Chapitre 23
Elle était épuisée. Cela faisait trois jours qu'elle courait sans relâche pour échapper aux Anges. Trois jours passés à se cacher dès que le jour se levait. Trois jours passés à se mettre en garde au moindre bruit suspect. Trois jours passés à guetter le moindre mouvement, la moindre ombre...
Daro'Shamada était épuisée, assoiffée, affamée.
C'était la première de toute sa vie de Khajiit, et sans doute dans toutes ses vies précédentes, qu'elle avait fait un voyage dans ces conditions ! Son pelage était hirsute. Ses griffes rognées, émoussées. Malgré tout cela, Daro'Shamada se sentait plus vivante que jamais. Elle avait échappé de peu à la mort : ses poursuivants avaient décidé de prendre un peu de repos, leurs ailes les faisant sans doute souffrir le martyre. Elle avait profité de cet interlude pour foncer ventre à terre vers la capitale d'Atykiaw. D'après les dires de Margot, Messire Ordy accueillaient à bras ouverts tous les rescapés ou les fugueurs... Elle espérait que son amie disait vrai, car elle ne donnait pas cher de sa peau dans le cas contraire.
Quand elle arriva aux portes de la capitale, aux alentours de midi, le soleil frappait sa tête. Sa vision commença à se dédoubler, le sol à tanguer. Finalement, ses jambes se dérobèrent et elle s'écrasa comme une masse sur la grand-route.
- Putain... souffla-t-elle en relevant son museau desséché. J'étais à deux doigts de réussir... Déso Margot...
Elle entendit des bruits de sabots s'approcher d'elle à grande vitesse. Des voix l'appelaient, des mains la secouaient vivement, puis un regard noisette apparut dans son champ de vision. Daro'Shamada fronça les sourcils : elle hallucinait ou cet homme avait vraiment des cornes de bouc ?
- Mademoiselle, lui dit-il en articulant bien chaque syllabes. Restez éveillée. Nous allons vous conduire dans notre hôpital...
- Rencontrer Ordy, le coupa-t-elle, la voix pâteuse et la gorge sèche. Je dois voir Messire Ordy... C'est urgent.
À peine ces mots prononcés que la Khajiit sombra dans l'inconscience. Le Satyre qui la tenait fut surpris par le poids soudain qu'elle pesa. Il faillit tomber à la renverse.
- Chef ! l'appela-t-on derrière lui. J'ai ramené l'une des gardes de la grande porte.
Arthe hocha la tête pour le remercier. Il passa une main sous les genoux de la femme-lynx et se releva pour faire face à la Valkyrie.
- Madame, dit-il en s'inclinant pour la saluer. Cette demoiselle demande à voir Messire Ordy de toute urgence...
La femme soldat dévisagea la Khajiit qui reposait dans ses bras. Elle posa pied à terre et s'avança vers eux. Arthe frissonna. C'était la première fois qu'une Valkyrie l'approchait d'aussi près. Sa lance l'impressionna et il ne put s'empêcher de loucher dessus. La combattante se pencha sur la jeune femme évanouie, repoussa du bout des doigts les mèches qui lui tombaient sur le visage et bondit. Son loup grogna, prêt à passer à l'attaque au moindre signe de sa partenaire.
- Daro'Shamada... souffla la Valkyrie, atterrée. Haaruid-fin vaal zoonuir. Mercur, kri drailoo Sovrah Ordy !*
Le loup grogna, tourna les talons et disparut derrière la grande porte. La Valkyrie invita Arthe à la suivre. Ils s'empressèrent d'entrer à leur tour dans la ville. La combattante hurla à pleins poumons pour qu'on leur dégage le passage. Après une bonne quinzaine de minutes, ils arrivèrent enfin à l'hôpital de Dist'Chyz. Mercur avait été plus rapide qu'eux. Messire Ordy les attendait à l'entrée avec toute une armée de personnel soignant. Un brancard était déjà prêt et Arthe déposa Daro'Shamada dessus. Les infirmières et médecins se précipitèrent et disparurent dans le bâtiment à la forte odeur de détergent.
- Que s'est-il passé, Arthe ?
Le Satyre sursauta. Il ne s'attendait pas à ce que le dirigeant d'Atykiaw s'adresse à lui. Il aurait plutôt pensé qu'il demanderait à la Valkyrie.
- Cette jeune femme est arrivée sur la grand-route et s'est effondrée. Quand je me suis approché d'elle, j'ai entendu qu'elle se parlait à elle-même. Je n'ai rien compris hormis le prénom qu'elle a cité...
- Lequel ?
- Elle parlait à une Margot... Le même que celui de l'amie de ce b... de Nikka.
Le Sage de la Lumière fronça les sourcils.
- Elle doit donc venir directement de l'Académie de Peïny...
- Elle a demandé à vous rencontrer et a dit que c'était urgent.
