Streetlight.
Jeongin était en train de comparer les différentes textures situées devant lui, tantôt duveteuses tantôt cotonneuses, sans trop savoir laquelle choisir pour le prototype. Il tournait le camaïeu dans ses mains, tentant de se mettre dans la peau d'un chat tout en se demandant sur lequel des deux il préférerait dormir huit heures d'affilée sans avoir la moindre responsabilité. Ses réflexions firent naître un sourire sur le bord de ses lèvres, de ceux qui lui étaient caractéristiques.
Il continua un moment à faire glisser ses doigts sur les textures, concentré sur sa tâche et perdu dans ses pensées.
- J'ai besoin de savoir quand est-ce que...
Hyunjin était entré dans l'atelier sans faire attention, comme il en avait l'habitude ces derniers mois, les yeux vissés sur la tablette électronique qu'il tenait entre ses mains. En apercevant le jeune homme dans la pièce, sa phrase resta un petit moment suspendue dans les airs, et son corps arrêta de bouger à l'instant même où il croisa le regard étonné de son collègue.
- Quand est-ce que ?
Jeongin regarda l'intrus. Son regard était sérieux, professionnel. Ni froid, ni chaleureux, il attendait juste la fin de la demande de l'attaché de direction, surpris de le voir ici.
- Je ne savais pas que tu étais là, désolé.
Hyunjin avait relevé son menton bien haut tout en abaissant sa tablette. Il se tenait d'un coup bien plus droit qu'il ne l'était auparavant, apparaissant plus grand, plus élancé, faussement sûr de lui. Cela fît rire intérieurement Jeongin, il connaissait ses manœuvres par cœur. Il le connaissait par cœur.
- Pas de soucis, ne t'inquiète pas. Tu travailles ici, donc c'est plutôt normal qu'on se croise.
Hyunjin, d'une certaine manière, semblait paralysé, les mots du plus jeune le touchaient plus qu'il n'aurait aimé l'admettre. Cette indifférence lui semblait finalement plus difficile à vivre que l'absence du jeune homme dans sa vie alors même qu'il avait déjà été persuadé d'avoir traversé les enfers.
Il ne pouvait s'empêcher de se demander si le plus jeune s'en fichait vraiment et s'il était si facile, pour lui, tel qu'il le montrait, de le croiser à nouveau.
Alors que Jeongin attendait impatiemment la suite de sa demande, il se mit maladroitement à sourire en se grattant l'arrière du crâne face au silence pesant qui commençait à s'installer entre eux.
- De quoi as-tu besoin Hyunjin ?
- Je... j'ai besoin de savoir quand est-ce que vous pourrez m'envoyer le prototype pour que l'équipe de design puisse envisager une esthétique pour le projet final.
Hyunjin était tendu, quiconque aurait été présent dans la pièce aurait pu sentir à quel point il l'était. L'air ambiant semblait électrique, si ce n'est pesant et la ville elle-même n'osait prononcer un son, les couvrant de son silence oppressant.
- Honnêtement je ne sais pas du tout. Il faut voir ça avec Seungmin ou directement avec le chef de pôle, je ne prends pas ce type de décision.
- Oui, bien sûr, je comprends... tu... tu es sur ta dernière année d'étude du coup, c'est ça ?
- Oui, Hyunjin, mais tu le sais déjà.
Le sourire de Jeongin était doux, dénué de rancœur. Il regardait son aîné avec complicité, comme s'il le connaissait mieux que quiconque, comme s'il le connaissait depuis toujours, comme s'il connaissait déjà ses intentions à son égard rien qu'en le voyant dans la même pièce.
Comme si un jour, ils avaient tout été l'un pour l'autre.
- Est-ce que tu savais que je travaillais ici ?
Cette phrase, lourde de sens, resta suspendue à nouveau dans l'espace qui les séparait pendant quelques secondes, comme si Hyunjin espérait secrètement que son cadet lui dise que oui, qu'il savait. Qu'il avait postulé en espérant le croiser discrètement dans un couloir, en espérant pouvoir le revoir et ainsi lui parler et peut-être même, le reconquérir. Malgré lui, il y croyait, il avait envie d'y croire.
