Chapitre 3
Il était 3h du matin. L'équipe n°3 pressait le pas sur l'allée pavée menant au bâtiment principal. Cette construction de douze étages regroupait les bureaux administratifs et les différents départements du Bureau Principal de Yokohama, ainsi que la plupart des équipements high-tech destinés à la formation ou à l'usage des agents pendant leurs missions. Les lumières filtrant à travers les vitres et baies de l'immeuble témoignaient de son activité nocturne.
Le groupe traversa le hall d'entrée et s'engouffra dans le premier ascenseur à destination du sixième étage. Cinq secondes plus tard, les adolescents reprirent leur marche à travers un couloir aux murs blancs et aux dalles couleur marbre menant au secrétariat des opérations. C'était un département chargé d'affecter les missions préalablement étudiées et organisées en amont, ainsi que de collecter les rapports de mission une fois ces opérations achevées.
Mayumi précéda le groupe devant un comptoir en marbre surmonté d'une épaisse paroi de verre. Une jeune femme en chemisier et aux cheveux coiffés en chignon attendait derrière le guichet.
— Bonjour, Mlle Kora, salua Mayumi. Vous nous avez appelés ?
— Oui, dit la jeune femme, visiblement tendue. Pardon de vous avoir réveillés si tôt mais on avait besoin d'une équipe au complet pour une opération d'urgence et le sort est tombé sur vous.
— Ça, on s'en doutait, sourit Lucas. Mais ça va, on commence à avoir l’habitude.
— On peut entrer pour le briefing ? demanda Luna.
La secrétaire secoua la tête et s'accouda au comptoir.
— Vu les circonstances, c'est Yoan qui va vous briefer cette fois. D'ailleurs, il vous attend.
— Comment, il est déjà là, lui aussi ? s'étonna Mayumi.
— Evidemment, s'impatienta Kora. La situation est trop délicate pour qu'il soit ailleurs. Allez, dépêchez-vous de le rejoindre. Et bonne chance.
Elle leur tourna le dos et regagna son bureau. D'un pas rapide, les agents reprirent leur progression à travers l'étage.
— Je stresse un peu, confia Luna à Mayumi. On dirait qu'il se passe quelque chose de grave.
— Pour nous avoir réveillés si tôt, je dirais qu'il y a plutôt intérêt, marmonna Yoey, d'humeur maussade.
Ils arrivèrent devant une porte ornée d'une plaque dorée où était gravée en japonais « Yoan Suzuki – Directeur Général ».
Lorsqu'ils la franchirent, les adolescents, qui n'avaient plus visité la pièce depuis plusieurs semaines, furent frappés par la nouvelle décoration des lieux. Les murs avaient été repeints dans des tons de blanc et de gris, des meubles avaient été remplacés et deux fauteuils bleu marine incurvés formaient désormais un demi-cercle devant le bureau au plateau de verre de Yoan. Celui-ci occupait maintenant un espace entre deux baies vitrées, face à la porte d'entrée.
Yoan se leva de son siège, invita le groupe à prendre place et croisa les mains derrière son dos. C'était incontestablement le plus jeune directeur général que le Bureau Principal ait jamais connu. De taille et de corpulence moyenne, il possédait des yeux noisette, un regard intelligent et un visage aux traits délicats. En tant qu'ancien Leader de l’équipe n°6 et ancien délégué général des équipes majors du Bureau, il avait pris une part active aux activités dirigeantes et à la gestion du QG pendant ses années de service en tant que senior. Son génie, son sens des responsabilités et sa grande maturité lui avaient valu des progrès fulgurants au sein de la hiérarchie. En dépit de quelques réticences survenues au moment de son élection – liées à son jeune âge – et de rivaux extrêmement compétitifs, il était parvenu à se hisser au poste le plus élevé du Bureau Principal et dirigeait efficacement le QG depuis près de deux ans.
— Bonjour, chers agents, dit-il de sa voix calme et professionnelle. Ravi de pouvoir compter sur vous pour cette mission. J'aurais aimé pouvoir vous exposer tous les faits en jeu dans cette opération comme vous en avez l'habitude. Mais le temps étant contre nous, nous irons à l'essentiel.
Il marqua une pause. Son expression se fit plus sérieuse.
— En attendant, j'ai besoin de toute votre attention et certains d'entre vous ne me semblent pas tout à fait en éveil, dit-il en fixant Yoey, qui somnolait à côté de Mayumi.
Sa coéquipière le réveilla d'un coup de coude.
— Désolé, bredouilla-t-il. Je crois qu'il me faut un peu de café.
