Chapitre 11 (2)
La lune était déjà haute dans le ciel quand ils atteignirent enfin la côte nord-ouest. Daro'Shamada expirait fortement, de la buée s'échappant de sa bouche. Elle ne l'avouerait jamais, mais la course du jour l'avait exténuée. Elle donnerait cher pour se reposer et dormir dans un vrai lit... dans sa chambre à l'Académie, bavardant avec Margot avant de sombrer dans un profond sommeil réparateur. Mais c'était impossible : l'Académie était tombée aux mains des Anges et Margot était à Kaïthy avec Horte.
- On monte le camp ici ! claqua la voix de la Mère de clan. Daro'Shamada, tu prends la tête des chasseurs. Vous, préparez un feu. Vous, ajouta-t-elle en désignant un petit groupe qui s'apprêtait à s'asseoir, montez les tentes et vous, vous montez des caisses avec du sel. Une fois les chasseurs revenus, on se chargera de dépecer les proies, de les découper, de répartir la viande et de cuire au sel celle que nous allons emporter. On accélérera le processus avec notre magie. Allez !
Daro'Shamada voulut rouspéter contre l'ordre de sa mère : elle était tellement épuisée qu'elle aurait aimer se coucher immédiatement. Cependant, elle se contenta de soupirer et de guider les membres de son clan à travers l'obscurité et les ombres de la toundra enneigée. La vie en communauté requérait de passer outre ses envies et ses désirs. Cachés derrière le rideaux de flocons, Daro'Shamada et les siens se déplaçaient furtivement, à la recherche d'une ou plusieurs proies à ramener au camp pour nourrir les leurs. La neige crissa sur leur gauche et la Khajiit fit signe aux siens de s'immobiliser. Ils se tapirent dans la bruyère dont les pompons étaient devenus immaculés. La femme-lynx écarta doucement les branches qui l'empêchaient de voir ce qui se déplaçait et venait dans leur direction. Une ombre fine et gracieuse gambadait dans la neige. Ses jambes chétives semblaient sur le point de se rompre à tout moment. Pourtant, la biche tenait debout et sautillait en tout sens dans la neige comme si ses propres traces de pas l'amusaient. Daro'Shamada sourit : le comportement insouciant de l'animal l'attendrissait. Un crissement métallique la sortit de sa contemplation. Daro'Shamada tourna la tête en direction du bruit et elle rabattit ses oreilles en arrière, prête à passer à l'attaque au moindre signe de danger. Son regard tomba sur l'un de ses compagnons d'arme : il s'apprêtait à bondir sur la biche. Sans réfléchir, elle lui attrapa le poignet, le regard noir.
- Elle est pleine... chuchota-t-elle entre ses crocs.
Le Khajiit écarquilla les yeux et les posa à nouveau sur l'animal, l'observant plus attentivement. Ses oreilles se baissèrent et il plongea à nouveau dans le regard de Daro'Shamada.
- C'est sans doute la seule occasion que nous aurons de trouver une proie...
- On chasse pas les femelles qui attendent un petit ou qui sont accompagnées d'un bébé. C'est les règles du clan. On les transgresse sous aucun prétexte.
- Mais...
Daro'Shamada feula. La biche l'entendit et regarda dans leur direction. Elle huma l'air pour analyser la situation, puis déguerpit le plus rapidement possible.
- Remettons-nous en marche, déclara alors la femme-lynx en fusillant du regard le Khajiit qui avait pensé à transgresser l'un des préceptes du clan.
Après plus d'une heure de recherche, les chasseurs croisèrent la route d'un énorme sanglier. Sans se concerter, ils se séparèrent en cinq groupes de deux et l'encerclèrent. Ils commencèrent à le poursuivre, le poignarder et le mordre. Le gibier perdait du sang et tachait le manteau immaculé. Après une demie-heure à le harceler de la sorte, les Khajiits se laissèrent distancer volontairement. Ils souhaitaient que l'animal se sente en sécurité et qu'il baisse totalement sa garde pour mieux le tuer. Après une dizaine de minutes à se reposer, ils le pistèrent grâce à la traînée d'hémoglobine qu'il avait laissé sur la neige. Aux aguets, les chasseurs le trouvèrent après plusieurs minutes. Le sanglier s'était couché et roulé dans les flocons qui s'étaient agglutinés au sol.
Daro'Shamada se releva et s'avança vers lui, ses compagnons sur les talons. L'animal releva la tête vers eux. Ses yeux brillaient d'une lueur intelligente : il avait compris qu'il ne pouvait plus rien faire et que sa fin était proche. Il soupira, baissa la tête et ferma les yeux. La femme-lynx s'approcha de lui, poignard en main.
- Merci d'accepter d'nous nourrir... et désolée de t'ôter la vie.
La sanglier grogna comme seule réponse. Il plongea son regard dans celui de son bourreau. Le temps sembla se suspendre pendant de longues secondes, puis l'animal exposa sa gorge pour que la Khajiit l'achève rapidement. Daro'Shamada lui sourit, le remercia une nouvelle fois, puis trancha sa jugulaire. Il n'y eut aucun cri plaintif : elle avait fait en sorte qu'il n'ait pas mal.
- On rentre.
