Chapitre 26
Tandis que le soleil brûlait son échine malgré son armure, Daro'Shamada repensait à la soirée qu'elle avait passé en compagnie de Mary. Elle ne put empêcher un sourire béat de découvrir ses crocs tandis qu'elle revoyait le sourire fier de son amie. Mary était tellement heureuse d'en avoir appris plus sur les techniques médicinales khajiitis qu'elle avait tenu à montrer à la femme-lynx tout ce qu'elle savait, même si elle n'était pas blessée. Daro'Shamada avait accepté une fois qu'elles avaient fini de manger, bien que tout cela soit naturel et normal pour elle. En entendant la joie faire battre le cœur de l'infirmière et en voyant le bonheur colorer ses joues, la Khajiit n'avait pu faire autrement que de faire semblant d'être étonnée, émerveillée par ce que son amie lui montrait.
À présent, elles étaient séparées : Mary se trouvait au centre, entourée et protégée par les guerriers Khajiits avec toutes les autres personnes du domaine médical ; quant à Daro'Shamada, elle se trouvait à l'avant, en compagnie des Valkyries, de leurs loups et de Messire Ordy. Grâce à sa vision lointaine, elle était leur éclaireur et partait souvent en solitaire pour vérifier qu'aucun piège n'était tendu. Son instinct, ses excellents réflexes, ses sens sur-développés ainsi que sa discrétion lui permettaient d'entrer en territoire ennemi et d'en ressortir sans même avoir été détectée.
Trois jours passèrent ainsi. La journée, ils avançaient vers Ep'Risiaw et ressemblaient à une rivière tant leurs armures reflétaient la lumière du soleil. La nuit, ils se reposaient, les Khajiits et les Valkyries alternant les tours de garde. Pour l'instant, il n'y avait eu aucun problème ou contre-temps. Tout se déroulait comme sur des roulettes.
C'est beaucoup trop calme, pensa Daro'Shamada.
Elle était partie en éclaireur. Ils approchaient d'Ep'Risiaw et Messire Ordy lui avait demandé de l'informer sur la situation de la ville frontalière avec Kaïtharow. Les portes de la villes se dressèrent devant elle. Le mur d'enceinte était si haut qu'il empêchait les rayons du soleil de caresser la terre à l'intérieur de la ville. De nombreuses ouvertures étaient percées par endroit.
Des meurtrières...
Est-ce que l'idée d'une guerre avait déjà été émise auparavant ? Et si oui, qui étaient les ennemis ? Qui étaient les alliés ?
Elle n'avait pas le temps d'y réfléchir : elle devait faire un topo de la situation au Sage de la Lumière avant que l'armée ne s'approche de la ville. Furtivement, elle escalada le mur d'enceinte, se retrouva sur le chemin de ronde et se planqua dans les ombres. Des bruits de pas martelèrent son ouïe. Un soldat passa devant sa cachette, s'arrêta et observa les alentours avec attention.
— Personne en vue !
Son cri fut répété par les autres sentinelles qui surveillaient l'horizon.
Ennemis ou alliés ?
— On n'a toujours pas eu de nouvelles de Messire Ordy, souffla l'un des soldats. Tu penses qu'il va se joindre à la guerre ?
— Quelle question, siffla celui qui avait crié. Il est le dirigeant de notre pays et le Sage de la Lumière de surcroît. Tu penses vraiment qu'il va rester les bras croisés pendant que les Anges assoient leur domination sur le monde ?
Il n'y eut pas de réponse, mais Daro'Shamada capta un mouvement de tête.
Alliés.
Elle sortit de sa planque et se racla la gorge. Les sentinelles sursautèrent et lui firent face dans un bond, dégainant leurs épées.
— T'es qui, toi !
Elle ne put empêcher un sourire d'ourler ses lèvres. C'était sa question ça, normalement... Une vague de nostalgie s'abattit sur son cœur, mais elle revint rapidement à la réalité quand un bruit de métal tinta à ses oreilles.
