bruyante et l'air leur apparaissait plus doux. Plus rien n'avait d'importance, ils étaient deux, deux contre le reste du monde.

Les semaines s'étaient écoulées à une vitesse folle et Minho avait eu très peu de temps pour honorer sa vie privée. Le lancement du nouveau lit pour chat était finalement arrivé et ses voyages à l'étranger s'étaient multipliés. Il était ce soir même en train d'inaugurer une boutique éphémère ouverte à Paris, puis le lendemain, ce serait à Berlin, avant de finalement retourner à Hong Kong une dernière fois. Bien après cela, il pourra enfin rentrer à Séoul.

Il était exténué. C'était une nouvelle étape dans sa vie professionnelle et elle était méritée.

Il avait passé la semaine à parler à Jisung par vidéo et malgré le décalage horaire ils trouvaient toujours un moyen de se contacter, tous les soirs sans exception. Ils s'envoyaient des photos, Minho de son travail et de ses voyages quand Jisung lui en envoyait de lui, puis de ce qu'ils appelaient « leurs enfants ». Minho était un homme amoureux, plus qu'il ne l'avait jamais été et qu'il ne pensait pouvoir l'être un jour et Jisung était définitivement un homme heureux.

Les choses n'étaient pas encore tout à fait ce qu'elles avaient été et elles ne le sauraient probablement jamais. Minho voulait du renouveau et il avait conscience de devoir faire encore toutes ses preuves. Cette conversation ne servirait pas à effacer des mois de souffrance sans nom.

Parfois, Jisung semblait ailleurs, comme pensif ou hésitant dans ses gestes et Minho sentait dans ces instants que l'homme qu'il aimait pouvait encore se rétracter et que s'il le faisait, il le perdrait à tout jamais. Alors Minho se donnait corps et âme dans cette relation et il était reconnaissant pour chaque jour supplémentaire qui lui étaient accordés auprès de son Jisung.

- Minho, ola ! T'écoutes rien... À quoi tu penses ? Je vois que t'es pas concentré sur ce que je te dis, mais c'est important !

Hyunjin pestiférait devant son brunch à la française. Il était assis sur une terrasse hors de prix dont la vue sur les rues arborant la tour Eiffel était à couper le souffle. Il était en train de donner le planning de la journée à Minho, mais ce dernier n'avait même pas écouté la moitié. Il le sentait distrait.

- Manges au lieu de m'engueuler. Dès que ce sera fait, on pourra parler du planning. En entendant je ne peux pas me concentrer sur moi si je me concentre sur toi Hyunjin.

Hyunjin se raidit, quelques frissons lui traversa le cou comme un enfant prit en train de faire une bêtise alors que sa bouche demeurait pincée. Manger était devenu de nouveau difficile pour lui. Depuis la soirée chez Minho très exactement. Ses pensées étaient encombrées et il n'arrivait plus à réfléchir correctement, l'empêchant de manger. Impossible pour lui d'oublier les regards complices entre son ancien petit-ami et Seungmin. Et maintenant Chan qui s'y mettait...

Ses angoisses se répercutaient sur son appétit et ses insécurités se lisaient sur son corps.
Attrapé, mais loin d'être acculé, il regarda sincèrement Minho, essayant de le convaincre. Il coupa quelques morceaux de son croissant salé, prépara sur le coin de son assiette quelques bouchées de saumon fumé tout en tranchant deux morceaux de pains qu'il beurra en reprenant la discussion au sujet du planning.

- Je ne t'ai pas demandé de faire semblant de manger Hyunjin. Je ne suis pas le dernier des idiots que tu rencontres et à qui tu feras avaler tes petites techniques de merde, je te connais par coeur, toi et tes manières d'agir.

Minho pinça l'arrête de son nez en soufflant bruyamment. Il était agacé d'être moqué ainsi avant de se rappeler du sujet et de se reprendre, plus doux.

- Ça allait mieux, depuis un long moment maintenant... Est-ce qu'il s'est passé quelque chose que j'aurais manqué ? Est-ce que tu veux m'en parler ? Et ne me dis pas qu'il y a rien, par pitié !

Le regard de Minho était maintenant aussi indulgent que contenant, sincèrement inquiet pour son ami. Il pensait à tort que tout cela était derrière eux et il s'en voulait terriblement de ne pas avoir vu la situation se dégrader.

Hyunjin sembla hésiter un instant. Parler avait toujours été difficile pour lui, mais après ces dernières années de thérapie de groupe, d'analyse personnelle et d'éducation thérapeutique cela ne semblait plus être quelque chose d'aussi insurmontable pour le jeune homme.

Surtout auprès de son ami Minho, lui qui l'avait tant soutenu à ce sujet et sur tout ce qu'il souhaitait bien partager avec lui.

- Je ne sais pas si tu te rappelles, mais je t'avais dit un jour que j'avais eu quelqu'un pendant un certain temps.

- Oui, je me souviens. J'imagine que c'est l'homme de tes peintures ?

- N'importe quoi !

Hyunjin semblait prit sur le vif, comme si l'un de ses nombreux secrets venait d'être dévoilé. De ceux qui étaient pourtant visibles de tous ceux qui voulaient bien regarder.

- Tu passes ta vie à dessiner des corps Hyun'... et c'est toujours le même. Les muses ne viennent pas de nulle part j'imagine et même si je n'y connais rien à l'art je ne suis pas stupide... Et y'a pas 36 solutions ! Soit tu as quelqu'un dans ta vie et je l'ignore, ce qui m'étonnerait vu que tu es avec moi presque tous les jours de ta vie, soit il s'agit de cet ex.

- Bon passons !

Hyunjin était gêné, ses joues ne rougissaient pas de même que ses oreilles, mais il se gratta la paume de la main un peu trop longtemps que Minho l'ignore.

Quand quelqu'un ne communique pas par la parole, il faut apprendre un nouveau mode de communication, le sien. Minho en était l'expert.

- C'est un ami d'enfance à moi. Mon meilleur ami d'enfance en fait et on s'est croisé de nouveau, sans que je m'y attende et c'était bizarre. Je..., je,

Hyunjin se mit à triturer un morceau de croissant du bout des doigts pendant que sa jambe venait frapper frénétiquement le sol. Cette dernière émettait un rythme rapide et régulier qui électrisa un instant la ville, plus habituée à entendre parler de cet homme. Pas de la bouche d'Hyunjin.

- Je crois qu'il a quelqu'un.

- Comment le sais-tu ?

- Ils sont très souvent ensemble et cette personne est vraiment belle. La personne que j'ai croisée est très différente de moi... Il a un corps incroyable, très fin sans être trop athlétique, mais tout en l'étant suffisamment. Il n'est pas trop grand, quoi qu'on fait presque la même taille je pense, mais ça donne pas vraiment pareil. Il a l'air vraiment sûr de lui, il parle sans hésitation et il a plein d'amis... Il a un sourire vraiment parfait, ça m'a vraiment surpris. Ses dents sont très alignées et ses ja...

- Hyunjin, s'il te plait... Tu sais qu'il ne s'agit pas de ça. On en a parlé avec ton psy et un nombre incalculable de fois ensemble et on en reparlera tant que tu ne l'aura pas assimilé. Alors écoutes-moi, je te le redis, ce n'est pas de beauté qu'il s'agit, ni de perfection, ni de quoi que ce soit de physique. C'est juste ta manière de rejeter tes angoisses en te comparant perpétuellement. Dis-moi vraiment s'il te plaît, ce que TOI, le vrai toi as ressenti et non ce que tes symptômes te font percevoir et te font dire.

Minho avait une voix douce et indulgente même si ses paroles n'étaient pas faciles à entendre. Après des années à apprivoiser Hyunjin et à tenter de comprendre et de s'éduquer autour de sa maladie, il savait qu'Hyunjin n'en était plus au stade du faire semblant et il était hors de question pour Minho de régresser. Ils avaient dépassé ce stade et il comptait bien le lui rappeler.

- Je sais... Je sais que tu as raison et c'est ça le pire Minho... mais c'est toujours ce que je vois en premier et depuis qu'on s'est croisé j'ai de nouveau cette pensée envahissante et irrationnelle qui me dis que si je continue à perdre du poids je lui plairait de nouveau... Je me dis que si je mange alors tout va changer, JE vais changer. Je sais que ce n'est pas ce qu'il me faut et que ce sont des pensées liées à ma dysmorphophobie, tout ça je l'ai vraiment compris... Mais c'est au-delà de moi parfois Minho. Je lutte, mais parfois c'est trop dur, et quand j'y pense intensément, alors, je ne peux plus rien avaler. Même si je meurs de faim, même si je ne pense qu'à manger avant de m'endormir et que ça m'obsède. Même si je crève d'une bouchée de pain, je ne peux pas manger, je ne peux plus rien avaler et ça me bouffe, littéralement.

