Chapitre 5, ou la Muse Improbable
Louis ouvre la porte, et m'invite à entrer. Nous avons monté de nombreux escaliers, et je comprends à présent pourquoi. Nous sommes dans son atelier, sous les toits. La fenêtre éclaire la pièce, et donne sur les jardins. La pièce est encombrée, pleine de toiles terminées ou non, des papiers partout, des sculptures plus ou moins ratées, et tout un tas d'objet nécessaires à la création de ses œuvres. Il me désigne un fauteuil, qui a presque l'air propre, et prends un tabouret. Il s'assit en face de moi, et recommence à me fixer. Je soutiens son regard, déterminée.
-Bon, finit-il par soupirer en se levant. Cela fait un moment que j'ai perdu l'inspiration qui m'animait autrefois. J'en ai parlé à Georgette, qui m'a dit de me trouver une muse. Et...
Il se tourne vers moi. Cette muse, ce n'est tout de même pas...
-Je vous ai trouvée vous.
La mâchoire m'en tombe. Moi ? Une muse ? La bonne blague... Au moins, ça explique ses regards insistants... Il arpente la salle, l'air fiévreux. Il parle très vite.
-C'est malheureux, mais je n'arrive pas à vous chasser de mes pensées. Pourtant, et sans vouloir vous blesser, juste pour être honnête avec vous, vous n'avez rien de spécial ! Des cheveux bruns, des yeux bruns, un visage commun, petite... Et, très étrangement, tout ceci mis ensemble, et ajouté à l'espèce d'aura étrange qui émane de vous, vous rend... Fascinante.
Il me fixe intensément. Je ne sais pas trop quoi en penser...
-Finalement, je suis spéciale, non ?
Il se rassoit et passe la main dans ses cheveux.
-Oui... Oui, finalement vous êtes spéciale, admet-il.
Il se tait quelques instants, fixant un point du mur à sa droite, et j'en profite pour l'observer avec un œil nouveau. Il était en train de... m'évaluer, pendant tout de temps. Comme un bel objet dont on ne connaît pas la réelle valeur. Ce n'est absolument pas plaisant.
-Bref, reprend-il brusquement. Vous... Vous voulez bien être ma muse ?
Il a vraiment l'air anxieux, attendant ma réponse comme si sa vie en dépendait. Et sans trop réfléchir ni m'en rendre compte, je lui réponds :
-Oui...
Comment ? J'ai dit oui ? Mais, enfin... Trop tard. Il saute de joie, et me saisit les mains pour me faire tournoyer.
-Oh merci, merci, merci ! s'écrie-t-il. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureux !
Il s'arrête et fait quelque chose qui me laisse sans voix. Il me serre dans ses bras. Je reste immobile, stupéfaite. Il finit par se détacher de moi.
-Excusez-moi, dit-il. Vous ne vous rendez certainement pas compte combien votre décision me réjouit et me soulage. Bien, enchaîne-t-il sans transition aucune, allez vous assoir sur le fauteuil. Je veux immortaliser ce moment.
-Maintenant ? Mais... Mais... Et Georgette ? Elle m'attend ! je bafouille.
-Les amis de Georgette n'arriveront qu'une fois la nuit tombée. Nous sommes encore en plein après-midi. J'ai le temps d'au moins faire une esquisse !
N'ayant aucun argument, je m'assois. Louis prend une toile vierge, une palette et plusieurs pinceaux.
-A cause du manque de temps, ce ne sera certainement pas mon chef-d'œuvre, mais vous faites un modèle superbe ! Allez-y, m'encourage-t-il, prenez une pause. Ce que vous voulez, mais il faut que vous soyez bien. Vous allez rester figée quelques heures ! Je tâcherai de vous faire la conversation au mieux, mais il faut que je reste concentré. Ne vous attendez pas à un débat philosophique !
Lassée d'avance, je m'affale sur le bras droit du fauteuil, la tête sur mon bras, le regard fixé sur la fenêtre, et la bouche légèrement entrouverte.
-C'est très joli, approuve Louis.
C'est cela, ma pause ? Je n'en avais pas l'intention, mais pour l'instant, je suis bien installée, alors je veux bien rester ainsi.
-Ne bougez plus, et tachez de ne pas vous endormir !
Longtemps, je reste immobile, le regard perdu dans le ciel que laisse voir la fenêtre, écoutant distraitement Louis, qui s'avère plutôt bavard. Plusieurs fois, je manque de m'endormir, mais me ressaisis.
-Voilà, finit par annoncer Louis. Ce n'est évidement pas terminé, mais je peux rectifier le reste seul.
