Chapitre 21
Brian fit glisser la porte du dojo souterrain de la demeure des Myōga. Cette structure, séparée en plusieurs compartiments – dont des salles de gym destinées aux clients de l'auberge – occupait plus de la moitié du sous-sol de la bâtisse traditionnelle. Le Leader pénétra dans la grande salle d'entraînement.
Senichi était assis en tailleur au centre de la pièce fortement éclairée, absorbé par la lecture d'un livre.
― Pile à l'heure, dit-il à la vue de Brian.
― Tu attendais depuis longtemps ?
― J'ai pris quinze minutes d'avance pour terminer la lecture de cette pépite, dit-il en exhibant la couverture. J'attendais ton arrivée pour commencer les échauffements.
― « L'équation du plein été », lut Brian. Je crois l'avoir terminé, celui-là.
― Je le lis pour la seconde fois. Tu n'aurais pas d'autres polars à me proposer ? Même en anglais, je veux bien.
― Lucas doit pouvoir taider à trouver ton bonheur. Il ne lit pratiquement que ce genre de livres. Je vais lui demander.
― Merci davance. Bien, et si on commençait ? Tu préfères quon se serve d'un shinai ou d'un vrai katana ?
Brian réfléchit quelques secondes. Le shinai était l'arme utilisée au club de kendo de son école, et donc celle à laquelle il était le plus habitué. A l'inverse, il était plutôt moyen dans l'usage du katana et la dangerosité accrue de l'arme avait tendance à le faire hésiter au combat.
― Ce sera le shinai pour cette fois, décida-t-il.
― Va en choisir un dans la pièce d'à côté, indiqua Senichi. Le mien est juste là, dit-il en sortant le sabre en bambou derrière lui.
Brian nota avec étonnement que son adversaire avait deviné à l'avance qu’il choisirait un shinai. Il se rendit dans l'armurerie. Il essaya quelques sabres parmi les dizaines accrochées au mur et garda celui qui lui offrait la meilleure prise en main. Puis il revint se placer devant Senichi. Celui-ci ferma son livre, le posa à terre et le fit glisser d'un geste vif jusqu'au pied de la cloison derrière lui.
― Commençons les échauffements, dit-il en s'étirant le buste. Cinq minutes, top chrono.
Après une séance d'étirements en bonne et due forme suivie de répétitions incluant la révision de quelques mouvements de garde, d'attaque et de défense, Brian et Senichi s'offrirent deux minutes de pause.
― Ça doit être notre trente-sixième rencontre, non ? demanda Senichi en étirant ses poignets.
― Oui, si on compte la première qui était plutôt une démonstration.
― Tu as fait quelques progrès depuis le temps, reprit Senichi sur un ton léger. Mais je me demande combien il faudra de duels pour que tu deviennes enfin un adversaire à ma taille.
Brian, qui appréciait moyennement le ton condescendant que prenait Senichi pour lui rappeler à chaque fois son infériorité, s'abstint de répondre.
― Je te sens de moins en moins enthousiaste à relever le défi, continua-t-il. Au tout début, c'était toi qui prenais l'initiative de ces entrainements. Ces derniers temps, je dois pratiquement te forcer la main. Tu sais pourtant que je m'opposerai à ce que tu entreprennes quoi que ce soit avec ma soeur tant que tu n'auras pas réussi à me battre ne serait-ce qu'une fois.
Senichi plissa les sourcils.
― A moins que tu n'aies secrètement renoncé à notre accord et qu'en fait tu prévoies de gagner du temps pour profiter de la situation, poursuivit-il, l'air sombre.
― Non, bien sûr que non, se défendit Brian.
D'un geste vif, Senichi pointa son sabre à quelques centimètres du visage du Leader.
― Alors, mets-y un peu du tien ! rétorqua-t-il. Dois-je te rappeler que tu n'es pas le seul à être intéressé par Ayame ? Si tu jettes l'éponge, j'en connais au moins cinq qui sont prêts à prendre ta place. Chacun d'eux a aussi une condition équivalente à remplir et ils auront le feu vert pour la fréquenter — et plus encore — dès qu'ils auront rempli leur part du marché.
Brian serra instinctivement les poings. Ne plus pouvoir être avec Ayame. Imaginer un tel scénario lui était assez pénible pour le motiver.
― Ce serait dommage car tu es le seul que ma soeur semble vraiment apprécier, reprit Senichi en baissant son sabre. Notre amitié mise à part, c'est la seule raison pour laquelle je suis prêt à te laisser tenter ta chance, malgré le fait que tu ne viennes pas d'une famille particulièrement noble et qu'en plus tu sois agent secret, une occupation assez risquée, sans vouloir te vexer. Mais si j'ai le sentiment que tu acceptes de m'affronter uniquement pour la forme, je pourrai bien mettre fin à notre accord.
