Chapitre 8 (2)
Ils traversèrent un nombre incalculable de couloirs, s'arrêtèrent à de nombreux croisements pour éviter les nobles qui déambulaient dans les corridors avant d'enfin arriver dans une salle ronde avec un plafond très bas. Des chaises étaient disposées devant les murs et des tables basses proposaient aux personnes déjà présentes des boissons et des biscuits pour leur permettre de patienter en attendant que vienne leur tour.
Les regards se rivèrent sur eux dès qu'ils posèrent un pied dans la salle. L'atmosphère devint lourde en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Nikka se plaça devant elle dans une attitude protectrice et défia du regard chaque personne présente dans la salle. Au fur et à mesure qu'ils croisaient ses yeux océans, ils fixaient avec insistance le sol.
Que se passe-t-il ?
Curieuse, Margot se mit sur la pointe des pieds pour essayer de regarder par-dessus son épaule. En vain. Elle se baissa légèrement pour tenter de voir ce qu'il se passait dans l'interstice que créaient l'épaule de Nikka et l'encadrement de la porte.
Pourquoi baissent-ils tous le regard ?
- Viens, lui dit-il après un temps qui lui parut interminable. C'est bientôt notre tour.
La jeune femme hocha la tête et lui emboîta le pas alors qu'il s'enfonçait dans la salle ronde. Des miroirs étaient accrochés à intervalles réguliers et Margot eut le loisir d'observer attentivement le reflet de l'Elfe. Ses traits étaient figés et sa mâchoire ressortait plus que d'habitude. Sa main se leva d'elle-même et attrapa la manche de Nikka. Surpris, il s'arrêta. Doucement, il jeta un coup d'œil par dessus son épaule. Un sourire bienveillant étira ses lèvres crispées. Il attrapa sa petite main dans la sienne et la défit de son vêtement.
- Plus tard, articula-t-il sans un son.
Puis il se remit en route d'un pas pressé. Il ne la lâcha pas pour autant. Margot dut courir derrière lui alors qu'il se dirigeait vers la seule autre porte de la salle. L'Elfe s'assit sur une chaise libre et l'invita à en faire de même sur celle qui était juste à côté.
Un silence de plomb étouffait toutes les personnes présentes dans la pièce. La brune ne savait pas trop comment se comporter. Elle était franchement mal à l'aise et, pour tenter d'oublier les regards qui se posaient sur eux à intervalles réguliers, elle fixa le bout de ses chaussures.
Le coq chanta au loin. La personne assise sur la chaise en face d'elle gigota et se mit à regarder la porte avec attention.
Ce doit être le premier à passer.
Margot le dévisagea, intriguée par son comportement. Le Satyre ne tenait plus en place et n'avait qu'une hâte, entrer dans cette salle pour son audience avec Messire Ordy. Que pouvait-il avoir à lui dire pour être dans un tel état ?
Un jeune homme - un Mandragore à en voir sa démarche hésitante et sa figure qui ressemblait à s'y méprendre à l'écorce d'un arbre - entra dans la salle ronde, déambula maladroitement en son centre et s'arrêta devant les portes toute hauteur à côté desquelles patientaient Nikka et Margot.
- Pre-première audience du jour ! déclara-t-il sur un ton solennel. Mon-monsieur Nikka.
L'Elfe bondit sur ses pieds, jeta un regard encourageant à Margot et s'avança vers le Mandragore. Elle le suivit comme un poussin le ferait avec sa mère et imita chacun de ses gestes pour éviter d'être impolie. Il s'inclina devant le Mandragore pour le saluer. Elle en fit de même. Il chuchota quelques mots en Draconique tout en lui jetant un regard en coin. Elle préféra se taire et soutenir le regard que les deux hommes posèrent sur elle. Le jeune homme hocha la tête et leur ouvrit les portes qui se trouvaient derrière lui. Nikka s'inclina une seconde fois. Elle aussi. Puis il s'engouffra entre les battants, confiant. Elle le talonna, hésitante.
- Nikka ! hurla une voix qui les força à s'arrêter net. Pourquoi tu me doubles, sale bâtard ! Fais comme les autres : fais la queue !
Margot sentit l'Elfe trembler de tous ses membres. Était-ce à cause de la peur causée par la rage qui dégoulinait de la voix ou de la haine qu'il ressentait d'être ainsi apostrophé ?
- Monsieur, dit-elle alors en se retournant. Mon ami a pris rendez-vous avec Messire Ordy hier et a réussi à obtenir une audience pour la troisième heure après le chant du coq.
- Tais-toi femme ! Une Mimagi-Konta n'a pas sa place dans cette discussion !
