MA 1. L'accord
Les armées de l'ennemi sont partout, où que je tourne mon regard elles sont là, par delà les remparts de la ville. Nous sommes assiégés depuis des semaines, nos réserves de nourriture sont inexistantes, nous crevons de faim. Mon père est enfermé dans la salle du trône depuis trois jours, il cherche par tous les moyens une solution pour gagner cette guerre. Mais aucun de nos alliés n'a répondu, notre armée a été écrasée, le royaume est à feu et à sang. La seule chose qu'il nous reste est la capitale, ville fortifiée qui résiste à tous les assauts. Elle tient mais plus rien n'entre ni ne sort, c'est notre tombeau.
Je m'appelle Aliénor et j'ai seize ans aujourd'hui. Ce devrait être le plus beau jour de ma vie, avec un grand bal pour célébrer l'occasion. Je devrais être heureuse, passer des heures à me préparer avec mes meilleures amies, rire aux éclats à la moindre occasion et supplier mon père de me laisser mettre la couronne de mère. Mais aujourd'hui je n'ai pas le coeur à ça. Je suis montée en haut du donjon, de la tour on a une vue imprenable sur toute la plaine, sur tous nos ennemis.
Je fais cela depuis des semaines, je regarde inlassablement l'ennemi nous attaquer, utiliser ses catapultes sur nos murs, nous lancer nos pauvres paysans en guise de projectiles, quand ce ne sont pas des balles de foin enduites d'huile et enflammées. Je concentre mon attention sur eux pour oublier ma faim, j'ai tellement faim et je suis pourtant l'une des plus chanceuses. On ne compte plus le nombre de morts. Les jeunes enfants et les vieillards ont été les premiers à mourir, un vrai carnage. Je prie, tous les dieux, ceux que je vénère comme les autres, pour que cela s'arrête. J'en viens même à vouloir mourir.
Mon père a régulièrement envoyé des messagers conclurent des accords en son nom, leurs têtes décrochées de leurs corps nous sont revenues en guise de réponse. Ils veulent nous exterminer. Je vois de l'agitation en bas, du côté de la porte principale du château, mon père sort avec quelques gardes. Il n'est pas à cheval, nous les avons tous mangés, et se dirige vers les portes de la ville qu'il fait ouvrir. Il s'en va, il avance vers l'ennemi, il va se faire tuer... Je le vois disparaître dans l'armée adverse, il est désormais hors de portée et certainement bientôt mort. Je pleure à chaudes larmes, au moins nous ne manquons pas d'eau, c'est la mauvaise saison et il pleut pratiquement tous les jours. Il n'est pas même venu me dire adieu. Il abandonne son peuple, moi, comme cela, sans un mot.
Je descends à toute allure en quête de ma soeur aînée, je la trouve dans la salle du trône, effondrée. Elle qui était plutôt ronde est d'une maigreur morbide, ses joues sont creusées et son teint est si pâle. Je ne suis probablement guère mieux.
- Pourquoi ?! lui hurlé-je, pourquoi est-il parti ?
- Il est allé négocier notre reddition. C'est la fin. Me répond t-elle avec tristesse.
Elle est assise à côté du trône, lasse mais presque apaisée en prononçant ces mots. Cet enfer de privations se termine, mais pour quel autre ?
Les conseillers royaux restent silencieux à côté de nous, nous savons tous que père peut ne pas revenir et être déjà fait prisonnier. L'attente est longue, le silence écrasant. Les citoyens survivants sont autorisés à nous rejoindre, nous prions ensemble pour notre salut. Les heures passent, la résignation s'installe. Mon père a ordonné que les portes soient laissées ouvertes, dans tous les cas c'est la fin.
Notre attente se termine à la fin du jour, l'ennemi arrive, avec notre père. Il est à cheval, abattu mais vivant. La foule s'écarte pour les laisser passer, ils ont amené des chariots de nourriture... Un murmure de joie se répand plus vite que le vent. Notre ennemi devient notre sauveur. Ma soeur sourit sans restriction mais je suis beaucoup plus réservée qu'elle. Quel est le prix de cette générosité. Notre père invite le roi vainqueur et sa suite à le suivre dans la salle du trône, nous leur emboîtons le pas et venons nous placer avec lui sur l'estrade, un peu en retrait.
Le roi Johr est un homme mauvais, du plus profond de son âme, il est belliqueux et enchaîne les guerres. Son regard même est insoutenable. J'essaie de regarder quelqu'un d'autre mais il sont tous plus mauvais les uns que les autres. Trois jeunes guerriers et quatre plus vieux montent avec lui. J'imagine qu'ils sentent ma peur car ceux qui me regardent rient. Qu'y a-t-il de drôle avec la misère ?
- Peuple adoré, nous avons vécu ensemble de bien belles années, notre royaume fut ma fierté pendant des décennies. Pardonne-moi de n'avoir su te protéger. Nous avons vaillamment combattu, notre courage est connu de tous. Il nous faut pourtant nous incliner devant la puissance de Terrenor. Le roi Johr a eu la bienveillance d'accepter ma reddition. Je lui remets ma vie, ainsi que la vôtre entre ses mains. Nous avons un accord des plus honorables : son second fils, Iain -l'un des guerriers avec nous s'avança d'un pas afin que l'assemblée ne puisse le rater- gouvernera ici en son nom. Je le couronnerai moi-même après qu'il ait pris pour femme ma douce Mira.
Ma soeur lui jette un regard d'effroi et s'appuie sur moi pour ne pas s'effondrer. Le dénommé Iain ressemble à tout sauf à un homme charmant. Il est massif, barbu ébouriffé et ses yeux sombres accentuent l'impression malsaine qui l'entoure. Notre père l'ignore et continue son discours.
- Cette union garantira la force de notre alliance. A elle seule elle montre à quel point je tiens à ce que la paix soit reine ici-bas.
Il est à deux doigts de pleurer, sa voix chevrote, il tremble mais garde la tête haute et poursuit.
- Mais je tiens à ce qu'elle soit plus que consolidée, c'est pourquoi Johr et moi avons convenu que son troisième fils, Athénor, qui dirige les royaumes du sud -les royaumes de la mort devrait-il dire, ces terres désolées sont inhospitalières et tueuses au possible- épouserait ma plus jeune fille : Aliénor.
C'est-à-dire moi.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro