Chapitre 5
Quelques secondes suffirent pour que la vie de Ronald Johnson bascule à nouveau. Durant ce court moment, alors qu'il s'avançait les mains levées vers sa destination finale, il aperçut dans la foule deux personnes qu'il ne s'attendait pas à revoir. L'une avait partagé sa vie pendant sept ans, les sept plus belles années de sa vie comme il le disait lui-même; l'autre était celle qui avait tout brisé.
Ces deux personnes le regardèrent comme s'il était une bête de foire ; il pouvait clairement lire de la déception dans les yeux de sa femme, mais il n'y vit aucune trace d'amour, d'angoisse ou même de compassion. C'était comme si pour elle, il était déjà mort. L'homme, son patron, le narguait ouvertement. Son bras entourait l'épaule de celle qui était maintenant son amour, et son visage affichait un rictus méprisant.
C'en était trop.
Cela ne leur avait pas suffi de mettre sa vie en miettes, il fallait aussi qu'ils viennent ici se moquer de lui ouvertement, lui montrer qu'à leurs yeux il n'était plus que de la guimauve ? La rage s'empara de Mr Johnson. Une rage silencieuse. Il avait pris une nouvelle décision.
Au même instant, il remarqua un policier qui s'approchait de lui sur sa gauche. Il darda un regard vers lui, et il comprit. Etait-ce à cause de la flamme qu'il vit dans ses yeux ou alors de la position qu'il avait adoptée ? Il n'aurait pu le dire. Il sut pourquoi il était là.
Ronald Johnson sourit. Ce flic lui faciliterait la tâche.
Il le vit s'élancer vers lui. Il avait l'impression que le temps avait soudain ralenti. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, mais ses pensées étaient claires, plus claires qu'elles ne l'avaient jamais été. C'est à ce moment qu'il se souvint, des autres explosifs qu'il avait disséminés dans son appartement. Mais il était trop tard maintenant...
Il appuya sur l'interrupteur juste au moment où le corps du flic toucha le sien.
Il y eut un petit bip, puis ce fut le néant.
Pour Jacob Nolen il n'y avait plus qu'une seule chose à faire : se cacher. Il savait que les prochaines secondes seraient déterminantes. Il se mit à courir en s'éloignant le plus possible de l'immeuble. Dans sa course, il croisa la femme qui avait abandonné son enfant chez elle. Sachant qu'il n'avait ni le temps ni la force d'aider tout le monde, il résolut de la sauver. Il ne le fit pas vraiment pour elle, mais pour son bébé.
Il l'entraina de force derrière une voiture, ignorant ses plaintes, et la plaqua sur le sol. Un quart de seconde plus tard, on eût dit que la fin du monde était arrivée. Il y eut une grande détonation et des cris s'élevèrent de toute part. Le souffle de l'explosion fut tellement puissant que Jacob eut l'impression que le sol tremblait.
Au bruit de l'éclatement, la femme s'était agrippée à lui comme s'il était sa bouée de sauvetage dans cette mer de violence et de destruction. Elle avait surement compris ce qui venait de se produire et elle s'était mise à crier. Il la serra fort dans ses bras et ils attendirent. Combien de temps restèrent-ils là à espérer ? Espérer que la situation n'était pas aussi grave qu'elle paraissait ? Espérer que le cauchemar était enfin terminé ?
Une éternité, aurait répondu Jacob.
Voulant s'assurer que le danger était passé, il lança un regard vers la devanture du bâtiment. Un frisson d'angoisse parcourut son échine. Jacob avait l'impression de se retrouver dans un film d'horreur. Son cerveau n'arrivait pas à assimiler ce que ses yeux lui dévoilaient.
Il y avait des corps calcinés, maculés de sang, éparpillés un peu partout. Il n'arrivait plus à distinguer ni l'inspecteur, ni le négociateur ou encore Mr Johnson. Les gens hurlaient, gémissaient, c'était horrible. C'était l'enfer. Mais il y avait pire : leur immeuble était dans un triste état. On aurait dit qu'une tornade était passé et en avait emporté une partie. La porte d'entrée avait complètement volé en éclats, ce qui était normal vu que Mr Johnson s'y était trouvé à proximité. Cependant, Jacob n'arrivait pas à comprendre comment toute une partie du premier étage avait pu être autant détruite. Etait-il possible que l'explosion fût si puissante qu'elle atteignit même les appartements qui se trouvaient au premier ?
Maintenant qu'il y pensait, Mr Johnson vivait au premier étage. Et si c'était son œuvre ? se dit Jacob. Et si, en plus des explosifs qu'il avait sur lui, il en avait cachés d'autre dans sa demeure ?
Jacob se leva, abandonnant la femme qu'il venait d'arracher à une mort certaine. Ses pensées se tournèrent vers sa sœur. Il pria le ciel qu'il ne lui était rien arrivée.
