Kurt regagna sa voiture – empruntée à la flotte du QG – aussi calmement qu'il le pouvait, mit le contact et roula vers la route principale. Quelques minutes plus tard, lorsqu'il s'estima assez loin du lieu de rendez-vous, il sortit fébrilement son téléphone et composa le numéro de la police locale.

— Je vous écoute ?
― Envoyez vite des troupes au quartier le plus proche de ma position. Dans le bâtiment de l'ancienne école, quelqu'un va se faire tuer. Quatre hommes en ont après lui, dont l'un qui est armé. Faites vite !

Kurt ressentit une piqûre dans la main gauche. Sa paume venait d’être perforée par un fin bout de métal dépassant du levier de vitesse. Il le retira d'un geste irrité, jeta un regard anxieux dans le rétroviseur puis accéléra.

― Entendu, nous arrivons tout de suite, répondit l'agent de police. Où êtes-vous ?
― Je me dirige vers Gumyoji, sur la route principale en direction de la périphérie ouest, dit-il en léchant sa plaie. Ma voiture est une Honda grise immatriculée Tama 5xx xx-xx. Je viens juste de quitter les lieux et je suis peut-être suivi.
― Nous prendrons le même itinéraire. Surtout, faites attention et ne prenez aucun risque.

L'officier raccrocha.

Kurt composa ensuite le numéro du senior Hakuya. Son interlocuteur décrocha à la deuxième sonnerie.

― Qu'y a-t-il ?
― Davy nous a attirés dans un piège, Tanuki et moi, exposa-t-il sans préambule. Il nous a interrogés et m'a laissé partir, mais je crois que Tanuki ne s'en tirera aussi facilement. Cette ordure la dérouillé et mis K.O. sous mes yeux. À vrai dire, je ne sais même pas s'il est encore en vie.
― Où es-tu ? As-tu appelé la police ?
― C'est fait, ils sont déjà en route. Je rentre au QG.
― Tu dis bien que tu ne t'es pas échappé mais qu'ils t'ont relâché d'eux-mêmes ? repris le senior sur un ton dubitatif. Alors fais vite et sois prudent. J'ai comme un mauvais pressentiment.
― Au fait, reprit Kurt, vous n'aviez pas fait infiltrer Tanuki, pas vrai ? Il était vraiment un agent double et vous essayiez de le protéger.

Son interlocuteur garda un moment le silence.

― Bravo, je ne m'attendais pas à ce que tu le découvres aussi vite, soupira le senior, l'air vaincu. Tu vas nous dénoncer, j'imagine.
― Je ne sais pas, avoua Kurt en prenant un virage. C'est assez risqué pour mon parcours puisque je suis moi-même en faute de vous avoir rejoint tous les deux. Et puis, je ne vous reproche rien personnellement. Si Tanuki est devenu leur pantin malgré lui, ce ne serait pas juste de lui en faire porter les conséquences. Je le crois quand il dit ne pas compter sur la clémence des hauts responsables du NSIS. Ils ne seraient pas tendres envers une taupe, peu importe les circonstances. Vous avez bien fait de le protéger.

Daisuke observa un nouveau silence.

― Tu es gentil. Mais la priorité pour le moment est que Tanuki soit tiré de leurs griffes. Dis-moi où il est, je me mets tout de suite en route.

Kurt hocha la tête, rassuré que le senior se charge en personne de l'opération. En dépit de son apparence digne de cadre supérieur qui le prédisposait apparemment à rester un bureaucrate, à l’écart des agitations du terrain, Kurt le savait parfaitement à la hauteur de la tâche, même en intervenant seul. Daisuke était de ceux capables de toujours obtenir ce qu'ils voulaient, et ce malgré les circonstances apparemment en leur défaveur. C'était un trait de personnalité qu'il admirait et craignait à la fois chez le senior.

― Dans une ancienne école primaire, d'un quartier abandonné sur la route principale vers Tokyo, répondit Kurt. C'est plutôt près de…

Un spasme soudain l'arrêta dans sa tirade. Sa respiration se fit haletante. Il considéra sa main tremblante crispée sur le volant.

