Chapitre 22
Alors que Daro'Shamada parcourait le dédale sans fin des couloirs du palais, elle n'arrivait pas à s'empêcher de repenser à ce que venait de lui dire Messire Ordy.
Horte était un Dragon.
Il avait sauvé Margot d'une mort certaine et l'avait emportée quelque part, sans doute auprès des siens, pour l'aider à se rétablir. Et aussi pour la mettre à l'abri des combats qui ne tarderaient pas à avoir lieu. Il n'avait même pas daigné essayer de la contacter pour lui donner des nouvelles !
En même temps, lui-même ne doit pas savoir que je suis encore en vie... Après tout, il m'a vue m'enfuir de l'Académie, pourchassée par les Anges.
Elle poussa un soupir à fendre l'âme et plissa les yeux alors qu'elle posait un pied dehors. Sans même qu'elle n'ait à y penser, ses jambes l'avait portée hors du palais, vers la cour avant.
- Daro'Shamada !
La Khajiit ne put s'empêcher de laisser un discret sourire déformer ses lèvres en entendant cette petite voix. Une petite voix qu'elle reconnaîtrait entre toutes à force de l'avoir entendue un nombre incalculable de fois à l'hôpital. Elle balaya la cour pavée du regard et croisa celui azur de l'infirmière qui avait pris soin d'elle alors qu'elle était encore alitée.
- Salut Mary !
Daro'Shamada descendit les escaliers et rejoignit la jeune femme. Quand elle fut à sa hauteur, elle put voir le sourire resplendissant qui illuminait le visage de la Mimagi-Konta.
- Je t'offre le gîte pour la nuit !
- Les repas sont compris ?
- Seulement si c'est toi qui cuisine.
- J'espère que t'aimes les plats épicés alors.
Mary pouffa et l'invita à la suivre. Ensemble, elles franchirent les grilles gardées par deux Valkyries et leurs loups, elles marchèrent dans l'avenue principale, s'arrêtant à certains étals pour acheter les ingrédients dont Daro'Shamada avait besoin pour cuisiner, et s'engagèrent dans une ruelle moins animée pour se rendre chez la jeune femme. Cette dernière ouvrit un portail et invita la Khajiit à entrer sur sa propriété.
- T'as la main verte, Mary ! s'exclama Daro'Shamada en sifflant d'admiration devant toutes les plantes qui prospéraient dans le jardin de son hôte.
- Ah ah ! Pas vraiment, c'est ma grand-mère qui m'a appris à m'en occuper. Elle me disait qu'une infirmière digne de ce nom se devait d'avoir toutes les plantes médicinales connues à portée de main.
- Elles y sont vraiment toutes ?
- Non ! rit la Mimagi-Konta en la dépassant pour ouvrir la porte d'entrée. Il y en a beaucoup trop pour être toutes rassemblées en un même endroit. Et puis, même si c'était le cas, elles ne pourraient pas toutes survivre. Entre.
La Khajiit hocha la tête et s'immobilisa dans l'entrée. Une douce odeur de menthe envahit ses narines. Elle ferma les yeux pour la déguster plus amplement et ne put s'empêcher de s'avancer un peu plus.
- Enlève juste tes chaussures, la rabroua gentiment Mary en fermant la porte. À part ça, tu peux faire comme chez toi.
La jeune femme la dépassa, la frôlant au passage. Le couloir était étroit. Il n'y avait que l'œil de bœuf à la vitre granité au-dessus de la porte qui permettait de l'éclairer. La lumière tamisée créait une ambiance douce et reposante. Daro'Shamada la fixa alors qu'elle s'éloignait pour rejoindre une pièce adjacente. Le parquet grinçait à peine sous ses pas et la Khajiit se demanda un instant comment une Mimagi-Konta pouvait marcher aussi silencieusement...
- Daro'Shamada ! retentit la voix de Mary. J'ai faim !
La femme-lynx ne put s'empêcher de rire. Elle retira ses chaussures et rejoignit son amie dans la pièce dans laquelle elle était entrée quelques secondes auparavant. Un carrelage couleur sable prenait la place du parquet au sol. Les murs étaient recouverts de carreaux, plus petits. Leur couleur claire renvoyait les rayons du soleil qui rentraient par deux grandes baies vitrées. Mary lavait les ingrédients qu'elles avaient achetés plus tôt dans un évier en fonte. Des ustensiles de cuisine attendaient patiemment sur la table que quelqu'un daigne les utiliser. La Khajiit ne put s'empêcher de sourire face à ce tableau. Sans plus réfléchir, elle rejoignit son amie et tria les légumes à ses côtés. Elle s'empara par la suite du poulet entier et se dirigea vers le jardin comme le lui avait demandé Mary. Daro'Shamada le pluma, le vida et revint en cuisine pour le découper comme sa mère le lui avait appris dans le passé.
Après une bonne heure à cuisiner ensemble, les deux amies s'installèrent dans le jardin tandis que le soleil se couchait et que la luminosité déclinait doucement.
- Grâce à toi, dit Mary en observant son assiette, j'ai appris pleins de choses.
Daro'Shamada la regarda, un sourcil haussé. D'un mouvement du menton, elle l'invita à développer, mais la Mimagi-Konta avait déjà mis dans sa bouche une cuillère du plat en sauce. La Khajiit patienta pendant quelques instants.
- C'est super bon !
- Évidemment ! C'est une recette qu'on s'transmet d'génération en génération dans ma famille...
Mary devint soudain rouge comme une tomate. Elle déposa sa cuillère sur la table et partit en toute hâte dans la cuisine. Daro'Shamada tendit l'oreille, un rictus déformant ses lèvres. Des bruits d'eau lui parvinrent très vite et elle ne put s'empêcher de rire.
- Ça fait toujours c't effet, la première fois, se moqua-t-elle gentiment quand Mary revint. Tu d'vrais prendre un yaourt nature pour calmer ta bouche quand t'en peux plus.
- Ça fonctionne vraiment ?
Daro'Shamada hocha la tête et engloutie à son tour un cuillère du plat en sauce. Elle sentit sur elle le regard curieux de son amie.
- Pour moi, lui dit-elle après avoir avalé, c'est pas du tout épicé. Va donc te chercher un yaourt pour qu'on puisse continuer notre discussion.
- Heu... oui.
Mary attrapa les six yaourts qu'elle avait fait le matin même et rejoignit la Khajiit dans le jardin. Elle s'attabla à nouveau à ses côtés et ouvrit l'un des produits laitiers nature.
- Alors qu'est-ce que t'as appris depuis notre rencontre ? la relança Daro'Shamada quand elle fut bien installée.
- Déjà que les plats peu épicés pour toi le sont beaucoup trop pour moi...
La Khajiit explosa de rire. Elle ne s'attendait pas du tout à cette réponse. Mary était vraiment une personne rafraîchissante. Elle oubliait tous ses soucis à ses côtés.
- Quoi d'autre ? lui demanda-t-elle quand elle se fut calmée.
- Que tous les Khajiits ne sont pas comme les mercenaires qui ont... qui ont tué ma famille...
Daro'Shamada posa une main réconfortante sur l'épaule de son amie et la serra un peu pour lui montrer qu'elle était là si jamais elle avait besoin de parler de cet évènement.
- J'ai aussi beaucoup appris aux côtés du médecin de ton clan ! C'est impressionnant comme vos techniques médicinales sont variées. Je ne pensais pas qu'il y en avait autant ! Et puis, c'est stupéfiant tout ce qu'on peut faire avec le Sucrelune... j'avoue que je pensais que c'était juste une drogue très puissante...
- C'est l'cas, ne put s'empêcher de dire Daro'Shamada.
- Certes, mais vous pouvez l'utiliser de tellement de manières différentes que ça ne se réduit pas juste à ça.
Daro'Shamada approuva tandis qu'elle engloutissait une nouvelle cuillère de son plat.
- Et puis, j'ai aussi appris à utiliser les plantes d'une autre manière. Je vais te montrer.
- Finis d'abord ton repas, grommela la Khajiit.
Mary la regarda, les yeux larmoyants et le menton tremblotant.
C'est donc à ça que j'ressemble quand j'essaie d'attendrir ma mère... J'comprends mieux pourquoi elle peut pas résister.
- Tu es si pressée qu'ça d'me montrer c'que t'as appris ?
La jeune femme hocha la tête vigoureusement en papillonnant des paupières. Daro'Shamada soupira et Mary sourit de toutes ses dents avant de foncer à l'intérieur de sa maison. La Khajiit entendit un raffut insupportable et soupira. Elle continua de manger son plat et regarda le ciel qui commençait à se parer de sa robe bleu nuit parsemée de paillettes lumineuses. La lune commençait à grimper tout doucement et les oiseaux nocturnes chantaient discrètement, comme s'ils avaient peur de rompre la tranquillité qui s'était installée.
- J'ai tout, retentit la petite voix de Mary.
Des bruits de pas précipités retentirent dans son dos. Daro'Shamada se détourna du tableau que lui offrait le ciel, pivota pour observer son amie revenir vers elle et se crispa. Sans y réfléchir à deux fois, elle se leva d'un bond, faisant tomber sa chaise à la renverse, et se précipita vers Mary. Mais c'était trop tard. La jeune femme s'était pris les pieds dans une bande et chutait. La Khajiit tendit les bras pour la rattraper, priant tous les dieux khajiitis pour qu'elle arrive à temps. Un cri lui fit plaquer ses oreilles contre son crâne et elle sauta.