— Une alliée de Messire Ordy.
Les soldats abaissèrent légèrement leurs épées, toujours sur leurs gardes.
— J'ai entendu dire que les Khajiits étaient du côté des Anges.
— Seulement les Baandaris... Ils ne le sont plus depuis que l'Académie a été reprise par les Valkyries et les Khajiits.
Pas la peine de tout leur dévoiler non plus...
— Si tu es une alliée de Messire Ordy, comment ça se fait que tu ne sois pas à ses côtés ?
— Je suis une éclaireuse. Je dois d'ailleurs bientôt le rejoindre au risque qu'il pense que je sois morte... et qu'Ep'Risiaw soit tombée aux mains des Anges.
Les deux soldats eurent la chair de poule. Ils se regardèrent, hésitèrent et finirent par chuchoter si bas que la Khajiit crut avoir rêvé.
— On a réussi à repousser une de leurs attaques il y a une semaine... Nous sommes désormais dans la peur de les voir revenir.
— D'où la présence de nombreuses sentinelles sur le chemin de ronde, compléta le second soldat.
Un silence pesant tomba sur les trois personnes. Daro'Shamada réfléchissait, sa queue battant l'air vivement, et les deux soldats se dandinaient d'un pied sur l'autre, leurs regards alternant entre la Khajiit et l'horizon.
— Je vais aller les avertir, finit-elle par déclarer après un long moment. Nous devrions arriver d'ici la tombée de la nuit.
Sur ces mots, elle sauta par-dessus le mur d'enceinte et atterrit souplement sur le sol desséché. Elle fila ventre à terre rejoindre Messire Ordy.
— Elle en met du temps, marmonna Messire Ordy en fixant l'horizon.
— Elle s'est peut-être fait attraper... souffla Kunsumid par la pensée.
— Messire Ordy ? retentit une petite voix dans son dos, le coupant dans sa discussion mentale.
Il se retourna vers Mary qui l'observait en se balançant d'un pied sur l'autre. Il serra les dents, conscient de l'amitié qui s'était créé entre les deux femmes. D'un hochement de tête, il l'invita à parler.
— Avez-vous des nouvelles de Daro'Shamada ?
— Elle ne devrait plus tarder à arriver, se contenta-t-il de dire en lui souriant pour tenter de la rassurer.
Mary acquiesça, les lèvres pincées et l'air inquiet. Ce n'était pas la réponse qu'elle attendait, mais il ne pouvait pas lui mentir. Des cris lui firent tourner la tête. Les Valkyries qui composaient sa garde rapprochée se mirent en garde devant lui et Mary. Les loups grognèrent, prêts à se battre au moindre signe de danger.
— Messire Ordy !
Le Sage de la Lumière se détendit instantanément, passa la barrière de ses guerrières et rejoignit Daro'Shamada. Elle était transpirante, son souffle était haché et elle tremblait de tous ses membres, épuisée par la course qu'elle venait de faire.
— Tout va bien ?
Elle acquiesça et lui fit son rapport. Messire Ordy soupira de soulagement. Même si les Anges avaient mené une attaque sur Ep'Risiaw, la ville avait su se défendre et rester libre. Il était par contre étonné de ne pas avoir eu d'échos par rapport à cet évènement. Il faudrait qu'il en parle au dirigeant de la ville lorsqu'ils seraient arrivés.
— Va te reposer, lui ordonna-t-il après un petit moment. Mary va te montrer ta tente. Nous partirons dans la nuit.
L'infirmière s'avança et Daro'Shamada se releva pour la suivre vers l'endroit où elle pourrait dormir. En y arrivant, elle se jeta sur son lit dans un soupire d'aise.
— Enfin !
— Tu veux que je t'examine ?
— Non, t'inquiète. J'suis juste épuisée.
