
❝17. Rien qu'une vérité dure à digérer et une sorcière
RU NE SAIT PAS CE qui est censé la choquer le plus. Le fait que le Peter qu'elle connait depuis qu'elle sait dire 'shit !' (autrement dit, depuis ses quatre ans) est en réalité l'homme-araignée, le nouveau super-héro qui sauve la ville de nuit comme de jour, ou le fait qu'elle l'a embrassé sans le savoir.
— Newton ?
Elle n'ose pas vraiment bouger lorsqu'il prononce lentement son prénom, le masque entre ses mains. Tous ses membres sont tendus, alors qu'il attend une quelconque réaction de la jeune fille. De son côté, elle n'arrive plus à tirer une pensée claire, tout s'amasse, se détache et tourbillonne dans son esprit. En moins de trente secondes, ses plus grandes interrogations avaient pris un sens. Son cerveau avait fait le lien avec toutes les questions qu'elle se posait sur Peter Parker depuis un bout de temps, et toutes venaient d'être résolues avec une seule et unique réponse : ce sale gosse était spiderman.
Pas étonnant qu'il se montrait soudainement plus fort en balle au prisonnier, qu'il n'était plus maladroit et que ses lunettes avaient disparues du jour au lendemain : tout s'expliquait avec l'image que Ru avait devant elle.
Elle lève sa main, les sourcils froncés, en remuant des lèvres :
— HOW THE FUCK -- ? commence-t-elle, avant de se reprendre. Elle respire, et elle sait que si elle se met à parler maintenant, chaque phrase sera surement gueulée et contiendra très probablement dix-sept fois le mot 'fuck' – elle préfère ne donner aucune attaque cardiaque au grand-père fidèle à jésus qui vivait un étage plus haut. Elle s'approche de la poubelle la plus proche, et s'y agrippe, comme pour s'y tenir, et fait coulisser le capot. Elle murmure, pour elle-même, sous les yeux effarés de Peter :
— Peter Parker est spiderman, Peter Parker est spiderman, Peter Parker est spiderman...
Elle se hisse sur la poubelle vide, et s'y glisse à l'intérieur, en se répétant les mêmes paroles, encore et encore. Elle tente de se convaincre d'une chose complètement insensée et la vérité est plus dure à voir en face que ce qu'elle laisse paraitre. Peter Parker = spiderman ? Dieu, même les maths qu'elle voyait tous les jours semblaient plus logiques que cette égalité.
Elle s'engouffre dans la poubelle, ignore l'odeur en répétant le même refrain, et Peter s'approche doucement. Elle s'assoit dans le fond et fait basculer le couvercle, en se balançant sur elle-même, les genoux contre sa poitrine.
Ru se fait toute petite dans la pénombre de la poubelle, alors qu'elle est en train de repenser toute son existence. Peter, lui, pose sa tête sur le plastique épais, comme s'il voulait entendre les mots de la jeune fille qui ne comprend plus rien à sa vie. Il grimace, et se maudissant silencieusement, et se mord plusieurs fois la lèvre, avant de taper sur la poubelle comme s'il toquait sur une porte. La petite voix de Ru lui répond :
— Oui, c'est qui ?
— Peter.
— Peter qui ?
— Peter Parker.
— Ah, navrée. Ce type-là est mort. C'est dommage, il était cool.
Peter ne peut pas s'empêcher de sourire, et ouvre la poubelle. Ru ne bronche pas, et continue de remuer ses orteils dans le fond de ses chaussures. Peter, lui, joue le jeu de la jeune fille, et s'incruste dans la poubelle aussi. Il s'assoit, plisse le nez lorsqu'il sent l'odeur, et préfère ne pas regarder ce qui lui colle aux semelles : la poubelle a beau être vide, il sait bien que si on l'éclairait, on trouverait un fond tapissé de chewing-gum, de pourritures et d'autres horreurs. Il referme doucement le couvercle, son masque serré entre ses doigts, et les deux adolescents sont face à face, les genoux qui se frôlent, dans l'obscurité presque totale.
— Qui es-tu ? Rends-moi Peter, s'il-te-plait. Il me manque, dit Ru lentement, et le jeune homme grimace.