Brian n'y répondit rien. Son adversaire avait vu juste. En acceptant la condition de Senichi, il s'était imaginé au départ qu'il arriverait à le vaincre tôt ou tard et qu'il aurait l'avantage de progresser à chaque affrontement. Mais c'était sans compter l'expérience écrasante de son rival. Bien qu'il ait effectivement progressé, l'effet semblait être le même chez son adversaire, qui connaissait désormais ses tactiques de combat. Il avait désormais l'impression de ne jamais pouvoir le rattraper.
― Il suffirait que tu gagnes un seul round contre moi pour que je te laisse enfin tranquille avec Ayame, rappela Senichi sur un ton plus calme, comme pour le rassurer. Bien entendu, je me donnerai à fond à chaque fois, tout comme je l'attends de toi.
Les deux adversaires se mirent en garde.
― Si tu as besoin d'une pause à un moment ou un autre, sens-toi libre de demander.
— Ça ira.
― Alors, on y va. Tu es prêt ?
Brian prit une grande inspiration et visualisa mentalement sa prochaine attaque. Cette fois-là serait peut-être la bonne. Il se surpasserait, comme d'habitude. Et au pire, il en apprendrait plus sur les faiblesses de Senichi au combat, de quoi orienter ses prochaines attaques. Le sabre levé, le regard déterminé, il fondit sur son adversaire. Leurs lames en bois s'entrechoquèrent à plusieurs reprises, produisant des sons amplifiés par l'écho de la chambre souterraine.
***
Aussitôt après le petit déjeuner, l'équipe se rendit à pied au village central de l’île. Ils passèrent par divers sites touristiques, dont un parc naturel, une cascade et le nouveau temple shinto. Ils prirent leur déjeuner peu avant midi, dans l'un des restaurants de nouilles Soba les plus prisés de la place. Puis les filles partirent faire les magasins de leur côté.
Senichi s'excusa auprès de ses camarades pour honorer une réunion organisée par le maire de la région. Brian, Yoey et Lucas passèrent l'après-midi sur la terrasse d'une buvette faisant face de la mer. Quelques familles d’autochtones se prélassaient sur la plage, faisant jouer leurs enfants dans les vagues.
— J'ai des nouvelles du QG, annonça Brian d'une voix tranquille, une main autour de son verre de limonade. Il y aurait eu un piratage de la base de données du NSIS cette nuit.
Yoey, qui portait la paille d'un verre de cocktail à sa bouche, interrompit son mouvement.
— Sérieux ? C'est de quel niveau ?
— La menace n'a pas encore été évaluée, mais c'est loin d'être l'oeuvre de fouineurs ordinaires d'après ce qui se raconte.
— J'ai eu l'info ce matin, moi aussi, confirma Lucas. Ce qui me fait tiquer, c'est que les techniciens prétendent que c'est forcément un type de l'agence qui a fait le coup.
— Pourquoi, tu n'y crois pas ? demanda Yoey.
— D'un côté, c'est rassurant de savoir que le coupable ne vient pas de l'extérieur et donc qu'il sera plus facile de le coincer et de savoir ce qu'il a fait de ces données...
— Si c'est vraiment un agent, il va se faire passer un savon sans précédent, releva Yoey avec ironie. Et je ne connais encore personne d'assez débile pour faire un coup pareil. C’est vrai quoi, le Bureau trouvera qui c’est tôt ou tard, comme toutes les fois précédentes.
— ...Sauf que cette fois, le degré de piratage est beaucoup plus important que les fois où des agents ont consulté ou copié des dossiers en cachette pour des intérêts personnels, repris Lucas.
— Tu crois qu'on a peut-être affaire à une vraie taupe cette fois-ci ? fit Brian d’un air dubitatif. Après toutes les fausses alertes qu'on a déjà eues, c'est plutôt difficile à croire.
— Ce n’est pas comme si ça n’était jamais arrivé non plus, fit remarquer Lucas. On m’a raconté que notre QG à lui seul avait déjà connu deux ou trois cas de véritables agents doubles. Et le dernier date d’environ une dizaine d’années.
— Ah oui ? Et ça s’est fini comment ? demanda Yoey.
— De manière aussi tragique que les précédentes, répondit Lucas en touillant dans son verre d’un geste distrait. Pour le traitre, je veux dire. Le plus flippant, c’est qu’aucun d’eux n’a jamais eu la "chance" de finir en prison, à ma connaissance.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Brian.
En tant que Hacker, Lucas avait pour passe-temps favori de mener ses recherches sur l’histoire de leur Bureau et les évènements marquants qui s’y étaient produits depuis sa création, jusque dans les faits les plus anecdotiques. Il était ainsi devenu une référence en la matière aux yeux de ses camarades.