Un poids atterrit contre son torse et elle s'empressa de refermer les bras. Elle se réceptionna sur ses deux jambes et regarda la personne qui était blottie dans ses bras. Mary tremblait encore, sous le choc de ce qui aurait pu se passer si Daro'Shamada ne l'avait pas rattrapée à temps. La Khajiit poussa un grand soupir et la jeune femme se recula légèrement. Leurs regards se croisèrent et le temps sembla se suspendre. Mary n'avait jamais remarqué que la fourrure de son amie semblait si douce... Sans y réfléchir, elle leva sa main et la posa sur la mâchoire carrée de la Khajiit. Cette dernière ne réagit pas et la Mimagi-Konta en profita pour glisser ses doigts dans l'épaisseur de ses poils tirant sur le violet. Elle avait l'impression de passer sa main sur une étoffe de soie. Les moustaches de son amie remuèrent et Mary replongea dans le regard ambré de Daro'Shamada. Leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres seulement. Les effluves épicées du plat qu'elles avaient préparé ensemble flottaient entre elles.
- Tu d'vrais faire plus attention, la réprimanda gentiment la Khajiit en s'éloignant. Si j'avais pas été là, j'ose pas imaginer comment tu t'en s'rais sortie.
Elle la remit sur ses pieds, attrapa tout ce que Mary était partie chercher et se détourna pour se diriger vers la table sur laquelle reposait encore leur repas. La jeune femme papillonna des paupières. Elle avait eu l'impression d'être dans un rêve, ainsi enfermée dans les bras à la fois fins et solides de Daro'Shamada. Le retour à la réalité était brusque : le soleil s'était couché, il faisait froid et les ténèbres dominaient le jardin malgré les rayons de la lune et la danse des lucioles. Elle avait beau connaître son terrain sur le bout des doigts à force de le parcourir chaque jour pour s'occuper de ses plantes, les derniers évènements semblaient l'avoir privée de repères... Comment allait-elle faire pour se diriger dans cette obscurité pesante ?
- Mary ? l'appela la voix posée de Daro'Shamada depuis la table. Tu viens m'montrer c'que t'as appris ? Ou t'es perdue ?
Je me suis perdue... Je suis perdue.
Mary ne savait plus quoi penser, mais elle ne s'attarda pas sur ce qu'elle ressentait car déjà son amie la rappelait pour qu'elle la rejoigne. Elle rassembla ses souvenirs et se dirigea à petits pas vers le mobilier de jardin en bois. Quand elle arriva, elle se cogna l'orteil à la chaise et hurla de douleur. Une main velue, chaude et rassurante lui attrapa le poignet et la guida. Deux ambres apparurent dans son champ de vision. Une fente verticale les séparait chacune en deux.
- Tu m'as l'air bien maladroite pour une infirmière...
Sans un mot de plus, Daro'Shamada lui ôta sa chaussure et observa son petit orteil qui la lançait encore.
- Allez ! C'est rien ! T'auras plus mal dans deux s'condes !
La Khajiit piocha dans une bourse qu'avait sorti Mary et en ressortit une poignée de poudre blanche. Elle la malaxa et psalmodia dans une langue inconnue à la jeune femme. Après ce qui lui sembla être une éternité, Daro'Shamada ouvrit sa main, la dirigea vers son pied et souffla sur la poussière immaculée. Elle s'envola et s'enroula en une spirale lumineuse autour de son orteil. Elle tourbillonna, tourbillonna et entra en collision avec sa peau. Une sensation de froid déclencha une chair de poule sur la peau de Mary. Elle ne put s'empêcher de se frictionner les bras, mais l'instant d'après, tout avait disparu. La sensation glaciale. La chair de poule. La douleur.
- Comment tu as fait ça ?
- C'est un p'tit tour de passe-passe qu'on fait avec du Sucrelune quand les enfants s'font des bobos.
- Tu me traites d'enfant ? s'insurgea Mary.
- Qui sait ?
- Toi...
Daro'Shamada laissa échapper un rire guttural.
- Ouais... T'es pt'être bien une enfant après tout : tu finis pas ton assiette, tu t'précipites pour m'montrer un truc et tu tombes parce que t'as voulu aller trop vite.
Les rayons de la lune illuminaient le visage de Daro'Shamada et Mary put y lire toute la fierté qu'elle ressentait à l'idée de lui avoir cloué le bec.
- C'est méchant... Je voulais juste te montrer ce que j'avais appris.
- Alors que j'suis même pas blessée ? Ç'aurait été du gâchis de matériel et tu l'sais aussi bien qu'moi. J'me doute que tu dois être hyper heureuse d'avoir appris pleins de trucs avec le médecin d'mon clan, mais c'est pas une raison pour qu'tu t'fasses mal en t'précipitant.
Voyant que Mary était silencieuse, Daro'Shamada soupira et reprit :
- On finit de manger, on fait la vaisselle et tu m'montres c'que t'as appris, d'accord ?
La Mimagi-Konta se tourna vers elle, des étoiles dans les yeux, et acquiesça. Elle fit à nouveau face au plat et se prépara à avoir la bouche en feu...
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