— Newton, je... Peter Parker est spiderman.
— Et moi j'suis ton père.
— Arrête avec les références Star-Wars, c'est pas l'moment.
— J'aurais dû voir ce plot twist venir. Ru, tu es vraiment conne des fois, continue-t-elle en s'adressant à elle-même.
Le jeune homme pose sa main sur son genou, et la jeune fille sursaute dans le noir. Elle relève le menton vers le garçon qu'elle pensait connaitre par cœur, et plonge ses yeux dans les siens.
— Newton, j'ai besoin que tu ne répètes ça à personne, tu comprends ?
Ru le regarde, d'abord sans comprendre. Une grimace parcoure son visage, et elle lance, peut-être un peu trop fort :
— T'inquiète, avec ton secret dans ma poche, t'es en sécurité. J'compte juste prévenir l'ONU.
Ru lui tape le front avec ses doigts et Peter lache un petit 'ah !' innocent, alors qu'il ne comprend pas la réaction de la jeune fille.
— Tu crois vraiment que la première chose que je vais faire est d'aller le répéter au monde, du con ? Peter, j'pense que quand une gamine se rend compte que son pote est spiderman, elle commence déjà par remettre toute sa vie en question.
Elle grimace, avant de rajouter, en murmurant de manière à ce qu'il ne l'entende pas :
— Et quand une fille se rend compte que spiderman et Peter Parker sont la même personne et qu'elle a embrassé le super-héro sans savoir que...
— Hein ?
Ru secoue la tête, avant de passer les doigts sur la cagoule de son ami :
— J'n'arrive pas à le croire. C'est une immense blague.
Peter ne répond pas. Dans le noir, il soupire, sans vraiment savoir quoi dire. Il s'adosse contre le plastique sale, un pincement au cœur. Ru n'était pas censée savoir. Personne n'était censé savoir, - c'est ce qui faisait de lui spiderman. À ce moment précis, il aurait pu arpenter tous les forums, lire tous les modes d'emplois, regarder tous les films de science-fiction du monde, il n'aurait pas su quoi dire face à la jeune fille qui passait d'une expression à l'autre. Alors, il repose une main sur son genou, en se rapprochant un peu.
— Oh, qui es-tu ? demande Ru, de la même voix enjouée.
— Salut. J'suis spiderman.
— Salut.
Dans le noir, quelques secondes passent, et la jeune fille sent la chaleur de la main réconfortante contre sa peau. Elle hésite d'abord, mais d'un geste lent et peut-être trop maladroit, elle pose sa main sur celle du jeune homme. Ses idées sont floues et confuses, mais plusieurs choses se sont éclaircies depuis qu'elle est dans cette poubelle :
i – Peter Parker est spiderman, mais ça, ça fait un moment qu'on le sait.
ii – Elle tient à Peter. Héroïne tient à spiderman, mais peut-être pas de la même manière, Ru n'est pas sûre. Peter est Spiderman. Héroïne est Ru, mais Peter ne le sait pas. Dans tout ce bordel, elle ne retient qu'une chose :
Elle tient à Peter.
Ru s'apprête à dire quelque chose, mais elle est brusquement secouée vers l'arrière de la poubelle. Peter lui tombe dessus en laissant échapper un petit 'whoooaah' surpris, Ru souffle lorsque le corps du garçon la percute toute entière.
— Yo pyjamas, le respect de la distance vitale et personnelle minimum c'est pas que pour les chiens, dégage.
Peter proteste en s'écriant, d'une voix aigüe :
— MAIS t'vois bien que j'y peux rien, on... bouge ?
La poubelle entière se met à trembler, infiltrant peu à peu la panique dans le cœur des enfants. Ils se regardent dans les yeux en essayant de se redresser comme ils peuvent : rien à faire, les secousses ne font d'eux qu'un amas de jambes et de bras qui ne trouvent plus n'aucun équilibre. Ils sont violemment renversés par terre, et au moment où la poubelle se retourne, le couvercle bascule et les deux gamins sont expulsés dehors. Ru gémit lorsqu'elle tombe sur le ciment de la ruelle, éblouie par la lumière de l'après-midi, et se retourne tout de suite pour voir ce qu'il se passe.
Derrière la poubelle, un vieillard de 93 ans, d'énormes lunettes posées sur le nez, un menton trop carré et une moustache blanche particulièrement bien coupée, manque de tomber dans les pommes lorsqu'il voit les deux adolescents s'étaler sur le sol. Peter, lui, n'a pas son masque sur la tête, et fait face, avec son costume de spiderman, au vieillard qui ne sait décidément plus quoi penser. Cette scène tient plusieurs secondes : les deux enfants sur le dos, le grand-père qui les regarde comme s'ils venaient de sortir tout droit d'un autre monde. Finalement, Peter glisse son doigt sur ses lèvres en se redressant, et lâche un 'chhhh' silencieux pour signifier que l'homme devant eux doit garder le secret. Ru se relève, et regarde Peter mettre son masque alors qu'il recule doucement, comme s'il ne voulait pas effrayer le pauvre new-yorkais qui n'a pas bougé de derrière sa poubelle.
La jeune fille fait doucement secouer son sac sur son dos, et suit Peter qui sort de la ruelle en ne lâchant pas le vieux des yeux. Ils s'engouffrent entre les grillages et les colonnes de ciment discrètement et sans se faire voir. L'adolescente attrape Peter par la manche, et il se retourne vers elle, le visage caché par ses grosses lunettes noires. Elle lui sourit faiblement, avant de lui confier :
— Je ne le répèterai pas, Parker.
Il hoche la tête, reconnaissant, et elle fait quelques pas en reculant, avant de lui adresser un ultime signe de main et de partir en courant, avalée par le klaxon des voitures.
Peter s'apprête à partir, et tend sa main vers le ciel. Il ne finit pas son geste pourtant, soudainement pris par une réalisation qui lui fait doucement froncer les sourcils. Il repose doucement ses bras le long de son corps, perplexe, l'esprit bouleversé par un simple mot. Ru l'avait appelé 'pyjamas' ?
*
Ru a sa photo dans le journal. Enfin ce n'est pas vraiment elle, c'est Héroïne, cachée derrière ses grosses lunettes de motard. Elle s'arrête quelques longues minutes devant la presse qui se dresse au milieu du trottoir, pour lire les gros titres qui barrent le papier fade de leurs épaisses lettres grises. Les coups de vent viennent faire claquer les pages entre elles, et les porte-clés new-yorkais qui pendent juste au-dessus tanguent doucement dans un tintement discret.
La jeune fille souffle, perdue dans ses pensées. Elle est coincée entre l'euphorie d'avoir pu aider sa ville comme elle le souhaitait, et l'angoisse de la révélation qui vient de précéder. Les mains dans les poches de sa veste trop grande pour elle, elle marche seule sur les trottoirs, en chantant des airs de chansons tristes.
— Eh, papillon, ça n'a pas l'air d'aller.
La brune relève la tête, et remarque qu'à sa droite, une fille d'à peu près son âge est adossée contre un vélo. Elle porte une casquette avec inscrit 'domino's pizza' dessus, et des lunettes de soleil qui ne laissent pas entrevoir une étincelle de son regard. Ses cheveux sont aussi blancs que la peau de Peter quand il aperçoit une araignée (bien que maintenant, Ru doute de sa phobie pour les petits insectes) et ses lèvres sont repassées d'un rouge doux et sombre. Ru reconnait la fille qu'elle retrouve trois fois par semaine dans son cours d'anglais, et à qui elle n'adresse jamais la parole.
