Chapitre 5
Mayumi et Lucas arrivèrent en face d’une lourde porte en bois fermée de l’extérieur par une simple gâchette. Lucas n'eut pas besoin d'écouteurs pour percevoir les sanglots étouffés qui s'en échappaient.
Il adressa un regard entendu à sa coéquipière et lui céda la place pour la laisser entrer. Dans le souci de rassurer leur cible, Mayumi toqua à la porte puis l'ouvrit calmement.
― Attention, je rentre, dit-elle d'une voix qu'elle espérait apaisante.
À cet instant, Lucas reçut un message de Yoey l'informant que le navire venait de quitter le quai.
― T'inquiète, on est au courant, répondit-il dans son émetteur. On sera de retour dans quelques minutes.
― Ça marche, répondit le Défenseur. Prévenez-moi quand vous serez sur le pont. Je serai à la salle des machines.
― Ok, acquiesça Lucas.
Puis il fronça les sourcils.
― Attends, comment ça, tu es à bord ?
Mais Yoey avait déjà coupé la communication.
Lucas haussa les épaules et rejoignit Mayumi à l'intérieur de la pièce. Le petit garçon de six ans qui s'y trouvait les fixa d'un regard apeuré. Ses yeux étaient rougis et son visage baigné de larmes. Il portait un uniforme scolaire composé d'une chemisette blanche et d'un short noir à bretelles.
― Nous venons te sortir d'ici, dit Mayumi en avançant vers lui, les mains tendues en signe d'apaisement. Tout va bien se passer. On va t'aider à quitter ce bateau et te ramener chez toi. Comment tu t'appelles ?
L'enfant hésita quelques secondes puis bredouilla quelques paroles inintelligibles.
― Pardon ? fit l'adolescente en s'efforçant de ne pas paraitre brusque.
― Roka, parvint-il à articuler. Je m'appelle Roka.
― D'accord, Roka-kun, intervint Lucas. Est-ce que tu as mal quelque part ?
L'enfant secoua la tête.
― Bien, alors tu peux nous suivre. Nous avons...
Il fut interrompu par des bruits de pas précipités qui stoppèrent devant l'entrée. La femme à la chevelure décolorée apparut dans l'encadrement de la porte. Elle dévisagea les deux adolescents d'un air ahuri.
― Qu'est-ce que vous fichez ici, vous deux ? s'écria-t-elle en esquissant un mouvement de recul.
Craignant qu'elle ne s'échappe et commence à ameuter ses collègues, Lucas bondit impulsivement en avant et lui asséna un crochet à la tempe, suivi d'un direct à l'abdomen. Elle tituba en arrière, à l'extérieur, puis s'écroula au sol en se tenant le ventre.
― Désolé, grimaça-t-il, estimant qu'il avait réagi trop fort.
― Pourquoi elle est revenue, celle-là ? demanda Mayumi.
― C'est de ma faute, dit Lucas en exhibant les clés. Elle devait croire qu'elle les avait oubliées ici, et moi j'ai carrément omis qu'elle pouvait revenir.
― C'était tout de même une bonne idée, dit Mayumi alors qu'ils refaisaient le couloir en sens inverse. Même si nous avons notre kit de crochetage, ça nous aurait coûté quelques mètres de plus à la nage si elle nous avait enfermés à l'intérieur.
― Désolé petit bonhomme, mais on devra sans doute se mouiller pour rentrer.
— Est-ce que tu sais nager ? demanda Mayumi.
Le garçon fit non de la tête.
— A la piscine je suis toujours le dernier pendant les courses.
― Alors tu vas devoir nous faire confiance. Ne t'en fais pas, tu n'auras qu'à bien t'accrocher à moi.
— Hai, répondit Roka, un sourire ravi aux lèvres.
Il avait de suite retrouvé sa bonne humeur en voyant sa geôlière se faire étaler par l'adolescent.