- J'espère que rien de grave n'est arrivé. Geyra ! s'exclama-t-il, une lueur inquiète dans les yeux. Va à l'Académie avec quinze autres Valkyries. Fais-moi un rapport dès que vous y êtes et demande des renforts si nécessaire.
La combattante hocha la tête, claqua ses talons l'un contre l'autre et sauta agilement sur le dos de son loup. Après un cri de guerre de la part de Geyra, Mercur s'engagea dans les rues, ventre à terre.
Messire Ordy la fixa jusqu'à ce qu'elle disparaisse de sa vue. Un raclement de gorge le fit poser ses yeux sur le chef des Satyres.
- Tu as autre chose à me dire ?
- Qu'est-ce que je fais ?
- Rien. Tu n'en parles à personne et tu continues de diriger les Satyres sous tes ordres. J'enverrai un coursier te prévenir quand elle se réveillera, si tu le souhaites. Sur ce, je te souhaite une bonne journée, Arthe.
Le chef d'Atykiaw prit congé et monta dans une calèche luxueuse qui attendait sur le côté. À peine la porte refermée que le cocher ordonna aux chevaux de se mettre en route. Ils passèrent devant le Satyre qui ne put s'empêcher d'admirer ces animaux gigantesques à la crinière si longue qu'elle frôlait leurs sabots et flottait à chacun de leurs pas. Quand la calèche eut disparu de son champ de vision, Arthe regarda une dernière fois la façade blanche de l'hôpital.
J'espère que tu t'en sortiras, Daro'Shamada...
Une forte odeur acre lui agressa la gorge. Des ténèbres les plus totales, elle passa à une obscurité chassée par la lumière. Sa gorge était sèche, sa peau craquelée la grattait et son ventre la faisait souffrir le martyre.
Daro'Shamada batailla pour ouvrir les yeux. Elle s'était évanouie alors que l'Académie était tombée et que ses amis étaient sous le joug des Anges. Ces créatures à l'apparence attirante, mais au fonctionnement aussi repoussant qu'un corps en décomposition...
- Elle reprend déjà conscience, murmura une voix ébahie à ses côtés. Prévenez Messire Ordy !
Des bruits de pas aussi lourds que ceux d'un Senche-raht, la plus grande race de montures des Khajiits, en pleine charge finirent de l'éveiller.
- J'suis où ? demanda-t-elle en ouvrant les yeux.
- Bonjour, madame. Vous êtes à l'hôpital d'Atykiaw. Messire Ordy devrait arriver d'une seconde à l'autre. En attendant...
- Trop de bruit, ne put-elle s'empêcher de dire en se bouchant les oreilles.
Loin de s'en formaliser, l'infirmière lui sourit amicalement. Elle s'installa à un bureau qui habillait un coin de la chambre. Elle ne devait pas laisser la Khajiit seule. Ordre du Sage de la Lumière.
Daro'Shamada voulut se lever, mais ses jambes ne lui obéirent pas.
- Hé ! Pourquoi j'sens plus mes jambes ? Vous m'avez fait quoi, là !
L'infirmière se retourna vivement, les sourcils froncés.
- Puis-je m'approcher de vous ?
Trop inquiète pour se méfier d'elle, la Dagi hocha la tête. Elle s'approcha du lit, ôta les couvertures et examina ses jambes.
- Vous n'avez rien de grave, finit-elle par lui dire après un long silence angoissant. Vous avez poussé votre corps au-delà de ses limites et il lui faut du repos. Je ne suis pas spécialiste en médecine Khajiit donc...
- Khajiiti, l'interrompit Daro'Shamada sans se contrôler.
- Pardon ?
- L'adjectif, c'est « khajiiti ». Donc « médecine khajiiti ».
L'infirmière resta silencieuse pendant quelques secondes, ne s'attendant sûrement pas à se faire corriger de la sorte.
- Pardon si j'ai été brusque...
- Pas de soucis. Dans tous les cas, je ne peux rien faire pour vous aider à aller mieux. Selon moi, il vous faut du repos, beaucoup de repos. Et aussi des repas qui deviendront de plus en plus nourrissants et consistants pour réhabituer votre corps à s'alimenter.
- Vous pouvez pas contacter un médecin khajiiti ?
Silence gênant. Les pommettes de l'infirmière rougirent violemment.
- C'est que...
- Vous avez eu affaire à des mercenaires ?
- Oui...
Daro'Shamada soupira et ferma les yeux.
- On n'est pas tous comme ça. Contactez de ma part la Mère de clan de Na'Rasmoïs. Elle vous enverra quelqu'un pour aider à me soigner. Vous aurez peut-être l'occasion d'en apprendre plus sur notre médecine.
- Je vais faire ça...
Daro'Shamada n'était pas convaincue, mais hocha la tête. L'infirmière sortit quelques instants de la chambre, laissant la porte ouverte. La Khajiit entendit la conversation et sourit ironiquement.
Elle nous mettra tous dans le même panier pour le restant de sa vie.