— À moi aussi, bailla Luna. On peut se servir, s'il vous plait ? demanda-t-elle en désignant la machine de l'autre côté du bureau.
Yoan hocha la tête et poursuivit l'entretien.
— Il y a environ vingt-quatre heures, trois de nos agents seniors ont clôturé une opération d'infiltration. Elle visait à rassembler certaines preuves contre un homme – dont je vous passerais le nom – suspecté d'entretenir un important trafic d'armes. Ces preuves ont été transmises à la police qui s'est rendue à son domicile pour l'arrêter. Sa résidence a été assiégée et l'opération est dans sa phase critique.
Tout en écoutant attentivement les propos de Yoan, Luna remplit à moitié deux gobelets de café, en tendit un à Yoey et reprit sa place sur le sofa.
— Sauf que notre cible a été plus prévoyante qu'on ne l'avait estimé, poursuivit Yoan avec une pointe d’embarras. Ses acolytes ont fait enlever une vingtaine d'enfants âgés de six à dix ans, dans des écoles primaires et des lieux publics différents. Ils sont retenus séparément un peu partout dans notre préfecture. Notre cible espère pouvoir s'échapper en se servant d'eux comme moyen de pression.
— Mais c’est terrible ! s'écria Luna. Est-ce qu'on sait où les retrouver ?
— En ce moment même, la police et certains de nos agents se démènent pour libérer tous les otages le plus rapidement possible. Je vous passe les détails techniques, mais notre Bureau est parvenu à estimer leur localisation en suivant à la trace tous les membres du réseau de trafiquant susceptibles d'avoir participé à cette opération de kidnapping. À l'heure actuelle, il ne reste plus que cinq enfants à délivrer, dont un localisé au niveau du port de notre ville.
Yoan afficha une carte de la région portuaire sur l'écran derrière lui. L’emplacement de la cible, marqué d’un indicateur rouge, indiquait le terminal des navires de croisière.
— Votre mission consistera à délivrer cet otage en particulier et à le mettre hors de danger. Nous ignorons encore précisément sur quel bateau il se trouve. Mais je compte sur votre ingéniosité pour le découvrir sur place. Mayumi, je vous transmets les fichiers de Brian en attendant qu’il se joigne à vous.
De brèves sonneries émanèrent des téléphones tactiles des agents. En consultant le sien, Mayumi trouva un fichier de localisation de leur cible, leur ordre de mission et une liste des équipements recommandés pour celle-ci.
― Certains kidnappeurs nous ont déjà échappé une première fois à cause de la surveillance de leurs complices autour de l'endroit où est retenu leur otage. Même en civil, des policiers seraient trop facilement identifiés par ces criminels expérimentés une fois sur les lieux. Plusieurs sauvetages ont d’ailleurs raté à cause de cela. Nous espérons qu'ils se méfieront moins d’une bande d’adolescents et que vous réussirez à vous infiltrer dans le périmètre sans les alarmer.
Mayumi hocha la tête. Consciente de son rôle de suppléante de Brian en son absence, elle assimilait les informations nécessaires à la bonne conduite de l’opération.
― Quelle est l'estimation des risques pour cette mission ? demanda-t-elle.
― Elle est fixée à 18%. Je vous recommande toutefois de rester prudents. Cette opération d'envergure a dû être menée à la hâte. Nous ignorons encore jusqu’à quel point les hommes de main du trafiquant sont impliqués et de quoi ils sont réellement capables. La durée de cette mission est estimée à deux heures dès votre arrivée sur le terrain, si tout se passe sans encombre.
Yoan joua des doigts sur le panneau tactile, récupéra une feuille de papier A4 extraite par une petite imprimante et la tendit à Mayumi. La liste d'une dizaine d'équipements et leurs codes d'accès à usage unique s'y trouvaient mentionnés.
— Vous avez le droit de refuser d'y participer, mais je préfèrerais que ce refus n'ait rien à voir avec votre manque de sommeil, reprit Yoan. Si vous avez du mal à rester éveillés, vous pouvez vous procurer des pilules de caféine auprès du responsable des équipements, à condition d'en user avec grande modération. Des questions ?
Les agents se consultèrent du regard puis hochèrent la tête.
― Non, pour moi c'est assez clair, répondit Lucas.
— Et bien entendu, on accepte, ajouta Mayumi.
― Parfait, alors ne perdez pas de temps. Un mini-van et son conducteur vous attendent devant le parking souterrain. Je vous souhaite bonne chance.