Mais alors qu’ils retournaient vers l’escalier, l’homme en uniforme de marin descendit les marches. Il stoppa son avancée et fixa les adolescents avec étonnement. Lucas et Mayumi se figèrent un instant.
― On fonce ! réagit Lucas, réalisant que c’était leur seule issue.
― Je ne crois pas, non, répliqua l’homme en plongeant une main dans le pan de sa veste.
Il en sortit un petit révolver qu’il braqua sur les adolescents d’un geste nerveux, freinant net leur élan. L’enfant se réfugia derrière eux, agrippant les vêtements de Mayumi d’un geste nerveux. Sans quitter le groupe des yeux, l’homme se tourna vers l’ouverture de la cale.
― Hey, Teruo ! Viens vite, on a des passagers clandestins.
« On est mal », songea Lucas en réfléchissant à toute vitesse.
***
Yoey évoluait dans un corridor désert du niveau inférieur du Moonlight.
« Si je me souviens bien du plan montré par Lucas, la salle des machines devrait être quelque part par ici ».
Il ouvrit la porte d’une remise puis d’un placard à balai avant de tomber sur la bonne porte.
« Bingo », dit-il en allumant les lumières de la pièce.
Une chaleur étouffante régnait à l’intérieur. Tâchant de supporter le bruit infernal des machines, Yoey referma la porte derrière lui et descendit les marches à l’entrée. Il fit le tour du moteur principal, à la recherche d’un point faible à exploiter, puis se baissa et inspecta le dessous de la machinerie.
« Alors, comment on arrête cet engin ? » réfléchit-il.
Il remarqua une boite à outils en métal laissée dans l’angle. Des clés et des pinces s’y mêlaient en vrac. Yoey attrapa une pince coupante et avisa les fils électriques qui courraient le long des murs. Un sourire diabolique illumina son visage. Couper l’électricité suffirait sans doute à arrêter la machine. Un sabotage tel que les ravisseurs seraient incapables de remettre le bateau en marche les paralyserait pour de bon et les rendraient à la merci des forces de l’ordre. Il prit alors un tournevis dans la boite à outils, ouvrit le premier boitier électrique à sa portée et commença à en sectionner méthodiquement les fils.
***
Deux hommes de l’équipage raccompagnèrent Lucas, Mayumi et leur protégé à la cellule improvisée qu’ils venaient de quitter. Ils leur lièrent les poignets et les chevilles avec du ruban adhésif. Roka, lui, attendait dans un coin de la pièce, fermement tenu par la jeune femme qui toisait les adolescents d’un regard noir.
― On ne vous bâillonne pas parce que ça sert à rien, nargua l’un d’eux, un moustachu, en jouant avec le rouleau entre ses mains. En pleine mer et depuis le fond de ce bateau, criez comme vous voulez, personne ne vous attendra.
― Mais je vous le déconseille, dit la jeune femme d’une voix sombre en se massant la tempe. Le bruit me tape sur les nerfs et après ce que vous venez de faire, je ne me priverai pas de vous donner une bonne leçon.
― Comment ça se fait que des gamins aient repéré notre bateau et essayé de sauver notre otage ? questionna l’autre homme, au bras entièrement tatoué, en jetant un regard appuyé aux deux agents.
― Vous ne vous y attendiez pas, pas vrai ? répliqua Lucas. On a toujours eu un flair incroyable pour repérer les ordures dans votre genre.
― Dommage pour vous, répliqua le moustachu. Le petit au moins avait quelques chances d’être libéré en échange d’une garantie. Mais vous, en venant ici, vous vous êtes jetés gratuitement dans le pétrin.
― Qu’est-ce que vous allez nous faire ? demanda Mayumi d’une voix faussement apeurée.
En dépit de la situation, elle savait parfaitement qu’ils avaient encore quelques atouts dans leur manche. Ils se trouvaient dans un cas classique parmi les « contretemps » qu’ils pouvaient retrouver au cours d’une opération et plusieurs possibilités s’offraient à eux de s’en tirer. Surtout qu’ils étaient tombés sur des ravisseurs peu expérimentés et moins dangereux qu’ils n’auraient pu l’être. S’échapper apparaissait presque comme une formalité, mais il était toujours utile d’endormir la méfiance de l’ennemi avant de passer à l’acte.
― On ne sait pas encore, répondit évasivement le moustachu en fouillant dans leurs sacs d’équipements. Trois otages valent toujours mieux qu’un au point où on en est. Et je suis sûr que notre boss sera très intéressé de savoir par quel miracle des jeunes comme vous se retrouvent mêlés à nos affaires.
― C’est quoi ça ? demanda son complice en exhibant une sorte d’étui noir hermétique sorti du sac de Mayumi.
Mayumi et Lucas reconnurent le contenant renfermant le kit de déverrouillage.
― On ne vous a jamais appris qu’il était malpoli de fouiller dans les affaires des autres ? répliqua Mayumi avec mauvaise humeur.
Découvrir le contenu de leurs sacs les rendrait encore plus suspects aux yeux de leurs ravisseurs. Mais ils n’avaient aucun souci à se faire. Une bonne partie de l’équipement du NSIS n’était accessible et utilisable qu’au contact des empreintes des agents enregistrés par le Bureau. Certains équipements étaient même dotés d’un système d’autodestruction interne, qui s’activait dès qu’un individu inconnu essayait de forcer l’ouverture d’un gadget ou de le réduire en pièces détachées.
Tandis que les ravisseurs inspectaient toujours le contenu de leurs sacs, Lucas se rapprocha de Mayumi et lui tendit une petite lame, de la taille d’une cuillère à glace.
― Coupe tes liens avec ça, lui chuchota-t-il. Quand tu auras fini, on attaque à mon signal et on les neutralise.
Mayumi acquiesça.
― Fermez-là, tous les deux. Pas de messes basses ou on vous enferme séparément et dans le noir complet.
Les lumières s’éteignirent alors subitement. La cabine et le couloir au-delà étaient plongés dans une obscurité profonde.
― Qu’est-ce que c’est, encore ? demanda la jeune femme sur un ton colérique.
Conscients de l’aubaine que constituait cet incident, les agents décidèrent d’en profiter.
― Je suis prête, souffla Mayumi à son coéquipier. Tes lentilles de contact, elles sont bien à vision nocturne ?
― Tu n’as qu’à me suivre, acquiesça Lucas en lui prenant la main.
Il lui remit quelque chose, qu’elle devina être son sac, puis l’entraina avec Roka dans le couloir. Des bruits de coups et de râles de douleur fusèrent dans la pénombre. Lucas entraina Mayumi et Roka jusqu’à la sortie de la cale. Ils remontèrent l’escalier et débouchèrent à nouveau devant la porte de la salle de pilotage, dans le corridor éclairé par la lumière du jour. Au même moment, quelqu’un apparut dans l’angle du couloir sur leur gauche, leur faisant tourner la tête simultanément. C’était Yoey. Il leur fit signe d’approcher.
― Quand est-ce que tu es monté à bord ? demanda Mayumi, étonnée.
― Juste avant que le bateau essaie de nous fausser compagnie. Suivez-moi, j’ai découvert un moyen de filer sans avoir à se mouiller.
Ils longèrent le pont vers la poupe du navire. Au large, la bande de terre piquetée d’immeubles désignant la côte apparaissait lointaine.
― Le ferry n’avance plus, constata Mayumi. Vous croyez que ça a un lien avec la coupure de tout à l’heure ?
― Je plaide coupable, sourit Yoey en s’arrêtant devant une porte munie d’un hublot. J’ai coupé à peu près tous les fils qui dépassaient dans la salle des machines. Ça devrait les retarder un bon moment.
― Ça va les rendre fous de rage, ricana Lucas.
Ils descendirent un petit escalier métallique et se retrouvèrent dans ce qui semblait être un garage à bateau. Trois hors-bord attendaient près d’une grande trappe mécanique.
