Chapitre 42
Yoey plaqua Allen contre un mur de la ruelle obscure, sous le regard impassible de Juan, Wei et Nikki.
— Tu vas goûter au traitement que je réserve aux enfoirés qui osent toucher à mon petit frère, aboya-t-il en levant le poing, prêt à frapper.
— Fichez-lui la paix, intervint quelqu’un en venant à leur rencontre.
Yoey suspendit son geste et dévisagea leur cible d’un œil menaçant, imité par ses camarades. Le jeune collégien, dont il avait deviné la présence au coin de la ruelle, avait enfin daigné sortir de sa cachette et se montrer à eux. Aucun doute possible, c’était bien le même garçon que sur la photo. Son regard vif et ses poings serrés témoignaient de sa détermination, même si Yoey pouvait sentir une crainte subtile transparaitre sur son visage et dans sa posture.
« Excellent timing », se dit Yoey. « Maintenant, voyons ce que tu as dans le ventre. »
— Dégage de là, minus, répliqua Wei au collégien sur un ton désinvolte. Ce ne sont pas tes affaires.
— Laissez-le tranquille et on s’en ira d’ici, promit le collégien.
— Je rêve où tu nous donnes des ordres, morveux ? gronda Yoey en resserrant sa poigne sur le col d’Allen. Cette raclure a blessé mon petit frère et il va avoir sa leçon.
— C’est lui ! lança Nikki en pointant le collégien du doigt. C’est lui qui m’a repris la médaille dont je t’avais parlé.
— Sans blague ? ricana Yoey. Alors tu tombes bien. Reprenez lui cette bricole, les gars. Je m’occupe vite fait de celui-là et on se tire.
Tandis que Jian, adossée à un mur, bras croisés, observait la scène d’un regard indifférent en mâchant un chewing-gum, Wei avança vers le collégien, qu’il dominait d’une dizaine de centimètres. Vêtu d’un sweat-shirt, d’un jean large et agrémenté de faux tatouages sur les avant-bras pour la circonstance, c’était le prototype parfait de la petite frappe de quartier. Sa carrure apparente et développée pour son âge, lui conférait une aura menaçante auprès des plus petits. Sans surprise, le collégien marqua un mouvement de recul.
— Cours ! Enfuis-toi loin d’ici, ne t’en fais pas pour moi, lui lança Allen d’une voix où filtrait la peur. Ça va aller, je t'assure.
— J’en serai pas si sûr, à ta place, ricana Yoey en dépliant un canif sorti de la poche de son jean. On verra si t’auras encore une tête à jouer au héros une fois que je t’aurai refait le portrait à ma façon.
Sur ces mots, il fit glisser la lame sur la joue d’Allen, y laissant une trainée rouge sang, puis contempla avec satisfaction le regard horrifié de leur cible. C’était le moment de vérité.
— Je vous ai demandé de lui foutre la paix ! rugit le garçon avant de foncer vers eux.
Wei lui barra aussitôt la route, son poing fendant les airs vers le visage du garçon. Le collégien se baissa vivement pour éviter l’attaque puis délivra à Wei un puissant direct à l’estomac. Son adversaire émit un simple grognement avant d’enchainer une combinaison de directs et d’uppercuts.
Yoey observa le collégien esquiver les coups avec une habileté remarquable. Sa petite taille favorisait sa rapidité par rapport à son adversaire. Même si Wei se retenait en réalité face à cette recrue potentielle moins expérimentée, la cible savait indéniablement faire usage de ses atouts au combat. Alors le collégien se rapprocha subitement de son agresseur, manquant de peu un coup de poing qui lui était adressé. Puis, retournant son élan contre lui, il le saisit à l’épaule et donna un solide coup de hanche. Wei fut d’abord projeté dans les airs puis il s’affala sur le béton avec une violence qui fit grimacer Yoey et Jian. Une telle chute avait de quoi l’immobiliser de douleur.
— Tu commences sérieusement à m’énerver, sale mioche, intervint Jian en marquant de grandes enjambées vers le garçon.
Elle dépassa Wei qui gémissait au sol et atteignit subitement le collégien d’un coup de pied à l’abdomen. Surpris de l’intervention de l’adolescente, il n’avait pas eu le temps de réagir.
— Je ne veux pas… me battre contre toi, haleta le garçon en se relevant péniblement, la main au ventre.
— Oh, comme c’est mignon ! Un preux chevalier qui répugne à s’en prendre aux faibles femmes, railla Jian en fendant l’air d’un coup de pied circulaire qui manqua de peu la tête de sa cible. Ne le prends pas mal microbe, mais moi je vais m’y donner à cœur joie.
Sur ce, elle exécuta une impressionnante série de coups de pieds retournés. Visiblement surpris par les prouesses techniques de son adversaire, le collégien recula de quelques pas.
Profitant du fait que la dernière personne en état de se battre – hormis Yoey – soit aux prises avec le collégien, Allen tenta une échappatoire. Il se dégagea vivement de la poigne de Yoey, alors que celui-ci était occupé à observer le combat de Jian.
— Reviens ici, j’en ai pas fini avec toi ! l’avertit le Défenseur en rattrapant son souffre-douleur en quelques enjambées.
Une brève lutte s’engagea entre lui et le Hacker, à quelques mètres de l’endroit où leur cible était aux prises avec Jian.
Cette dernière offrit à son adversaire une ouverture lui permettant de porter un coup décisif, destiné à écourter leur confrontation. Le jeune garçon étourdit Jian d’une manchette de karaté. Puis, sans crier gare, il fonça sur Yoey et le gratifia d’un furieux coup de poing au visage. Surpris par l’attaque, le Défenseur délaissa Allen et se recula, une main sur sa lèvre fendue.
— Je vais te …, murmura-t-il en essayant d’arrêter le saignement de sa blessure.
Le garçon considéra Allen d’un regard horrifié. Le Hacker était recroquevillé au sol, grimaçant de douleur, sa main pressant une blessure sanglante au niveau du ventre.
— On va dire qu’on est quittes pour cette fois. Mais si vous recroisez mon chemin, vous êtes morts, leur signifia Yoey en brandissant le couteau ensanglanté sur un ton furieux, à peine simulé. Les gars, on y va.
Le collégien regarda Yoey s’éloigner vers le fond de la ruelle, suivi par Wei et Jian qui se trainaient péniblement à sa suite.
— Merci pour le cadeau, looser, lui lança Nikki, tout sourire, en roulant à la suite de la bande sur son skateboard, exhibant un pendentif en argent.
Le garçon réalisa soudain qu’il avait perdu l’objet, probablement lors de son combat contre Jian. Sa suspicion fut confirmée par le regard badin que la jeune fille lui adressa en se retournant.
— Rendez-moi ça ! cria le garçon en faisant quelques pas à leur poursuite, les yeux embués de larmes. Vous n’avez pas le droit…
Il considéra alors Allen, qui gémissait au sol. La tâche de sang sur son ventre s’étendait à une vitesse affolante. Le garçon adressa un dernier regard à Yoey et sa bande, comme pris d’un dilemme, puis courut finalement au chevet d’Allen.
— Ça va aller ? dit-il en sortant son téléphone portable. Tiens bon, je vais appeler les secours.
Il entreprit de soulever le T-shirt d’Allen pour vérifier l’étendue de sa blessure lorsque le Hacker l’arrêta d’une poigne ferme.
— Ne t’en fais pas…, ce n’est pas si grave, haleta-t-il.
— Pas si grave ? Mais regarde tout ce sang !
— Je vais me débrouiller, je t’assure, insista le Hacker en se relevant lentement, gardant la main sur sa blessure. Merci de t’inquiéter pour moi, tu es un type bien. Je verrai un médecin en rentrant.
Le garçon hocha la tête, l’air peu convaincu.
— Je m’appelle Jun. Je suis désolé, tout ça est de ma faute. Ces brutes t’ont attaqué parce que tu m’as aidé l’autre jour.
— Rien n’est de ta faute, Jun, le rassura le Hacker. C’est moi qui suis désolé pour ton collier.
— Je vais bien trouver un moyen de le récupérer.
— Tu peux m’appeler Al, dit Allen en s’éloignant. Je dois te laisser, mais je suis sûr qu’on se reverra.
— Fais attention à toi.
Ils se séparèrent sur un signe d'adieu.
Lorsqu’il se fut assuré d’être hors de vue de la cible, Allen bifurqua entre les bâtiments à sa droite et évolua jusqu’à la façade arrière d’un combini* où l’attendaient ses camarades.
— Qu’est-ce que tu insinues ? fit la voix mécontente de Yoey, apparemment aux prises avec Wei.
— C'était surjoué et tu es naze comme acteur, le provoqua Wei. C’est presque un miracle que la cible ne nous ait pas grillés. Je me demande pourquoi c’est toi qui a été choisi pour le rôle principal, il était taillé pour moi.
— Le rôle principal ? répliqua Yoey avec un sourire moqueur. Tu te crois à Hollywood ? Laisse-moi te dire, Wei, le Bureau a très bien choisi les rôles pour cette opération et celui que tu as joué tout à l’heure était parfait pour toi : celui d’un abruti sans cervelle, tout juste bon à se servir de ses muscles au dépens de ses neurones.
— Répète un peu pour voir ? Je te préviens, Suzuki : le fait que tu sois le petit frangin du dirlo ne m’empêchera pas de te casser la figure, pour terminer ce que le gamin a commencé, dit-il en indiquant sa lèvre fendue. Alors je te conseille de ne pas me chercher.
— Oh, je suis mort de trouille, se moqua Yoey en toisant son camarade dans un authentique duel de regards, nullement intimidé par sa corpulence sensiblement supérieure à la sienne. Essaie un peu pour voir ?
— Ça suffit, vous deux, coupa Jian sur un ton glacial. Vous attendrez qu’on soit rentrés au QG pour continuer votre ridicule combat de coqs, ça m'est égal. En attendant, le premier qui nous donne en spectacle aux yeux des civils ou de la police aura affaire à moi.
Les deux Défenseurs se calmèrent aussitôt. Même à peine plus âgée qu’eux, Jian jouissait d’une autorité naturelle indéniable. Elle se tourna vers Allen et lui adressa un sourire en coin.
— Comment va notre blessé ?
— Comme un charme, dit-il en essuyant la trace de colorant rouge laissée sur sa joue par le couteau de Yoey.
— Tu joues bien la victime en détresse, le complimenta ce dernier. Assez pour me troubler en tout cas. Je ne comprends décidément pas les gens qui s’en prennent à moins fort qu’eux. Même si c’était pour de faux, je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir honte.
— On ne dirait pourtant pas, répondit Allen tandis que le Défenseur l’aidait à retirer la poche de faux sang usagée collée sur son ventre. Tu m'étranglais presque, tout à l'heure. Je commençais à me demander si tu n'avais pas vraiment une dent contre moi.
Quelque chose sur le ventre d’Allen attira alors l’attention de Yoey. Une vieille cicatrice d’une quinzaine de centimètres, semblable à une brûlure, partait de son nombril jusqu’à son flanc gauche. Perplexe, le Défenseur observa la blessure pendant plusieurs secondes avant qu’Allen ne baisse lui-même le pan de son T-shirt, lui adressant un regard à la fois interrogateur et suspicieux.
— Dites, est-ce qu’on ne pourrait pas rentrer, maintenant ? demanda Nikki sur un ton plaintif. C’est bientôt l’heure du dîner et je commence à avoir faim.
— Tu as raison, fripouille, fit Wei en adressant une claque amicale sur l’épaule du garçon. Il faut qu’on se magne, on a encore notre rapport à faire.
— Le van nous attend devant ce magasin, indiqua Jian en prenant la route. Surtout, ne perds pas le pendentif, Nikki. La cible doit la récupérer lorsqu’elle viendra au QG pour boucler son recrutement. De ce que j’ai vu, ce garçon ferait un Défenseur exceptionnel.
Alors qu’ils étaient en route pour le Bureau, Yoey reçut un message de Mayumi : Brian était réveillé et la clinique autorisait temporairement les visites. Il n’avait plus d’excuses pour ne pas lui parler.
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*Gyozas: sortes de pastels fourrés cuits à la vapeur.
*Combini: Magasins de type supérette, ouverts 24h sur 24.
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