— Pour la faire courte, répondit-il sur un ton hésitant, les taupes du Bureau finissent toujours par se foutre en l’air pour échapper aux conséquences. Ou alors ils se font supprimer par l’ennemi qui les trahit à leur tour. Quand ils ne se font pas tout bonnement tuer par le Bureau après être allés trop loin dans leur délire, du style en menaçant de tout faire exploser.
— Le karma n’a pas l’air spécialement tendre avec ce genre de types, ricana Yoey, qui éprouvait un mépris évident pour les traitres. Pas plus que le NSIS, d’ailleurs. Ce qui rend encore plus stupide et suicidaire l’idée pour n’importe quel agent de trahir notre Bureau.
— Mais cette fois, ce n’est peut-être que l’œuvre d’un agent un peu trop curieux, tempéra Brian, l’air mal à l’aise.
— Certains seniors le pensent aussi, dit Lucas en croisant ses avant-bras sur la table. Ce qui est sûr, c'est qu'on a un suspect tout désigné, au moins pour une partie des données. En prime, il a pris la peine de signer son acte. Cette signature codée est d’ailleurs la seule trace que ce Hacker ait laissé.
— Tu parles de Carron, c'est ça ? demanda Brian. C'est vrai que ça concorde mais j'ai été un peu étonné de l'apprendre. Je ne vois pas trop quel intérêt il aurait à faire ça.
— Il a dû se dire que le Bureau n'avait plus rien à faire de son dossier maintenant qu'il a quitté le Japon, supposa Yoey.
― Oui, ça devait être une manière pour lui de bien signifier son départ, renchérit Lucas. Par contre, la nature de la plupart des données piratées ont l'air trop importantes pour que ce soit une de ses blagues. Peu importe ses tendances immatures, il sait que l'agence ne rigole pas là-dessus. Ça touche au top secret.
— Et rien que pour ça, quelque chose me dit que le Bureau ne va plus lâcher ce sacré Carron, ajouta Brian. Où qu'il soit, notre QG fera tout pour le retrouver et tirer tout ça au clair.
― En même temps, le NSIS pourrait un peu mieux protéger ses données, maugréa Yoey. Ce n'est pas comme si la couverture des agents était intouchable. Une fuite et ça pourrait être la cata. Sans compter que le Bureau sera peut-être obligé de se séparer de nous.
― J'imagine le scénario, sourit Brian. Au mieux, nous deviendrons les « curiosités » du pays tout entier en tant qu'adolescents ex-employés des services secrets. Au pire, nous serons une cible de choix pour tous les criminels et mafieux qui pourraient avoir un intérêt quelconque à se venger ou nous soutirer des informations, à moins de nous terrer dans un trou perdu et coupé du monde jusqu'à la fin de nos jours.
Brian termina son verre d'une traite et s'appuya contre le dossier de sa chaise en métal.
― On en saura sûrement plus à notre retour, conclut-il en se levant. Inutile de s'emballer pour l'instant. Je parie que le Comité d'Enquête est déjà sur le coup.
— C'est vrai. Et si c'est bien Carron qui a piraté nos infos, j’espère qu'il n'en fera rien d'inconscient qui nous mettrait tous en danger.
En prenant le chemin du retour, Brian, Yoey et Lucas croisèrent les filles aux abords du marché du village touristique de l'île. Leurs sacs étaient remplis de provisions en tous genre et d'articles de magasins.
— Vous tombez à pic, sourit Mayumi. On cherchait justement des bras supplémentaires pour porter tout ça.
— Ça fait quand même un sacré paquet de courses.
— Nous avons acheté assez de nourriture pour couvrir nos repas jusqu'à demain soir, les desserts y compris, expliqua Luna.
— Vous ne vous êtes pas trop ennuyés sans nous ?
— On s'est reposés quelque temps près de la plage après que Senichi soit parti à son rendez-vous.
— Il est peut-être rentré à l'heure qu'il est, dit Ayame. Au fait, vous préféreriez quoi pour le dîner ? Du riz au curry ou de la fondue ?
— C'est dur comme choix. Tous les deux font envie, hésita Yoey.
— On a commencé un vote avant votre arrivée. Trois contre deux pour le curry.
— Je vote pour la fondue si on peut remettre le curry à demain, décida Yoey.
— Et moi, j'opte pour l'inverse, fit Lucas.
— Pour moi, ce sera le curry, choisit Brian.
― Espèces de lâcheurs ! fit le Défenseur en les gratifiant chacun d'une tape dans le dos.
Ayame pouffa de rire.
— Bien, alors va pour le curry !
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