- Je ne savais pas non, le hasard est parfois curieux.
Jeongin sourit pour lui-même en détournant le regard, étrangement gêné. Il récupéra les morceaux de tissus sur son bureau et les manipula de nouveau avec plus de lenteur. Il se concentra sur son objectif, tout en essayant d'écourter cette rencontre. De loin, il semblait détendu, sûr de lui, presque indifférent. Pour qui ne le connaissait pas, ou ne semblait plus le connaître, on aurait dit qu'il était indifférent à la présence de l'homme élancé qui lui faisait face.
Hyunjin, lui, semblait plus pâle qu'à l'accoutumé, tendu par la présence du stagiaire. Il se léchait trop souvent les lèvres et ses doigts pianotaient nerveusement sur sa tablette depuis déjà trop longtemps pour qu'il puisse apparaître confiant. Ses ongles décollaient frénétiquement le rebord protecteur en cuir de l'objet numérique, canalisant superficiellement son angoisse alors qu'il avalait une nouvelle fois, en quelques secondes à peine, sa salive.
- Viens en au fait Hyunjin, que veux-tu vraiment ? Je sais que tu n'es pas là par hasard ou tout du moins, que tu espérais probablement me croiser en venant ici.
Jeongin soupira en déposant de nouveau les tissus qu'il tenait entre ses doigts fins, quelque peu exaspéré et en attente d'une réponse qui serait suffisamment convaincante.
- Honnêtement, je doute que le secrétaire général d'une multinationale descende souvent dans les labos. Et on sait également tous les deux que tu es quelqu'un de très direct, quand tu le veux. Donc Hyunjin, maintenant que tu as enfin mon attention, je t'écoute, que veux-tu ?
Jeongin avait été tel qu'il était toujours envers les autres,
Direct.
Peut être même dur, c'est en tout cas ce qu'il se dira plus tard, dans l'après coup, quand cette conversation sera passée et que la vision de l'homme en face de lui viendra alors troubler ses nuits.
Jeongin accrocha son regard à celui du plus vieux, attendant de connaître ses motivations derrière tous ses allers retours, impatient, crispé pour qui savait observer. La seule certitude qu'il avait à l'instant était que les paumes de ses mains commençaient à devenir moites et que la tension ambiante n'avait de cesse de l'atteindre, comme un poison. Son sourire était de moins en moins confiant et sa paupière gauche commençait à tressauter d'appréhension. Hyunjin devait partir, sa vision lui était trop brutale.
- Je veux une seconde chance.
- Une douzième tu veux dire ?
- J'ai arrêté. Je vois quelqu'un depuis plusieurs années maintenant, ça m'aide énormément. J'ai beaucoup changé Jeongin, j'ai évolué, je ne suis plus l'homme que j'ai pu être.
Son cadet ne semblait pas vraiment impressionné, attendant plus d'information, plus de substance, poussant son aîné à se confier de part son silence. Jeongin était debout, immobile alors que son regard était maintenant rivé sur le visage du secrétaire. Il avait finalement réussi à capter toute son attention.
Au contraire d'Hyunjin, parler franchement, dire les choses telles qu'il les ressentait et en venir au fait n'avaient jamais été un problème pour Jeongin. Il n'était pas d'une nature véritablement anxieuse ou anticipatrice et son comportement différait en tout point de celui du blond qui lui faisait face. Est-ce pour cela que l'oublier avait été si difficile ?
Pour qui ne le connaissait pas, Hyunjin était un homme silencieux, désespérément calme, parfois même froid. Dans ses relations, il maintenait toujours une distance, comme une imposition. Un mantra pour se protéger de lui seul savait quoi. Jeongin savait pourtant que derrière cette façade de marbre se cachait quelqu'un de bien actif, de même parfois bruyant. Quelqu'un qui pouvait rester éveillé nuit et jour pour ne pas cauchemarder ou bien pour terminer une œuvre qu'il jugeait incomplète.
