Chapitre 1 Professeur Armitage
La pluie tambourinait la fenêtre avec une force inhabituelle. Il faisait souvent mauvais à Arkham, mais là j'avais l'impression que c'était pour fêter mon désastreux retour dans les locaux du journal. Mon patron m'y attendait de pied ferme. Et je savais pourquoi. Assis sur un siège à coté de son bureau, je poirotais depuis une bonne demi heure. Je triturai les doigts d'angoisse, sachant pertinemment ce qui m'attendait. Les collègues passèrent devant moi sans un regard. Ils ne voulaient pas attraper la "malédiction de Rex". Je leur en voulais pas, enfin si ! Un mot gentil m'aurait sorti de ma torpeur.
- Rex ! Dans mon bureau !
Je sursautai à mon prénom, et me levai immédiatement. Tous les regards étaient maintenant tournés vers moi et la fameuse porte en bois, où était accrochée une pancarte indiquant que c'était le bureau du directeur. Je pris une grande inspiration et m'engouffra dedans.
- Je suis là patron... murmurai-je
Je n'entendis qu'un bougonnement de sa part, une sorte d'invitation à entrer et fermer la porte derrière moi. Je me postai devant son bureau, où tous de sorte d'article et de photos étaient exposées. Et... Je ne voyais pas les miennes, bien entendu...
- Patron...
Il ne leva pas ses yeux, et continuait à lire une lettre ou un article à faire paraitre. Son silence était oppressant. Il fallait que j'en finisse au plus vite.
- Écoutez, c'était une très mauvais idée de m'avoir envoyer en Roumanie... Vald n'est qu'une légende, rien de plus, et les photos, enfin vous savez moi et la légendaire poisse... Mais le château était réellement magnifique.
Encore une fois, il me répondit point. Il s'enfonça encore plus dans son siège, et enleva ses lunettes pour se frotter les yeux. C'était certain qu'il ne savait pas quoi faire de mon cas, puisque je n'avais rien apporté comme photographie. Le voyage sur le bateau avait été mouvementé (en plus d'avoir fait connaissance avec Jenny Barnes). Et ma cabine eut un très léger problème d'eau... au plafond des toilettes. Comprenez que la cabine du dessus, avait eu un gros dégât des eaux, et que cette eau avait coulé sur les pellicules en développement, rendant mes clichés inexploitables. D'où l'absence des photos sur sa table. Alors que j'allais de nouveau briser le silence, il répondit enfin :
- Pendant ton absence, un courrier nous ait parvenu. Il est à ton nom, et porte l'adresse du journal. Alors on l'a ouvert, tu ne vois pas d'inconvénient ?
J'ouvris la bouche pour la refermer aussitôt. Je m'étais préparé à un tsunami d'engueulade, mais au lieu de cela, il me tendit le dit courrier. Une lettre manuscrite. Alors que j'attrapai la lettre, mon patron continua :
- Je pense que tu tiens là de quoi te rattraper de ton désastre en Roumanie.
Je hochai la tête et baissai les yeux sur la lettre. L'écriture était fine et délicate, mais on sentait sa rapidité d'exécution. Celui ou celle qui l'avait écrite, était pressé ou bien angoissé ?
- Je te laisse prendre connaissance du contenu dans ton bureau, et ensuite tu pourras partir.
- C'est tout ? Demandai-je prudemment.
- Hum ! Allez sors, j'ai du travail !
Encore une fois, je hochai la tête rapidement, et partis de son bureau, la lettre à la main. J'étais hébété. Et en voyant la tête des autres, je devinai que eux aussi stupéfaits que moi. Comment j'avais pu m'en sortir sans aucune insulte.
Je traversai rapidement le couloir pour aller à mon bureau et m'installai afin de lire la dite lettre :
Mon cher Rex
Tant d'année se sont écoulés depuis notre dernière rencontre. J'espère que vous travaillez toujours à ce journal local, afin que cette lettre vous parvienne. C'est difficile pour moi de l'admettre, mais j'ai besoin de votre aide. Dès que vous avez ce message, rejoignez moi dans ma demeure le plus rapidement possible. Je vous laisse mon adresse, au cas où vous auriez oublié où j'habite.
Cordialement ,
Dr Armitage.
Je relus ce message très court une deuxième fois, incertain de ce que je venais de lire. Armitage avait été mon mentor lors de mes quelques années d'études journalistiques à l'Université de Miskatonic, et il me demandait de l'aide ! C'était complètement délirant, car le Docteur Armitage était un imminent professeur et un excellent bibliothécaire. Qu'est ce que je pourrais apporter comme aide ?
Dehors la pluie avait cessé, comme une invitation à y aller. Si c'était pressé, il ne fallait pas trainer. Je regardai la date sur la lettre : 12 mars... Elle datait de 3 semaines, et j'avais bien peur que mon aide n'arrive que trop tardivement. Tant pis ! Je pris ma sacoche où j'avais toutes mes affaires de reporter et partit en coup de vent, sans dire au revoir au bureau.
Devant la grande demeure d'Armitage, je grelotai de froid. J'avais parcouru la ville à pied, et même si la pluie avait arrêté de tomber, la fraicheur du soir avait pris sa place. Je pouvais apercevoir une fenêtre laissant échapper la lueur d'une quelconque lumière. Il était là.
Je frappai à cette grande porte qui s'entrouvrit de suite. Je rentrai avec prudence, comme si j'étais un voleur. Je me souvenais alors de soirées passées en sa compagnie, discutant de mythes et d'objets archéologiques fantastiques. Il y avait souvent des élèves comme moi, triés sur le volet par le professeur. Nous formions un cercle restreint de penseurs en tout genre. La maison avait toujours été bien entretenu et très bien rangé. Pourtant ce soir, je vis un chaos qui ne ressemblait guère au Professeur. Des livres étalés partout, des bouteilles d'alcool renversés... Non ce n'était pas du tout son genre. Au bout du couloir, je pouvais entendre des voix. Il n'était pas seul ? A chacun de mes pas, le parquet craquait. Si je voulais être discret, c'était raté. La porte de son bureau était légèrement entrouverte. Je la poussai pour découvrir le Dr Armitage dans son siège, et deux autres personnes. L'une était assise, tandis que l'autre se tenait debout à l'écart dans l'ombre.
- Rex ! S'exclama t-il en me voyant sur le pas de la porte.
Tous les regards se tournèrent vers moi. Et un plus particulièrement féroce. Je fis abstraction de ce dernier et entrai dans la pièce. Je me précipitai vers le bureau, tendant ma main pour saluer mon mentor. Il se leva et l'attrapa, puis m'invita à m'assoir à mon tour. Alors que je pris place, le Professeur se versa un verre de pinot noir. J'osai en attendant jeter un coup d'œil sur les deux autres personnes.
Celle qui était assise à coté de moi, était une jeune femme noire, à l'accoutrement bizarre. Elle portait une grande toge de lin couleur ocre, serrée avec une ceinture très colorée, surement tissée artisanalement, où étaient accrochés de petites fioles, et des aumônières solidement fermées. Elle arborait aussi un énorme collier de perles multicolores qui dessinaient des motifs géométriques, mais aussi des bracelets aux poignets et aux chevilles reprenant le même motif que celui du collier. Elle ne portait qu'aux pieds, des sandales de cuir marron. Son regard sombre semblait me juger, et ses lèvres généreuses laissèrent passer un filet de marmonnement que je ne comprenais point.
Mais ce n'était pas spécialement elle qui me faisait le plus peur. Non. C'était celui qui était dans l'ombre de la pièce. Il portait un chapeau gris et un grand imperméable bleu royal. Ses bras étaient fermement croisés et n'invitaient pas à la conversation. Il me toisait du regard avec ses grands yeux bleu gris, encadrés par de longs cils et des sourcils que je trouvai très fournis. Il faisait bien un mètre quatre vingt dix et semblait être plus jeune que moi.
- Rex, tu tombes vraiment très bien, dit Armitage
Je reportai mon attention sur le Professeur.
- Trois personnes à mon secours ne seront pas de trop... Et le fait que vous arriviez en même temps, si rapidement... me donne un peu d'espoir.
Il remis ses petites lunettes rondes correctement sur son nez, et je pris le temps de le détailler. Certes, il avait vieilli. Mais on pouvait lire en plus de cela de l'inquiétude et du désarroi sur son visage. Chose que je n'avais jamais vu auparavant.
- Je... suis à la recherche de deux de mes collèges, le Dr Francis Morgan, un professeur d'archéologie, et Warren Rice, professeur de langues.
Mr Rice me disait vaguement quelque chose. J'avais du l'avoir dans mon cursus scolaire.
Armitage continua :
- Warren et moi étions censés nous voir le 11 mars, après diner afin de discuter de plusieurs découvertes importantes, mais il semble avoir disparu. Au début, je n'ai pas jugé cela inquiétant, mais j'ai la sensation tenace qu'il se passe quelques chose. Une sensation très... familière.
Son inquiétude semblait grandir à chacun de ses mots. Ses mains tremblèrent quand il reprit son verre de pinot, qu'il sirota nerveusement.
- J'ai essayé de contacter Francis, espérant qu'il sache où était Warren, mais lui aussi semble introuvable. J'ai entendu dire qu'il passait la majorité de son temps dans quelque antre du jeu... J'ai bien peur que Warren ait des ennuis, C'est pour cela que je vous ai fait venir. J'apprécierais grandement que vous tentiez de le retrouver pour moi. Vous pourriez aussi rechercher l'aide de Francis, à condition que vous parvenez à mettre la main sur lui.
Un silence s'abattit dans la pièce, alors que mon mentor repris du pinot. L'immense personne qui était dans l'ombre, s'avança jusqu'à son visage soit entièrement éclairé par la lampe du bureau. Mon souffle se coupa. Il était beau.
- Donc, si je résume bien ? On doit chercher une personne dont on ne sait pas quand et où il a disparu ? Avec l'aide de quelqu'un qu'on ne sait pas lui aussi où il est ?
Son langage n'allait pas du tout avec sa grande beauté. Soudain je vis sur son imperméable un insigne accroché. C'était un fédéral !
Armitage rit jaune à l'annonce du fédéral.
- Non, ce n'est pas tout à fait exact. D'après ce que je sais, Warren a été aperçu dans le Département des Humanités de l'Université Miskatonic. Quant à Francis, certaines rumeurs disent qu'il est fourré au club privé du Trèfle. C'est un salon de jeu clandestin haut de gamme situé au centre ville.
- Ho... oui, je vois très bien où c'est, répondit le fédéral.
- Nous avons tout intérêt à nous y mettre maintenant, Professeur Armitage, dit la jeune femme noire.
- A vous trois, je suis sûr que vous allez les retrouver rapidement, répondit Armitage avec un léger sourire.
La femme sourit à son tour, puis se leva et salua le professeur en s'inclinant. Sa démarche chaloupée pouvait envouter n'importe quel homme et le rendre fou. Elle s'arrêta sur le pas de la porte et se retourna vers nous.
- Vous venez ?
Puis elle disparut dans le couloir. L'immense jeune homme enfonça encore plus son chapeau, et partit sans un mot au professeur. De tout évidence, il ne le connaissait pas plus que cela. Je me retournai vers Armitage qui était encore plus marqué.
- Nous retrouverons les Dr Rice et Morgan, lui dis-je pour le rassurer.
- Comme j'aimerai penser que cela soit vrai...
A mon tour, je saluai mon mentor et emboita le pas sur le fédéral. Alors que je fermai la porte du bureau du professeur, il me sembla entendre des sanglots étouffés. Armitage pleurait-il ? C'était encore plus grave que je le pensais...
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