Chapitre 2, ou le (trop) Grand Voyage
J'essaie de me débattre, mais sans succès. Ma lourde et ample robe m'emporte vers les fonds de l'eau glaciale. Je cesse de lutter. Et je me laisse couler. À quoi bon...? Le néant commence à se refermer sur moi... Adieu...
Et puis je sens qu'on me tire... Mes poumons se remplissent à nouveau. C'est douloureux, et je tousse, tousse, tousse, espérant que je ne vais pas mourir en recrachant un quelconque organe. On me hisse sur du sol dur. Mon dieu, le plancher aux vaches ! Enfin ! J'avais bien cru ne jamais revenir à l'air libre ! Je reprends mes esprits pendant quelques secondes, avant de songer à remercier celui à qui je dois certainement la vie. Je cherche des yeux une personne dégoulinante et je la trouve juste devant moi. Un charmant jeune homme, bien habillé, et qui devait être bien coiffé, aussi, avant de sauter à l'eau.
-Mer...
J'ai surestimé mes poumons, visiblement. Je recommence à tousser. C'est sur, j'ai fait quelque chose à mes précieux poumons et ils veulent s'en aller de mon corps, vexés qu'ils sont. J'arrive à retrouver mon souffle, péniblement.
-Merci... je couine, très peu dignement.
Je dois être toute rouge, mes cheveux trempés doivent retomber sur mes épaules, plats et, avec un peu de chance, une ou deux algues ou autre saleté se sont accrochées dedans. Dire que, habituellement, mes cheveux souples et soyeux sont ma plus grande fierté... Ce qui est certain, c'est que ma robe est fichue. Le tissus n'aime pas l'eau. Définitivement, je ne suis pas présentable.
Le jeune homme n'a pas l'air d'en avoir grand chose à faire. Il sourit avec gentillesse et me tend la main pour m'aider à me relever.
-Il était de mon devoir de gentleman de secourir une demoiselle en détresse telle que vous. Louis Chevilleau, pour vous servir.
Il s'inclina devant moi. Il reprit :
-Puis-je savoir votre nom, mademoiselle ?
Mon nom ? Heu... Je n'ai pas réalisé jusque là, mais je ne me souviens de... rien. Je vacille. Louis me soutient gentiment. Allez, je suis sûre que je n'ai pas pu oublier quelque chose d'aussi basique que mon nom ! Un prénom surgit de nulle part dans ma tête. "Aurore". Et mon nom de famille... Un petit effort, ma mémoire ! "Cillan". Oui, je crois que c'est ça... Je dois m'y reprendre à trois fois avant de réussir à former la phrase. Bien ! Je ne suis pas du tout présentable, et en plus, je passe pour une idiote !
-Je suis Aurore Cillan. Du moins, je le crois...
Louis ne semble pas comprendre.
-Vous croyez ? me demande-t-il. Pourquoi n'êtes vous pas sûre de qui vous êtes ?
-Je...
La panique me gagne. Je ne sais pas qui ni où je suis, ni comment je suis arrivée ici, ni pourquoi. J'ignore même la date d'aujourd'hui !
-Où sommes nous ? je demande vivement. Quel jour sommes nous ? Comment... Comment cela se fait-il que je sois ici, bien que j'ignore où je suis ?
Louis paraît surpris. Laide, idiote et folle. Très bien, vraiment !
-Hé bien... dit-il. Nous sommes le vingt-quatre Janvier de l'an 1841, il doit être aux alentours de quatorze heures, si vous voulez savoir, et nous sommes à Paris, en France. Quand au pourquoi et au comment de votre situation, je crois que seule vous pouvez répondre. Et je dois bien avouer que j'aimerais moi aussi bien le savoir.
Le vingt-quatre Janvier ? En 1841 ? Paris ? Mais pourquoi cela ne me paraît-il pas normal ? Et, bon sang, qu'est ce que je fais ici ?!
-Mademoiselle ? s'inquiète Louis. Vous sentez vous bien ? Vous êtes soudainement bien pâle...
-Je ne me souviens pas, je souffle. Je ne me souviens de rien.
Alors que Louis ouvre la bouche pour parler, une dame, qui nous observait, intervint :
-Allons, mon cher ! Ne voyez vous donc pas que cette enfant a besoin de repos ?
La dame s'avance. Ce que je remarque immédiatement, ce sont ses yeux. D'un obsidienne profond, ils donnent l'impression de contenir l'infini et le néant, de sonder l'âme, de pouvoir voir l'invisible. Et ça m'impressionne et me réconforte en même temps. Ses cheveux très foncés sont attachés en un chignon strict. Elle sourit gentiment.
-Je suis Georgette de Dans. Si vous n'avez nulle part où aller, Aurore, je vous offre l'hospitalité.
Même si elle m'inspire automatiquement confiance, mon éducation dont je n'ai aucun souvenir oblige, je me méfie quand même. Mais ai-je d'autre choix ?
-Ce serait avec joie, je réponds. Si cela ne vous gêne pas, évidemment.
Elle me fais signe de la suivre, ce que je fais, et Louis aussi. Elle monte dans une calèche. Louis m'aide à monter, en parfait gentleman, encore une fois. Je m'assois aussi dignement que possible, et Louis prend place à côté de Madame de Dans. Aucun des deux ne me questionne. Je les remercie intérieurement pour ce tact. Je suis encore trop fatiguée, perdue et confuse pour réfléchir. Mais le silence est gênant. Et Louis me fixe intensément, ce qui n'arrange rien. Je me lance :
-Pourriez vous, s'il vous plaît, me décrire la ville et le pays ?
Madame de Dans, qui regardait dehors jusque là, se tourne vers moi.
-C'est-à-dire ? demande-t-elle.
J'essaie de clarifier ma question.
-Qui dirige le pays, pourquoi, des événements particuliers se deroulent-ils en ce moment, et heu... Les courants de pensées les plus répandus, les grands intellectuels... Peut-être me parler un peu de vous, pour commencer ?
Madame de Dans semble, d'une certaine manière, heureuse que je pose la question.
Elle me dit qu'elle est une écrivaine reconnue, qu'elle se bat pour l'égalité entre tous. Qu'elle a deux enfants : Violette, l'aînée, et Charles. Elle dit aussi qu'elle est une mécéne, et que son artiste dépendant du moment est justement Louis, peintre, écrivain et dramaturge de génie, selon elle.
La France est apparemment dirigée par le roi Louis-Henri III, mais Madame de Dans pense que cela va bientôt changer. En effet, le roi mène une politique plutôt répressive et favorise les plus riches. Mais le petit peuple meurt de faim, la révolte ne saurait, toujours selon elle, tarder. Les ouvriers des usines se font exploiter par les patrons, et cela révolte Madame de Dans.
Quand aux intellectuels, elle me dit que je ne saurais tarder à les rencontrer, car beaucoup sont de ses amis.
Et tandis qu'elle parle, nous arrivons à une grande maison, aux allures de château, en bordure de la capitale. Même si je suis un peu triste d'être arrivée si vite (Madame de Dans s'exprime avec passion, et on en se lasse pas de l'écouter), c'est aussi un soulagement, Louis ne m'ayant pas quitté des yeux du voyage. Il m'aide à descendre, mais semble être réticent à lâcher ma main.
-Bienvenue chez vous, Aurore ! s'exclame Madame de Dans.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro