Chapitre 1
Sept jours plus tôt
Brian intercepta le puissant coup de poing dans sa paume ouverte. Ignorant la douleur furtive qui se déclara dans son poignet, il attrapa le bras de son adversaire et tenta de lui faucher la jambe droite, mais celle-ci était solidement campée. L’autre jambe l’atteignit brutalement dans l’abdomen. L’impact le poussa en arrière et le plia en deux.
— Bah alors, tu fatigues déjà ? railla son adversaire, un sourire narquois aux lèvres.
Brian se redressa, haletant. Il s’assura rapidement que ses vêtements ne portaient aucune trace de sang. Son torse et son dos étaient moites de sueur, collés à son kimono d’entrainement immaculé. Il jeta un bref regard à la porte d’entrée du dojo. Personne ne semblait témoin de leur affrontement.
— Ne me dis pas que tu veux déjà te défiler ? nargua son adversaire en se remettant en position de garde. Parce que moi, je suis loin d’en avoir fini avec toi !
Puis il chargea dans sa direction. Interpellé par la menace imminente, Brian se remit aussitôt en alerte. Il esquiva la charge d’un pas sur le côté, empoigna au passage le col du kimono d’entrainement de son adversaire, puis lui balaya les jambes vers l’extérieur. L’adolescent tomba brutalement sur le dos, hoquetant plus de surprise que de douleur.
— Tu as déjà oublié la dernière fois où tu m’as sous-estimé ? répliqua Brian en le toisant de toute sa hauteur.
Son camarade ramena ses genoux contre son torse et sauta vigoureusement sur ses pieds. Puis il se redressa tranquillement.
— Très bien, concéda-t-il, le dos tourné à Brian. Alors que dis-tu de me prouver que ce n’était pas un coup de chance ?
Sans crier gare, il lança un coup de pied crochet en arrière. Brian se baissa vivement pour esquiver l’attaque. Son adversaire se rua de nouveau sur lui et le mitrailla d’une combinaison de crochets et de directs. Brian sera les dents et para les coups du mieux qu’il put. Ses avant-bras le faisaient souffrir à chaque impact et la rapidité de son adversaire ne lui laissait pas le loisir de répliquer. Mais il restait déterminé à ne pas flancher devant son coéquipier. Le peu de fierté qu’il lui restait en tant que Leader en prendrait un coup.
Aucun doute, Yoey s’amusait comme un fou. Son regard brillait de l’euphorie sadique qui animait un enfant terrassant un boss de jeu vidéo. Brian admirait cette combativité à toute épreuve, un peu moins lorsqu’elle était dirigée contre lui. Son coéquipier exerçait un talent naturel, alors que Brian, lui, n’avait jamais perçu les sports de combat que sous un angle défensif. Malgré ses cinq ans d’expérience et à moins qu’il soit réellement en danger, les affrontements houleux comme ceux-là n’avaient pas de quoi éveiller chez lui la moindre rage de vaincre. Pour une ceinture noire de judo, se battre n’était pas à proprement parler sa tasse de thé. De toute manière, ses aptitudes dominantes étaient celles d’un meneur, pas d’un combattant.
« Et il prétend retenir ses coups, songea-t-il alors que la douleur de ces derniers s’insinuait jusqu’à ses os. C’est une véritable furie ! »
— Riposte, bon sang ! s’énerva son adversaire en lui adressant un coup de pied aux côtes. Ou je vais tout de suite te donner une bonne raison de te bouger.
Lassé de cette mascarade, Brian saisit Yoey par la manche de son vêtement et lui adressa un regard noir.
— Ce n’est pas…
Il allongea sa jambe gauche pour barrer le pied droit de son adversaire.
— …une façon…
Il pivota vivement sur lui-même.
— … de parler à son chef d’équipe !
Puis il fit basculer Yoey par-dessus sa hanche et le projeta brutalement au tapis. Une prise de Tai-otoshi qui aurait été parfaite si son adversaire n’avait pas agrippé son vêtement au dernier moment, entrainant Brian avec lui dans sa chute.
Yoey se releva le premier et s’assit à califourchon sur Brian, tombé à plat ventre. Il saisit son poignet gauche et lui tordit le membre dans une douloureuse clé de bras. Brian grogna de frustration et se débâtit vainement.
— Tu attends que je te le casse pour prononcer le mot magique ? jubila son adversaire. Abandonnes, tu es game over.
— Espèce de…, gémit Brian entre ses dents, le visage contre le sol.
Yoey relâcha sa prise.
— Allez, sois bon joueur, tu me dois un ramen*. Et en parlant de bouffe, je crois que le repas de la cantine t’a un peu engourdi.
— Bizarre, ça ne te ressemble pas de me chercher des excuses, ironisa Brian.
Il fit rouler son camarade par-dessus son dos puis se redressa, levant les mains pour confirmer qu’il arrêtait le combat. Yoey baissa sa garde et marcha vers le bord du tatami.
— Ça m’a dé-fou-lé, s’exclama-t-il avant d’attraper une serviette posée sur son sac de sport.
— C’est ça, réjouis-toi de m’avoir presque déboité l’épaule, lança Brian en se massant l’omoplate.
— Désolé, chef, soupira-t-il. Je n’arrive décidément pas à faire semblant. Vois le bon côté des choses, tu profites d’un aperçu plus réel des combats à mains nues.
Il tamponna son visage d’une serviette jusqu’à la limite de ses cheveux, qui portaient la noirceur typique des habitants du pays du soleil levant. Puis il adressa à Brian un regard curieux.
