvient qu'elle est enceinte ?
Cette remarque n'aurait pas dû parvenir aux occupants de la chambre, mais Yakim avait passé le stade de la discrétion. La présence de Vince, incompatible avec celle de Sonia dans une même pièce, l'avait poussée à sauter sur la première raison de quitter Rudy.
— Je dois prendre possession de ma chambre d'hôtel. Mon retard sera considéré comme un désistement et profitera à un autre client.
Rudy lui arracha la promesse d'envoyer Timothy, en s'évertuant à ne pas penser aux partiels. Les chamboulements dans sa vie d'étudiant (son subit passage en Spéciale E., son chagrin d'amour, sa semaine de grippe datant d'un autre siècle, son séjour à Milan, ses vacances à Nior) le destinaient à foirer son année dès le premier semestre. Il ne disposait pas des aptitudes cognitives de son génie de mec pour rattraper son retard. Ses amis n'avaient probablement pas ce problème, habitués à ce rythme soutenu depuis le lycée.
On l'avait donc laissé seul en compagnie de son grand-père. L'heure des comptes avait sonné. Se rencognant dans ses oreillers, Rudy tira son drap sur ses jambes et tripota la jaquette du manga apporté par son cousin. Ce cadeau sentait la même culpabilité que les promesses conciliantes de sa mère. Lassé de son masque de contrariété, il joua enfin franc jeu.
— Tu sais pourquoi j'ai été enlevé, Grand-père ?
Installé dans le seul fauteuil de la pièce, Vince se résignait à endosser la peau de l'accusé réduit à plaider coupable. Il ne lui serait présenté aucun autre choix au tribunal de Rudy. Sa question n'avait rien d'une interrogation. Le petit-fils n'attendait même pas une confirmation anecdotique. Vince rebattit les cartes.
— Penses-tu que j'aie réponse à cette question ?
— À toi de me le dire, fit Rudy d'une voix dénuée d'émotion.
Soit, le petit relevait le gant.
— Répondre à une question par une autre doit être génétique chez nous, remarqua Rudy, désabusé. J'ai besoin de savoir pourquoi. Pourquoi ai-je été embarqué dans cette histoire vieille de plusieurs années ?
— Tu parles du projet Swordfish, s'étonna Vince.
Il s'attendait à se justifier ou à présenter des excuses. Pas à cette entrée en matière. Rudy ne l'avait pas appris de Dean, ce dernier ignorait tout. Du moins, jusqu'à preuve du contraire. Autrement dit, la source du garçon s'appelait Chayton Pratchett.
— J'ai quitté la case du naïf ou de l'innocent à éloigner des réalités, le prévint Rudy. Dean est à Darney, en train de régler son compte à Lucas, n'est-ce pas ?
— Possible...
— Vince ! s'impatienta Rudy.
Vince sourcilla. Les sautes d'humeur du gamin le déstabilisaient un peu. Après avoir trituré la BD aux couleurs criardes, le jeune homme braquait sur lui un regard aussi fixe que le faisceau laser du viseur d'un sniper.
— J'ai mal au crâne. Épargne-moi l'exercice rébarbatif de la répétition. Je veux la vérité. Sans fioriture, sans « possible », sans « peut-être », sans « probable » ! (Sa colère grimpant avec son énumération, Rudy tenta de se calmer en contrôlant sa respiration.) T'as téléphoné devant moi. On aurait dit la police à l'autre bout. Pourquoi l'as-tu fait après avoir découvert l'identité de Lucas Levy ? Arrêtez de me prendre pour un imbécile, tous autant que vous êtes ! Vous aggravez vos cas, marmonna-t-il sans desserrer les dents.
— Dûment noté, concéda Vince. As-tu les épaules solides pour porter ce que tu réclames ?
— N'étaient-ce pas sur ces épaules, dont tu doutes de la solidité aujourd'hui, que tu comptais reposer l'Empire Leblanc ? contra Rudy. Tes projets de me mettre à la tête de White Enterprise© auraient avorté à cause de mon enlèvement ?
Vince en jubila presque. Le petit commençait à mordre. Fort. Cet enlèvement pouvait se révéler l'épreuve du feu dont Rudy avait eu besoin pour s'aguerrir. Et si cela avait été le but ultime ? Pousser Rudy à assumer sa charge d'héritier ? Mais il subsistait trop de paramètres aléatoires, sans compter la vie de son petit-fils et son fils mise en joue. Vince ne pardonnerait pas. Deux générations de sa descendance avaient failli y rester. Dans tous les cas, Rudy développait ses premières dents de lait et canalisait la douleur à sa façon. Lui donner quelque chose à mâcher le soulagerait.
