❝3. Rien qu'une soirée en 'famille' et un coup de poing
COMMENT EXPLIQUER À SON père qui est pompier, que sa fille s'amuse à allumer des incendies en cours de science ?
Il y avait de quoi rigoler. Vraiment, Ru ne savait vraiment pas comment l'annoncer. 'Bonsoir papa ! Au fait, j'ai mis le feu à la classe aujourd'hui. Je suis désolée si ça foire la réputation de votre caserne de pompiers par derrière.'
Le soleil tirait sur l'horizon, et les arbres avoisinants abritaient parfois des rongeurs solitaires. Ru préférait se dire que ce n'était que des écureuils qui n'avaient pas grand-chose à faire de leur vie, mais elle ne pouvait pas cacher le fait qu'elle avait déjà aperçu des rats aussi gros que des caniches dans les branches des arbustes devant chez elle. Eux aussi, ils ont dû faire un plongeon dans le lac radioactif.
Ru se presse sur le trottoir qui longe les habitations. Elle ralentie le pas lorsqu'elle arrive devant la caserne des pompiers, qui s'élève trois étages au-dessus du sol. Le drapeau américain flotte dans l'air frais du soir, et de la lumière éclaire les vitres du rez-de-chaussée. L'adolescente se dirige vers la petite porte qui se creuse à côté du gros rideau de fer rouge. Elle devine l'Engine 262 qui dort doucement de l'autre côté, prête à sortir en rapidité en cas d'urgence.
Elle sort son trousseau de clés, et lorsqu'elle pousse la lourde porte avec son épaule, une odeur de ragout et de légume cuit emplie ses narines. Le garage se trouve en bas, et des escaliers mènent à la première salle à vivre. Elle frémit d'excitation, et lance, à travers la pièce dans laquelle elle entre :
— Oh, André a fait du gumbo !
Plusieurs voix masculines crient son prénom en retour, pour l'accueillir. Elle ricane, en se dirigeant dans la salle à manger. Les visages familiers des pompiers qui occupent la caserne rayonnent.
L'appartement qu'elle et son père occupe se trouve à l'étage du dessus, mais la jeune fille ne rate jamais une occasion de passer du temps avec les collègues de celui-ci. Son père est capitaine de leur petite unité, et même si elle reste petite, nombreuses sont les nuits où la jeune fille entend leur camion quitter le domicile pendant de longues heures. Ils revenaient parfois avec un sourire en disant « on vient de retirer un cochon coincé dans une cheminée », ou les mains couvertes de suie et de cendres, un air plus grave sur le visage.
Ru dépose son sac au pied des escaliers qui mènent chez elle, et s'engouffre dans la salle à manger, guidée par l'odeur du plat typique de la Nouvelle-Orléans. André est aux fourneaux, et se retourne et demandant :
— Eh ! Ru, comment s'est passé l'école ?
Son accent français racle contre son palais, et la jeune fille répond, avec une grande tranquillité :
— Oh, la routine tu sais, on nous a appris à changer des verres en animaux, on a eu deux heures de quidditch alors qu'il pleuvait, puis la prof de potion s'est trompée de réactif et toute la classe a été recouverte d'une mousse violette qui avait un goût vraiment terrible. Maintenant, j'ai l'impression d'avoir des grenouilles dans l'estomac.
Les gars sourient, amusés par les mots de l'adolescente. Elle attrape une assiette, à l'aise. Elle va se servir une coupe de gumbo encore tiède qu'elle dévore debout, sur place. La jeune fille passe ses yeux sur la bande de bras cassés avec qui son père travaille. Ils n'étaient pas forcément drôles ou attirants, mais ils avaient une présence rassurante et chaleureuse.
Aux côtés d'André qui avait un teint mat et qui sentait toujours les épices du sud, on retrouvait Fernando, qui venait du bronx et qui rigolait très fort, Patrik, qui avait un accent dont on ne connaissait toujours pas la provenance et qui racontait souvent les aventures de son enfance, et puis il y avait Tim, qui n'était pas très bavard, et qui ramenait des pêches pour Ru de temps en temps.
— La dernière partie est vraie en fait, commence Ru, la bouche pleine, le cours de potion s'est mal passé. C'était un accident, mais j'ai failli faire flamber la classe entière, mieux qu'André et ses côtes de porc. Par contre, ne le dites pas à papa, sinon j'vous tape.