Sans s'accorder un autre instant de répit, le jeune homme se mit à courir vers l'immeuble, ignorant les appels de certains policiers qui lui ordonnèrent de ne pas y entrer. Il évita soigneusement de porter ses regards sur le sol, parce qu'il avait peur mais aussi parce qu'il se sentait coupable. Tout cela serait-il arrivé s'il avait prévenu quelqu'un, n'importe qui, du plan dangereux de l'inspecteur Arnold ? Et même si personne ne l'avait écouté, au moins il aurait essayé...
Chassant ces pensées désastreuses de son esprit, il se mit à monter les escaliers deux à deux. Il y avait des débris un peu partout et une odeur de soufre planait dans l'atmosphère. La bâtisse, qui il y a quelques minutes encore était en un seul morceau, avait maintenant l'air d'être en rénovation.
Arrivé au deuxième étage, il se précipita aussitôt vers la porte sur laquelle était marquée le numéro 43 et entreprit de l'ouvrir, mais celle-ci était fermée. Il recula d'un pas et la défonça avec son pied.
- Elena ! Elena ! cria-t-il.
L'appartement était composé de trois chambres, d'un grand living-room relié à un balcon et d'une kitchenette. Il courut vers la chambre de sa sœur.
Il n'y avait personne. Le lit était vide. Il voulut se rendre dans la salle de bain lorsqu'il entendit de faibles gémissements. Il se mit à regarder autour de lui, et suivant ses facultés auditives, il la trouva. Elle était cachée en-dessous du lit.
Il la tira de là et la prit dans ses bras.
- J'ai eu tellement peur, dit-elle en pleurant.
- Je sais...C'est fini maintenant...
Ils restèrent ainsi un moment. Jacob caressait les longs cheveux noirs de sa sœur en signe de réconfort. Ils se ressemblaient beaucoup. Ils avaient les mêmes yeux bleus myosotis qui provenaient de leur mère, et ce nez aquilin qu'ils avaient hérité de leur père.
Jacob entraina Elena hors de l'appartement. Au moment où ils s'apprêtaient à descendre les escaliers, Jacob se souvint de quelque chose. Il y avait une autre personne qu'il devait absolument sauver.
- Vas-y sans moi, dit-il à Elena. Je te rejoins dans quelques minutes.
- Pourquoi ? demanda sa sœur, apeurée. Je ne veux pas y aller toute seule.
- Elena, tu n'as plus rien à craindre. Je ne serai pas long, je te le promets.
Devant le regard insistant de son frère, Elena capitula. Il la vit descendre, puis elle disparut de son champ de vision. Il commença aussitôt ses recherches.
Il y avait un hic cependant: il ne savait pas dans quel appartement il devait se rendre. La femme ne le lui avait pas dit. Jacob se mit à marcher à l'aveuglette en espérant entendre quelque chose qui le mettrait sur la voie. Il collait son oreille sur les portes, mais il n'entendait rien du tout.
Il était déjà parvenu au numéro 46 lorsque soudain il entendit quelque chose. Il n'y avait aucun doute : c'étaient bien les pleurs d'un bébé. Il se retrouva devant le numéro 48, et il défonça la porte.
L'appartement était semblable au leur, excepté le fait qu'il était bien moins décoré. Chez eux, au living room, il y avait sur le mur des photos encadrés qui représentaient leur famille ; ils les avaient placées de telle sorte qu'elles puissent former un triangle. Tout au centre, il était écrit :
« Family is God's greatest masterpiece»
Jacob avait demandé que la photo de leur mère soit retirée du mur, mais leur père avait toujours refusé.
Le bébé était confortablement installé dans son lit, la tête levée vers le ciel. Il criait, gesticulait dans son beau pyjama bleu clair. Jacob s'approcha, le prit aussitôt dans ses bras et se mit à le bercer. L'enfant cessa de pleurer au bout de quelques secondes.
Au cours des heures qui suivirent, l'attention médiatique autour de la prise d'otages survenue au Rothbury Manor s'accentua. Non seulement il y avait eu des morts parmi les otages, mais plusieurs policiers aussi perdirent la vie, dont deux qui étaient reconnus dans la ville de Randburg.
Le père de Jacob et Elena qui se trouvait dans une autre ville du pays pour affaire, revint auprès d'eux, accompagné de leur mère. Lorsqu'il la vit, Jacob ne put résister à la tentation de se jeter dans ses bras. Tous les corps qu'il avait vus précédemment resurgirent dans sa mémoire et il se mit soudain à trembler et pleurer, sa sœur faisant de même dans les bras de leur père.
Le cauchemar était enfin terminé ; cependant, Jacob Nolen savait que la vision de tous ces morts le hanterait jusqu'à la fin de ses jours.
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