— Mais j’y pense, tu as toujours eu un vrai problème avec la douleur pendant les entrainements. C’est peut-être pour ça que tu ne te donnes jamais à fond.
Brian fut piqué au vif par cette remarque mais ne trouva rien à y répondre. C’était la vérité, son seuil de douleur était plus bas que la normale. Tellement qu’un simple rendez-vous chez le médecin pour une simple piqure suffisait à l’angoisser plusieurs jours à l’avance, même du haut de ses seize ans. Les confrontations physiques avaient longtemps été un calvaire pour lui, lorsqu’il passait ses premiers combats à affronter des adversaires beaucoup plus expérimentés. Avoir réussi à passer outre jusqu’à sa première ceinture noire de judo était déjà un exploit à ses propres yeux. Mais depuis peu, il avait atteint une sorte de palier. « Ne jamais se donner à fond » n’était pas l’expression adéquate, mais Yoey n’était pas non plus réputé pour son tact.
— Peut-être bien, répondit Brian sur un ton évasif. De toute façon, il n’y a rien d’anormal à ce que tu sois le plus fort de nous deux. Je serais même en droit de m’inquiéter si ce n’était pas le cas.
Yoey éclata de rire, la tête penchée en arrière.
— Alors ça, c’est une bonne excuse ! répondit-il face à ce qu’il considérait au contraire comme le plus grand compliment. Mais tu as sûrement raison et j’adore que tu le prennes comme ça.
Les deux amis quittèrent le dojo d’entrainement du collège, leurs sacs de sport pendus à l’épaule. C’était le dernier jour de l’année scolaire. Les cours étant achevés depuis une heure, les élèves qui n’avaient pas encore quitté l’établissement profitaient joyeusement de l’après-midi dans les couloirs et les salles de classe au portes grandes ouvertes.
Brian et Yoey passèrent devant trois filles en chemisiers blancs et mini-jupes** rouges à carreaux écossais, sans la veste bleu marine qui complétait l’uniforme de l’établissement. Rassemblées autour d’un smartphone, elles avaient les yeux rivés sur la vidéo d’un spectacle musical.
— Coucou Brian ! scandèrent-elles en cœur en souriant jusqu’aux oreilles.
— Salut les filles, sourit-il poliment.
— Tu pars où en vacances cette année ? demanda l’une d’entre elles.
— Je n’ai rien de prévu à part quelques visites à des amis dans l’ouest, répondit-il. Mais je suis sûr que je m’amuserais autant. Je vous souhaite de bonnes vacances.
— A toi aussi, Brian. Passe des vacances inoubliables !
Il poursuivit sa route, un peu malaisé par l’enthousiasme des adolescentes qu’il jugeait exagéré.
— « Passe des vacances inoubliables ! », imita Yoey d’une voix haut perchée.
— N’en rajoute pas, tu veux ? gronda Brian.
— C’est ça, fais le modeste. A côté de toi, les pauvres types ordinaires et communs dans mon genre sont invisibles aux yeux des filles. Je me demande vraiment ce qu’elles te trouvent en vrai, tu n’es même pas aussi musclé que moi, fit Yoey, la mine boudeuse.
Brian réprima un sourire. Les réactions bizarres qu’il produisait auprès de la gente féminine constituaient autant d’occasions pour Yoey de le charrier. En fait, tous les prétextes étaient bons du moment qu’ils contentaient la nature espiègle de son coéquipier.
Ils firent un détour par les vestiaires, échangèrent leurs tenues d’entrainement contre leurs uniformes scolaires, puis longèrent le couloir desservant les classes des écoliers en dernière année de collège. Les élèves assignés au ménage de leur classe pour la semaine s’affairaient dans une atmosphère détendue et joyeuse. Passer un coup de balai et de plumeau, mettre les tables au propre, nettoyer les vitres des fenêtres, arroser les plantes vertes...
— Chaud devant !
Brian et Yoey cédèrent la place à deux élèves qui passaient la serpillière dans les couloirs, à la japonaise, leurs mains gantées poussant la pièce de tissu devant eux tandis qu’ils courraient en position accroupie.
Dans la cour ensoleillée, des groupes d’élèves bavardaient avec animation. D’autres effectuaient de petits jeux de groupe ou se divertissaient sur leurs téléphones portables. Plus loin, deux garnements de deuxième année arrachèrent la console de jeu d’un petit collégien à lunettes et se firent la passe, hilares, sous les protestations de leur souffre-douleur.
— Au fait, tu comptes nous rejoindre au QG avant lundi prochain ? demanda Yoey.
— Je préfère venir dans la journée de demain. Le temps de préparer Noah à son départ en vacances et de souffler un peu.
— Dommage. On se retrouve dimanche alors. Les autres ont décidé d’y aller dès ce soir. Je vais les rejoindre tout à l’heure vu que rien ne me retiens à la maison.
Ils franchirent le portail de l’établissement et se retrouvèrent face à la rue.
— Des fois, j’envie vraiment ceux qui partent bronzer sur une plage de rêve pendant des semaines alors que nous sommes obligés de rester en ville pour nous préparer à « sauver le monde », soupira Yoey.
— Moi aussi, confia Brian. Mais j’imagine que tu ne serais pas prêt à laisser tomber le NSIS pour ça, je me trompe ?
Yoey acquiesça, un large sourire aux lèvres.
— Tu as raison. Je crois que je n’abandonnerais ma vie d’agent pour rien au monde.
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*Ramen : plat japonais à base de nouilles de sarrasin dans un bouillon.
**Les mini-jupes constituent un vêtement ordinaire et officiel de l’uniforme scolaire féminin au Japon.
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