➳ ❝ pas de coups ni de feu, ici je ne vois que du sang  ❞

Tuer un homme n'était franchement pas facile, et appuyer sur la détente relevait presque de l'héroïsme pur. Mais dans l'obscurité semi-lunaire, la victime dormait ; Cleo ne voulait pas d'un crime de traître. Si elle devait assassiner quelqu'un une fois dans sa vie, elle tenait à le regarder mourir droit dans les yeux. Sa conscience lui pèserait certainement tout autant mais au moins, lorsqu'elle serait seule et complètement saoule, ce visage dont elle aura vu les derniers instants viendrait la hanter dans toute la splendeur de ses détails en punition de ses actes.

Son arme, elle l'avait dérobée dans l'écritoire de son beau-père et remplacée par une photo : un cliché flou sur lequel se dessinait la silhouette de la future victime. Les balles étaient neuves, les gants bien repassés, son alibi avait été soigneusement préparé. Elle connaissait parfaitement son métier, c'était comme si un arbitre prenait part au jeu dont il savait les règles par cœur.

Du bout du pied, elle toucha l'endormi. Elle se forçait à ne pas avoir peur, et à vrai dire jusque là ça marchait plutôt bien. Un râle fumeux s'échappa des lèvres rendues pâteuses par le sommeil, ces mêmes lèvres dont elle avait surpris la passion dévorante pour la bouche carmin de sa génitrice. Il bougea mais ne se réveilla pas. Elle n'avait pas son temps et, anxieuse, elle le poussa plus fort. Le corps du dormeur tomba sur le sol, juste dans la ruelle du lit.

Grognant, l'homme se releva, puis l'aperçut. Après quelques secondes de flottement, il remarqua aussi le revolver qui brillait sous les rayons de lune.

Sommeil, interrogation, surprise, crainte puis sueurs froides, elle lisait sur son visage les lignes du scénario écrit à l'avance dans son esprit. Le canon pointé vers l'os frontal, elle accrocha son regard au sien.

Une seconde, puis une deuxième s'écoulèrent. Que devait-on dire à sa future victime avant de la buter ? Elle y avait réfléchi pendant des heures. Pourtant maintenant qu'elle y était, rien ne souhaitait sortir d'entre ses dents.

Elle avait envie de lui dire que ce n'était pas personnel, de lui faire comprendre qu'en mourant, il allait faire régner la justice, qu'il n'était qu'un dommage collatéral et qu'il aiderait le monde, ou plutôt son monde, à tourner rond à nouveau. Mais le comprendrait-il vraiment si elle le lui expliquait ? Certainement pas.

Tant pis, seule l'arme parlerait ce soir-là.