— Que veux-tu savoir, fiston ?
— Elan Pratchett, comment est-il mort ? La famille a-t-elle un lien avec sa présence au Darfour ? Biaiser ta réponse m'obligera à accorder du crédit à la version de Chayton, le prévint Rudy.
Une telle versatilité nuisait à une vocation de leader, songea Vince. Le garçon était aussi velléitaire que son père ! De toutes les questions, Rudy devait choisir la plus dure... mais aussi celle dont la réponse expliquerait tout. Ou presque. Vince sourit en son for intérieur. Tu deviens de la bonne pâte. Mais réussirons-nous à t'enfourner après cette mascarade ? Rien n'était moins certain.
— Chayton..., commença-t-il à voix basse. Chayton aussi est une victime collatérale. À la différence qu'il a mal tourné, soupira-t-il.
Rudy l'étudia. Vince semblait plus las qu'en colère. Fait étrange, connaissant le côté sanguin des hommes de sa famille. Lucas Levy avait inspiré une ire authentique à Vince. Mais Chayton suscitait un sentiment mitigé. Était-ce vrai, finalement ? Cet homme avait-il reçu la bénédiction des Leblanc pour le kidnapper ? Quels Leblanc ? Tant de questions, si peu de réponses...
— Elan n'a jamais été soldat. Enfin, si, se ravisa Vince face à son incrédulité. Il a été affecté à une base militaire, il a reçu une formation de soldat. Il est bien allé au Darfour, sous-couvert d'une mission de protection du projet Swordfish...
— Vous y êtes vraiment pour quelque chose, alors, murmura-t-il, abattu.
Jusqu'à la toute fin, Rudy avait souhaité que Chayton se trompe. Il fuyait simplement la réalité en cherchant des circonstances atténuantes à sa famille.
— Tu n'écoutes que ce que tu veux entendre ! le tança Vince, acerbe. Dans ton cas, la vérité ne se demande pas aussi bêtement, sur le principe de ne pas mentir. Si tu la veux, tu dois savoir la comprendre quand on te la dit. Tu ne m'as pas écouté.
Réprimandé, Rudy se renfrogna. Sa moue boudeuse arracha un soupir à Vince.
— Cesse avec cette manie de bouder face à la moindre contrariété. Ça décrédibilise ta maturité. C'est difficile de te prendre au sérieux quand tu es mignon, Rudy.
Rudy s'empourpra. Farouche, il toisa son grand-père.
— Tu me cherches, là ? Parce que tu vas me trouver.
Vince faillit lever les bras au ciel. Il devait revoir sa méthode. Brusquer Dean avait donné l'effet inverse de ce qu'il attendait. Rudy, pourtant plus docile, partageait trop de points communs avec son père. Que n'étaient-ils comme Dan ! À son grand dam, Vince possédait une explication logique.
— Qu'ai-je dis à l'instant au sujet d'Elan ? reprit-il avec patience.
— Qu'il était au Darfour, sous-couvert d'une mission de protection, répondit Rudy de mauvaise grâce.
Il n'appréciait pas la tournure de la conversation. Elle le mettait dans la peau d'un pupille évalué par un précepteur austère. Les questions lui revenaient, fichtre ! Était-ce trop dur de lui répondre sans détour ?!
— Mais son entraînement n'était pas terminé, dit-il, accusateur. Et vous avez quand même...
— Sous-couvert, Rudy. C'était l'expression à retenir. Sous-couvert, appuya Vince. Pour ce qu'il avait à y faire, il était suffisamment formé. Du moins, selon son patron à l'époque. Tu dois trier les bonnes informations des propos de tes interlocuteurs. Dans notre monde, on ne te dira pas la vérité de manière ouverte. Parce que tout a un prix. Surtout la vérité. Le reste du temps, elle ne t'apparait qu'à demi-mots ou sous une couche de mensonges par omission. Dean présentait les mêmes lacunes, lui pourtant perspicace ! Bon sang, comment peux-tu autant ressembler à ton père ?! déplora-t-il.
— Peut-être parce que j'en suis le fils ? ironisa Rudy.
