Chapitre 12
Le bruit strident du téléphone fixe m'arrache à mon sommeil. Je me réveille en sursaut, essayant tant bien que mal de rassembler mes esprits. Assommée par la chaleur de l'après-midi, épuisée par mes nuits blanches successives, je me suis assoupie sur le sofa. Mon cerveau embrumé tourne au ralenti. Les sonneries s'égrènent une à une, le répondeur s'enclenche, j'écoute avec effarement le message...
Je tombe des nues... Non, il n'a quand même pas osé ! Pas Emma ! Surtout pas Emma... Agitée par un pressentiment étrange depuis le clash survenu entre Simon et moi, je me doutais au fond de mon être que rien n'arrêterait la folie destructive de Karl. De toutes mes forces, je réfutais cette éventualité. Mais peut-être ai-je mal compris ? Je refuse de le croire. Bien réveillée maintenant, je m'avance, les jambes tremblantes vers l'appareil pour réécouter l'enregistrement.
La voix de Lucy résonne haut et clair dans le haut-parleur :
— Coucou Jessica. C'est Lucy. Emma m'a appelée, en pleurs. C'est à propos de Karl et toi. Rappelle-moi, s'il te plaît. Je t'embrasse ainsi qu'Amy.
Aussitôt les larmes roulent sur mes joues. Le doute n'est plus permis. Mon cœur se serre d'angoisse. Les mains moites, crispées sur le bouton du répondeur, je n'en reviens pas. Karl a bel et bien mis sa menace à exécution. J'ai besoin d'un café bien fort pour m'éclaircir les idées. Plutôt un double qu'un simple expresso. Je bois lentement le liquide brûlant tout en réfléchissant à la situation.
Certes, Karl est un personnage détestable, mais Emma est très amoureuse de lui. Qu'aurais-je à gagner à lui dire la vérité ? Elle n'est pas toujours bonne à dire ni agréable à entendre. Et si, celle-ci s'avère trop dure pour elle et si elle tente un geste désespéré ? Je ne me le pardonnerais pas. Je dois aussi garder en tête les années malheureuses d'Emma à l'orphelinat. La vie a été assez cruelle avec elle. Karl a beau être ce qu'il est, néanmoins il prend soin d'elle. Un divorce la mettra sur la paille. Je ne souhaite même pas à mon pire ennemi ce qui m'arrive en ce moment.
La réalité s'impose à moi. Vu comment c'est parti, c'est perdu d'avance. Si Emma est incapable de me faire confiance, il est inutile de chercher à préserver notre amitié. Je dois me résoudre à en faire le deuil. Il me faut faire un choix. Celui-ci a pour seul objectif : le bien-être et le bonheur d'Emma. Une chose est sûre; quelque soit ma décision, rien ne sera plus jamais comme avant entre nous.
L'important pour l'heure est de savoir comment se positionne Lucy. Je ne veux surtout pas lui imposer de choisir entre Emma et moi. L'amitié, comme l'amour, ne pose pas d'ultimatum. Le temps m'est compté. Autant apprendre à distinguer les « vrais » amis des faux. Il me faut à tout prix discerner, les personnes en qui je peux accorder ma confiance et mettre une croix sur les autres.
Lucy, me croit-elle coupable ? Me laissera-t- elle seulement m'expliquer ? Le téléphone sonne à nouveau. Je ne vais pas me laisser accuser sans tenter de me défendre cette fois-ci. Je repose ma tasse. Prenant une grande inspiration, je décroche et salue Lucy sur la défensive.
— Salut, Jess. Ça va ? s'inquiète-t-elle avec gentillesse.
Je souris à moitié soulagée par le ton chaleureux de sa voix.
— Je fais aller. J'ai bien reçu ton message. Emma t'a appelé ?
— Oui, me confirme-t-elle. Elle était bouleversée.
Je l'écoute avec une inquiétude croissante.
— Karl lui a rapporté que le soir du mariage, ému par votre situation, alors qu' il est venu te parler en privé pour t'assurer que ça ne le dérangeait pas que vous veniez vivre chez eux, tu en as profité pour lui faire part de tes sentiments et...
Je m'étrangle.
— Mes quoi ?
— Tes sentiments... Enfin... ton amour pour lui, explique-t-elle en riant.
Je serre les poings.
— Il est malade ce type ! Depuis quand, suis-je censée être amoureuse de lui ? Il est fou, soutiens- je avec véhémence.
Son rire s'accentue.
— Et ce n'est pas tout...
Mon souffle s'arrête.
— D'après Karl, tu aurais tenté de le séduire en essayant de l'embrasser. Tu as surtout eu les mains très baladeuses et tu lui aurais demandé de te faire l'amour dans le salon en lui assurant que ça resterait entre vous.
— Quoi ! M'écrié-je. Il est complètement taré!
— Je te donne le meilleur pour la fin.
J'étouffe un soupir.
— Vas-y lâche, je suis prête à encaisser.
— Monsieur affirme t'avoir repoussé. Tu aurais alors tenté de le faire chanter, s'il refusait de céder à tes avances, en le menaçant de dire à Emma qu' il t'avait agressé.
Je suis sidérée.
— Non ! Ce n'est pas possible !
— Emma a surpris une bribe de conversation qui ne joue pas en ta faveur.
Je pâlis. Je revois son apparition impromptue dans le salon privé. Je peux comprendre que ma remarque ait porté à confusion. Tout dépend de la manière dont elle l'a interprétée.
— Il n'est pas nécessaire d'en arriver là, murmuré-je.
D'une voix suffisamment distincte, pour être entendu par Lucy.
— Exact. Tu es supposée le faire chanter à ce moment-là. Je reste persuadée que c'est un énorme malentendu. Je te connais assez pour savoir que tu es incapable d'une telle chose. J'ai beau essayé d'en convaincre Emma, hélas son amour pour son mari l'aveugle.
Pendant de longues minutes, je pleure, je suis dans l'impossibilité de parler. Je prends une longue inspiration. À peu près calmée, je replonge dans le passé et raconte l'épisode du salon à Lucy. Je lui résume rapidement les échanges avec Karl, depuis le mariage jusqu' à l'épisode de Simon. À la fin de mon récit, je demande avec beaucoup d'appréhension :
— Tu me crois, n'est-ce-pas ?
— Bien sûr que je te croie. Je te connais assez ; tu ne trahirais pas une amie. Je suis indignée, outrée, folle de rage, vocifère-t-elle d'une voix vibrante d'émotion.
Lucy ne décolère pas.
— Karl est écœurant, ignoble, méprisable. C'est un vrai pervers.
Je renchéris d'un ton las :
— Comment peut-on penser qu'avec tout ce qui nous arrive, j'ai le temps de tomber amoureuse ? Qui plus est, du mari de ma meilleure amie. Comme s'il n'y avait pas assez d'hommes sur la terre... Il faut avoir un vrai problème psychologique avec un grand désespoir pour en arriver à cette extrémité et à cette perfidie à 21 ans...
Lucy déclare, pragmatique :
— Le pire dans tout ça, c'est que Karl a le bon rôle auprès d'Emma. Toi tu passes pour la traîtresse de service. Elle aurait dû t'appeler et te donner au moins la chance de t'expliquer. Ne lui en veut pas, Jess. Elle s'accroche à son mariage et l'amour rend aveugle.
— Je sais. Garde ce que je t'ai confié pour toi. Emma ne doit pas l'apprendre. Même si c'est très dur, je préfère perdre son amitié que de la voir à la rue. Promets-le-moi, Lucy.
— Je te fais le serment de n'en parler à personne. Reprends-toi, Jess. Concentre-toi uniquement sur ton déménagement et ton futur toit. Moi, je serai toujours là.
— Merci, Lucy, murmuré-je d'une voix enrouée par l'émotion.
Lucy enchaîne d'un ton enjoué :
— Ce sont les vacances chez vous, à Paris. Si tu ne trouves rien d'ici la fin du mois, venez à New-York toutes les deux. Ça pourrait être une solution pour l'été en attendant de trouver un appartement pour la rentrée.
— Je ne peux pas m'éloigner de Paris pour l'instant. Je dois d'abord régler mes problèmes.
— Je comprends. Ma proposition est valable à n'importe quel moment. Sois forte et ne t'attarde ni sur les conneries de Karl ni sur Emma. Ne pense qu'à ton souci de logement et à Amy. D'acc ? Je vous embrasse toutes les deux très fort.
***
Je réfléchis avec un peu plus de netteté à l'attitude d'Emma ces derniers jours. Je n'ai plus de ses nouvelles. Mes mails restent sans réponse. Tout s'éclaire à présent. Après avoir médis sur moi auprès de Simon, ce gros mythomane de Karl n'a pas pu s'empêcher de mettre son grain de sel auprès de sa femme. Je ne me résous pas à être dans l'expectative de la réaction d'Emma. Bien que je ne veuille ni briser son mariage ni semer la discorde entre son mari et elle, déterminée à tirer au clair ses confidences auprès de Lucy et à avoir son ressenti à mon égard, je décide de la joindre. Il n' y a rien de pire que l' incertitude. Je compose son numéro.
La froideur de son intonation me fait frissonner.
— Jamais, je ne t'aurais cru capable d'une telle trahison, Jessica. Comment as-tu pu me faire ça?
Chaque mot me transperce le cœur.
— Je vous ouvre la porte de ma maison, Karl vient t'assurer que vous êtes les bienvenues et toi tu en profites pour lui proposer d'avoir une relation intime avec toi ? Le soir de notre mariage en plus ? Tu étais ma meilleure amie, Jess, achève-t-elle en larmes.