Dès que le soleil pointa le bout de son nez, le clan de Daro'Shamada se remit en route. Chacun vérifia derrière lui que rien n'était oublié, puis ils talonnèrent Ko'Tsalani. Ils suivirent la côte, le long de la Lagune de Glace. L'eau était gelée et des plaques de glace flottaient paresseusement au gré des courants. La lumière du soleil s'y reflétait violemment et éblouissait par moment les Khajiits qui jetaient des coups d'œil vers l'eau. Ils firent une nouvelle escale quand la côte fit un virage à quatre-vingt-dix degrés. C'était le moment pour eux d'arrêter de la suivre pour parcourir la toundra pendant quelques heures avant de rencontrer à nouveau les falaises escarpées qui plongeaient à pic vers l'eau glaciale. Le clan s'installa autour d'un feu de camp dont la chaleur protégeait chaque membre du vent mordant de la nuit. Ils étaient blottis les uns contre les autres en cercle, les plus jeunes et les plus âgés au centre, les plus robustes faisant office de protection contre les éléments. Il n'y eut pas de chasse : les restes de sanglier cuits au sel leur permirent de manger à leur faim et la neige fondue, puis réchauffée leur servit à se réchauffer encore plus. Les tentes montées, les membres du clan s'y répartirent et ils s'endormirent.
Des tours de gardes avaient été mis en place... au cas où. Daro'Shamada faisait partie du premier et sa mère du second. La Khajiit était heureuse d'être de retour au pays, même si elle aurait préféré que ce soit dans d'autres conditions. Elle s'installa sur une bûche robuste et sèche, la main à sa ceinture, prête à dégainer au moindre signe de danger. La lune commençait son ascension dans le ciel et éclairait de ses pâles rayons l'étendue enneigée de la toundra. L'eau de la lagune frappait dans un bruit apaisant la roche des falaises. L'odeur de l'écume emplissait les narines de la femme-lynx et elle ferma les yeux pour l'apprécier encore plus. La fatigue la rattrapa d'un coup. Daro'Shamada rouvrit ses paupières, bondit sur ses pieds et se secoua pour se réveiller. Elle déglutit : avec son séjour à l'Académie et la présence apaisante de Margot, elle avait perdu l'habitude d'être sur ses gardes quand les ténèbres prenaient le pas sur la lumière.
Comment va-t-elle ?
Daro'Shamada expira bruyamment et leva son regard vers l'astre lunaire. Elle était vraiment inquiète pour son amie. Elle avait beau être en compagnie de Horte et avoir appris le Draconique, elle restait tout de même faible par rapport aux autres étudiants.
Est-ce que les autres la protègent comme je le faisais ? Ou est-ce qu'ils s'amusent encore à la descendre plus bas que terre ?
Un voile de tristesse et de peur passa devant ses yeux ambrés. Elle inspira un bon coup et regarda à nouveau la lune, fière et belle dans cet océan noir piqueté de blanc par endroit.
- J'suis sûre qu'elle s'en sort à merveille...
Son faible murmure claqua dans le silence de la toundra. Un long frisson lui hérissa le pelage et elle ne put s'empêcher de se frotter les bras pour se rassurer. Elle n'avait aucun doute par rapport à Horte : c'était un jeune homme débrouillard et doué en magie... mais elle avait vraiment beaucoup de mal à imaginer Margot, la petite Mimagi-Konta amnésique et toute mignonne tenir tête aux autres étudiants et aux...
Les Anges !
Les autres étudiants n'étaient rien comparé aux Anges, notamment aux deux princes. Daro'Shamada se surprit à prier de toutes ses forces les dieux khajiitis que Margot ne s'attirent pas leurs foudres.
Une main s'abattit sur son épaule. La Khajiit sursauta, dégaina son poignard et se retourna en un éclair. La lame s'était arrêtée contre un pelage aux reflets bleus, le même que le sien... Elle releva la tête et croisa un regard opale qu'elle reconnaîtrait entre tous. Celui de sa mère. La femme-lynx déglutit et rangea son arme à sa ceinture.
- C'est rare de te voir à ce point dans tes pensées.
Vexée de s'être fait surprendre, Daro'Shamada resta silencieuse et dépassa sa mère. Si elle était levée, c'est qu'il était temps pour elle de se reposer.
- Qui donc occupe tes pensées à ce point ?
Elle se figea. Elle ne s'attendait pas à ce que sa mère lui pose cette question...
- L'amie qu'j'ai rencontrée à l'Académie.
- Ah ?
- Elle est frêle, faible et connaît rien du tout à c'monde... Du moins, elle s'en souviens plus : elle est amnésique. Les Anges l'ont prise en otage avec un d'nos amis communs...
- Et malgré sa présence à ses côtés, tu t'inquiètes pour elle ?
Daro'Shamada opina du chef.
- Une Mimagi-Konta chez les Anges ne fait jamais de vieux os...
Sur ces mots, elle se remit en route dans le silence de la nuit. Arrivée devant la tente qu'elle partageait avec ses parents, elle souffla un grand coup, comme pour chasser toutes ses angoisses, et s'engouffra entre les pans de tissus. La douce odeur familiale la ramena plusieurs années en arrière et lui arracha un sourire nostalgique. Une couchette avait été installée à son attention, la tête dirigée vers le nord.
Ils n'ont pas oublié...
Une larme solitaire roula sur sa joue. Malgré les différents qu'elle avait avec sa mère et la distance qu'elle avait mis entre son père et elle, ses parents n'avaient rien oublié de ses préférences ou des petits détails qui lui permettaient de se sentir plus à l'aise. Cela la toucha profondément.
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