― La chance ! s’extasia Mayumi. On va pouvoir rentrer au sec.
Au loin, le capitaine criait des ordres pour retrouver les fugitifs. Les agents se figèrent en silence alors que la cavalerie passait devant la porte du garage à bateaux.
― Ne trainons pas là, chuchota Lucas.
― Montez, je vais ouvrir la trappe, dit Yoey.
Il se dirigea vers la commande d’ouverture mécanique, qu’il actionna sans difficulté. La trappe s’ouvrit avec lenteur, dans un léger grincement. Mayumi et Lucas poussèrent un hors-bord sur sa pente jusqu’au niveau de l’eau, trois mètres plus bas. La petite embarcation était reliée par une corde épaisse à une boucle métallique à l’intérieur du garage, pour l’empêcher de dériver. Mayumi passa la première, descendant les échelons en métal fixés sur le côté de la trappe. Puis elle réceptionna Roka, que Lucas aida à descendre avant de les rejoindre à son tour.
― Attends, l’arrêta Yoey. Tu as bien des capsules IEM dans ton équipement ?
― Tu vas en faire ce que j’ai en tête ? questionna Lucas en lui fournissant deux objets noirs de la taille de boutons de vestes.
Conçues pour produire une impulsion électromagnétique ciblée au contact de n’importe quelle machine employant un système électrique, les capsules IEM neutralisaient tous les mécanismes nécessitant de l’électricité pour leur fonctionnement.
― Je n’ai pas immobilisé leur bateau pour qu’ils trouvent quand même le moyen de nous poursuivre. Ou de s’enfuir. Avec ça, ils ne pourront pas les faire démarrer.
Il fixa une capsule sur le moteur de chaque canot resté à bord puis enfonça en leur milieu le petit bouton activant la charge. Un léger sifflement s’échappa des capsules, qui se détachèrent d’elles-mêmes et atterrirent sur le plancher du garage.
― Tu ne laisses décidément aucune chance à nos hôtes, releva Lucas en récupérant les capsules usagées.
― Ouais, j’adore ces occasions en or de faire vivre l’enfer à de sales types en toute impunité.
Ils rejoignirent Mayumi et Roka dans le canot puis mirent le moteur en marche.
― Ne faites plus un geste ! hurla une voix au-dessus d’eux.
Ils levèrent la tête vers le pont inférieur. Penché par-dessus la rambarde, le capitaine du navire les tenait en joue de son révolver. Il fut bientôt rejoint par deux membres de l’équipage.
― Ce n’est pas la police qui a le droit de dire ça, normalement ? plaisanta Lucas sur un ton incrédule.
― Mets les gaz à mon signal, lui murmura Yoey en tirant de son sac une grenade paralysante.
Puis il se redressa dans le canot, faisant barrage de son corps entre le tireur et ses coéquipiers.
― Ça ne vous avancera à rien, lança Mayumi à celui qui tenait l’arme, tandis que Roka se serrait contre elle. C’est terminé, vous avez perdu.
― Terminé ? répéta le capitaine, les traits déformés par la colère. Ça c’est ce qu’on verra, sales garnements. Eteignez ce bateau et rendez-vous ou je n’hésiterai pas à tirer.
Yoey remarqua soudain une présence en haut de la trappe du garage. Dans l’ouverture, une silhouette dirigeait vers eux le canon d’un fusil de chasse.
― Maintenant ! ordonna-t-il à Lucas en dégoupillant sa grenade.
Il la balança dans l’ouverture de la trappe et s’abaissa tandis que le canot démarrait au quart de tour. La grenade explosa, mais le hors-bord s’éloignait déjà du Moonlight à vive allure. Des coups de feu retentissaient, de plus en plus couverts par le bruit du vent.
― Tout le monde va bien ? demanda Lucas.
Il remarqua que Yoey était étrangement immobile, le regard sonné, figé dans une expression de douleur. Il tomba à plat ventre dans l’embarcation, sous les appels paniqués de Mayumi et Lucas.
____________
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro