S06 - EP 01 ✤ part I
Partie 1/3
Les yeux bleus allaient aux cieux, les yeux gris au paradis, les yeux verts en enfer et les yeux noirs au purgatoire. Connerie ! Les yeux turquoise de Dean venaient d'envoyer un homme à la mort, pour les beaux yeux émeraude de son ange. Quid des yeux d'ambre ? Ils lui réservaient un réquisitoire de tous les diables. Red explosa :
— MAIS QU'EST-CE QU'IL T'A PRIS, NOM DE DIEU !?
L'agression tympanique arracha une grimace à Dean. Il n'échapperait pas à la pluie de remontrances. La déco de la salle de colloques du bâtiment Saphir ne lui apporta aucune distraction. Pourtant, le mobilier signé Fheller's© récolterait sa gratitude s'il entamait la conversation. Difficile de s'en tenir à sa ligne de conduite je-m'en-foutiste face à son point faible. Ç'avait été vicieux d'amener le challenger Red Kellin dans l'arène.
Le gladiateur IANS n'avait pas encore affronté Dean. En revanche, il se montrait d'une efficacité redoutable là où commençaient les limites du combattant Vince. La police de Balmer, débarquée sur les lieux, avait été mise sur le banc de touche par une unité spéciale s'étant arrogée le commandement. Sans doute à cause de la fraîcheur de l'opération du CIS, la veille, la BCPD avait consenti à ne pas faire sa tête de mule.
Radio et télé seraient gérées par l'Empire et son comité de censure, comme à l'accoutumé. Malheureusement, un adversaire s'avérait coriace : les réseaux sociaux. Pour éviter qu'ils n'alimentent la presse, l'IANS avait sorti le grand jeu.
La chute de Lucas Levy avait été filmée. Curiosité malsaine et morbide de ceux qui n'avaient pas détourné ou fermé les yeux. On avait hurlé, retenu sa respiration, mais la gravité n'avait pas eu raison de Lucas. Il pouvait remercier dame Nature, car les rhododendrons avaient probablement amorti l'impact au sol. Les portables continuaient d'immortaliser la scène quand le responsable de cet acte terrible avait contemplé son œuvre du sommet de sa tour, sans émotion. Les cinéastes du dimanche avaient poursuivi leur tournage tandis que des âmes charitables se précipitaient vers le malheureux, relevaient son pouls, puis annonçaient, à peine soulagées, qu'il vivait encore. Les secours pouvaient agir.
La cavalerie avait débarqué. Tandis que les urgentistes se penchaient sur Lucas, le commando confinait tous les témoins dans un amphithéâtre, pour relever les dépositions. Les partiels de cette journée-là avaient été annulés. Possible que la session du premier semestre soit reportée, s'il fallait considérer le traumatisme des spectateurs.
Puis l'indignation avait enflé quand la prise de déposition s'avérât une fausse raison. L'objectif du commando spécial : s'assurer qu'aucune vidéo de fuite sur la toile cybernétique. Autrement, Dean Leblanc, dans sa grande mansuétude de je-m'en-foutiste, divulguerait l'identité de leur collègue, Lukas Sulivann.
Mais Dean n'était pas tiré d'affaire. Voir sa mère, son frère et son amant débarquer sur le lieu de son méfait n'entrait pas dans ses pronostics. Son appel à Red avait été une erreur de calcul...
*o*o*
Une heure plus tôt...
— Oui, mon cœur !
L'exclamation chaleureuse de Red, depuis l'extérieur de la chambre, parvint à ses occupants. Rudy tourna vivement la tête vers la porte, à l'énoncé du prénom de son père.
— Dean... que se passe-t-il ?
L'inquiétude de Red se réverbéra contre les murs du couloir. La voix de son amant lui semblait étrange. Douloureuse... Il voulut écarter ce sentiment irrationnel, mais l'absence de Dean à son retour du centre commercial avait déjà sensibilisé ses alarmes. Ilona et Yakim avaient été incapables de lui dire sa localisation. Red n'avait pas osé questionner les autres pour ne pas troubler Rudy, en pleine discussion avec sa famille. Et puis, demander à l'ex de son mec où se trouvait ce dernier ne respectait pas le théorème de la jalousie. Lorsque la requête vint, grave et pourtant dénuée de vie – « veille sur Rudy » –, les warning de Red clignotèrent avec force.
— Où es-tu ? le pressa-t-il. Dean... DEAN !