Quelqu'un qui luttait, quelqu'un d'aussi passionné que malade.
Transit par le froid qui s'abattait sur lui à mesure que Jeongin restait silencieux, Hyunjin brisa de nouveau le silence,
- Je peins de nouveau.
Jeongin ne pouvait pas nier être surpris, si ce n'est déçu de la réponse du secrétaire. Il aurait aimé voir Hyunjin faire preuve d'autant d'impulsivité que ce qu'il mettait dans ses prises de mauvaises décisions ou encore dans sa colère.
Pour autant, il connaissait la valeur de cette simple phrase et de combien elle était symboliquement porteuse, mais il ne pouvait s'empêcher de s'en sentir déçu et quelque part, tout au fond de lui, il se savait blessé.
Il espérait autre chose, il ne savait trop le définir, mais probablement un je ne sais quoi se rapprochant de l'homme nouveau qu'il disait être. Il aurait aimé que les mots soient plus nombreux, plus fluides, plus naturels, mais comme toujours, Hyunjin restait prudent, énigmatique et malgré lui, frustrant. Terriblement frustrant.
- Tant mieux Hyunjin. C'était important pour toi, alors tant mieux... L'atelier ne servira pas qu'à entretenir l'humidité donc j'imagine que c'est plutôt cool. Je le dirais à mes parents si tu en as envie, ils seront contents de le savoir.
Hyunjin était autant frustré par la réponse de Jeongin que ce dernier l'avait été par la sienne et comme il y a bien longtemps, les deux hommes se retrouvaient de nouveau à parler comme s'ils ne savaient plus s'entendre, ou pire... S'écouter.
Le secrétaire attendait à son tour un autre type de réponse, il en attendait plus. Ses affirmations et ce qu'il prenait pour des changements majeurs n'étaient visiblement pas suffisants pour convaincre l'ingénieur et il comprit au visage fermé de son homologue que Jeongin ne l'aiderait pas. Il ne lui fournirait pas les mots qui lui manquaient, comme il le faisait autrefois.
C'était un temps révolu, d'une époque qui les détruisait encore.
Hyunjin ne savait plus comment s'y prendre, lui qui semblait pourtant si détaché de tout et de tous, commençait alors plus violemment à se mordre la lèvre inférieure. Crispé et anxieux, tel qu'il avait toujours été. Discrètement, il finit par arracher l'une des peaux de sa lèvre supérieure avec ses ongles fins, toujours charbonneux, puis en vient une deuxième, le faisant légèrement saigner.
Alors qu'il n'avait même pas conscience de ce comportement compulsif, Hyunjin se mit à fixer ses chaussures avec angoisse et il se mura alors dans un mutisme que Jeongin ne connaissait que trop bien.
Incapable de le voir dans un tel état, l'étudiant s'avança doucement, comme pour approcher une bête blessée. Il attrapa avec prudence la main du secrétaire et il écarta lentement cette dernière de ses lèvres. La peau du secrétaire était froide et cette dernière contrasta savoureusement avec la chaleur de celle du futur ingénieur. Face au contact, Hyunjin se surprit à fermer instinctivement les yeux, juste le temps d'une seconde, une toute petite. Juste le temps pour lui d'enregistrer précieusement ce contact qu'il ne pensait plus pouvoir ressentir à nouveau.
- Tu sais que je déteste quand tu fais ça.
Sa voix n'avait été qu'un murmure lourd de sens et Jeongin lâcha rapidement la main de son aîné, comme brûlé, piqué au vif par son propre geste qu'il n'avait pas vu venir.
Rapidement, comme suffoquant, l'apprenti ingénieur contourna l'homme pour quitter la pièce. Il avait besoin d'air frais, il avait besoin de comprendre ce qui venait de se passer et pourquoi sa paume lui piquait encore.
Avant d'ouvrir la porte, il entendit Hyunjin murmurer à son tour,,
- Je mange de nouveau Jeongin.
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J'ai frissonné à la dernière phrase alors que c'est moi qui ai écrit...
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