On la regarde avec de gros yeux surpris, et il s'écoule une seconde de silence où l'on entend que le son de Ru qui boit sa soupe avant que la voix grave de Patrik s'élève au-dessus de tout :
— GrahAM ! TA FILLE A FAIT UN FEU DE JOIE AU MILIEU DE SON BAHUT !
— T'es un putain de traitre.
— Eh, eh, le langage, jeune fille ! rajoute André qui assiste à la scène, amusé.
— Si tu m'dis comment on insulte en français je te promets de... les dire aux bonnes personnes ! lui Ru avec un gros sourire au visage, en posant son bol dans l'évier, et en sautillant autour d'André.
Elle a de la soupe sur le coin des lèvres lorsque la silhouette de son père entre dans la pièce. Il se débarrasse de ses grosses bottes, et lorsqu'il relève la tête, Patrik répète, comme un fidèle lèche-cul :
— Graham, ta fille s'amuse à courir après les gens avec un lance-flamme en les traitant de sorcières.
— Tu te calmes. lâche Ru à l'attention du pompier, de plus en plus mal-à-l'aise.
— Encore ? clame Graham, un rire dans la gorge.
Il offre tape sur l'épaule de plusieurs de ses collègues alors qu'il se dirige vers sa fille qui fait tout un cinéma. Elle se met à se dandiner comme une autruche en chaleur alors qu'elle cherche une issue pour fuir.
— Non, sérieusement, qu'est-ce que tu as encore fait, Ru ? lui demande son père d'une voix beaucoup plus grave et plus sérieuse.
Une barbe lui ronge le menton, et des mèches de la même couleur que celles de sa fille sont correctement glissées en arrière. Ses grosses mains usées sont serrés sur son torse alors qu'il a les bras croisés.
— Ah, l'école ne t'as pas appelé ? Écoute, est-ce que je peux juste manger ma glace à la graisse d'otarie avant que tu me prive de dessert pour les cinq mois à venir ?
— Tu bouges pas, jeune fille.
— Je suis désolée. J'ai peut-être enflammé un cahier, une blouse de scientifique, et mon bras. C'était pas volontaire.
Graham pose ses yeux sur la main de sa fille. Sous son pull, il aperçoit les courbes irrégulières d'un pansement.
— Les gars, vous pouvez m'aider là ? Je suis vraiment censé punir ma fille qui vient de vivre son premier vrai contact de pompier ?
Des rires fusent derrière eux, et Ru sourit.
— Aller, file dans ta chambre. S'ils me demandent des sous, je vais les chercher dans ta tirelire.
D'une marche pleine de grâce et de sauts de lapins, Ru trouve le chemin hors de la cuisine, en offrant son plus beau sourire à son père. Elle s'attarde derrière Patrik, qui racontait une de ses aventures de môme des campagnes.
— Je n'étais rien qu'un gosse. Je vais dans la forêt pour chier, vous voyez. J'avais juste envie d'y aller, parce que les animaux le font, et j'avais se gros désir de me sentir parmi eux. Bref, je continue. Je vais dans la forêt pour faire ce que j'ai à faire, je descends mon pantalon et là... un truc gigantesque, bien gras, bien jaune, me fonce dessus et PLA ! Elle me pique juste au-dessus des couilles. Je vous jure.
Les trois autres éclatent de rires, alors que Ru s'incruste, et dit à l'intention de Patrik :
— En même temps, elle a dû voir une de ses monstruosités dans le bas de ton ventre, c'est pas étonnant qu'elle t'ai attaqué, elle devait flipper grave !
Fernando pousse un cri en riant comme une baleine, André glousse de plus belle et même Tim hausse les sourcils, bouche bée. Patrik est surpris mais ne cache pas le sourire qui décore son visage. Ru se dépêche de sortir de là, alors qu'elle entend dans la pièce voisine :
— Elle, elle va aller loin dans la vie. That's my girl.
*
Ru croque dans une pêche, affalée sur son lit. De la musique qui n'est pas de sa génération sonne entre les draps, et par terre, son sac d'école n'est même pas encore ouvert. Les devoirs ne sont pas dans sa liste des choses à faire, et elle prévoit de passer sa soirée devant un film plutôt que devant ses cahiers. La jeune fille entend les rires des pompiers en bas, et ce bruit si banal lui réchauffe à chaque fois le cœur. Voilà seize longues années qu'elle vit au dernier étage de la caserne, dans le quartier de Forest Hills.
