Daro'Shamada était à peine sortie de sa chambre d'hôpital qu'une armée de Valkyries l'intercepta. L'une d'elles, la plus tremblotante sur ses jambes, s'avança jusqu'à elle en compagnie de son loup.

- Bonjour Mademoiselle Daro'Shamada. Messire Ordy nous a demandé de vous conduire à lui...

La Khajiit haussa un sourcil. Une Valkyrie qui parlait la Langue commune, c'était du jamais vu. Malgré ses interrogations, Daro'Shamada acquiesça et les suivit sans rechigner. Elle se doutait de la raison pour laquelle le dirigeant d'Atykiaw voulait la voir.

Quand ils arrivèrent devant la salle d'audience, la Khajiit se sentit mal à l'aise. Qu'est-ce qui l'attendait vraiment derrière ces portes closes ?

- Messire Ordy et votre Mère de clan vous attendent... Enfin, votre chef ne sait pas que vous êtes censée les rejoindre.

Puis, sans un mot de plus, Gudr ouvrit l'un des battants et l'invita à s'engager dans le couloir délimité par des tentures. Daro'Shamada s'y engagea sur la pointe des pieds, de peur de briser le silence qui pesait dans le corridor. Elle sentait qu'elle n'était pas seule, mais que les personnes n'interviendraient pas tant qu'il n'y avait pas signe de danger. Instinctivement, elle porta une main à sa taille pour caresser sa dague et fut surprise de ne pas la trouver.

Où est-elle ?!

Une image fugace lui revint en tête.

Les Valkyries lui tendaient les mains. Daro'Shamada sortait ses armes une à une de leur cachette. Les loups la reniflaient pour vérifier qu'il n'y en avait plus aucune. L'un d'eux avait grondé et la guerrière qui parlait la Langue commune s'était avancée vers elle, lance pointée dans sa direction, pour qu'elle lui donne la dernière arme qu'elle portait.

La Khajiit avait dû se résoudre à céder sa dague fétiche, celle qu'elle gardait toujours à la taille, qu'elle soit ou non éveillée, qu'elle soit ou non vêtue.

Tout ce que Daro'Shamada avait fait, elle l'avait fait par automatisme. Elle serra les dents, furieuse contre elle-même. Une guerrière se devait d'être toujours sur ses gardes, même quand elle était chez des alliés.

Après de longues minutes, les tentures s'éloignèrent et la lumière se fit plus forte. Le tapis rouge sur lequel elle marchait restait inchangé. Daro'Shamada continua sa progression et entendit des voix. Elles n'étaient que des murmures. La Khajiit accéléra le pas et elles devinrent plus distinctes, au point qu'elle put commencer à comprendre ce qui se disait.

Sans surprise, Messire Ordy essayait de convaincre sa mère de contacter la Crinière pour qu'elle les aide dans la guerre qui se profilait. Et, sans surprise, sa mère refusait toutes les propositions que lui faisait le Sage de la Lumière, criant au mensonge et au complot. Daro'Shamada soupira, devinant déjà la raison de sa présence en ce lieu. Après s'être donné du courage en pensant à Margot et Horte qui devaient encore être entre les griffes des Anges, la Khajiit s'avança vers eux. Ils étaient tellement concentrés dans leur conversation qu'ils ne l'entendirent pas arriver.

Quand elle toussota pour annoncer sa présence, sa mère bondit et lui envoya un coup de pied fulgurant. Daro'Shamada l'évita de justesse et ricana en voyant la tête de sa génitrice quand elle croisa son regard.

- Bah alors M'man, on r'connaît même plus sa progéniture quand elle s'annonce ?

- Qu'est-ce que tu fais ici ? T'étais pas censée être sur ton lit d'hôpital ?

- C'est mon jour de sortie. J'pensais qu'tu serais plus heureuse qu'ça...

Daro'Shamada baissa les yeux oreilles, servit à sa mère des yeux aux pupilles dilatées et mouillés par des larmes de crocodiles, fit trembler son menton et couina légèrement. Un silence gênant s'installa entre les trois personnes. La jeune Khajiit compta jusqu'à trois et sourit narquoisement quand sa mère la prit dans ses bras en s'excusant.

Ça marche à tous les coups !

- C'est bon, M'man. J'te pardonne. Lâche-moi ! Ça devient gênant.

La Mère de clan lui obéit et fit de nouveau face à Messire Ordy qui se retenait de toutes ses forces pour ne pas exploser de rire. Il suffisait donc d'un regard larmoyant, d'un petit couinement et d'une tête irrésistible pour calmer la chef de clan.

- Si je fais pareil que votre fille, ne put-il s'empêcher de dire, est-ce que vous accéderez à ma demande ?

- Vous êtes ma fille ?

La réponse était toute faite. Il se contenta de regarder la Mère de clan avec un sourire en coin.

- Vous avez votre réponse. Pourquoi l'avoir fait venir ici d'ailleurs ?

- Je pense qu'elle pourrait nous partager ses souvenirs. Depuis qu'elle est ici, j'ai entendu son récit un nombre incalculable de fois, mais je ne l'ai jamais « vu ».

- Et vous pensez pouvoir profiter des pouvoir du Sucrelune pour tenter l'expérience ?

- Ça vous permettrait de voir que la situation dans laquelle nous nous trouvons est vraiment critique et que je ne vous raconte pas des bobards.

La Mère de clan claqua ses mâchoires entre elles et les poils de son dos se hérissèrent malgré elle. Elle était nerveuse. Jamais elle n'avait fait de visionnage de souvenirs sur des membres de sa famille.

- M'man, intervint Daro'Shamada. Si ça peut aider mes amis à se sortir d'la mauvaise passe dans laquelle ils s'trouvent, j'suis d'accord pour qu'vous « voyez » mes souv'nirs.

- Si je me rate, tu risques de finir ta vie clouée à un lit, dépendante de ton entourage et incapable d'utiliser tes pouvoirs...

- Quand est-ce que t'as raté un visionnage ?

Le visage inquiet de la Mère de clan se dérida légèrement. Malgré les différends qu'elles avaient, sa fille avait toujours les mots pour la rassurer. Elle était celle qui la comprenait le mieux la seule qui pouvait la faire changer d'avis.

- Installez-vous alors, murmura-t-elle en s'asseyant en tailleur sur le sol. Daro'Shamada, en face de moi. Messire Ordy, derrière moi.

Ils lui obéirent sans rechigner. Une fois qu'elle eut tout préparé, la Mère de clan plongea son regard dans celui de sa fille, cherchant la moindre faille dans sa détermination. En vain. Daro'Shamada était sûre d'elle. Plus qu'elle ne l'avait jamais été. La Mère de clan lui tendit un petit sachet blanc. Elle sortit le même de sa sacoche et en avala le contenu, rapidement imitée par sa fille. Elle tendit ses bras, mains tournées vers le haut.

- N'oublie pas Messire Ordy, M'man, lui souffla Daro'Shamada en frôlant du bout de ses coussinet les paumes de sa mère.

La Mère de clan grogna, sortit une troisième dose de Sucrelune et la tendit au Sage de la Lumière.

- Avalez le Sucrelune, posez vos mains sur mon dos et pas un mot jusqu'à ce que je vous y autorise. Compris ?

Elle jeta un coup d'œil par dessus son épaule et le vit acquiescer. Elle se reconcentra sur sa fille, oubliant la présence de cet étranger. Daro'Shamada posa entièrement ses mains sur les siennes et elles s'agrippèrent l'une l'autre. Le rituel démarra quand la Mère de clan prononça la formule. Messire Ordy n'en comprenait que le quart : elle mélangeait Draconique et Ta'Agra, la langue khajiiti, avec tant de simplicité qu'il avait l'impression que ces deux langues n'avaient toujours fait qu'une.

Il sentit une grande puissance s'échapper de la Mère de clan. Des volutes spirituelles s'enroulèrent autour d'elle, puis remontèrent le long de ses bras par l'intermédiaire du dos de la Khajiit.

- Fermez les yeux, souffla-t-elle d'une voix d'outre-tombe.

Messire Ordy lui obéit instantanément. Il ne tenait pas à ce qu'elle rate son rituel par sa faute et que Daro'Shamada finisse à l'état de légume. Une vague de pouvoir déferla en lui. Il ne reconnaissait pas cette énergie spirituelle. Il devina qu'elle appartenait à la Mère de clan. Cette dernière s'affairait à déployer toutes ses forces pour réussir à garder sa fille en un seul morceau tout en visionnant ses souvenirs. Un souffle de vent coupa la respiration au Sage de la Lumière. Des scènes se jouaient devant lui. Les formes étaient floues, mais il reconnut instantanément la silhouette maigrichonne de Margot. Elle se trouvait sur un lit face à un jeune homme, et Daro'Shamada se trouvait derrière ce dernier. Il avait l'impression qu'ils procédaient à une incantation... Mais il n'arriva pas à deviner laquelle : ce n'était pas le souvenir qui intéressait la Mère de clan. Elle accéléra les événements jusqu'à ce qu'un mot retentissent dans leurs esprits.