— On ne sait jamais, marmonna la Mimagi-Konta.
Sur ces mots, elle sortit en trombe de la tente et revint quelques instants plus tard avec tout son attirail.
— Sérieus'ment, Mary, grogna la Khajiit en la voyant déballer toutes ses affaires. On peut pas faire ça plus tard ?
— Non. Plus tard, ça sera trop tard.
— Mais j'veux dormir !
— Tu dormiras après.
Voyant la détermination de la jeune femme, Daro'Shamada céda et se laissa examiner sous toutes les coutures. Elle regardait sans la voir Mary. Elle était si épuisée qu'elle ne pouvait même pas profiter de cet instant avec son amie qu'elle n'avait pas vue depuis pas mal de temps.
Une semaine pratiquement...
Elle était restée sept jours à arpenter les landes d'Atykiaw pour ouvrir la voie à l'armée de Messire Ordy. Elle lui envoyait des messages par pigeon voyageur deux à trois fois par jour , mais ne revenait au campement que lorsque c'était vraiment nécessaire. Et à chaque fois qu'elle arrivait, elle était exténuée et ne pouvait pas profiter de la présence de Mary, qui s'entêtait à l'examiner à chaque fois.
— Tu as des blessures superficielles, finit par dire cette dernière en sortant des compresses et des plantes médicinales pour désinfecter les plaies. Tu as trop poussé ton corps cette fois-ci aussi. Prends plus soin de toi : nous avons besoin de toi dans cette bataille...
Daro'Shamada eut l'impression que son amie voulait ajouter quelque chose, mais seul le silence résonna à ses oreilles pendant que Mary s'occupait de la soigner. Quand elle se releva, la Khajiit s'allongea et soupira d'aise en sentant son dos se remettre en place au contact du matelas. Elle ferma les yeux et sentit le sommeil lui tomber dessus. Elle ne résista pas et, alors qu'elle allait sombrer dans l'inconscience, la petite voix de Mary vint lui chatouiller les oreilles :
— J'ai besoin de toi, Daro'Shamada...
En plein milieu de la nuit, les Valkyries et les Khajiits rangèrent le camp et se remirent en route, Messire Ordy et Daro'Shamada en tête. Ils étaient silencieux, rapides et alertes. Ils craignaient une attaque surprise même s'ils étaient encore sur leur territoire. Après tout, Ep'Risiaw avait bien été attaquée il n'y a pas si longtemps.
Ce ne fut qu'à l'aube qu'ils arrivèrent devant les remparts fortifiés de la ville frontalière. Les sentinelles s'agitèrent à leur approche, le pont-levis s'abaissa et la grande porte fut ouverte. Messire Ordy s'engagea sur l'ouvrage en bois sans aucune hésitation et ses troupes le suivirent en toute confiance.
— Messire Ordy ! retentit la voix âgée d'un homme aux cheveux neige et aux traits tirés. Bienvenue à Ep'Risiaw.
Le Sage de la Lumière se contenta de lui sourire, cachant sa colère sous un masque de joie. Il n'attendait qu'une chose : qu'ils soient seuls pour le faire parler. Il était censé être responsable de la ville, elle était dans un piteux état ! Des déchets jonchaient le sol, des excréments – dont il ne voulait pas connaître l'origine – salissaient les pavés des ruelles, de l'eau croupie coulait dans les joints pour se déverser dans les égouts au bas de la rue et une odeur pestilentielle brûlait les narines de toute personne assez folle pour oser poser un pied dehors.
— Nous allons vous préparer des chambres dans mon château, lui dit le dirigeant en l'invitant à le suivre.
— Ce ne sera pas nécessaire.
Le vieil homme se figea. Il croisa le regard froid de son chef et devint livide. Il avait compris que, lors de la discussion qui allait arriver, il risquait de perdre sa place.
— Heu... T-très bien. Avez-vous besoin de quoi que ce soit ?