Elle n'a plus que son père. Le visage de sa mère n'apparaît que sur les photos qui décorent la salle à manger. Elle ne garde aucun souvenir d'elle, et au fond, la jeune fille se dit que c'est mieux comme ça. Il y a des soirs, où Graham rentre avec une figure de déterré. Lors de ces périodes, les gars savent que même eux ne peuvent rien y faire. Ru ne peut que regarder les poings serrés de son père, alors qu'il passe plusieurs heures dans un fauteuil, perdu dans les souvenirs toxiques de l'amour qu'il porte toujours pour sa femme défunte.
L'immeuble que Peter partage avec sa famille n'est pas loin, et elle se souvient encore de la fois où tante May l'a aperçu marcher avec son neveu qui avait perdu ses lunettes et qui ne voyait plus où il allait. Ru avait raccompagné Peter – cela devait être la seule fois d'ailleurs – et lorsqu'elle avait sonné, c'était oncle Ben qui avait ouvert la porte. Ru leur avait rendu leur garçon complètement myope et son oncle avait vraiment insisté en disant :
— Je sais qu'il ne donne pas une très bonne première impression de lui-même, mais crois-moi, raccompagne-le plus souvent, c'est un chouette type.
Peter avait grimacé comme un enfant de 8 ans alors que Ru s'était contentée de lui offrir un gros sourire, en lançant alors qu'elle était déjà en train de repartir :
— Ru, fille de pompier et déjà en train d'assister les aveugles. Pour vous servir !
Sa fenêtre donne sur la ruelle perpendiculaire à l'avenue principale. Malgré sa maladresse, Ru reste casse-cou, et plusieurs fois, elle avait réussi à mener des escapades nocturnes. C'était simple, il suffisait de se laisser glisser le long de la gouttière. Elle allait s'acheter une pêche à l'épicerie ouverte vingt-quatre heure sur vingt-quatre, et elle grimpait en haut d'un immeuble, jusqu'au toit, pour apercevoir les lumières immortelles de Manhattan.
*
Ru somnole contre son casier. Le front contre l'inconfortable plaque de métal, elle a les yeux fermés, les bras qui pendent comme ceux d'un macaque qui hiberne, et l'adolescente reste complètement hors du temps. Le contact d'abord gentil d'une main familière lui tapote l'épaule. Elle grogne, et Michelle n'hésite pas à la secouer un peu plus. Comme si l'arrière de sa tête était vissé à son casier, elle pivote sur elle-même pour faire face à son amie, en imitant le cri de l'ours polaire plein de regret.
— Regarde ça, là-bas.
Michelle montre du doigt un coin du couloir, et Ru lève les yeux. Son regard rencontre la silhouette colossale de Flash, au-dessus des petites formes de Gwen. Elle est adossée contre le mur, à parler avec lui comme s'ils étaient de grands amis, et Ru trouve qu'il y a un peu trop de douceur dans ses yeux pour une brute comme ce gars-là.
Ru fait semblant de vomir en tirant la langue et en se mettant deux doigts dans sa grande gueule, avant de lâcher, d'une voix traînante et fatiguée :
— Dans trois mois, ça salie la banquette arrière de la voiture de maman.
Michelle secoue la tête, visiblement pas très enchantée non plus par l'idée de trouver son amie en train de rouler des pelles à un type comme M. Testostérone.
— En attendant, j'avais raison, dit-elle à l'intention de Ru, tu me dois vingt dollars.
— Je suis pauvre. J'ai pas vingt dollars.
Michelle soupire, et lance un mauvais coup d'œil à Ru. Celle-ci lui fait son plus beau sourire, avant de se retourner vers les visages de Flash et de Gwen. Elle les observe un peu trop longtemps, perdue dans ses pensées. Lorsqu'elle baisse enfin le regard, des voix tonnent un peu plus fort que le brouhaha habituels des couloirs.
— T'étais en train de regarder ma meuf, Peter ?
— Flash, arrête, je ne suis même pas ta meuf...
