➳ ❝ mais au fond on sait tous que la mort n'est qu'une formalité ❞

L'enterrement de la mère était semblable à tous les enterrements auxquels elle avait pu assister jusqu'à ce jour. Peut-être était-il un peu plus sincère que celui de son père, mais les morts ne portent de toute façon pas grande attention à ce genre de détails.

Cercueil, fleurs, pleurs, terre, silences, condoléances. Cleo ne s'attarda pas plus longtemps sur une tombe qui n'était pour elle rien qu'une croix de marbre plantée dans le sol et qu'on allait oublier de fleurir d'ici deux ans. 

William l'accompagnait. Bien que son visage resta impassible elle était soulagée qu'il soit là avec elle. Il lui avait donné son bras et elle ne s'était pas privée de prendre appui sur lui. Mine de rien ces obsèques lui donnaient une sacrée nausée.

Une fois sortis du cimetière, ils marchèrent un peu sous les platanes qui longeaient la promenade. L'air frais leur croquaient les chevilles alors qu'un timide soleil bataillait silencieusement pour faire passer ses rayons fragiles à travers les branches d'arbres. Le temps était tout de même radieux. 

C'était ainsi, il ne pleuvait jamais lorsqu'on enterrait des meurtriers.

William repéra un banc de pierre à une vingtaine de pas devant eux. Il proposa à sa dame de faire une brève halte. Une fois assis, ils observèrent le canal en face d'eux, en silence. Tout était si calme.

 — William.

 — Oui ?

 — Est-ce que tu as toujours cette bague sur toi ?

Le jeune homme sourit. Il la gardait toujours dans la poche droite de son manteau, à l'affut du bon moment.

 — Effectivement.

 — Donne-la moi.

Intrigué, William s'exécuta. Cleo ouvrit l'écrin et en sorti l'anneau avant de l'enfiler à l'annulaire gauche.

 — Tu es sure ? demanda-t-il.

La jeune femme hocha la tête :  — Je t'aime, William. Marrions-nous dans un mois.

Et pour la première fois depuis le début de l'échange, elle tourna la tête vers lui et ses yeux croisèrent les siens. Elle l'aimait ? Oui. Oui elle l'aimait, et même depuis le début. Elle avait senti ces sentiments la première fois qu'ils avaient parlé, deux ans plus tôt au poste de police. Il venait d'y être transféré et avait essayé d'engager la conversation. Mais aveuglée par ses ambitions irraisonnables elle avait balayé tout ça d'un revers de main. 

Puis tout s'était déroulé très vite : le diner, la menace, le mariage, l'empoisonnement. Et elle avait finalement laissé tomber ses aspirations mais sa fierté l'avait freinée net. Si elle admettait ses sentiments, elle annonçait au monde entier sa conduite honteuse. C'était humiliant. 

William comprenait tout ça. Il lui retira la bague du doigt en souriant dans un soupir.

 — Laissons les choses traîner encore un peu, tu veux ?

Et elle se sentit comme ôtée d'un poids. Soulagée, Cleo posa sa tête contre l'épaule de son amant. Son odeur était fruitée, elle agissait sur elle comme une drogue douce. Il était sa drogue à elle, et elle était devenue la sienne. Ils brulaient tous les deux comme deux joints, éphémères, voués à l'extinction. 

Une rafale de vent souleva les pétales des marguerites qui dormaient dans la pelouse. Peut-être se marieraient-ils en hiver, quand leurs sentiments seraient assez forts pour réchauffer leurs deux cœurs, remplis d'azote liquide.

❝Fin.