***
Brian s’éveilla au son de l’alarme produite par son téléphone. Son cerveau encore embrumé de sommeil mit quelques secondes à reconnaitre la sonnerie caractéristique de l’appareil, qui indiquait une convocation du Service des Opérations du Bureau. Il se leva à la hâte, fit un tour à la salle de bains puis s’habilla, prêt à sortir. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il daigna consulter l’heure à l’horloge de sa chambre. 3h 45. Il reçut bientôt un message.
« On vient te chercher », disait simplement son contenu.
Brian acquiesça. Une nouvelle mission l’attendait avec son équipe. Il savait qu’il avait environ un quart d’heure à attendre avant leur passage. Il descendit alors à la cuisine et s’offrit un petit déjeuner rapide à base de céréales. Son cœur s’était mis à battre plus vite et un certain trac l’animait. Participer à une mission avait toujours une part d’inconnu et de surprises, pas toujours dans le bon sens.
« J’espère que tout ira bien et que je serai à la hauteur », se dit-il avec une pointe d’angoisse.
Quelques minutes plus tard, alors qu’il attendait devant les marches du perron, s’interrogeant sur l’objectif de la mission dont ils auraient à se charger cette fois, le bruit d’un moteur lui parvint. Puis un van gris métallique se présenta devant la maison. Brian monta à l’arrière et le véhicule reprit aussitôt la route. A l’intérieur, dans le compartiment séparé du chauffeur, deux écrans d’ordinateur éclairaient les visages de ses quatre occupants d’une lumière bleue fantomatique.
― Contents de te revoir, chef, fit la voix de Yoey.
― Tu n’auras pas réussi à nous fausser compagnie bien longtemps, ajouta Lucas, installé près du clavier qui commandait les écrans affichant leur itinéraire.
Il avait remplacé ses lunettes par des lentilles de contact qui accentuaient le bleu de ses iris. Brian observa ses coéquipiers tour à tour. C’était toujours étrange de les retrouver en de telles circonstances, autour d’une mission qu’ils accomplissaient tous les 5 pour le NSIS. En comparaison avec leurs rencontres à l’occasion des cours, il avait parfois l’impression de basculer dans un monde parallèle doté d’une réalité et de règles différentes. Ce qui était assez proche de la vérité.
― Je suis ravi de vous retrouver, annonça Brian en prenant place sur un siège vide. Alors, est-ce que tout le monde est prêt ?
― Je suis assez excitée pour arriver à oublier que j’ai été réveillée à trois heures du mat’, répondit Luna.
― Pareil pour moi, répondit Yoey. Je me sens remonté à bloc.
― On dirait bien que le café a fait son travail, sourit Lucas.
― Tiens, voici l’enregistrement du briefing avec Yoan, pour te mettre au parfum, dit Mayumi en lui remettant un casque mp3.
― Merci Maya. Alors, où est-ce qu’on va, cette fois ?
― Au port de la ville, répondit-elle. Profiter du vent marin et d’une vue du soleil se levant sur la mer, il n’y a pas mieux pour commencer la journée.
***
Environ une demie heure plus tard, le véhicule déposa l'équipe près de la baie de Yokohama. Il était cinq heures moins le quart. Les agents progressèrent d'un pas tranquille sur la promenade qui longeait le terminal des bateaux de croisière. Les lieux étaient pratiquement déserts. Des mouettes planaient dans le ciel brumeux qui accueillait la timide clarté de l'aube.
Un sourire discret au visage, Mayumi appréciait la sensation de ses cheveux flottant au vent. S'ils n’avaient pas été en mission, elle aurait volontiers profité plus tranquillement de cette ambiance si particulière, morose pour beaucoup. Pas de soleil, pas de ciel bleu dépourvu de nuages, rien que de la brume au-dessus d'une mer grise. Pour elle, ce décor avait un certain caractère, semblable à celui d’une atmosphère orageuse en plein été. Une atmosphère qui lui parlait et qu'elle savait apprécier.
Perchée sur une cabine téléphonique, Luna effectuait une reconnaissance préliminaire, munie de jumelles high-tech à connexion satellite. Tout en veillant à adopter l'allure détendue d'une promeneuse admirant les oiseaux marins, elle procéda en examinant soigneusement chaque bateau amarré au ponton qui se prolongeait dans la mer à quelques mètres derrière eux.
Cinq minutes plus tard, elle sauta à terre, rangea les jumelles dans le sac à dos en kevlar contenant ses équipements, puis rejoignit le banc de pierre où l'attendait le reste de l'équipe.
― Je l'ai trouvé, dit-elle en indiqunt l'un des navires à quai. C’est le cinquième en partant de la gauche. Le Moonlight, ce ferry à bandes vertes sur la coque.