— T'étais en train de la mater ? C'est pas très respectueux, ça, Parker !
Ru se retourne, et ce qu'elle voit la crispe. Flash est littéralement au-dessus de Peter, les phalanges refermées autour du col de son chandail. Le garçon tremble presque, et ses lunettes sont mal mises sur le bout de son nez.
— Arrête, F-Flash. Je n-ne... Je ne la matais pas !
Peter se débat sous son emprise, comme un poisson aux mains d'un pêcheur. Ru s'approche. Un cercle bruyant d'élèves s'est formé autour d'eux, et alors que Gwen a la main sur l'épaule de Flash pour tenter de le calmer, la brunette, elle, se faufile entre les rangs.
— Lache-moi, Flash ! T'es qu'un sale type qui ne réfléchit qu'avec ce qu'il y a entre tes deux jambes !
Ru hausse les sourcils, surprise de la réponse de Peter. Aucun bégaiement, de la violence dans le fond de sa voix, alors qu'il tente de se dresser devant son agresseur. Flash fronce les sourcils, et Peter regrette immédiatement ses mots.
— Tu n'aurais pas dû dire ça, Peter, annonce Flash en le poussant brutalement contre le casier.
Peter perds ses lunettes alors que sa tête balance en arrière sous l'effet du choc. Alors que la foule lance des « oooouuuh » qui sonnent en cœur, Ru murmure, avant de jeter son sac à terre :
— Okay, ça suffit.
Elle s'approche, sans penser aux conséquences. Sa petite taille n'a pas l'air d'alarmer Flash qui l'ignore complétement alors qu'il brandit son poing vers la figure de Peter. La jeune fille agit aussi vite qu'elle le peut, et se glisse entre les deux garçons.
— Trou du c... parvient-elle à articuler avant de se prendre le coup de poing destiné à Peter. Sa tête est projetée en arrière, et elle a la terrible impression que toutes ses dents viennent de se détacher. Le goût du sang agresse sa bouche sans attendre, et elle se sent retomber contre Peter.
Ru n'est pas à terre. Elle a reçu un coup, mais elle reste debout, seulement étourdie par le choc. Le monde s'est tu tout autour d'elle, le reste des élèves sont bouleversés par la scène. Flash lui, s'est reculé, incertain de la manière dont il est censé réagir. Gwen lui lance un grand regard terrifié, alors qu'elle voit la lèvre fendue de son amie. Ru sent la respiration affolée de Peter derrière elle. Bien vite, elle se rend compte qu'elle est toujours collée à lui, son dos contre son ventre. Elle se décale un peu trop vite et le jeune homme la lâche, encore tremblant.
Des pas sonnent dans le couloir. Des talons contre le carrelage. Ils sont officiellement dans la mouise.
*
Après avoir passé une bonne heure chez le directeur, Flash s'est excusé auprès de Peter et Ru. Alors que le jeune homme avait hoché la tête en remettant ses lunettes, Ru lui avait glissé un « je te pardonne », qui l'avait un peu trop surpris.
En sortant, elle s'exclame, en passant un doigt sur sa lèvre fendue :
— J'ai des envies de compotes. Tu sais où est-ce qu'ils vendent de la compote ?
Ru se retourne, un air neutre sur le visage. Peter lui sourit, et elle essaye d'en afficher un elle aussi, mais elle ne parvint qu'à grimacer.
— J'suis désolée. J'aimerai beaucoup te sourire et continuer notre petit cinéma avec toutes ces choses non-dites, mais j'ai mal quand j'étire les lèvres.
— Je... Merci, Ru, pour ce que tu as fait. Et arrête avec tes phrases de drague qui marchent pas.
Ru ricane, avant de répondre, avec une grosse voix.
— Ouais, t'as intérêt. I won't always be there to save your sorry ass, Parker.
A/N : On plonge un peu plus dans la vie personnelle de Ru. Sa famille est assez spéciale, et je suis plutôt heureuse de voir qu'elle a un papa comme Graham. Il est cool. J'espère qu'il vous plait.
Elle sauve Peter des poings de Flash ! Cliché, la bataille à l'école mais huh, faut bien vous faire comprendre que la plus grande qualité de Ru, c'est bien son courage. Elle a une sacré paire de couille, ma fille. Elle va tout buter.
— c'était morg.
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