Chapitre 7 (1)
Margot cessa de sombrer dans les ténèbres infinies. Elle reprit conscience de son enveloppe charnelle, des sons qui l'entouraient, du matelas qui la soutenait dans son sommeil et du drap qui la recouvrait pour éviter qu'elle ne tombe malade. À travers ses paupières fermées, elle vit la lumière du jour... ou celle d'une lampe. Elle n'arrivait pas à le définir. Elle sentit la présence d'une personne à ses côtés bien que celle-ci était immobile. La jeune femme serra les poings et se rendit compte que l'un d'eux tenait quelque chose.
Après un effort surhumain, Margot ouvrit les yeux et grogna à cause du changement de luminosité. Une fois habituée, elle tourna la tête vers sa main et y découvrit une autre, plus grande et masculine. Elle fronça les sourcils et remonta du regard le bras qui reposait sur son matelas. Un sourire attendri et amusé ourla ses lèvres. Horte dormait à poings fermés et n'avait pas ressenti la pression qu'elle avait exercé sur sa main. Elle tenta de se relever, mais son poignet gauche la fit souffrir et elle laissa échapper un couinement plaintif. La brune le ramena à elle et observa la marque d'invocation qui la liait désormais à Inlokved.
- Margot !
Elle tourna vivement la tête et croisa le regard soulagé de Horte. Il se redressa en croisant ses iris ambré, lui sourit de toutes ses dents et eut l'air absent pendant quelques instants. Ses sourcils broussailleux se froncèrent légèrement, puis son regard s'éclaira à nouveau et se posa sur elle.
- J'ai bien cru te perdre, souffla-t-il en se penchant vers elle pour la prendre dans ses bras.
La jeune femme lui retourna son étreinte, heureuse de sentir la chaleur d'un proche contre son cœur après avoir dérivé seule dans les ténèbres les plus glaciales.
- Que s'est-il passé ? lui demanda-t-elle, l'air perdu quand il s'éloigna pour la regarder.
Mal à l'aise, il se mordit la lèvre et tripota ses doigts. Margot se retint de rire : elle avait l'impression d'avoir en face d'elle un enfant prit en flagrant délit de chapardage de bonbons.
Trop mignon...
- Heu... J'ai pleins de choses à te raconter, Margot.
- Ah ?
- Avant d'entrer dans le vif du sujet, sache que nous ne sommes plus chez les Anges, mais chez moi... dans mon clan.
- Oh ! Mais c'est super ! Est-ce que les autres étudiants ont aussi été libérés des Anges ? Comment ça s'est passé ? Qui nous est venu en aide ?
- Non, que nous deux... Pour le reste de tes questions, j'attends que la doyenne de mon clan arrive. Je l'ai appelée et elle ne devrait plus tarder.
- D'accord...
Une pointe de déception perça la voix de Margot malgré ses efforts pour la dissimuler. Elle aurait espéré que les autres aussi soient sortis d'affaire. Elle eut une pensée pour Nikka. Elle espérait qu'il allait bien.
- Comment tu te sens ? reprit Horte pour changer de sujet. Et ton bras ?
- Eh bien, je me sens très fatiguée et... complète ? Je ne sais pas trop comment expliquer ce que je ressens, en fait.
- Ne t'en fais pas, je pense que je peux comprendre.
- Vraiment ?
Il hocha la tête, un sourire sincère sur le visage. Il était sans doute le mieux placé pour la comprendre : grâce à sa première transformation depuis des années, il s'était rendu compte qu'il n'était plus lui-même s'il ne laissait pas sa part draconique prendre le dessus de temps à autres.
- Oui, mais je t'expliquerai ça plus tard. Et ton bras ?
- Mon bras me fait mal... mais j'en connais désormais la raison. Et je me souviens de mes rêves.
- Tu veux me raconter ?
Margot hocha la tête et se lança dans le récit de ses rêves, de ses discussions avec Laatonikov, puis celles avec le chef des dragons des Ténèbres et la manière dont elle s'était liée avec Inlokved. Elle lui tendit son bras pour lui prouver que ce qu'elle racontait n'était pas le fruit de son imagination. Horte le saisit et examina les inscriptions qui s'étaient rajoutées à la marque d'invocation autrefois incomplète.
INLOKVED
- Comment s'appelle le petit dragon déjà ?
- Inlokved, le maître noir des cieux.
Horte hocha la tête et passa délicatement son pouce sur la marque d'invocation achevée.
- Les dragons des Ténèbres t'ont montré comment l'utiliser ?
Elle secoua la tête de gauche à droite et, alors qu'elle s'apprêtait à répondre, une voix la coupa dans son élan :
- Eh bien, nous nous le ferons. Et je vais immédiatement me charger de te dissimuler aux yeux des autres Sages. Tu n'es pas encore de taille à te confronter à eux en tant que Sage des Ténèbres.
Horte sursauta et bondit sur ses pieds pour faire face à l'Ancêtre. Trop concentré sur Margot, il ne l'avait ni sentie ni entendue arriver. S'il n'y faisait pas attention, il baissait sa garde dès qu'il se trouvait en présence de la jeune femme.
- Ancêtre, dit-il en faisant une légère courbette. Merci d'être venue aussi vite.
- Toi, me faire des courbettes ? Laisse-moi rire ! Depuis quand tu te soucies du protocole ?
Elle arriva à son niveau, prit la chaise sur laquelle il était assis précédemment et grimpa dessus pour se retrouver à la bonne hauteur. Elle se pencha sur le lit et observa l'héritière spirituelle de Laatonikov.
- Je me demande pourquoi elle t'a choisie, déclara-t-elle après ce qui sembla être une éternité. Tu es une Mimagi-Konta.
Margot hocha la tête, loin d'être blessée par la remarque de cette vieille femme aux longs cheveux blancs nattés et enroulés sur le sommet de son crâne.
- D'où viens-tu, mon enfant ?
- De la Terre, madame.
L'Ancêtre se figea, blêmit et la regarda par dessous la frange de ses cils blancs. Cela faisait bien longtemps qu'un humain n'était plus arrivé sur Horswentia. Elle n'était même pas sûre qu'il y en ait eu qui ait survécu pendant autant de temps !
- Comment es-tu arrivée sur Horswentia ?
Margot se lança dans le récit de son accident sur Terre, son réveil dans ce monde inconnu, sa rencontre avec le Vampire, puis Nikka et enfin son séjour à Dist'Chyz.
- Quand je suis arrivée à l'Académie, le directeur a eu une réaction vraiment étrange... Il semblait hors de lui et m'a demandé qui était ma mère.
La doyenne des Dragons se tourna vers Horte et hocha la tête.
- Si Srenta IV l'a prise sous son aile c'est en partie parce qu'elle était amie avec son protégé, mais aussi parce que son instinct de son Sage lui avait soufflé qu'elle était l'héritière de Laatonikov, murmura l'Ancêtre par la pensée.
- Il en va de même pour Junal III, compléta Horte. Quand je l'ai rencontré pour la première fois, il était complètement indifférent. Savez-vous pourquoi ils ont réagi ainsi ?
- Je pense que c'est dû au passé commun entre ces trois Sages : Junal Ie était le plus proche de Laatonikov et Srenta Ie est celui qui l'a exécutée... Une partie du pouvoir de ta mère a dû marquer ces deux Sages à travers les générations et ils y sont donc plus sensibles que n'importe qui sur Horswentia.
- Mais pourquoi je ne l'ai pas senti alors que je suis son fils ?
- Tu ne l'as jamais connue avant de rencontrer Margot et tu n'as pas ce lien qui relie tous les Sages. Même s'ils ne sont pas encore au courant de leur future condition et des pouvoirs qui leur seront transmis, leur instinct les pousse à se rapprocher les uns des autres, à se retrouver, pour que le Socle imaginaire soit enfin complet.
- Vous pensez qu'ils ont compris ?
- Compris qu'elle était l'héritière spirituelle de Laatonikov ? Non, je ne pense pas : au vu de ce qu'on apprend désormais à l'Académie...
- Je vous rappelle que l'Académie est tombée, la coupa Horte.
- Ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle ne soit reprise. Je disais donc que vu ce qui était à l'Académie, s'ils avaient compris qui elle était, Margot aurait été tuée. Ce n'est donc pas plus mal qu'ils ne sachent pas décrypter ce que leur hurle leur instinct.
- Et leur dragons ? Ils ne l'ont pas senti ?
- Sans doute, mais les Dragons-Serpents ont toujours parlé par énigme... et ça m'étonnerait que cela ait changé avec leur fusion avec le Thu'um. Et très peu de personnes savent déchiffrer leurs paroles, même parmi nous, les Dragons.
Margot les observa et comprit qu'une conversation mentale avait lieu. Elle aurait aimé savoir de quoi il était question, mais elle se doutait que cela ne la regardait certainement pas. Après de longues minutes, l'Ancêtre lui fit de nouveau face, un air grave plaqué sur son visage.
- Il n'y a plus de temps à perdre : je dois dissimuler ta présence aux Sages. Ceux qui sont le plus à l'écoute de leur instinct doivent déjà savoir que tu existes et que tu es éveillée, mais comme les Anges accaparent toutes leurs pensées, ils n'ont pas le temps de lancer leurs esprits à ta recherche. Profitons-en !
Elle plaça une main sur le front de Margot et psalmodia, les yeux fermés, avec une concentration inébranlable. Quand elle les rouvrit, la jeune femme croisa son regard et un long frisson parcourut son échine. Les iris noirs de la doyenne avaient viré au blanc. L'usage de la magie faisait-il cela à tout le monde ?
- Ta présence est à présent dissimulée, dit la doyenne, coupant court à ses réflexions. Je laisse à Horte le soin de nous expliquer comment il s'est échappé de la capitale de Kaïtharow.
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