entracte : lettre de l'auteur à son monstre

Cleo, Muse de l'Histoire dans la mythologie grecque. Proclamatrice, glorificatrice des grandes actions et des héros. 

 Tu sais, j'ai longtemps hésité entre écrire ton éloge et dresser ton blâme. Encore maintenant je ne sais pas ce qu'il conviendrait de faire. Les louanges d'un monstre ? La critique d'une désespérée ? Ton personnage n'est ni tout blanc, ni tout noir, il est les deux en même temps. Tu es un échiquier insensé sur lequel il ne resterait plus que des fous, valdinguant en diagonale d'avant en arrière. 

 Tu me fais peur et tu me fascines à la fois. Je sais que tu me ressembles et pourtant je ne me reconnais pas en toi. Ton personnage est un mélange de vices, d'obsession, d'arrogance, de haine, mais étrangement on a envie de le comprendre, de lui trouver des excuses, de justifier toutes ses déviances et de se dire que, quoiqu'il arrive... tu sais ce que tu fais. 

 Car tu as l'air si sure de toi, Cleo, on te suivrait jusqu'au bout du monde. Meurtres, manigances et mensonges s'enchaînent dans le scénario et toi, toute droite dans tes bottes cirées, tu sembles toujours convaincue que tout ce que tu fais suit un rigoureux code de l'honneur. 

Ta froide apathie et ta morbide détermination me font t'apprécier plus que je ne le devrais. Tu n'es pourtant qu'un flic corrompu obsédé depuis l'enfance par une idée fixe. Mais moi, je te vois plutôt comme une tache de peinture sombre balancée sur une toile abstraite, qui s'étend et qui coule, de plus en plus bas, jusqu'à sortir de l'œuvre et goutter sur le sol de la galerie. 

Tu cries sans arrêt à tes démons intérieurs que tu veux devenir un héros digne des plus grandes épopées grecques. Que tu veux briller dans la mort et même au-delà. Qu'as-tu réellement dans le crâne, Cleo ? Tu veux être un héros, incarner un idéal, un fantasme humain inatteignable. Ta vie n'a pas d'importance, elle se résume seulement à des calculs pour satisfaire tes délires les plus apothéotiques. Rien d'autre n'a de valeur à tes yeux, ni argent, ni biens, ni personnes, ni sentiments. Seulement la Gloire.

Tu veux la vengeance ? Non. Seulement la justice, dis-tu. Et tu veux réparer une injustice en en causant de nouvelles. Telle est la logique que tu nous sers et à laquelle on a envie de croire. Le sang coule, mais jamais rien ne t'atteint, tu sais à l'avance comment tout va se terminer... 

  Et on attend ta chute. 

 Car tu cours à ta perte, écrasée entre tes désirs, tes valeurs et tes obligations. J'aimerais pouvoir te dire que tu peux encore t'en tirer, malheureusement tu es déjà allée trop loin. Il n'y a pas de retour en arrière possible, alors continue. Tu n'as aucune raison de t'arrêter en si bon chemin. Deviendras-tu une légende, un symbole, ou un simple fait divers ? Dans tous les cas, ton grand finale sera certainement comme toi : spectaculaire, malaisant et empli de poésie.