― Weber, tout va bien ? demanda Daisuke.
― Je... je me sens vraiment bizarre tout à coup...

Le téléphone glissa de sa main tétanisée. Il crut entendre la voix inquiète de son interlocuteur crier son nom à travers le micro.

De plus en plus faible, Kurt peinait à maintenir le contrôle du véhicule. Ses jambes, gagnées par la paralysie, n'en menaient pas large. Ses membres lui semblèrent soudain aussi lourds que du plomb. Impossible d'enfoncer la pédale de frein. Son autre main glissa du volant, délaissant tout contrôle. Kurt s'adossa mollement au siège conducteur, peinant toujours à respirer. Son regard terrifié fixait la route qui déviait sous ses yeux impuissants. Un véhicule arrivant en sens inverse klaxonna furieusement. Le Leader eut tout juste le temps d'apercevoir le pare-choc d'une camionette avant qu'elle n'entre en collision avec le flanc avant du véhicule, produisant un fracas assourdissant.

Puis ce fut le trou noir.

***

Le rythme effréné de leur programme repris dès le lendemain du retour de l'équipe 3. Chacun dut rattraper les séances de formation qu'il avait manqué, tout en honorant celles de la journée. Dès six heures, ils effectuèrent leur séance d'exercices physiques quotidiens dans l'ancien gymnase en compagnie d'une vingtaine d'autres agents. Lucas et ses partenaires de course reprirent leur entraînement.

Brian en fit autant en vue des compétitions de natation. Dans l'après-midi, il débuta les entrainements de présélection avec les deux autres candidats du Bureau à cette compétition annuelle.
L'équipe se retrouva au réfectoire à treize heures, excepté Mayumi qui avait dû prolonger ses heures d'entraînement au dojo.

Ils discutèrent de l'avancement de leurs programmes respectifs. Yoey était très satisfait de ses progrès en plongée. Sa prochaine séance aurait lieu en environnement réel, et son instructeur en natation avait promis qu'elle serait probablement la dernière, si tout se passait bien.
Sidney et Britney éprouvaient quelques difficultés aux entrainements d'arts martiaux en raison du grand écart d'expérience les séparant de leurs partenaires. Brian leur conseilla de participer aux cours de soutien dispensés en fin de journée et de s'entrainer régulièrement entre elles.

Après le déjeuner, il retrouva Keiji et Brenda, dans une salle d'étude du bâtiment principal. À trois, ils avancèrent sur le projet de groupe qui leur avait été attribué par le département de traitement des Opérations. Les chefs d'équipe du Bureau se voyaient régulièrement confier ce genre de dossiers, destinés à les initier à la planification des opérations de terrain. Assisté au besoin par un membre du département, chaque groupe de travail était chargé d'étudier son dossier, de fixer clairement l'objectif de la future mission et de proposer un ou plusieurs plans d'action selon les aspects techniques et logistiques en jeu. Le rapport de chaque groupe était ensuite évalué par un comité puis, en fonction de leurs résultats, des points d'accréditation étaient ajoutés aux dossiers des chefs d'équipe les plus méritants, augmentant leurs chances – et celles de leurs équipes – de se voir confier des opérations de terrain de niveau plus élevé et d'atteindre plus rapidement le grade senior.

Lorsqu'il eut terminé, Brian fit un passage à la salle de contrôle où il consulta les dossiers de compétences de Sidney et Britney, dans le but de se mettre au parfum de leurs capacités et de ce qu’elles pouvaient apporter au groupe. Il visionna attentivement les vidéos de leur stage de formation initiale, les compara aux notes finales obtenues à chaque épreuve puis remplit quelques pages de son carnet dédié à l’inventaire des compétences de ses coéquipiers. Il fut gentiment réveillé un quart d’heure plus tard par une employée de la permanence.

― Vous devriez partir, il commence à se faire tard.
― C’est vrai, répondit Brian d’une voix somnolante, gêné de s’être endormi. Je crois que vais y aller. Merci.

En longeant le couloir au menant aux ascenseurs, il croisa un homme allant en sens inverse.

― Agent Barker, salua sobrement ce dernier sans interrompre sa marche.
― Bonsoir, Hakuya-sensei, répondit Brian en se retournant brièvement, surpris par le ton du senior, plus froid qu’à l’ordinaire.

***

Tanuki passa devant la porte vitrée du réfectoire, indifférent aux rires et à la bonne humeur qui s’en dégageaient. La tête basse, le corps voûté, il avança tel une épave humaine le long l'allée principale éclairée de lampadaires. Son regard vide reflétait l'épuisement psychologique et la confusion qui habitait son esprit.

― Tiens, tu rentres drôlement tard, fit une voix féminine alors qu’il arrivait au croisement menant au portail de sécurité su QG.

Tanuki sursauta et se recomposa rapidement une mine normale, espérant que son maquillage et sa frange suffisaient à masquer l'œil au beurre noir et les bleus au visage de son récent passage à tabac. Aucun agent ne devait encore avoir appris la nouvelle. Son air affligé en rentrant le soir même du drame le rendrait aussitôt suspect.

― Ah, c’est toi Tomoe, sourit-il en se redressant. Où tu vas comme ça ?
― Je vais à une soirée organisée par des potes du lycée, fit la Secouriste de l'équipe 4. Je serai de retour demain matin.
― La chance que tu as, se força à sourire l'adolescent.
― Tu es sûr que ça va ? demanda la jeune fille en haussant un sourcil. Tu as une tête de déterré.
― Je n'ai pas eu beaucoup de répit ces derniers temps. Un bon bain et une vraie nuit de sommeil devraient arranger ça.
― Je l'espère bien. Bon repos et bonne soirée alors.
― Amuse-toi bien.

Tanuki la regarda s'éloigner puis il reprit sa route en direction du bâtiment principal, le pas traînant.

Le senior Hakuya se trouvait au dernier étage. Son regard était perdu entre le ciel et les bâtiments lointains de la ville, dont les façades illuminées perçaient dans la noirceur de la nuit, tel des étoiles.

― Je suis impardonnable, sanglota l'adolescent derrière lui. Je n'ai rien pu faire, ils l'avaient déjà fait tuer quand je me suis réveillé. Je ne comprends pas, je ne pensais pas qu'ils s’en prendraient à lui après l'avoir relâché !

Daisuke ne répondit rien. Sa mâchoire contractée et ses poings serrés témoignaient de la colère qui le consumait.

― Est-ce que je peux au moins savoir pourquoi aucun de vous deux n'a cru bon de me prévenir avant de se jeter dans la gueule du loup ? fit le senior sur un ton maîtrisé.
― J'ai été totalement pris de court, plaida Tanuki, le visage baigné de larmes. Ils ont pointé une arme sur moi et m'ont demandé de l'appeler sur le champ.

Daisuke lâcha un soupir irrité. En effet, c'était Kurt qui aurait dû le contacter à l'avance dans de telles circonstances. Mais à l'évidence, le Leader n'avait pas senti le danger. Et même si ça avait été le cas, il ne lui faisait peut-être pas suffisamment confiance pour le prévenir.

― Tout est ma faute, repris Tanuki. Si je n'avais pas cédé dès le départ, rien de tout ça ne serait arrivé. Je n’en peux vraiment plus, je sais plus du tout quoi faire. S'il-vous-plait, dites quelque chose.

Le senior se tourna vers Tanuki, portant sur lui un regard indéchiffrable, mélange de pitié et de mépris.

― Disparais.

L'adolescent afficha un air sidéré.

― Quoi ? demanda-t-il sur un ton effaré, le visage baigné de larmes.
― Je t'interdis de me revoir ou de me recontacter à partir de maintenant, dit le senior en haussant le ton. Fais comme tu l'entends, mais je n'agirai plus pour te couvrir. C'est terminé. Nous n'avons jamais été complices. Est-ce que je me fais bien comprendre ?

L'adolescent essuya ses larmes du revers de la main en hochant la tête, se détourna et courut vers l'ascenseur.

Daisuke resta sur place, les yeux brûlants d'une rage à peine contenue.

— Vous ne perdez rien pour attendre, murmura-t-il d'une voix sombre.

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Alors, qui est Tanuki d'après vous ?
Vos avis en commentaires !

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