Son grand-père marquait un point sur les mensonges par omission et les demi-mots mais se fourvoyait dans l'analyse de Dean. Son père était un parfait représentant de ce monde-là. Il ne présentait aucune foutues lacunes ! Rudy se serait épargné le rôle du dindon de la farce dans bien des situations, s'il avait lu entre les lignes ou saisi les sous-entendus. La pire de toutes : Charlize, la supposée maîtresse de Dean. Montée de toute pièce, avec l'aide du contremaître Red, et du matériau de construction de leur fournisseur officiel : sa naïveté décevante.
Cette femme censée entretenir une liaison sérieuse avec son père, au point de passer des nuits à la maison, était sacrément méticuleuse pour ne laisser aucune trace. Excepté les vestiges des affaires de sa mère, rien ne trahissait une présence féminine à la maison. En revanche, l'empreinte de Red colonisait leur demeure. À l'instar d'un peignoir en laine alpaga, et d'un autre au satiné raffiné, dont la couleur écarlate jurait avec les tons du linge de douche. Lui préférait le bleu, Dean avait un faible pour le blanc et le noir.
Rudy avait vu des peignoirs du même satin et de la même marque dans le dressing de Red. Au lieu de quoi, il avait haussé les épaules. Il avait vu un sextoy canard rouge... Urgh ! Rouge... Et les conversations avaient regorgé d'allusions et de lapsus.
— Je croyais que vous vous disiez tout. À moins que t'aies peur que je balance du dossier sur ce que tu me fais en son absence..., avait dit Red.
Et lui de demander, avec sa naïveté de gosse :
— Il te fait quoi ?
— Tu ne veux pas savoir, Rudy, s'étaient écriés les deux menteurs patentés. (Cf. S04-Ep10-part.VI)
Mais ils avaient eu raison. Il ne voulait pas savoir. Le tableau d'un Dean sensuel étreignant un Red sexuel brûlait sa rétine. Les psychotropes dans son sang ne l'aidaient même pas à flouter l'image. Omissions, non-dits, demi-mots... N'en déplaise à Vince, Dean maniait ce langage en virtuose.
— ...Supposons que du jour au lendemain je sorte avec Andy, tu n'auras pas ton mot à dire ! (Cf. S04-Ep07-part.VII)
Red avait toussé à ce moment-là, tel un asthmatique au bord de la tombe. Dean avait été trop lâche pour lui en parler sans détour, comme à un adulte. Peut-être parce qu'il ne renvoyait pas l'image d'un adulte à qui son père confierait un secret d'une telle importance. Non, Rudy refusait d'assumer une part de responsabilité dans cette situation. Ce n'était pas sa faute si les choses avaient pris une tournure dégueulasse !
« En es-tu si sûr ? »
— ...Je te la montrerai à une condition.
— Laquelle ?
— Que tu t'ouvres à l'éventualité de me voir en couple avec Andy.
— C'est encore une blague, c'est ça ?
Ils discutaient de la jaquette de l'album LIFE IN RED MOTION. Dean le faisait chanter. Lui l'avait pris au second degré quand son père parlait sérieusement. Donc quoi, devait-il incriminer son aveuglement de taupe ? Non ! On avait piétiné sa confiance, putain ! Il ne perdrait pas de vue cette réalité ; réalité dans laquelle son grand-père contredisait sa réponse.
— Si ceci expliquait cela, il n'y aurait pas tant de divergences entre Dean et moi. Tu m'excuseras d'invalider ta théorie, fiston.
*o*o*
TBC ● EPISODE 03 – part 2
*MEDIA*
Intro vidéo : Days Of Jupiter - Broken Halo. Parce que je trouve que les lyrics décriraient bien la relation de Rudy avec sa famille, et spécialement son grand-père.
Just turn around and walk away from me
'Cause you can't find the answer here
There's nothing left for us to say
Than empty words with no regrets
But time and time I'm falling back to you
Slowly dancing through your hell
There's nothing left for me to fake
I'm just a ghost inside of your embrace
[Pre-Chorus]
Now I'm slowly reaching
I'm slowly reaching
[Chorus]
I'm hollow, I leave you here
With a broken halo
In sorrow you will find your way
With a broken halo
[Verse 2]
Now you're praying for your sanity
But it won't take away your sins
When all lies buried underneath your skin
You're just a shadow of a memory
[Pre-Chorus]
And now I'm slowly reaching
I'm slowly reaching
[Chorus]
I'm hollow, I leave you here
With a broken halo
In sorrow you will find your way
With a broken halo
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