Qu'est-ce que ça voulait dire ? Il n'aimait pas cette voix. Il n'aimait pas son mauvais pressentiment. Il n'aimait pas ne pas savoir où se trouvait son homme. Il n'aimait pas que Dean lui raccroche au nez. Son rappel le renvoya directement au répondeur. Il n'aimait pas que Dean ait éteint son téléphone. La panique de Red n'eut pas le temps d'escalader.
— C'était p'pa ? demanda Rudy. Pourquoi il ne revient pas ?
Red le dévisagea, les yeux ronds. Le garçon, troublé, se tenait dans le couloir. Et merde ! Il s'y était pris comme un pied. Il adopta un ton apaisant :
— Retourne t'assoir, Rudy.
— Je ne suis pas en sucre ! s'irrita Rudy.
Red se reprit. Le jeune homme avait raison. Il aurait dû se réjouir de voir Rudy capable de quitter son lit. Sur pied, valide. Il lui servit un sourire d'excuse. À sa décharge, le garçon lui semblait si amaigri qu'il l'avait étiqueté « cassable ». Sans compter sa robe de malade qui donnait du réalisme à cette fragilité. Mais Rudy le regardait enfin et ne lui adressait pas la parole pour l'envoyer paître.
Puis Red réalisa qu'un vacarme avait retenti dans la chambre. En quittant précipitamment sa couche, Rudy avait renversé son plateau repas. Un repas auquel il n'avait pas touché, feignant de picorer dedans malgré les exhortations de sa mère. Red prit cette fois un ton plus assuré.
— Ce n'est rien, mon grand.
— Ne commence pas, le prévint Rudy avec une autorité inhabituelle à son endroit. Je veux savoir ce qui n'est « rien ». Où est mon père ?
Dan intervint.
— Ta grand-mère et moi l'avions laissé en pleine discussion avec ton grand-père. Il est probablement retenu par le médecin, ou une obligation administrative.
Natasha acquiesça. Rudy attendit la version de Vince. Celui-ci réserva son éternelle expression inhospitalière à Red. Le petit-fils s'agaça.
— Ça commence à bien faire, Red. Il se passe quoi ?
Le cœur serré, Red se mordit la lèvre inférieure. Red, et non Andy. Retour à la case départ. Soit. Il recommencerait à zéro. Il choisit la franchise, parce que la duplicité, le mensonge par omission, le silence étaient responsables de cette guerre froide entre eux.
— Il se passe que... ton père m'a demandé de veiller sur toi.
La réponse ne plut guère à Rudy. Et pas qu'à lui.
— Pourquoi vous ? lâcha Regan.
Son ton effronté coloré de dédain en appela au mauvais génie de Red.
— Parce qu'il me fait confiance, de toute évidence.
« Contrairement à vous », laissa-t-il planer. Ce morveux se fourvoyait s'il croyait que son statut d'intouchable W. Ent impressionnait Red. Yakim et Ilona échangèrent un regard circonspect. Ignorant les dagues oculaires de Vince, Red soutint l'ire réprobatrice de Dan puis tenta de déchiffrer la moue de Natasha. Se souciant de la tension ambiante comme d'une peccadille, Sonia déclara :
— En attendant, Rudy, reviens t'assoir.
Malgré lui, Rudy obéit.
— Mais où est p'pa ? souffla-t-il, soudain perdu.
Dan crut revoir le Rudy de sept ans, qui réclamait son père et boudait face à son énième absence. Comme toujours, les choses ne changeaient pas avec Dean.
— Il revient.
— Ça suffit, Oncle Danny, soupira Rudy. J'en ai marre des promesses.
Il ramena ses jambes contre sa poitrine et posa son menton sur ses genoux. Sa prostration le ferma au dialogue. Un brin déstabilisé par le mutisme de son cousin, Regan interrogea son grand-oncle en silence. Ce dernier peina à retenir un soupir d'impuissance. Le petit-neveu s'alarma. Si même Vince se retrouvait démuni... Regan fusilla la rockstar restée à la porte. C'était sa faute ! Une minute auparavant, Rudy semblait normal, en dépit d'un manque d'appétit. Il fallait que ce people à scandale le mette dans cet état ! Ce type semait toujours le chaos.
— Il faut lui changer les idées, chuchota Ilona à Yakim.
Le tableau de Rudy la mettait mal à l'aise. Yakim rétorqua sur le même ton, en proie au même malaise :
— Mais comment ?
Que foutait Dean, bordel ?!
— Hey, fit Regan, je me suis dit que ça t'intéresserait.
Il lui tendit un manga tiré de sa besace.