Quand elle eut terminé de déléguer, elle rentra dans la chambre et se réinstalla en silence au bureau. Daro'Shamada s'ennuyait à mourir : elle n'avait personne avec qui entretenir une conversation intéressante, elle ne pouvait rien faire à cause de ses jambes et une envie d'aller aux toilettes lui meurtrissait le ventre...
Après ce qui lui sembla être une éternité, la porte de sa chambre s'ouvrit et un homme de petite taille déboula dans la pièce. Il était vêtu d'un pantalon noir serré rentré dans de hautes bottes au cuir clair brodé de diamants. Sa veste en laine blanche aux boutons d'or recouvrait une chemise de coton noire. Ses doigts étaient sertis de bagues précieuses et tape-à-l'œil. Son chapeau melon, aussi foncé que son bas, était entouré de chaînettes dorées d'où pendouillaient des pierres précieuses de toutes sortes.
Plus voyant comme bunad, tu meurs...
En l'observant mieux, Daro'Shamada s'aperçut que Messire Ordy était essoufflé et qu'il devait avoir couru pour rallier sa chambre. Par politesse, elle s'inclina donc. Elle ne voulait pas faire mauvaise impression au bienfaiteur de son amie.
- Messire Ordy.
- Mademoiselle Daro'Shamada, soupira-t-il en s'asseyant sur le siège qui se trouvait à côté de son lit. Je suis tellement soulagé de vous voir éveillée.
Il se retourna vers l'infirmière et lui fit signe de les laisser seuls. Au moment où elle allait franchir la porte, il la retint.
- Vous avez appelé un médecin Khajiit pour soigner notre invitée ?
- Khajiiti, ne put s'empêcher de souffler Daro'Shamada.
Messire et l'infirmière la dévisagèrent avant de reprendre leur conversation comme si de rien n'était.
- La missive partira dans la soirée...
- Donnez-là à une des Valkyries qui se trouvent en bas, la coupa-t-il. Elle ira chercher le médecin dans le clan de cette demoiselle. Quel est votre clan ?
Ses yeux noirs se braquèrent sur elle. Déstabilisée par cette couleur profonde, la femme-lynx resta muette quelques secondes. Messire Ordy se racla la gorge, mal à l'aise.
- Pardon. Je viens du clan de Na'Rasmoïs. Vous pouvez contacter la Mère de clan en lui donnant mon nom. Elle sera plus réceptive à écouter votre demande.
- Qu'attendez-vous pour y aller ?
L'infirmière les salua brièvement, puis claqua la porte dans son dos.
- Efficace, mais un peu cruche cette infirmière, commenta Messire Ordy en se retournant vers Daro'Shamada.
- Elle est surtout mal à l'aise avec les gens de ma race. Elle a eu affaire avec des mercenaires...
- Ce ne sont pas des enfants de cœur. Quelle est cette urgence qui vous a fait venir jusqu'à moi, mademoiselle Daro'Shamada ?
La Khajiit planta son regard ambré dans celui de son interlocuteur.
- L'Académie a été attaquée par les Anges. Le Second Prince était à la tête de l'armée. Il reste peu d'étudiants en vie et Junal III a été fait prisonnier. Margot et un de mes amis aussi. J'ai réussi à m'échapper, mais je n'ai pas pu les faire sortir de cet enfer...
- Vu la mentalité des Anges, et plus particulièrement de ce morveux, je ne pense pas que tu serais encore en vie à l'heure actuelle si tu étais restée. Et tu n'aurais pas réussi à libérer tes amis sans y laisser la vie. À mon avis, les Anges étaient venus en force. Je me trompe ?
Daro'Shamada acquiesça. Des larmes lui brûlaient les yeux. Même si rester à l'Académie signifiait mourir, elle s'en voulait d'être partie sans Margot et Horte.
- J'ai dépêché une escouade de quinze Valkyries à l'Académie. Je vais leur envoyer du renfort même si elles ne m'ont pas encore contacté pour me confirmer leur arrivée. On ne sait jamais : la pourriture peut avoir établi un poste d'observation...
Messire Ordy se redressa d'un coup, les yeux dans le vague.
- Non... Ils n'oseraient tout de même pas faire ça...
Daro'Shamada fronça les sourcils. Elle n'arrivait pas à suivre le raisonnement de ce chef.
- Que se passe-t-il, Messire Ordy ?
- Le Prince héritier a pris Ziliay. Le Second Prince a fait tomber l'Académie, et sans doute Peïny dans la foulée...
La Khajiit écarquilla les yeux. Elle avait peur de comprendre. Elle ne voulait pas comprendre...
- Les princes vont sans doute conquérir Épith-Miaw et Laïmargiow. Sur le continent, il ne restera de libre que Thymoïsow et Atykiaw.
- Vous pensez que les Anges prévoient d'asseoir leur pouvoir par la conquête de tous les pays de Horswentia ?
- J'en ai bien peur... et je pense que le prochain pays à y passer sera celui-ci.
*Amenons-la à l'hôpital. Mercur, va prévenir Messire Ordy !
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