— Refaites les réserves de l'armée et allons discuter à l'écart.
Daro'Shamada regarda Messire Ordy s'éloigner. Ses poils s'étaient hérissés à l'entente de la voix du Sage de la Lumière. Elle ne l'avait jamais vu si froid et distant, si sévère et en colère malgré le calme apparent qu'il affichait.
— En même temps, vu l'état dans l'quel est la ville, c'est pas étonnant... chuchota la Khajiit alors que les deux hommes disparaissaient à l'angle d'une ruelle.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Daro'Shamada tourna la tête et croisa le regard de Mary.
— J'me disais juste qu'la ville était dans un état déplorable.
— Elle est insalubre, oui ! Tous les infirmiers et médecins ont été réquisitionnés pour examiner les habitants. Et les guerriers doivent se charger de nettoyer la ville.
— J'vais y aller alors. Plus vite ça s'ra fait, plus vite nous pourrons nous reposer, puis partir.
Mary hocha la tête, salua Daro'Shamada, puis les deux amies se séparèrent, vaquant chacune aux tâches qu'elles avaient à exécuter.
Ordy n'en pouvait plus. La discussion avec le dirigeant de la ville avait été épuisante : il avait cherché par n'importe quel moyen à justifier l'état d'Ep'Risiaw. Il l'avait déchu de ses fonctions et avait nommé son bras droit à sa place. Pour le forcer à réfléchir à ses actions – et aussi éviter une trahison, car l'ancien dirigeant tenait à sa place et ses privilèges –, Ordy l'avait fait enfermé dans l'une des cellules du château sous étroite surveillance.
Même si c'est un Mimagi-Konta, je préfère l'avoir à l'œil. On ne sait jamais à quel point un Mimagi-Konta peut être inventif quand il est enfermé...
Quand il rejoignit ses troupes, à l'entrée de la ville, la nuit était déjà tombée. Il soupira d'ennui : ils avaient pris du retard sur leur programme. Mais au moins, Ep'Risiaw était propre et les habitants étaient en excellente santé. Pour les remercier de les avoir aidés, ces derniers leurs avaient donné plus de réserves que nécessaire.
— Vous pouvez dormir ici, Messire Ordy, proposa le nouveau dirigeant.
— Non, refusa le Sage de la Lumière. Nous devons repartir : la guerre ne devrait pas tarder à exploser et nous sommes attendus au front par nos alliés. Mais merci de proposer.
Quand Messire Ordy remonta en selle, tous les guerriers étaient prêts à partir. Il jeta un dernier coup d'œil à cette ville qu'ils avaient nettoyés en moins d'une journée.
— Merci à tous pour votre dur travail, dit-il en balayant ses troupes du regard, fier de compter parmi ses alliés des personnes aussi efficaces et organisées. Grâce à vous, les habitants d'Ep'Risiaw auront désormais de meilleures conditions de vie. Je sais que vous auriez aimé vous reposer cette nuit, mais nous devons reprendre la route.
Les Valkyries et les loups poussèrent un cri de guerre, vite rejoints par les Khajiits. Messire Ordy talonna sa monture. Les loups s'élancèrent, montés par leur cavalières. Les Pahmar-raht se laissèrent tomber à quatre pattes et les suivirent rapidement. Enfin, la charrette où se trouvaient les membres du corps médical s'ébranla et le cocher fouetta l'air pour que les chevaux galopent aussi vite qu'ils le pouvaient.
— En route pour plumer les Anges ! s'écria Daro'Shamada alors qu'elle galopait ventre à terre entourée de tous les guerriers.
Des hurlements d'approbation lui répondirent, puis tous se turent. Ils venaient de quitter une ville alliée et étaient à découvert dans la lande. Ils avaient beau se déplacer de nuit, ils restaient des cibles mouvantes. Et des ennemis à abattre pour tout Ange qui traînait dans les environs.
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