Je me redresse et me lève en m'étirant. Mon dos, mon bras droit et mon cou sont en compote. J'espère juste qu'il ne me fera pas faire ce genre de chose trop souvent ! Je m'approche pour voir le résultat. Même si ce n'est pas le portrait final, c'est déjà, à mon goût, très réussi. On ne voit que mon buste, et le violet de ma robe se confond avec le pourpre du fauteuil. Je le soupçonne d'avoir amélioré mes cheveux. Ils ne devaient pas si joliment retomber, mais plutôt former une espèce de paquet tout ce qu'il y a de plus en bataille.
-Ce premier résultat vous plaît-il, ma muse ?
Louis s'est glissée derrière moi, un sourire aux lèvres.
-Vous auriez modifié certaines choses que je ne saurai pas étonnée ! Mais sinon, il faut bien avouer que c'est très réussi.
Louis a l'air heureux, bien que je ne saisisse pas exactement pourquoi.
-Vous devriez aller vous préparer. Les invités de Georgette ne vont pas tarder à arriver.
Ah oui, Georgette et ses amis ! Je file dans ma chambre changer de robe, optant plutôt pour le robe bleue foncée, qui ira certainement mieux avec mes cheveux, que j'essaie d'ordonner. Renonçant à une coiffure complexe, je me contente de rubans. Je suis en train d'enfiler un collier quand une domestique vient me chercher.
-Madame et ces Messieurs vous attendent dans le grand salon.
-Ils m'attendent ? Je suis prête. Du moins, je le crois... Comment je suis ? Comment sont mes cheveux ?
La domestique a un sourire.
-Vous êtes sublime, Mademoiselle. Ne vous inquiétez point.
-Bien, bien, merci. Heuuu... Vous pourriez me guider jusqu'au salon, s'il vous plaît ?
-Bien sûr. Venez, suivez-moi.
La domestique, dont le nom est Alice, me laisse devant une porte, m'ayant dit que tout allait bien se passer et que je n'avais pas de raison de paniquer. Je respire profondément et entre. Cinq hommes sont assis dans des fauteuils, et me dévisagent. Georgette se lève et désigne un siège, près d'elle.
-Messieurs, voici Aurore Cillan. Asseyez-vous ici, je vous prie, mon enfant.
Je vais m'assoir sous les regards insistants des hommes. Néanmoins, je ne baisse pas les yeux. J'ai ma fierté, et je me laisserai le moins possible intimider par ces messieurs, quel qu'ils soient.
-Voici Monsieur Liste, Monsieur Chapin, Monsieur Cazbal, Monsieur Beflartu, et Monsieur Delasphere.
Elle me les désigne un par un, et chacun incline légèrement la tête pour me saluer.
-Et comme vous avez malheureusement perdu la mémoire, ajoute Georgette, très grossièrement : Monsieur Liste et Monsieur Chapin sont des musiciens et compositeurs de génie, Monsieur Cazbal et Monsieur Beflartu sont de talentueux écrivains, entre autres, et Monsieurs Delasphere est un excellent peintre. Ma présentation n'étant pas complète, si vous voulez avoir plus de détails, je vous conseille de vous adresser aux intéressés. Bien, Louis ne devrait à présent plus tarder, alors discutons !
Effectivement, Louis arriva peu de temps après. Lorsqu'on passa à table, il prit jalousement place à côté de moi. Ce fut une soirée très intéressante. Les hommes étaient très cultivés et vifs d'esprit. Je fus rapidement à l'aise, et commença à donner moi aussi mon avis, demandant parfois des precisions, afin de me constituer une opinion, la plus juste possible. Ils tinrent compte de mes interventions, et débattirent même avec moi, pour mon plus grand plaisir. La soirée passa, selon moi, trop vite. J'avais hâte de les revoir. Mais pour l'heure, il fallait vraiment que j'aille me coucher.
Louis m'accompagne jusqu'à ma chambre, me donnant par la même occasion rendez-vous le lendemain près du saule pleureur, vers le ruisseau qui passait dans les jardins. Je me déshabille, enfile ma robe de chambre, et me couche, retrouvant ces étranges rêves.
Le lendemain, une fois apprêtée, je me rends vers le saule pleureur. De loin, je vois un bras droit, que j'identifie comme celui de Louis, qui dépasse de derrière l'arbre. Il est lâche, comme si Louis s'était endormi. Je vois aussi une toile, certainement mon portrait, sur le sol.
J'ai hâte de le retrouver. On s'est beaucoup rapprochés hier, j'ai appris à mieux le connaître, et je dois bien avouer que j'apprécie fortement sa compagnie. Je suis bientôt arrivée près de lui, et je suis curieuse de savoir ce qu'il me veut...
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