Règle n°3: Ne jamais perdre espoir

L'aube commence à poindre à l'horizon. Mes yeux se posent attendris sur Amy qui dort paisiblement à mes côtés. Je remonte le drap qui a glissé dans son sommeil avant de sortir sans faire de bruit.

Sur le balcon, je demeure figée par le spectacle saisissant du lever de soleil sur le fleuve. Les teintes rosées du ciel s'éclaircissent pour céder la place à un bleu timide dévoilant peu à peu une toile splendide et azuréenne. Il fait bon, il fait beau. La journée s'annonce sous les meilleures auspices.

Les notes feutrées d'une série de vocalises remplissent l'air. Je me retourne vers Amy. Un sourire aux lèvres, elle s'approche, dépose un baiser rapide sur ma joue et fredonne l'air de : « Oui devant Dieu, devant les hommes ».

J'esquisse une moue amusée.

— Bonjour ma chérie! Elle est belle ta chanson. C'est la première fois que je t'entends la chanter. Tu es déjà à fond dans la cérémonie à ce que je vois.

Elle émet un petit rire pétillant.

— Je m'échauffe la voix. La mère de Karl m'a demandé de chanter à l'église cet après-midi.

Je marque un silence songeur.

— Je me demandais ce qu'elle t'a glissé à l'oreille hier, à notre arrivée. C'était donc ça?

— Oui, opine-t-elle. C'est une surprise pour Emma. Elle sait qu'une soliste interprétera une chanson, mais ignore de qui il s'agit.

***

— Alors les filles, vous vous décidez à descendre?

Amy et moi nous nous penchons toutes les deux au-dessus de la rambarde et apercevons Simon qui nous fait de grands signes de la terrasse où le petit déjeuner est installé en buffet comme le dîner de la veille.

— On arrive! répondons- nous à l'unisson.

À l'abri des regards, Amy s'esclaffe.

— Tu as la cote avec lui!

Je marmonne une réponse inintelligible en filant sous la douche.

Nous nous préparons en vitesse avant de descendre. Les parents de Karl nous accueillent à l'entrée de la terrasse et nous embrassent avec effusion. Je laisse Amy s'entretenir avec la mère de Karl et rejoins Simon pour comparer et mettre au point nos discours respectifs lors de la soirée.

Simon m'entraîne aussitôt à l'écart.  Je m'assois près de lui en face de la piscine. Le bleu de l'eau fusionne avec la couleur du ciel. Les roses exhalent un doux parfum. Je laisse mon regard errer par-delà le jardin. Une fois de plus, je suis charmée par la vue sur le Rhin.

— C'est beau! murmuré-je.

Simon sourit, amusé.

— Ce soir, la réception de noces sera donnée dans un magnifique hôtel sur les hauteurs de Bonn avec une vue imprenable sur le fleuve et la vallée du Rhin. Cela t'enchantera j'en suis sûr.

Il ajoute:

— me réserveras-tu une danse?

— Bien sûr! m'exclamé-je.

Son visage s'éclaire. Mal à l'aise sous son regard insistant, je détourne les yeux. Je plonge la main dans la corbeille de fruits sur la table et en ressors une fraise que je porte à ma bouche. Simon m'observe maintenant avec une intensité troublante.

— Tu es vraiment différente de toutes les femmes que j'ai rencontrées, finit-il par dire d'une voix profonde.

— À t'entendre, tu as une grande expérience des femmes, réponds-je en plaisantant.

— Disons que je suis un fin connaisseur en matière de beauté féminine. Tu m'intrigues et j'ai vraiment envie de voir ce que tu caches sous cette carapace.

Un instant désarçonnée, je refuse de m'engager davantage sur ce chemin glissant. Je toussote pour m'éclaircir la voix et le ramène habilement à nos discours.

***

De retour dans la chambre, je me prépare seule. Amy rejoint Annabelle et les autres demoiselles d'honneur, elles s'habillent chez la styliste. Nous nous retrouvons ensuite toutes les trois dans la chambre d'Emma afin de l'aider à apporter une dernière touche à sa toilette.

À notre vue, un sourire radieux éclaire le visage d'Emma.

— Comment me trouvez-vous? demande-t-elle, soudain anxieuse.

— Tu es magnifique Emma, répondons-nous en chœur.

Elle est resplendissante, je ne l'ai jamais vue aussi belle. Pour le mariage civil, elle arbore une robe blanche courte à manches trois quart, près du corps, à la coupe parfaite. D'une sobriété et d'une élégance absolue, elle est échancrée dans le dos et se ferme sur la nuque par un simple bouton en soie. Un empiècement à dentelle sortant du bas de sa jupe apporte une note supplémentaire de féminité à sa tenue.

— Il est temps d'y aller mesdemoiselles, nous lance la wedding-planner après avoir jeté un coup d'œil à sa montre.

Se tournant vers Emma.

— Le futur mari doit s'impatienter.

Il a été convenu qu'Emma fasse une entrée émouvante à la mairie. Sur place, Karl se charge d'accueillir les invités avec ses parents. Heinrich nous attend et nous ouvre la portière d'une limousine blanche décorée de tulles, de roses et de nœuds. Nous nous installons confortablement dans le salon en cuir. Vingt minutes plus tard, nous nous engageons sur "Berliner Platz". La voiture ralentit et s'arrête devant l'hôtel de ville. Heinrich descend nous ouvrir.

— Mesdames, vous êtes arrivées, claironne-t-il. Je vous souhaite une très belle cérémonie...

Une envolée de marches plus tard, nous arrivons devant la salle de mariage. Je sens une certaine nervosité chez Emma. Elle serre le magnifique bouquet en cascade qu'elle tient à la main. Je lui adresse un sourire rassurant.

— Détends-toi! C'est le plus beau jour de ta vie, lui dis-je gaiement, juste avant qu'elle ne franchisse les portes et prenne le bras du père de Simon venu à sa rencontre pour la conduire auprès de Karl.

Tous les invités se lèvent. Le visage de mon amie se métamorphose à la vue de son fiancé debout à l'autre bout de la pièce dans un smoking bleu. Amy, Annabelle et moi, nous empruntons l'allée latérale sur le côté droit pour rejoindre Simon devant le large bureau en bois où le maire préside. Tous les regards convergent vers Emma, à l'exception de Simon. Ses yeux s'attardent sur ma robe en soie couleur pêche. Il s'avance pour me prendre la main qu'il porte à ses lèvres.

— Tu es de loin la plus belle femme avec la mariée, murmure-t-il.

Je baisse les yeux, gênée par l'inflexion de sa voix.

— Merci, lui dis-je brièvement.

— Il ne te quitte vraiment pas des yeux, chuchote Amy.

À ce moment précis, le maire ouvre officiellement la cérémonie.

Les yeux dans les yeux, le regard éperdu d'amour, les futurs époux s'échangent leurs vœux. C'est un moment empreint de gravité. Jusqu'alors, je me suis retenue. Devant le bonheur évident de ma meilleure amie, je suis submergée d'émotions. Mon cœur se remplit d'empathie. Pour Emma, oubliées les années malheureuses à l'orphelinat; elle a trouvé une seconde famille auprès de celle de Karl. Mes yeux s'embuent de larmes. Simon me tend discrètement un mouchoir. Je le regarde avec gratitude et lâche dans un murmure:

— Décidément, tu es l'homme de la situation.

Il me répond sur le même ton.

— À votre service!

Le maire achève d'unir nos mariés. Karl et Emma se lèvent pour signer le registre de mariage. Simon se penche sur le côté et me souffle à l'oreille.

— Tes illusions perdues, les as-tu retrouvées?

— Mes illusions?

— Sur le mariage...

Je me mords les lèvres pour garder mon sérieux.

— Simon, grondé-je gentiment, rappelant mon binôme à l'ordre, tandis que le maire nous invite à nous lever tous les deux.

J'appose ma signature sur le registre et tends le stylo à Simon. Ce dernier s'exécute de bonne grâce, un mystérieux sourire flottant sur ses lèvres.

Les mariés scellent leur union par un long baiser. Nous leur adressons tous nos vœux de bonheur sous le crépitement des flashs. Après les embrassades, la cérémonie s'achève dans une touche d'émotions variées entre les rires et les larmes.

Notre trajet de retour vers le domaine des Müller se fait dans le cabriolet sport de Simon. Il tient la porte arrière aux filles et m'ouvre la portière du côté passager.

— C'est le jour idéal pour rouler le toit ouvert, n'est- ce pas?

— Génial! s'écrient Amy et Annabelle.

Je proteste faiblement.

— Le vent va nous décoiffer!

Simon me décoche un sourire apaisant.

— Ne t'en fais pas, Jess. Le cortège ne roulera pas vite, tu n'as rien à craindre pour ta coiffure.

Je capitule. Je croise le regard d'Amy dans le rétroviseur, je fais mine de ne pas voir son sourire entendu. Nous traversons la ville dans un joyeux concert de klaxons. Le cabriolet s'engage dans l'allée de la propriété. En m'ouvrant la portière, Simon me retient par le bras et lâche d'une voix basse, étrangement rauque:

— Tu es encore plus belle les cheveux décoiffés!