La livreuse de pizza penche la tête sur le côté et descend ses lunettes sur le bout de son nez, comme si elle attendait que la jeune fille dise quelque chose. Ru soupire, et se poste devant elle, en frottant ses jambes habillées de ses jeans serrés entre elles. Elle lui lance, d'une traite :
— Non, ça ne va pas. Il y a un mois, j'me suis pris un paquet de rayons X sur la gueule parce que j'ai passé une nuit par accident dans un labo radioactif. Depuis, j'me suis rendue compte que je pouvais tout faire beaucoup, beaucoup, beaucoup plus vite. À cause de ça, le total de nouvelles baskets que j'utilise par semaine est monté à cinq paires, et mon porte-monnaie fuit un poney pisseur qui a trop bu. J'ai rencontré un gars cool lors d'une nuit où j'ai fugué. Mais, il est VRAIMENT cool tu vois, le type de mec qui peut grimper sur les murs et qui se balance comme tarzan avec des toiles d'araignées. J'ai sauvé des vies avec lui, et il se trouve que mon stupide petit cœur a eu l'excellente idée de tomber pour sa paire de petites fesses sauvages. Et aujourd'hui, j'me suis rendue compte que ce même gars, que je ne connaissais pas vraiment avant parce que j'avais jamais vu son visage - tu vois ? Et bah ce gars, il se trouve que c'est le même gars de mon cours de science et qui a des orgasmes sur des équations du onzième degré. Et aussi, je pense que se faire irradier ça a des effets secondaires, parce que je manque de crever de mal de tête tous les jeudis à 15h30.
La jeune blonde, un air indifférent sur le visage, finit par enlever ses lunettes. Elle se mord la lèvre, avant de répondre, de sa même voix traînante :
— En gros, t'as des préférences sexuelles chelous qui te pourrissent la vie parce que quand tu baises, tu baises avec des chaussures.
— OUAIS ! T'as tout compris.
Ru se prend le crâne en grognant de frustration devant la livreuse qui hoche doucement la tête. Elle reprend, en disant :
— Écoute papillon, moi j'suis une sorcière. J'ai surement une formule magique pour toi, mais comme mes services sont payants et que t'as l'air pauvre, je te donne...
Elle se tourne vers le guidon de son vélo et arrache la petite bille transparente qui pendait de sa sonnette. L'objet, fait en verre, n'est rien d'autre qu'une babiole qui sort d'un magasin de souvenirs d'une des rues de china-town.
— Ce talisman ! Bonne fortune, bonne chance, tout ça tout ça et blablabla. Avec ce machin toujours dans ta poche, t'auras moins de poisse.
Elle le lui tend, et Ru, ne sachant quoi faire de cette offre, accepte le cadeau ridicule avec une mine confuse sur le visage.
— Merci ?
— C'est ça. Et puis essaye d'être moins conne, si t'aime le gosse, va lui dire. Pas besoin d'un sortilège pour faire ça.
Ru lui adresse un maigre sourire, et fourre son cadeau dans sa poche. Elle fronce les sourcils à la vue des dizaines de cartons de pizza chaudes qui s'entassent à l'arrière de son vélo, et lui demande, d'un voix innocente :
— Dis, j'veux pas te dire comment faire ton métier, mais t'as pas tout ça à livrer avant la nuit ?
— T'as déjà oublié ce que je t'ai dis ? J'suis une sorcière.
Elle lui fait un clin d'œil sous ses lunettes sombres, et Ru lui adresse un sourire.
— Je suis Ru.
— Je sais, on a littérature ensemble. J'm'appelle Tim.
Elle recule en lui adressant un ultime au-revoir, amusée par le prénom singulier de la fille aux cheveux blancs.
Les idées un peu moins fougueuses, la poitrine un peu moins lourde, Ru se doute bien que Tim ne l'a pas cru une seule seconde lors de son récit loufoque. Elle ne sait ni ce qu'elle va faire, ni comment elle se sent vis-à-vis de toute cette histoire qui prend des dimensions de plus en plus bizarres. Mais elle se dit qu'elle va improviser, parce que, en plus de courir très vite, c'est une des meilleures choses qu'elle sait faire.
A/N : LE DEUXIÈME LIVRE COMMENCE ENFIN ! J'espère que ce chapitre vous a plu. Vous ne reverrez pas le personnage de Tim dans cette histoire, mais souvenez-vous en, on sait jamais *wink wink*
Les chapitres ne vont pas arriver très rapidement, étant donné que j'ai deux idées pour civil war, que je ne sais pas laquelle choisir, et je ne sais toujours pas comment organiser les événements. Bref, j'vous envoie plein d'amour et j'vous souhaite de passer une nuit caliente,
— c'était morg.
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