- STOP !

La marche rapide du film de souvenir s'arrêta et la lecture en vitesse normale s'enclencha. Daro'Shamada étaient allongée sur son lit, Margot à ses côtés. Elles parlaient en Draconique. Quelqu'un toquait à leur porte. La Khajiit alla ouvrir, comme d'habitude, et se retrouva face à six gardes angéliques. Ils ne lui laissèrent pas le temps de comprendre ce qu'il se passait, l'attrapèrent fermement et la tirèrent hors de sa chambre. Un septième garde rentra et captura Margot. Faible par rapport aux Anges, elle ne pouvait rien faire. Ils les emmenèrent toutes deux dans le hall et commencèrent à rouer de coup la femme-lynx. Elle se défendit comme elle le put sous les hurlements terrifiés de son amie. Cette dernière se débattait pour lui venir en aide. En vain. Elle était trop faible. Daro'Shamada avait réussi à se défaire de l'emprise des Anges. Elle était épuisée, mais elle prit la fuite sous les encouragements de Margot.

Elle courut jusqu'à en perdre haleine, se cacha pour se reposer et manger, se camoufla parmi les végétaux lorsque les Anges étaient trop proches pour qu'elle court à découvert. Ils voulaient sa peau, elle le savait. La Khajiit ne pouvait pas se permettre de mourir : Margot et Horte étaient prisonniers des Anges et il fallait qu'elle prévienne Ordy, le bienfaiteur de son amie. Mais arrivée devant les portes de la ville, elle s'était écroulée, à bout de forces à cause de son marathon. Quand elle s'était réveillée, elle était à l'hôpital. Messire Ordy avait accouru pour écouter ce qu'elle avait à dire, puis avait fait contacter un médecin khajiiti pour qu'elle puisse se remettre complètement.

Les souvenirs qui les intéressaient cessèrent à ce moment. La Mère de clan mit fin au rituel et rompit les liens qu'elle avait créé. Daro'Shamada ouvrit les yeux et sourit à sa mère.

- Tu vois qu't'as réussi !

Messire Ordy put lire toute l'admiration que la jeune Khajiit avait pour sa mère même si elle ne l'avouerait jamais.

- J'ai une féroce envie de combattre les Anges, avoua la Mère de clan. Cependant, je ne vois toujours pas pourquoi je devrais parler de ces évènements avec notre Grande Crinière.

Le Sage de la Lumière fit un mouvement de la main et un loup balafré entra dans la pièce. Une guerrière le montait fièrement, lance en main. Quand elle arriva à leur hauteur, la Valkyrie posa pied à terre et s'inclina pour les saluer. Un voile noir cachait son visage.

- La politesse voudrait qu'on dévoile son visage aux yeux des ses interlocuteurs.

- M'man, claqua la voix de Daro'Shamada, c'est Geyra. Elle a été blessée au visage et n'aime pas se dévoiler.

- Excuse-moi, Geyra... dit piteusement la Mère de clan, oreille abaissées. Je ne t'avais pas reconnue. Bonjour à toi aussi, Mercur.

Le loup grogna et s'assit aux côtés de la Valkyrie.

- Messire Ordy m'a demandé de venir pour que vous « voyiez » ce qu'il s'est passé quand je suis allée à l'Académie avec mes sœurs.

La Mère de clan fusilla du regard le Sage de la Lumière. Elle tendit sa main à la guerrière voilée et l'invita à s'asseoir face à elle. Quand elles eurent avalé le Sucrelune, le rituel débuta et les souvenirs défilèrent sur la rétine de la Mère de clan. Elle feula à de nombreuses reprises, révoltée que des personnes de son espèce puissent s'associer aux Anges et utiliser les Senche de cette manière.

- J'espère que la Grande Crinière décidera que les Baandaris devront subir le même sort que Lorkhaj ! cracha-t-elle en rompant le rituel et en dévisageant le Sage de la Lumière.

- Qui est Lorkhaj ? J'avoue ne pas m'y connaître en mythologie khajiiti...

- Le dieu né au milieu des Grandes Ténèbres. Celui qui a grandi dans le vide. Celui qui a trompé ses frères et sœurs. Celui dont le cœur a été arraché en guise de représailles !