Des larmes menaçaient de jaillir des yeux de son ami, mais Minho savait qu'il ne les laisserait jamais couler. Hyunjin tenait avec fermeté le reste de sa serviette en coton alors que les jointures de ses doigts devenaient blanches. Son sourire, lui, avait totalement disparu.

Minho pouvait le sentir se contrôler du mieux qu'il le pouvait, tentant désespérément d'apparaître fort et maître de la situation. Le seul moment où Hyunjin arrivait à se montrer vulnérable c'est lorsqu'il avait bu et uniquement car il n'avait pas le choix. Dans ces moments-là, il pouvait devenir un torrent de larmes incontrôlables ou au contraire, un séisme de colère autant qu'une crème prête à danser jusqu'au bout de la nuit pour oublier.

Hyunjin était la personne la plus défensive que Minho connaissait, d'où l'apparition, sans aucun doute possible, de ses troubles du comportement alimentaire. Hyunjin n'avait fait que projeter années après années, ses angoisses sur son propre corps. Ça avait été sa manière à lui de communiquer avec le monde. Mais de cette manière, il se détruisait peu à peu et ce, depuis bien plus longtemps que Minho ne le connaissait.

Il s'en était aperçu très rapidement et dès l'entretien d'embauche, il y avait de cela six années. À ce sujet, Minho avait été ferme et avait fait de son rétablissement une condition à l'emploi. Il devait se faire suivre, se faire aider.

Initialement, Hyunjin devait travailler sur le volet des relations publiques et sur le visuel de la société ainsi que sa communication, mais Minho n'avait pas voulu qu'il soit tous les jours confronté au reflet des autres et aux jugements. Pire, il aurait dû faire avec les attentes intouchables d'une société qui prône toujours plus de perfection, même lorsqu'il s'agissait d'une entreprise et toujours lorsqu'il s'agissait d'image. Quand il s'agissait de beauté, de communication ou de paraître, chats ou humains, tous étaient logés à la même enseigne.

Minho s'était donc dit que cela n'irait pas en l'aidant et Hyunjin avait été d'accord sur ce point.
Alors, sans trop lui laisser le choix, le chef d'entreprise lui avait proposé ce poste, celui d'assistant de direction. Un travail avec tout autant de responsabilité, si ce n'est plus, payé très convenablement et qui nécessitait de manger avec le président tous les midis, c'était dans les obligations de poste. À prendre à ou laisser comme il le lui avait dit, et vraisemblablement, Hyunjin y avait vu sa chance de repartir de zéro, ou plutôt, de faire avec et d'avancer.

Si Hyunjin lui en avait voulu pour l'avoir infantilisé comme ça, Minho n'en savait rien et jamais il ne lui en avait parlé. La vérité c'est qu'Hyunjin lui en était reconnaissant. Il n'aurait pas été sûr de s'en sortir autrement et il se savait condamné s'il restait seul.

Alors, même si le combat restait encore présent et que la privation restait une de ses réponses dans les moments de doutes ou d'angoisses, cela ne durait jamais et Hyunjin finissait toujours par se rationaliser et par gagner. Parfois à la frontière du pathologique, mais au moins, il n'était plus dans l'état dans lequel ils s'étaient rencontrés et c'est tout ce qui comptait pour son ami autant que pour lui. Un pas à la fois.

Minho ne savait pas comment leur relation en était arrivée à être si intime, ni comment il avait réussi, tout égocentré et intransigeant qu'il avait pu l'être, à regarder avec autant de douceur et d'admiration un autre homme. Avec le temps, Minho avait fini par se lier d'affection pour lui, loin d'une quelconque forme de pitié, davantage dans une sorte d'absolue respect. Peut-être que Minho avait vu Hyunjin comme un chat errant, un peu sauvage, mais qui méritait d'être protégé. Ce qui est sûr, c'est qu'Hyunjin y avait trouvé refuge avec plaisir et que depuis, ils demeuraient inséparables.

Quand Minho s'était mis à réfléchir plus introspectivement à cette rencontre, il s'était dit qu'à sa différence, Hyunjin essayait au moins de lutter, quand lui de son côté ne faisait que dénier. Minho n'essayait jamais de regarder cette vilaine vérité qui l'accablait alors qu'Hyunjin, lui, y faisait face tous les jours, sans jamais douter. Et même si parfois il avait la sensation de le faire, jamais il n'abandonnait et pour cela, Minho l'admirait.

Alors, pour toutes ces raisons, Hyunjin avait été moteur dans la prise de conscience de Minho car imperceptiblement, l'artiste l'avait toujours soutenu. Dans une discrétion et une finesse dont seul son secrétaire pouvait être maître. Toujours et pour toujours, Hyunjin avait été à ses côtés.

- Je n'avais pas compris que tu étais mal à ce point-là en ce moment Hyunjin.

Minho attrapa la main de son ami encore présente sur la table et d'un mouvement doux, il retira la serviette de son poing, entrelaçant leurs doigts à la place.

- J'ai beaucoup été occupé ces dernières semaines. Par le travail, par Jisung, par tout un tas de choses, mais ça ne doit pas devenir des excuses. J'ai clairement négligé notre amitié et surtout, je t'ai négligé toi et pour ça je te demande pardon. Je te promets de faire plus attention maintenant... Et merci d'avoir partagé ça avec moi, je sais que ce n'est pas facile.

- Minho...

Hyunjin sourit en recouvrant leurs mains de celle qui lui restait disponible.

- Tu n'es pas mon père ou mon frère, tu n'as pas à t'excuser d'avoir fait passer ton boulot ou ton petit ami avant moi. C'est normal de prioriser ton bonheur et ta vie privée, je ne t'en veux absolument pas et je n'ai même pas le sentiment d'avoir été mis de côté, je t'assure.

- Mais tu fais partis de mon bonheur Hyunjin et de mon équilibre...

Les deux amis se regardèrent en souriant et c'est lorsque les yeux d'Hyunjin rencontrèrent ceux de Minho qu'il se rendit compte à quel point il tenait à lui et combien il devait prendre soin de lui, encore et toujours.

- J'aimerais vraiment que tu puisses comprendre que tu es tout aussi important pour moi que tous les éléments que tu as cités. S'il en manque un parmi tous, alors je ne peux pas être heureux et mon équilibre n'est plus possible Hyun...

Minho fixa intensément les pupilles de son ami, espérant sincèrement lui faire comprendre une bonne fois pour toute sa valeur et son importance.

- Maintenant lève toi ! Tu ne boufferas rien et ce brunch m'a coûté une blinde. Rentrons à Séoul et appelons ensemble ton analyste s'il te plait, je pense que ce serait bien que tu puisses le revoir rapidement.

- Arrête de dire n'importe quoi ! On a des ouvertures de boutiques et on doit...

- Je crois que tu n'as pas compris Hyunjin. Pourtant, je fais comme tu me l'as demandé, je priorise mon bonheur... Et je te vois déjà réfléchir d'ici et j'ai pas envie de ça, mais je veux juste être sûr que tu saches que tu ne me dois rien. Tout ça, je le fais aussi pour moi.

Minho lui souris avec prétention, comme lui seul savait le faire. Le responsable savait que le seul moyen pour Hyunjin d'accepter son aide serait de faire comme si elle n'était pas orientée vers lui. De cette manière, il ne s'en sentait plus l'objet et il ne pouvait plus dire non.

Hyunjin se leva doucement, touché au plus profond de lui par les mots de son ami. Il se retourna doucement pour admirer la vue et Minho partit dans la suite pour commencer à ranger leurs affaires.

Paris se dit que finalement, Lee Minho avait eu tort, Hwang Hyunjin aussi, pouvait pleurer.

Alors, c'est face à son petit marché et sous couvert de cet arc de triomphe, au cinquième et dernier étage d'un luxueux hôtel restaurant, qu'Hyunjin laissa quelques larmes furtives de bonheur et de reconnaissance lui échapper. Il les essuya aussi vite qu'elles étaient apparues, mais elles avaient bien été là.

Hyunjin était heureux.

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Pour l'artiste qui a réalisé le dessin sur la photo, il me semble trouver qu'il s'agit de blueedumplings sur instagram ? Je n'ai pas plus d'infos malheureusement. Si vous savait de qui il s'agit n'hésitez pas à me le faire savoir :).

Vous avez saisi le parallèle d'avec la ville ? C'est une métaphore qui me tient énormément à coeur et qui m'a toujours accompagné dans mon histoire de vie. Je suis heureuse de la partager avec vous. 

Des baisers, 

M.