One
- Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaire Aiden ! Joyeux anniversaire !
Ma petite famille chante en chœur pour moi. La pièce est plongée dans l'ombre, avec pour seule source de lumière les vingt bougies qui ornent le gâteau. Je souffle mes bougies, comme pour les 19 anniversaires précédents. Tout est exactement comme dans mon enfance, à la seule exception du nombre de personnes réunies. Seuls mes deux grands-parents paternels, mes parents et ma sœur sont présents, mais je n'ai pas besoin de presque étrangers pour mes 20 ans. Le meilleur ? C'est le dîner préparé par l'excellente cuisinière qu'est ma mère. Quand je disais que rien n'avait changé, c'est réellement rien. Les mêmes débats sociaux et politiques pour refaire le monde auxquels je ne participe jamais pour la simple et bonne raison que ce ne sont pas des sujets qui me passionnent. J'ai droit aux mêmes questions sur ma vie et les mêmes réponses :
« Non mamie, je n'ai pas de petite copine. Oui papy, les études me plaisent. Non Lia, tu n'auras pas ma part de gâteau. Oui maman et papa, je suis ravi de cette journée. ».
Cela s'est toujours déroulé ainsi, et je m'en plains pas. Du haut de mes tout juste 20 ans, j'aime avoir mon quotidien, mes habitudes et ma petite routine. Pas que le renouveau m'effraie, mais j'aime ma vie de cette manière.
Mais si, pour l'occasion, je n'essaierais pas un peu de pimenter le repas ? Il y a un cadeau que j'apprécierais beaucoup recevoir cette année : la vérité. La vérité sur ce secret que l'on a toujours refusé de me révéler, même en insistant. J'admets que j'attendais ce jour avec impatience depuis des mois, et Lia aussi. Je n'aime pas trop les secrets, et lorsqu'on m'en met un sous le nez pendant des années, il m'est impossible de rester sans bruit, tel l'ignorant que je suis.
Ma sœur me jette un regard, me demandant implicitement quand serait le bon moment. J'ai décidé que ce serait maintenant.
- Mais Éric, ce n'est pas possible. Parce que même si...
- Dis papy, le coupais-je.
- Oui mon petit ?
Je sais, c'est très impoli de couper la parole, surtout dans une conversation aussi profonde que celle-ci.
- C'est qui la femme sur la cheminée en fait ?
Il ouvre grand les yeux, prit au dépourvu. C'est évidemment l'effet voulu, une soudaine bombe qui explose au milieu de la table.
- Aiden, tu veux bien arrêter avec cette histoire s'il te plaît ? Souffle mon père.
- J'estime que, à présent, j'ai le droit de savoir non ?
- C'est simplement quelqu'un de la famille.
- Ce n'est pas parce que ce mystère ne t'intéresse pas que tu peux m'empêcher de savoir la vérité papa.
- C'est la vérité Aiden !
Lia me fait un léger signe de tête vers ma grand-mère. Elle semble être dans un inconfort particulier. Il est vrai qu'elle ne s'est jamais réellement exprimée sur le sujet, j'ai toujours eu affaires à mon grand-père. Le souci c'est qu'avec lui, le ton monte très vite, sur ce sujet il n'a jamais été possible de nous mettre d'accord et, plus je grandis, plus je suis persévérant.
- Dis-moi mamie, qui est-ce ?
- Aiden...
- Non stop. Ca suffit, dit son mari. Pourquoi tu ne veux pas nous écouter ? C'est quelqu'un de la famille, c'est tout.
- Hmm... D'accord. Quel est son nom ?
- Eh bien... Elle s'appelle Victoria.
A vrai dire, je le savais déjà. Ce n'était que pour voir jusqu'où il irait dans son mensonge, et apparemment, il a aussi ses limites.
- Et c'est qui pour nous ? Demande ma sœur. Cousine ? Grande tante ?
- Oui, voilà, c'est ça.
- Et qu'a-t-elle fait pour arrivée sur la cheminée ?
- Aiden, s'il te plaît...
Première intervention de maman. En général elle ne dit rien parce qu'elle estime que cette conversation ne la regarde pas, les secrets de famille de mon père ne la concernent pas directement. Mais je la soupçonne d'être le modèle de Lia; elle reste discrète, ne se prononce que rarement sur le sujet, mais au fond d'elle, cette histoire l'intrigue.
- Laissez Julie. Victoria est décédée à un jeune âge et c'était une personne importante.
Merci mamie. Au moins, elle a le don de faire avancer les choses. Je la comprends, elle doit être épuisée de garder ce secret depuis toujours avec un petit-fils comme moi.
Je dois encore avouer quelque chose, je sais tout. Enfin, presque tout. Pas grand-chose au final quand on y réfléchit bien. Il nous manque tout de même quelques infos à Lia et à moi, des zones d'ombre, nous ne connaissons que son identité et sa place dans la famille. Alors pourquoi tourner autour du pot, me direz-vous ? J'aimerais simplement que mon grand-père se confie à nous, chose qu'il ne fait jamais, et que la vérité sorte de sa bouche. Ce n'est pas à moi de le dire, c'est son histoire. Cela peut paraître égoïste de ma part, mais j'estime que toutes les personnes réunies à ce moment méritent de savoir. Après tout, nous sommes une famille unie et soudée pour le meilleur comme pour le pire. Je me doute bien que ça ne doit pas être facile pour mon grand-père, je n'ai jamais pensé le contraire, mais il faut parfois un peu forcer le destin.
- De quoi est-elle morte ? Demande Lia.
- C'est un peu compliqué ma chérie...
- Papy, s'il te plaît. Ne te défile pas, pas encore une fois. Pourquoi est-ce si dur de nous faire confiance et de nous expliquer clairement ?
- Parce que tu ne sais pas tout Aiden !
Ah, voilà, il commence à craquer.
- Tu n'as pas vécu à cette époque, tu ne connais pas les circonstances de sa mort ! La confiance n'a rien à voir dans toute cette histoire.
- Alors quoi ? Si ce n'est pas la confiance c'est quoi ? Dis-nous. Le manque de courage, le manque d'assurance, la peur, le regret ? On t'écoute, ça fait des années que l'on est prêt à entendre cette histoire.
- Non, tu n'es pas prêt Aiden, tu n'as pas idée de ce qu'est mon passé.
Il a raison sur un point, je ne suis probablement pas prêt à entendre la vérité totale dans son état le plus pur. Mais je suis prêt à prendre le risque. Alors, oui, il a raison, mais ma curiosité est toujours plus forte. Et qu'importe l'ampleur de ce passé, je suis persuadé que nous saurons l'accepter, chacun à notre rythme.
- Georges, peut-être que...
- Non, ça suffit. Je ne veux plus entendre un mot à ce sujet aujourd'hui.
- Mais papy, tu dois arrêter ça. Arrêter de fuir ton passé.
- Plus un mot j'ai dit !
- D'accord.
Il me faut un plan, rapidement.
Aucun ne vient, alors je vais tenter le passage en force.
- On sait bien à quel point la période de guerre a été dure par ici... Entre l'Occupation, quelques hasardeux bombardements, des espions... Aucune confiance envers qui que ce soit.
Quelque chose s'est figée dans son regard.
- Aiden, je-
- Ou alors après, terrible période également. Des innocents morts, des vengeances, une population méfiante... Je continuais, espérant toucher la bonne corde.
- D'ailleurs tu faisais quoi pendant la guerre papy ? Ajouta Lia.
Quand j'étais plus jeune j'avais beaucoup de différends avec ma petite sœur. Lorsqu'elle a fait sa crise d'adolescence c'était l'enfer à la maison. Aujourd'hui, après avoir bien grandi, je me rends compte à quel point elle m'est précieuse et à quel point notre complicité s'est grandement améliorée.
- Je ne suis pas sûre que ce soit un bon sujet pour profiter de l'anniversaire d'Aiden...
- Parce que la politique est mieux peut-être ? Soufflais-je. Autant en apprendre un peu plus sur l'histoire de notre famille.
- Ce sont les regrets qui me rongent. Bien que cela fasse des décennies, les images sont encrées dans ma mémoire. J'étais un maillon essentiel de l'équipe Bêta.
- L'équipe Bêta ?
C'est le moment où jamais, je sens qu'il va parler. Je le sens ! Mon grand-père a beau être fort il n'est pas surhumain et, comme tout le monde, une surdose d'émotions peut le faire céder.
- Je ne devrais pas vous parler de ça. Allons plutôt ouvrir tes cadeaux, dit-il en se levant de sa chaise.
Tout le monde suit le mouvement, sentant une légère tension dans la pièce. Et voilà, retour à la case départ ! J'y ai vraiment cru pendant quelques instants, j'ai cru que cette lutte était enfin terminée. Je m'avachis totalement sur la table, me relevant finalement pour les rejoindre au salon.
Le déballage de cadeaux ne fut pas long, n'étant plus un enfant je n'ai plus une tonne de jouets à découvrir. Simplement quelques bricoles utiles à ma vie d'étudiant. Malgré ce moment calme qui ramena un peu d'enthousiasme, une seule chose me reste en tête. Je veux savoir plus que tout. Pendant mes années d'adolescent ce fut mon vœu le plus cher, celui que je murmurais chaque fois que j'apercevais une étoile filante dans le ciel d'été. Pourtant, ce souhait ne s'est jamais réalisé. Et si le destin ou le hasard ou n'importe quoi ne voulait pas m'aider, aucun souci, j'allais m'en occuper moi-même. Revenir à la charge n'est pas la meilleure solution, cependant, elle est la seule qui me vient à l'esprit sur l'instant.
- Papy, je sais que ça ne va pas te plaire mais, je t'en supplie, dis-nous ce qu'il s'est passé. Je sais que c'est probablement dur pour toi mais mets-toi aussi à notre place ! Qu'est-ce qui peut être aussi horrible pour que même papa n'en sache rien ?
- Aiden, on te l'a suffisamment répété. Arrête ça immédiatement, s'énerve ce dernier.
Je m'en veux vous savez, je m'en veux de tous les pousser à bout avec cette histoire mais tout serait tellement plus simple si nous savions. Nous pourrions aider mon grand-père à vivre avec car, plus le temps passe, plus je doute que l'unique présence de ma grand-mère suffise.
- Je suis désolé. Mais vraiment papa, je n'arrive pas à comprendre comment tu arrives à faire comme si rien ne passait. Je ne suis pas en train de dire que j'y pense jour et nuit et que cela me hante, mais le fait qu'on ne veuille pas me révéler ce « secret de famille » me pèse un peu. Lia et moi ne sommes plus des enfants qu'il faut protéger du méchant côté de la vie !
- Georges... Souffle mamie. Nous en avons déjà parlé...
Et cette fois-ci, je sûr qu'il va parler. Malgré l'air hésitant sur son visage, je peux voir dans ses yeux qu'il s'est résigné. En réalité, il l'est depuis un moment, il se doutait qu'un jour ou l'autre ce moment arriverait. Mais pour je ne sais quelle raison, il a continué à lutter tout ce temps. Lutter contre lui-même. J'avais, lors de quelques insomnies, émis plusieurs hypothèses. Premièrement, il ne voulait faire de mal à personne, il voulait que nous restions cette parfaite petite famille sans gros soucis, profitant de chaque jour. Deuxièmement, c'était trop personnel, une partie de sa vie qu'il ne voulait pas partager soit parce que c'était trop douloureux, soit parce qu'il en avait honte. Et enfin, finalement, lors de ces nuits sans sommeil, j'en étais venu à la conclusion qu'il y avait également une probabilité que ces deux hypothèses soient réunies en une seule. Et à la vue de ce que j'ai découvert un peu plus tard par moi-même (avec l'aide de Lia), cette idée se place tout en haut de ma liste.
- Papy, dit-elle, tu dois te détacher du passé. Peu importe ce qu'il s'est passé à ce moment, ce qui compte vraiment c'est l'instant présent n'est-ce pas ? Tu es capable de dépasser cela ! Tu dois entrer dans cette phase d'acceptation et en faire le deuil. Tu sais, faire le deuil ne veut pas dire oublier. Nous en parler pourrait t'aider, se confronter à nos peurs est un des meilleurs moyens pour repartir sur une base saine. Et je ne dis pas ça que pour te persuader, c'est une vérité générale prouvée.
- Et je suis entièrement d'accord avec toi ma chérie. Maintenant ça suffit toutes ces cachoteries ! Notre propre fils ne sait pas la vérité, alors tu leur dis ou je le fais moi-même !
L'attitude de mamie n'est pas si violente, mais paraît comme telle. Il est tellement rare de la voir ainsi, elle a toujours été très douce et plutôt en retrait. La voir prendre les devants de temps en temps me fait le plus grand bien, ma grand-mère est une femme forte, et je n'ai jamais douté de cela.
- Qu'est-ce que ça signifie ? s'exclame tout à coup mon père.
- Éric...
- Non mais vous êtes en train de me dire que vous m'avez menti toutes ces années ? Que Aiden a raison et que vous nous l'avez toujours caché ?
- S'il te plaît mon chéri...
- Non mais j'y crois pas maman... Je pense que je vais aller prendre un peu l'air.
Je savais bien que ça allait finir par arriver. Mon père n'aime pas trop qu'on lui cache des choses en général, alors que ses propres parents l'aient fait durant toute sa vie, je peux comprendre à quel point cela peut être difficile.
- Reste dont un peu. Je n'ai d'autres choix... Souffle mon grand-père. Autant que tu sois là.
Il se rassit lourdement sur sa chaise pour tout de même faire savoir son énervement mais également sa déception.
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