Je lâche un rire dérisoire. C'est plus fort que moi. Étouffant un sanglot, je rétorque peinée :
— Et tu l'as cru, bien sûr!
Un silence tendu s'ensuit. La réplique fuse, cinglante :
— Non contente de me trahir, tu veux me faire douter de mon mari ?
Là-dessus, elle enchaîne d'une voix tremblante de colère :
— J'aurai accepté des excuses, Jessica, des remords. Karl pense que tu traverses une mauvaise passe et que tu as forcé sur l'alcool ce soir-là. J'étais prête à te pardonner. J'aurais mis ton comportement sur le compte de ta détresse, la disparition de tes parents. Je viens de m'apercevoir à quel point, je me suis trompée sur toi. Notre amitié est rompue.
Je décèle dans sa voix une souffrance indicible, qui n'a d'égale que la mienne. Je l'écoute impuissante, secouée de sanglots étouffés. Toujours sous le choc, j'accuse ce dernier coup de glaive. Je ne suis pas au bout de mes peines. Enfin, la cerise sur le gâteau : Karl s'empare du téléphone.
— Si tu tentes à nouveau de prendre contact avec mon épouse, espèce de cinglée, je n'hésiterai pas à porter plainte pour harcèlement. Je me réserve d'ailleurs le droit de déposer une main courante pour agression sexuelle et abus de confiance.
Je n'entends pas le reste, le combiné m'échappe des mains et tombe à mes pieds.
***
Une tristesse d'une profondeur abyssale m'envahit. Puis, à mesure que le temps passe, un sentiment de révolte grandissant monte en moi. Je suis dans un état second, partagé entre la souffrance et la colère.
Karl est vraiment d'une bassesse sans fond. Sa stratégie mesquine m'ulcère au plus haut point. Quant à Simon, toutes ses accusations me restent encore au travers de la gorge. Aussi cinglé que son cousin celui-là ! Les deux font vraiment la paire. Deux vrais psychopathes à interner à perpétuité.
Je fulmine intérieurement. La vision du paquet laissé par Simon qui traîne toujours sur la table attise davantage ma colère. Je n'ai toujours pas digéré ses derniers propos.
— Pour qui me prend-il ?
Je sais ce qu'il me reste à faire. Ma décision prise, j'attrape le paquet et l'ouvre. Un bracelet en or blanc avec des diamants de la collection « les liens » de Chaumet. Ma colère s'amplifie. Quels liens ? Rien ne nous unit. Je ne suis ni sa femme, ni sa maîtresse, ni sa petite amie, ni rien du tout. Je vais lui donner une bonne leçon à cet imbécile, crédule, qui gobe les mensonges éhontés de son cousin. De quel droit s'est-il permis de m'insulter et de me juger ? Je suis peut-être à la rue, enfin pas encore... , mais je ne suis pas une mendiante. Il me reste un minimum d'orgueil et de fierté !
Je souffle, excédée. Je n'ai pas souhaité mes problèmes. Je ne les ai pas cherchés. J'en ai marre de me laisser faire ! Ça suffit !
Je referme la boîte à bijoux et prends soin de le remballer dans un papier moins tape à l'œil et plus discret. Je préviens Amy que j'ai une course à faire. Je sors la citadine du garage et file en direction de l'appartement de Simon. Tout le long du trajet, je ressasse ma rancœur. Ma fureur ne retombe pas. Je croise la gardienne dans le hall de l'immeuble et lui confie le paquet. Je sors mon portable de ma poche et compose le numéro de Simon. Je bouillonne de l'intérieur. Malgré tout, j'arrive à émettre d'une voix froide et posée dès la mise en route de sa boîte vocale :
— Bonjour, Simon. C'est Jessica. Rassure-toi, je ne souhaite pas reprendre contact avec moi. C'est juste pour te prévenir que je suis dans ton immeuble ; je viens de déposer auprès de ta concierge, la boîte que tu as laissé l'autre soir. Tu peux la récupérer chez elle. Je n'en veux pas.
J'assortis mon message d' un SMS. Cinq minutes plus tard, Simon accuse réception de mon texto et essaie de me joindre dans la foulée. Je ne décroche pas. Il me laisse à son tour un message vocal, me demandant de le rappeler. Je lui envoie un dernier SMS pour lui dire : « Adieu ».
Je sélectionne ensuite les paramètres de mon téléphone pour entrer dans mes donnés de contacts. Je bloque son numéro. Mission accomplie. Ouf, un emmerdeur de moins dans ma vie.
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Coucou à tous,
J'espère que ce chapitre vous a plu.
Que pensez-vous de tous ces rebondissements ?
J'attends vos retours avec impatience.
Plein de bisous 😘😘😘
Je vous aime ❤️❤️❤️
Sophie
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