Chapitre 2 - #4
Je jette un nouveau coup d'œil en direction des trois hommes. Ils semblent avoir repris leurs esprits et commencent à recharger leurs armes. Je regarde aux alentours, mais ne vois aucune trace de mon allié de fortune. Bon, il est temps d'en terminer avec cette sale besogne.
Je ferme les yeux et inspire une grande bouffée d'air nauséabond. Mes mains ont enfin cessé de trembler, ma respiration est lente et profonde. Je peux repasser à l'action. Sans plus attendre, je me décale d'un pas, vise et tire. Trois tirs parfaits qui achèvent l'unité. Mes oreilles bourdonnent légèrement, avant de se réhabituer au silence de la mort. Des bleus. C'est tout ce qu'ils étaient. Un symptôme révélateur de l'expansion rapide du NGPP de ces derniers temps. Leurs nouvelles recrues sont envoyées sur le terrain avant même de savoir tenir correctement une arme. Ils deviennent alors de la chair à canon face aux milices armées et à une population prête à tout pour défendre son bout de terrain en zone sensible.
Un mouvement attire mon regard, plus loin devant moi. L'homme avec qui je me battais, il y a quelques instants à peine, se relève et pointe son arme dans ma direction, prêt à tirer. Si j'avais voulu le tuer, ce serait déjà fait et il le sait. Alors il range son semi-automatique sous sa veste, avant de me rejoindre aux côtés des corps inertes, l'air déconcerté. La colère a disparu de ses yeux et, toujours un peu perplexe, il se passe une main dans les cheveux. Nous allons peut-être pouvoir repartir sur de bonnes bases. En admettant que la mort de ces dix hommes en soit une...
— Pourquoi tu n'as pas essayé de te servir de ton arme contre moi tout à l'heure ? Et qu'est-ce que tu faisais à nous surveiller ? demande-t-il à nouveau sans détour.
J'époussette mon manteau et me dirige vers mon sac, mais l'homme m'attrape le poignet pour me forcer à le regarder. Je me dégage sèchement et récupère mes affaires avant de revenir auprès des cadavres, tout en sortant mon détecteur de présence. Cette fois, je lance un scan de détection de chaleur thermique en modifiant l'affichage pour que l'appareil me modélise la position des êtres vivants sur une vue aérienne dans un rayon de cinq cents mètres. Point rouge : grande corpulence. Point orange : moyenne corpulence. Point gris : petite corpulence. Comme ça j'aurais une vision d'ensemble des êtres vivants dans le coin.
Les corps se vident de leur sang à mes pieds tandis que l'icône de chargement du détecteur disparaît. Comme je m'y attendais, douze points rouges figurent au centre de l'écran. Dix ne vont pas tarder à s'éteindre les uns après les autres. Si j'avais le temps, je leur donnerais une sépulture décente... comme aux autres. C'était des êtres humains après tout. Mais connaissant leurs procédures, cela n'allait pas être possible. Au moins, ils n'auront pas le temps de pourrir à l'air libre comme ce rat.
— Si cette patrouille n'était pas passée par ici, tu serais mort, déclaré-je alors d'une voix sourde à l'homme qui m'a suivie.
— Tu sembles bien sûre de toi, réplique-t-il froidement en s'agenouillant auprès des soldats.
— Quant à tout à l'heure, j'étais juste curieuse. Et visiblement ça ne me réussit pas vraiment, rajouté-je plus pour moi-même que pour mon interlocuteur.
L'autre ne réagit pas, trop occupé à fouiller les poches des morts pour récupérer ce qui pourrait lui être utile. J'ai toujours du mal à me faire à cette pratique, mais les temps sont durs alors je garde pour moi mes réflexions acerbes. Je sors mon Mémo et lui demande de me calculer un nouvel itinéraire pour la journée.
— Je te conseille de ne pas trop traîner dans les parages, une autre patrouille va bientôt débarquer pour voir ce qu'il est advenu de celle-là, lui dis-je doucement en rangeant l'appareil dans mon sac.
L'homme hoche la tête.
— Je sais. Qui es-tu ? me demande-t-il brusquement en se relevant.
— Qu'est-ce que ça peut te faire ?
Je lève les yeux vers le ciel. L'aube pointe enfin le bout de son nez à l'horizon, propageant une lueur rougeâtre au-dessus des carcasses de buildings et de maisons noyées sous les débris. Le spectacle de la déchéance humaine qui s'offre à nous a quelque chose de grandiose. Et d'effrayant.
L'homme se plante devant moi. Je le dévisage : grand, un mètre quatre-vingt-dix à vue d'œil, des cheveux bruns en bataille, des sourcils bien dessinés qui assombrissent de grands yeux noisette. Il arbore une barbe de deux jours sur les joues, et ses larges épaules s'accompagnent d'une musculature que je devine puissante sous son blouson en cuir et son pantalon en toile.
De par sa carrure et sa voix grave, je pensais qu'il était plus âgé, mais je constate en réalité qu'il doit avoir une vingtaine d'années. La faim et la fatigue nous changent tous.
— Comment tu t'appelles ? insiste-t-il.
Je soupire et malgré moi lui réponds :
— Xalyah.
— Pardon ?
— Xalyah... c'est mon prénom.
— Khenzo.
Il me tend la main, mais je ne réagis pas. J'ai de nouveau les yeux rivés sur le détecteur de présence et ce que je vois n'est pas franchement réjouissant. Visiblement, le groupe du jeune homme, qui me tend toujours la main, est retourné sur ses pas et ils ne sont pas seuls. De nouveaux points rouges lumineux s'agitent dans tous les sens sur le bord de l'écran. Je fronce les sourcils. Soudain, plusieurs détonations résonnent au loin pour mourir à travers les ruines. Et merde...
La main de Khenzo retombe le long de sa cuisse, ses traits se durcissent et je devine ses muscles se contracter sous ses vêtements.
— C'est bien ce que je pense ? demande-t-il en grinçant des dents.
— J'en ai bien peur.
Sans attendre davantage, il revient sur ses pas en courant et se dirige vers les coups de feu. Mon instinct me dit de le suivre. Ma raison me dit de me détourner et de continuer mon chemin. Ce ne sont pas mes affaires. J'hésite. Si ses amis sont en mauvaise posture, il ne pourra rien faire seul. D'un autre côté, mon combat est ailleurs. Certes, mais vous avez fait front commun face au NGPP... Putain de conscience à deux balles ! Pourquoi faut-il qu'elle m'emmerde maintenant ? Chaque instant est précieux et j'ai perdu suffisamment de temps avec mes conneries comme ça ! C'est vrai, mais il t'a laissé le bénéfice du doute. Tu lui dois bien ça.
À contrecœur, je m'élance à sa suite, le talonnant de près. De nouvelles détonations brisent le silence. Certaines proviennent de pistolets, d'autres de mitraillettes. Je crois même deviner quelques explosions de grenade dans le lot. Quoi qu'il en soit, l'affrontement semble brutal. Au bout de quelques minutes, le calme revient au-dessus des ruines de béton et de métal. Khenzo accélère le rythme et je l'imite pour rester à sa hauteur. Apparemment, il fait partie des bons coureurs. Jamais je n'aurais pu le distancer.
Je peine à le suivre tout en manipulant le détecteur. De ce que j'en vois, les points rouges continuent de se déplacer et leur nombre a diminué de moitié. Je ne sais pas si c'est bon signe... J'éteins tout mon matériel et le range dans mon sac afin d'avancer plus aisément.
Après un bon quart d'heure de course intense, Khenzo s'arrête brusquement dans une petite ruelle. Elle fait l'angle du bâtiment depuis lequel je les observais, lui et son groupe, un peu plus tôt dans la nuit. Je manque de lui rentrer dedans et étouffe un juron. Il m'attrape par l'épaule et me plaque brutalement en arrière, contre le mur. Compris cinq sur cinq. Je la ferme.
Le jeune homme jette un œil dans la rue principale, puis il me fait signe d'avancer avec prudence. Je dégaine mon Wallgon-X et vérifie immédiatement l'état des munitions. Il me reste six balles dans le chargeur, alors je plonge une main dans mon sac et en attrape un second pour les échanger. Je préfère avoir douze balles dans le magasin plutôt que six. Par précaution, j'enlève le cran de sûreté tandis que Khenzo sort son semi-automatique rangé sous son bras – un Desert Eagle HF10 si je ne m'abuse – prêt à faire feu si nécessaire.
Nous traversons rapidement la rue, puis nous nous plaquons contre le renfoncement d'un mur. D'un geste de la main il m'incite à la prudence et je hoche la tête. Il pourra compter sur moi, pour cette fois. Après, je reprendrai mon chemin, comme prévu.
Je le suis en couvrant ses arrières et nous longeons le mur, jusqu'à ce que nous atteignions le grand rideau de fer devant lequel son groupe se tenait tout à l'heure. Alors qu'il s'apprête à me demander de l'aide pour le soulever, le rideau s'ouvre. D'un même mouvement, nous pointons nos armes vers l'intérieur, distinguant vaguement des silhouettes dans l'ombre. Une demi-douzaine de voix, dont la mienne et celle de Khenzo, s'élève, ordonnant à chacun de ne pas bouger et de baisser son arme.
Puis, le silence.
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