Abasourdie par le ton sur lequel le Satyre s'était adressé à elle, Margot posa la main sur sa poitrine. Jamais quelqu'un ne lui avait parlé avec tant de colère et de haine... et elle ne s'attendait pas à ce que ce soit le cas un jour ! Alors qu'elle s'apprêtait à répliquer, l'atmosphère devint irrespirable et elle n'arriva pas à articuler un mot pour se défendre.
- Pah daar wo hi lost wahlaan kos al na hi dreh rah, souffla une voix tout droit sortie d'outre-tombe dans son dos.
Un frisson glaça l'échine de Margot et elle vit le Satyre blêmir. Son regard était fixé derrière elle. Elle déglutit et se retourna millimètre par millimètre. Quand Nikka entra dans son champ de vision, elle ne le reconnut pas. Ses pupilles s'étaient dilatées au point que ses iris y étaient noyés, ses sourcils étaient tellement froncés qu'ils se touchaient et de profondes rides marquaient son visage. Ses lèvres étaient si crispées qu'elles avaient disparues et son nez étaient plissé comme le museau d'un loup sur le point de passer à l'offensive.
Elle entendit des sabots frapper nerveusement le sol, un bruit de chaise racla le carrelage et une masse sembla s'écrouler.
Nikka se retourna, furieux, et reprit sa marche. Margot était stupéfaite par ce qu'il venait de se passer. L'Elfe n'avait fait que chuchoter ce qui ressemblait à une menace - même si elle ne parlait pas un mot de Draconique, le ton qu'il avait employé et la manière dont sonnait sa phrase ne laissait planer aucun doute -, pourtant tous avaient eu l'impression qu'il avait hurlé, braillé, aboyé.
- Margot, l'appela la voix qu'elle avait l'habitude d'entendre. Il faut y aller.
Après que ce qu'elle venait de voir, la jeune femme ne se fit pas prier et rattrapa au pas de course Nikka qui l'attendait à la moitié du long couloir qui les séparait d'une seconde salle. Un sourire timide était dessiné sur son visage redevenu calme et bienveillant.
- Désolé pour tout à l'heure, soupira-t-il. Mais je n'ai pas supporté qu'il te parle comme ça. Je peux encaisser les insultes, mais je n'apprécie pas qu'on s'en prenne à mes amis ou qu'on leur manque de respect.
- Merci d'avoir pris ma défense, se contenta-t-elle de dire avec un sourire attendri.
Il lui frotta maladroitement l'épaule, puis ils reprirent leur marche vers la salle d'audience. Plus ils avançaient et plus le plafond s'élevait au-dessus de leurs têtes. Lorsqu'ils arrivèrent au bout du corridor, il devait s'élever à plus de six mètres. Une grande porte à double battant en bois ouvragé les séparait de Messire Ordy. Six Valkyries et leurs montures montaient la garde et les scrutèrent avec intensité quand ils s'arrêtèrent devant elles. Les loups vinrent les renifler et hochèrent la tête en regardant leurs guerrières. Les six lances frappèrent le sol en chœur et un mécanisme se déclencha.
Des bruits métalliques résonnèrent à travers les murs de paille et firent vibrer ses tympans au point que c'en devint douloureux. Elle eut envie de poser ses mains sur ses oreilles pour échapper à cette torture, mais y renonça quand elle vit que Nikka ne bougeait pas d'un poil. Elle serra les dent et fixa droit devant elle.
La porte était enfin ouverte en grand et les Valkyries s'écartèrent pour leur céder le passage. Quand Margot passa dans le corridor qu'elles avaient créé en se mettant les unes en face des autres, elle eut l'impression d'être dans L'Histoire sans fin, à la place d'Atreyu lorsqu'il devait passer les épreuves pour se présenter devant l'Oracle.
À peine les portes fut-elles franchies qu'elles se refermèrent dans leur dos. Une sensation de claustrophobie prit Margot aux tripes. Des tentures étaient tendues de chaque côté du tapis rouge qui indiquait le chemin à prendre. En marchant de front avec Nikka, la brune sentait les tissus la frôler. La chaleur qu'elles dégageaient lui donnait des frissons. Ce contact lui donnait l'impression que des milliers de mains la touchaient.
- Pourquoi les tentures sont-elles aussi proches de nous ? chuchota-t-elle.
- Des loups sont cachés derrière, lui répondit Nikka sur le même ton. C'est l'ultime protection avant que nous puissions voir Messire Ordy.
- Des Valkyries sont aussi derrière ?
Il se contenta d'un hochement de tête. Le corridor de tentures se terminait. Ils débouchèrent sur une salle aux proportions vertigineuses et si lumineuse que le soleil semblait y avoir pris ses aises.
- Nikka ! s'exclama une voix grave et enjouée. Te voilà enfin ! Mais qui est donc cette charmante personne que tu as amené avec toi ?
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