— Il devrait en équiper les hôpitaux, ça les rendrait moins mornes, marmonna Rudy en feuilletant la BD. Je ne savais pas que tu lisais ce genre de chose.
Regan retrouva presque le sarcasme typique du blondinet. Les épaules de tous s'affaissèrent de soulagement. Hélas, ce fut de courte durée.
— Oh... je l'ai déjà lu en scans. À cause de Tim.
Il posa le manga sur l'étagère au-dessus de la tête de lit, à côté du cadeau offert par Red. Regan et Sonia maudirent mentalement Timothy. Quelle idée aussi de faire lire des scans à Rudy, fichtre ! Loin de ces anathèmes, Natasha ordonna à Regan de quérir de l'aide. Le milkshake au sol rendait la circulation périlleuse. La seule rescapée du plateau repas, une canette fermée de Candy Dry®, ne trouva pas grâce aux yeux de Rudy malgré l'insistance de Dan.
— C'est ton arôme préféré, pourtant.
— Bof.
Retour de l'état morne. Ilona essaya autre chose.
— C'est plus fort que moi, ma curiosité me perdra. Qu'est-ce qu'il y a dans cette boîte ?
Rudy lui opposa une moue peu encourageante. Elle se proposa de l'ouvrir pour lui. Il haussa les épaules.
— Si ça vous chante.
Elle nota qu'il s'y intéressait malgré son apparente indifférence. Lorsqu'elle extirpa un téléphone de la boîte enrubannée, il sourcilla. Ilona le lui tendit et sourit à Red. C'était attentionné de sa part. Mais ce dernier faisait les cent pas dans le couloir, nerveux. Yakim joignit Dean.
— Il ne répond pas, grommela-t-il.
La boîte vocale de son ami l'avait accueilli d'emblée. Dan l'imita, bientôt suivi de Natasha. Elle contint son émotion. La nuit de l'enlèvement de Rudy, à Nior, Dean avait été aux abonnés absents pendant un moment. Maintenant que le garçon avait été retrouvé, le scénario se reproduisait. Son fils n'apprendrait jamais de ses erreurs. Typique des hommes de sa famille.
Face à l'infortune téléphonique de son ex-belle-mère, Sonia tenta sa chance. Peut-être que Dean refusait tout dialogue avec les Leblanc. Mais elle ne se fit pas d'illusion. S'il n'avait pas décroché à l'appel de Yakim, il ne décrocherait pas au sien. Il avait tout simplement éteint son portable.
« Dean Leblanc est indisponible pour le moment. Veuillez lui laisser un message. »
Sonia étudia le chanteur à travers la baie vitrée. La dernière personne contactée par Dean. Dan, Natasha, Yakim et Ilona en vinrent à la même conclusion. Vince s'intéressait plutôt au téléphone que manipulait son petit-fils avec un drôle d'intérêt. Une fois l'appareil mis à la charge et allumé, Rudy était tombé sur le répertoire de la carte SIM supposément vide. Un nom unique y figurait : Rebel-caramel. Submergé par une émotion vive, il se tourna vers le couloir. Vince suivit son regard.
Se sentant soudain observé, Red cessa son manège. Quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver dans le champ visuel de sept paires d'yeux inquisiteurs. Sa nervosité grimpa d'un échelon. Allons, bon, que lui reprochait-on, encore ? Il vécut un moment de solitude. L'absence de son autre moitié lui pesa. Le nœud dans ses entrailles se resserra.
Dans le doute, il haussa les épaules d'impuissance. Lui aussi ignorait où se trouvait Dean. La veille, il avait demandé à cet abruti d'amant de ne plus le tenir à l'écart de sa vie. Encore heureux qu'il n'eût pas exigé une promesse, Dean ne l'aurait pas tenue... Que faire ? Cette famille bizarre, sa belle-famille malgré tout, se gérait comme un taureau. À lui de la jouer toréro. Y aller au culot. Il était Red Kellin, nom d'un dragon ! Il remit pied dans la chambre.
*o*o*
TBC ● EPISODE 01 – part 2
*MEDIA*
Intro vidéo : Stressed Out by Twenty One Pilots. Parce que se sent un peu en insécurité et stressé.
My name's 'Blurryface' and I care what you think
My name's 'Blurryface' and I care what you think
Wish we could turn back time, to the good old days
When our momma sang us to sleep but now we're stressed out (oh)
Wish we could turn back time (oh), to the good old days (oh)
When our momma sang us to sleep but now we're stressed out
We're stressed out
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