― Tu es certaine que c’est celui qu’on recherche ? demanda Mayumi.
― Si je me fie aux détecteurs thermiques des jumelles, c'est le seul navire de cette taille à avoir cinq passagers minimum à son bord. Trois autres personnes font des allers-retours devant son quai et deux font le guet à l'entrée du terminal, derrière nous. Ceux-là nous ont déjà vus passer. Et vu leur attitude nerveuse, je parie qu'ils ont quelque chose à cacher.
― Est-ce qu'ils sont armés ? demanda Yoey. Ou est-ce que tu as vu quelque chose qui pourrait nous donner du fil à retordre ?
― Je n'ai rien remarqué. A mon avis, ils doivent seulement prévenir l'équipage si la police ou des personnes louches s'approchent du navire.
― Bravo, complimenta Brian. Si ça se trouve, leur plan consiste simplement à mettre les gaz à la moindre menace.
— Et puisqu'ils ont un otage à bord pour faire pression, leurs poursuivants éventuels n'y pourront pas grand-chose, releva Lucas en pressant les touches d'un mini-ordinateur portable. On a intérêt à rester vigilants.
Il tourna le petit écran vers ses coéquipiers. Le schéma holographique d'un ferry y figurait en 3D. Lucas zooma à travers le maillage de lignes bleutées qui formaient les parois du modèle, faisant défiler les parties internes du vaisseau.
— C'est la maquette d'un bateau du même modèle, expliqua-t-il. Voici à quoi devrait ressembler l'intérieur. Comme vous le voyez, ça fait beaucoup d'endroits où chercher. C’est à notre avantage si on a besoin de cachettes, mais pas forcément pour ce qui s'agit de retrouver notre cible.
― Bon alors, qu'est-ce qu'on fait ? demanda Yoey, qui contenait son impatience. Le quai est à découvert et même si on joue les ados en tourisme, on ne pourra pas les éviter si on essaie de monter. Sans compter qu'il est un peu trop tôt pour que ce soit crédible.
― Pendant que toi, moi et Luna nous neutraliserons les guetteurs, Maya et Lucas monterons à bord et commenceront les recherches, indiqua Brian. Je pense qu'à vous deux vous serez assez habiles pour y arriver.
— Et si ce n'est pas le cas ? demanda Lucas.
— Je vous rejoindrai plus tard avec Luna.
— Et moi je resterai là pour surveiller vos arrières, comme d'habitude, devina Yoey en poussant un soupir.
— Je sais que tu meurs d'envie d'être dans le feu de l'action mais...
— Je suis le Défenseur du groupe, compléta Yoey. C’est mon rôle de veiller sur vous quand vous ne pouvez pas toujours le faire vous-mêmes. Ok, je m'en charge, soyez tranquille. Par contre, s’il y a du grabuge là-dessus, dites-le-moi tout de suite, que je rapplique.
— On y pensera, sourit Mayumi.
― Tâchons de neutraliser les guetteurs à l'abri des regards et tout le reste se passera bien, continua Brian.
Sur ces mots, Brian ouvrit son sac à dos et en sortit cinq oreillettes qu'il distribua au groupe. Ses camarades s'en équipèrent puis effectuèrent un bref test de communication. Lucas rangea le mini-ordinateur dans son propre sac qu'il hissa sur son dos.
Quasiment similaires entres eux, leurs sacs d'équipements n'avaient pour les différencier que des bandes de couleur correspondant au rôle de chacun : rouge pour le Leader, vert pour le Défenseur, violet pour le Manager, blanc marqué d'une croix rouge pour le Secouriste et bleu pour le Hacker.
― On vous fera signe si on a un souci, dit Lucas en resserrant les courroies de son sac, qui portait cette dernière couleur.
— Et si possible, tenez-nous au courant de votre progression en temps réel, demanda Brian.
— Je noterai vos déplacements à distance pour qu'on puisse vous rejoindre rapidement en cas de problème.
― Compte sur nous, dit Lucas.
Luna chercha parmi le matériel de premiers soins de son sac et dénicha une petite bombe aérosol quelle fourra dans la poche arrière de son jean.
― Allons-y. Pour moi, ce sera la manière douce, s'expliqua-t-elle avec une pointe de malice. Je ne vous serais pas très utile en tant que Secouriste si je me cassais quelque chose en y mettant la force brute.
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Bienvenue dans la première mission de l'équipe 3 pour les vacances !
Dites-moi en commentaire ce que vous avez pensé de ce chapitre et si vous avez relevé des erreurs/incohérences.
Rdv au chapitre suivant !
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