30/06/2028
Aujourd'hui l'aube est rouge, elle annonce la pluie. Ce n'est pas désagréable par ces fortes chaleurs dommage que je n'ai pas de savonnette. De temps en temps je me baigne dans une petite mare toute proche mais l'eau est stagnante et peu oxygénée si bien qu'ensuite je pue la vase. Mais ces précautions s'avèrent nécessaires pour éviter des inflammations à des endroits inappropriés de mon anatomie, où la peau est la plus fragile. Un petit ruisseau déroule son maigre filet à gauche de la cabane mais il est presque à sec. Maintenant de fortes rafales de vent soufflent par à-coups. Une averse violente se met à tomber. A vue de nez au minimum un mois de pluie en dix minutes. Je cours me réfugier à l'abri sous le toit plus très étanche du petit cabanon. L'orage a métamorphosé la forêt en une grande étendue grise, zébrée par la verticalité sombre des troncs d'arbres. La multitude des gouttes d'eau raye l'espace morne d'une diagonale imaginaire, perpétuelle. Une fraîcheur éphémère me procure un frisson. Puis tout s'arrête. Le lait du gris s'estompe, un bout de ciel bleu apparaît et s'étend. Déjà le soleil brille radieux. La nature pétille de mille feux, les verts et les jaunes luisent des restes de l'ondée. Le tout premier matin du monde.
Pan ! Pan ! Pan !
Soudain plusieurs détonations brisent la quiétude, des dizaines d'oiseaux juchés sur les hauteurs des peupliers fragmentent le ciel d'une gerbe désordonnée. Stupéfaction. Chaques déflagrations résonnent dans ma poitrine. La peur me submerge impossible de la dominer. Tétanisé, abandonné par la chaleur de mon corps je reste agenouillé contre un arbre un temps indéfini. Puis la curiosité, la nécessité de savoir me torture, il faut absolument que j'aille là-bas. Je cours jusqu'à un sous bois éclairé par une clarté chimérique. Un homme gise au sol les bras en croix. Il a l'allure standard d'un gangster directement sorti d'un film de Quentin Tarantino, pantalon noir, veste noire, chemise blanche. L'expression d'une douleur intense décompose son visage. Pilonné par la mort il rend son dernier souffle. Je reste muet le cœur serré. Étrange de ressentir cette fine membrane de l' inconscient qui nous sépare en deux, d'un côté l'être humain qui refuse la mort car il ne se conçoit pas comme mortel et de l'autre côté un être primitif qui s'accompli dans la haine par l'anéantissement de l'autre, de l'ennemi.
Je le fouille. Apparemment il a déjà été dépouillé. J'éprouve une certaine répulsion au contact de se corps chaud sans vie. Pas de chichis. Tant bien que mal je lui retire sa paire de basket et tente de lui enlever son pantalon mais j'abandonne il est plein de boue. Nous sommes du même gabarit et mes haillons sont usés jusqu'à la corde. Tant pis. Je m'étonne de mon calme. Ne faut-il que cinq minutes pour supprimer les strates de culture qui persistent en nous ?
Sauf que je n'ai tué personne et je n'éprouve aucune culpabilité à prendre les chaussures d'un type qui n'en a plus l'utilité.
Un téléphone portable sonne à quelques mètres. Je ne le touche pas la caméra et le micro peuvent être activés à tout moment. Je décide de rester un petit peu à l'affût pour voir si il y a du mouvement. Ces longs temps d'attente qui rythment mes journées m'épuisent, ils sapent mon énergie, je m'abandonne trop facilement à mes souvenirs et à mes émotions. Au bout d'une heure environ un pick-up noir s'avance lentement le long d'un chemin de terre défoncé. Il émet le bruit furtif si caractéristique des véhicules électriques. Il se positionne à hauteur du cadavre. Cinq minutes s'écoulent. Les portières s'ouvrent, deux hommes en costume noir chemise blanche descendent de la camionnette. Ils ramassent le macabé et le jettent à l'arrière du pick-up. J'ai vraiment la drôle d'impression de jouer un personnage dans Réservoir Dogs. Que font ces gens ici, ce ne sont pas des déclassés, ils ne font pas parti des zones hors contrôles. En plus, ils ont certainement remarqué l'absence des chaussures. Enfin ils partent. Je me relève la tête embrouillée. Inutile de se poser trop de questions mais je n'arrive pas à m'évader de ce cauchemar. Je marche de façon automatique. J'ai envie de hurler, de frapper dans quelque chose. Une immense colère monte. Un ras le bol de cette vie de survivance. J'ai envie de renoncer. Des injures s'arrêtent au bord de mes lèvres, des insultes contre les autres et moi-même. Les yeux me piquent, je ne peux plus retenir ma rage. Je me lance dans une cavalcade effrénée droit devant, les herbes hautes, les branches, me fouettent les jambes, le visage, des larmes coulent le long de mes joues. Mon corps est une intense tension vive.
À bout de souffle je m'arrête les mains sur les genoux pour reprendre ma respiration. Je me laisse tomber sur le dos dans les hautes herbes. Contempler la cime des arbres se découper dans le ciel m'apaise. Les plus nobles essences ne sont pas les plus intéressantes. Le graphisme des branches du robinier a ma préférence. Ces agencements répétitifs, aériens et sans surprises me rassurent. Esthétisme du point d'or et jeu mystérieux de l'abstraction.
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